Il n'est peut-être pas inutile de rappeler à quoi correspond ce qu'il est convenu d'appeler «le siècle d'Ibn Khaldoun». Appartenance tellement avérée que nos critiques contemporains en ont dit qu'Ibn Khaldoun s'est révélé le précurseur de philosophes, d'historiens ou sociologues comme Machiavel, Montesquieu, Auguste Comte, Hegel et bien d'autres.
Cette période a vu également s'imposer l'historiographe Jean Froissart en France, Pétrarque en Italie, Chaucer en Angleterre et en Perse le grand poète Hafid Chirazi et le chroniqueur du règne de Tamerlan Nizam Eddine Chami.
Le monde arabo-musulman, lui, n'a pas manqué de briller grâce à des étoiles de première grandeur tels le grand voyageur Ibn Battota, des philosophes et des historiens de la trempe d'El Maqqari ou d'Al-Maqrizi. C'est dire que ce 14e siècle était porteur de profondes mutations aussi bien d'ordre politique, social, économique et militaire, de bouleversement qui ont ébranlé toutes les contrées méditerranéennes aussi bien au nord qu'au sud.
Mais qu'en était-il en ce siècle des rapports entre l'Algérie et l'Espagne de cette époque ?
La géographie est la seule constante de l'histoire, irréductible dans ce domaine: il nous suffit de considérer une carte pour constater que tout est lié entre les deux arcs d'une même circonférence, allant de la Catalogne à Bizerte en passant par les îles Baléares, Malte et la Sicile.
Dans cet espace fluide on a souventes fois soulevé la question de savoir s'il faut identifier Ibn Khaldoun comme un Arabe, un Berbère ou un Espagnol.
Je crois qu'il tient de l'un comme des deux autres. A l'Espagne, il est attaché par des liens quasi charnels, ses parents étant venus du Yémen s'installer en Andalousie avant d'émigrer de nouveau à Tunis; par les amitiés tissées avec les Nasrides de Grenade et l'homme d'Etat qui en fut le symbole, Lisan-ed-Dine Ibn El-Khatib, par un long séjour en Andalousie qui lui réserva les honneurs d'une hospitalité raffinée de 1363 à 1365 dont l'exposition récemment à lui consacrée à l'Alcazar de Séville, du 19 mai au 30 septembre 2006, nous révèle quelques aspects; par les tentatives d'y venir chercher refuge et protection au cours de ses mésaventures politiques maghrébines.
Arabe et Berbère, il le fut tour à tour, menant une vie agitée ponctuée d'aventures, d'intrigues et de ce qu'il nomme lui-même dans son autobiographie «les marais de la politique», changeant de camp au gré des alliances et des ruptures, savourant les délices du pouvoir ou bien subissant l'indignité de la prison où par deux fois il séjourna quelque deux ans.
Il reste qu'Ibn Khaldoun finit par se lasser de cette vie pleine de choses vides faites pour le paraître. Il se retira alors à Qal'at Ibn Salama en 1374, pas loin de Biskra dans la tribu arabe des Béni Arif, pour se consacrer aux permanences de la réflexion et de l'esprit. Et c'est alors la naissance d'une véritable encyclopédie, un «discours sur l'histoire universelle» qu'Ibn Khaldoun intitula: «Kitab El'ibar», le livre des enseignements et traité d'histoire ancienne et moderne sur la geste des Arabes, des Perses, des Berbères et des souverains de leur temps.
L'Algérie dans sa version territoriale au 14e siècle était tiraillée entre les Mérinides de Fès (Maroc) et les Hafsides de Tunis: c'était le royaume de Tlemcen, le sultanat des Zianides appelés aussi les Abdel-Walid, qui n'excédait pas Bougie, dépendante de Tunis, elle.
C'est grâce à cette position centrale, grâce à ses deux poumons maritimes qu'étaient Honeyn et Oran - et Ténès dans une moindre mesure - que le royaume de Tlemcen pouvait se permettre certaines libertés, une espèce d'auto-gouvernement des citoyens maintenu vaille que vaille, et des interventions d'autant plus fréquentes en Andalousie que tous deux souffraient une anarchie chronique aggravant leur commune misère. Pesante restait quand même la réalité du pouvoir exclusif du long règne des Mérinides qui dura jusqu'en 1465 sur cette Afrique du Nord héritée des Almohades en 1269.
Aussi, le royaume de Tlemcen, au gré des événements qui ont marqué le 14e siècle, s'est-il trouvé, nolens volens, mêlé à toutes les péripéties qui ont agité les riverains de la Méditerranée occidentale, profitant d'une victoire par-ci, essuyant les conséquences d'un échec par-là.
En gros, bilan politique et militaire fort mince, jalonné surtout par les retombées d'une participation en dents de scie: lutte pour Tarifa prise grâce à une centaine de navires suivant Ibn Khaldoun, 250 suivant les chroniques des rois de Castille, puis perdue après le désastre de Rio Salado (28 nov. 1340) infligé par une flotte chrétienne venue de Gênes et du Portugal à la rescousse de l'Andalous déjà repris. Ce fut le tour de Gibraltar à tomber (27 mars 1343), mais consolidation, avec l'aide des Nasrides, d'une série de forteresses restées arabes comme Ronda, Castellar, Marbella, Estepona.
Mais la course au pouvoir ici, l'anarchie en Andalousie, les crises de succession répétées, les ralliements suivis de trahisons, suivies de ralliements, suivis... finissent par avoir raison des énergies les plus trempées et des dévouements les plus spontanés. Jusqu'à la fin du siècle, une longue période de paix est à peu près maintenue grâce probablement à une relative inaction des Espagnols après leurs succès récents. Seuls quelques troubles sporadiques sont animés par des mercenaires maghrébins toujours présents à la cour espagnole des Nasrides.
Tlemcen a vite fait de retrouver son dynamisme et son entregent. Le royaume se rappela très vite que toutes les routes du commerce méditerranéen passaient par son port Honeyn; que son autre port, Oran, était florissant et comptait déjà 6.000 foyers comme en témoignent par exemple des chroniqueurs sérieux comme Marmol et Alvarez Gomez; que le royaume, surtout que sa côte se déroule parallèlement à celle de l'Espagne, n'éprouvait aucune difficulté à enrichir des échanges facilités par la proximité; et qu'enfin il était lié à la couronne d'Aragon depuis le début du siècle par des traités stipulant que «les sujets de Jacques II n'inquiéteraient les Tlemcéniens ni sur terre ni sur mer, à la seule condition que le sultanat reversât une partie de ses recettes douanières».
Cette période a vu également s'imposer l'historiographe Jean Froissart en France, Pétrarque en Italie, Chaucer en Angleterre et en Perse le grand poète Hafid Chirazi et le chroniqueur du règne de Tamerlan Nizam Eddine Chami.
Le monde arabo-musulman, