SALIMA TLEMCANI - EL WATAN
Surprenante était la décision de mise de fin de fonction du ministre de la Justice, Slimane Brahmi, par le chef de l’Etat, qui constitutionnellement n’a pas le droit de démettre un quelconque membre du gouvernement hérité du Président déchu.
Surprenante est également la décision de nommer Belkacem Zeghmati, procureur général près la cour d’Alger, comme successeur, et Mohamed Zougar au poste de secrétaire général. Les deux hommes ont été rappelés d’une traversée du désert imposée par Tayeb Louh, l’ex-garde des Sceaux, qui agissait au doigt et à l’œil de l’ex-patron de la gendarmerie, Ghali Belkecir, tantôt au profit d’une partie, tantôt contre une autre. Il est vrai que depuis la mise sous enquête judiciaire de Tayeb Louh, tout laisse à croire à des changements à l’intérieur et à la tête de la chancellerie, pour l’extirper du contrôle de ses anciens responsables.
Très lié à son prédécesseur, Slimane Brahmi était à la Cour suprême, au statut personnel, avant qu’il ne soit nommé ministre de la Justice par le Président démissionnaire. Ce choix n’était pas fortuit étant donné ses liens assez particuliers non seulement avec Tayeb Louh, mais aussi avec l’ex-commandant de la Gendarmerie nationale, l’ami commun.
Le retour de la direction centrale de la police judiciaire militaire et l’ouverture d’une enquête pour corruption contre Tayeb Louh, confiée d’ailleurs à l’Office central de lutte contre la corruption (et non pas à la Gendarmerie nationale), préludaient d’autres décisions, dont le limogeage de Ghali Belkecir, parti en Espagne pour des vacances avec sa famille, mais aussi d’autres décisions dans les jours à venir. Mais, mardi soir, un incident a accéléré les événements. Slimane Brahmi a perdu le contrôle de sa voiture avant de foncer dans le mur de protection de la station d’essence de la sortie de Staouéli, à l’ouest d’Alger.
Peut-on croire que c’est vraiment cette raison qui a poussé le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, à outrepasser la Constitution pour le démettre ? On n’en sait rien. Mais des sources bien informées tentent d’expliquer cette décision : «Les circonstances dans lesquelles cet accident a eu lieu auraient dû susciter la démission du ministre. Mais, le contexte ne le permettait pas. C’était juste après les déclarations du chef d’état-major de l’Anp et vice-ministre de la Défense. S’il avait démissionné, cela aurait suscité des lectures loin de la réalité des faits.» Cela étant, la décision de remplacer Slimane Brahmi par Belkacem Zeghmati, que beaucoup qualifient de «véritable procédurier», a rassuré plus d’un au sein de la chancellerie. L’ex-procureur général près la cour d’Alger, est connu pour sa «rigueur» et son «professionnalisme». Il avait été soumis à une véritable traversée du désert en raison de l’enquête sur le dossier Sonatrach et la procédure de mandats d’arrêt contre l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, et les membres de sa famille. Il revient à son poste de procureur général près la cour d’Alger au moment des grandes enquêtes sur la corruption, avant d’être promu à la tête de la chancellerie.
Bourehil, Belaïz, Chorfi et la villa de la discorde
Il faut dire que Slimane Brahmi n’est pas parti seul. Il a entraîné avec lui Samir Bourehil, le secrétaire général, très proche de Tayeb Belaïz dont il a fait son chef de protocole durant près de dix ans, avant de le prendre avec lui au Conseil constitutionnel. Mais, il s’en est éloigné après son contentieux avec son successeur, Mohamed Chorfi, à la tête de la chancellerie, à cause de la villa (bien du ministère de la Justice) qu’il ne voulait plus quitter. Chorfi l’a récupéré et fait de lui son chef de cabinet. Mais, dès la nomination de Tayeb Louh, il est mis en congés payés durant 7 ans, jusqu’à sa nomination surprise en mai dernier. Son retour avait suscité de nombreuses interrogations.
Certains y voyaient la main de Tayeb Belaïz, d’autres le voyaient déjà reparti, en raison du contexte assez difficile que traverse le secteur. Pour beaucoup, sa mise de fin de fonction était inévitable. Son successeur n’est pas du tout méconnu. Mohamed Zougar a fait partie du noyau dur du SNM (Syndicat national des magistrats), au moment de sa gloire au début des années 1990. En retrait de l’activité syndicale, en raison des mésententes avec Tayeb Louh, Zougar a été procureur général au niveau de plusieurs cours.
En 2010, il a été nommé à la tête de l’Office central de lutte contre la corruption et, en 2013, il est sollicité par Tayeb Louh, pour lui faire des propositions sur la réforme de la justice. En 2014, il se retrouve à Tipasa en tant que procureur général, et Mme Boukhers, épouse Belkecir, présidente de la cour. Au bout de six mois, les problèmes entre les deux chefs de cour surgissent, mais le ministre va trancher en faveur de l’épouse de son ami. Mohamed Zougar se retrouve à Bouira, où il y restera jusqu’à sa nomination en tant que secrétaire général du ministère de la Justice.
Une mission très lourde, qu’il entame avec cette polémique suscitée par un communiqué adressé à l’agence officielle, par le parquet général près la cour de Tlemcen, faisant état de la prétendue fuite à l’étranger de Khalida Toumi, ancienne ministre de la Culture, alors qu’elle n’a jamais quitté son domicile à Alger. Déclarer un citoyen en état de fuite suppose la mise en branle de toute une procédure, notamment une enquête des services de sécurité, qui s’achève par un procès-verbal d’anfractuosité, après avoir vérifié à ses domiciles sa présence ou non. Or, dans le cas de Khalida Toumi, non seulement elle n’était pas à l’étranger, comme affirmé dans le communiqué, mais en plus, elle était chez elle et contactée par des journalistes sur place à Alger. N’est-ce pas là une bavure judiciaire à bannir ? Aujourd’hui, plus que jamais, la justice se trouve au centre du débat sur l’Etat de droit, qui doit commencer par le respect des libertés et de la présomption d’innocence.
Or, depuis le début du mouvement de contestation populaire pacifique du 22 février, de nombreux citoyens ont fait l’objet de détention provisoire pour avoir hissé le drapeau amazigh, qui incarne leur identité, et pour avoir exprimé des opinions opposées à celles des tenants du pouvoir. Cette situation est loin de rassurer l’opinion publique, surtout lorsque parmi les détenus, certains risquent de perdre la vie en raison de la dégradation de leur état de santé. C’est le cas d’ailleurs du général à la retraite Hocine Benhadid, incarcéré depuis plus de deux mois et qui risque de perdre la vie à n’importe quel moment en raison de l’échec des deux interventions chirurgicales, son âge avancé, 76 ans, et les lourdes maladies qu’il traîne.
Malheureusement, hier la chambre d’accusation a rejeté, pour la seconde fois, sa mise en liberté, malgré le dossier médical présenté par ses avocats. Il faut dire que le tout nouveau ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, et son secrétaire général, Mohamed Zougar, ont du pain sur la planche. Le contexte dans lequel ils sont appelés à agir est très difficile. Seront-ils à la hauteur de leur mission ? La question reste posée
Surprenante était la décision de mise de fin de fonction du ministre de la Justice, Slimane Brahmi, par le chef de l’Etat, qui constitutionnellement n’a pas le droit de démettre un quelconque membre du gouvernement hérité du Président déchu.
Surprenante est également la décision de nommer Belkacem Zeghmati, procureur général près la cour d’Alger, comme successeur, et Mohamed Zougar au poste de secrétaire général. Les deux hommes ont été rappelés d’une traversée du désert imposée par Tayeb Louh, l’ex-garde des Sceaux, qui agissait au doigt et à l’œil de l’ex-patron de la gendarmerie, Ghali Belkecir, tantôt au profit d’une partie, tantôt contre une autre. Il est vrai que depuis la mise sous enquête judiciaire de Tayeb Louh, tout laisse à croire à des changements à l’intérieur et à la tête de la chancellerie, pour l’extirper du contrôle de ses anciens responsables.
Très lié à son prédécesseur, Slimane Brahmi était à la Cour suprême, au statut personnel, avant qu’il ne soit nommé ministre de la Justice par le Président démissionnaire. Ce choix n’était pas fortuit étant donné ses liens assez particuliers non seulement avec Tayeb Louh, mais aussi avec l’ex-commandant de la Gendarmerie nationale, l’ami commun.
Le retour de la direction centrale de la police judiciaire militaire et l’ouverture d’une enquête pour corruption contre Tayeb Louh, confiée d’ailleurs à l’Office central de lutte contre la corruption (et non pas à la Gendarmerie nationale), préludaient d’autres décisions, dont le limogeage de Ghali Belkecir, parti en Espagne pour des vacances avec sa famille, mais aussi d’autres décisions dans les jours à venir. Mais, mardi soir, un incident a accéléré les événements. Slimane Brahmi a perdu le contrôle de sa voiture avant de foncer dans le mur de protection de la station d’essence de la sortie de Staouéli, à l’ouest d’Alger.
Peut-on croire que c’est vraiment cette raison qui a poussé le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, à outrepasser la Constitution pour le démettre ? On n’en sait rien. Mais des sources bien informées tentent d’expliquer cette décision : «Les circonstances dans lesquelles cet accident a eu lieu auraient dû susciter la démission du ministre. Mais, le contexte ne le permettait pas. C’était juste après les déclarations du chef d’état-major de l’Anp et vice-ministre de la Défense. S’il avait démissionné, cela aurait suscité des lectures loin de la réalité des faits.» Cela étant, la décision de remplacer Slimane Brahmi par Belkacem Zeghmati, que beaucoup qualifient de «véritable procédurier», a rassuré plus d’un au sein de la chancellerie. L’ex-procureur général près la cour d’Alger, est connu pour sa «rigueur» et son «professionnalisme». Il avait été soumis à une véritable traversée du désert en raison de l’enquête sur le dossier Sonatrach et la procédure de mandats d’arrêt contre l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, et les membres de sa famille. Il revient à son poste de procureur général près la cour d’Alger au moment des grandes enquêtes sur la corruption, avant d’être promu à la tête de la chancellerie.
Bourehil, Belaïz, Chorfi et la villa de la discorde
Il faut dire que Slimane Brahmi n’est pas parti seul. Il a entraîné avec lui Samir Bourehil, le secrétaire général, très proche de Tayeb Belaïz dont il a fait son chef de protocole durant près de dix ans, avant de le prendre avec lui au Conseil constitutionnel. Mais, il s’en est éloigné après son contentieux avec son successeur, Mohamed Chorfi, à la tête de la chancellerie, à cause de la villa (bien du ministère de la Justice) qu’il ne voulait plus quitter. Chorfi l’a récupéré et fait de lui son chef de cabinet. Mais, dès la nomination de Tayeb Louh, il est mis en congés payés durant 7 ans, jusqu’à sa nomination surprise en mai dernier. Son retour avait suscité de nombreuses interrogations.
Certains y voyaient la main de Tayeb Belaïz, d’autres le voyaient déjà reparti, en raison du contexte assez difficile que traverse le secteur. Pour beaucoup, sa mise de fin de fonction était inévitable. Son successeur n’est pas du tout méconnu. Mohamed Zougar a fait partie du noyau dur du SNM (Syndicat national des magistrats), au moment de sa gloire au début des années 1990. En retrait de l’activité syndicale, en raison des mésententes avec Tayeb Louh, Zougar a été procureur général au niveau de plusieurs cours.
En 2010, il a été nommé à la tête de l’Office central de lutte contre la corruption et, en 2013, il est sollicité par Tayeb Louh, pour lui faire des propositions sur la réforme de la justice. En 2014, il se retrouve à Tipasa en tant que procureur général, et Mme Boukhers, épouse Belkecir, présidente de la cour. Au bout de six mois, les problèmes entre les deux chefs de cour surgissent, mais le ministre va trancher en faveur de l’épouse de son ami. Mohamed Zougar se retrouve à Bouira, où il y restera jusqu’à sa nomination en tant que secrétaire général du ministère de la Justice.
Une mission très lourde, qu’il entame avec cette polémique suscitée par un communiqué adressé à l’agence officielle, par le parquet général près la cour de Tlemcen, faisant état de la prétendue fuite à l’étranger de Khalida Toumi, ancienne ministre de la Culture, alors qu’elle n’a jamais quitté son domicile à Alger. Déclarer un citoyen en état de fuite suppose la mise en branle de toute une procédure, notamment une enquête des services de sécurité, qui s’achève par un procès-verbal d’anfractuosité, après avoir vérifié à ses domiciles sa présence ou non. Or, dans le cas de Khalida Toumi, non seulement elle n’était pas à l’étranger, comme affirmé dans le communiqué, mais en plus, elle était chez elle et contactée par des journalistes sur place à Alger. N’est-ce pas là une bavure judiciaire à bannir ? Aujourd’hui, plus que jamais, la justice se trouve au centre du débat sur l’Etat de droit, qui doit commencer par le respect des libertés et de la présomption d’innocence.
Or, depuis le début du mouvement de contestation populaire pacifique du 22 février, de nombreux citoyens ont fait l’objet de détention provisoire pour avoir hissé le drapeau amazigh, qui incarne leur identité, et pour avoir exprimé des opinions opposées à celles des tenants du pouvoir. Cette situation est loin de rassurer l’opinion publique, surtout lorsque parmi les détenus, certains risquent de perdre la vie en raison de la dégradation de leur état de santé. C’est le cas d’ailleurs du général à la retraite Hocine Benhadid, incarcéré depuis plus de deux mois et qui risque de perdre la vie à n’importe quel moment en raison de l’échec des deux interventions chirurgicales, son âge avancé, 76 ans, et les lourdes maladies qu’il traîne.
Malheureusement, hier la chambre d’accusation a rejeté, pour la seconde fois, sa mise en liberté, malgré le dossier médical présenté par ses avocats. Il faut dire que le tout nouveau ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, et son secrétaire général, Mohamed Zougar, ont du pain sur la planche. Le contexte dans lequel ils sont appelés à agir est très difficile. Seront-ils à la hauteur de leur mission ? La question reste posée
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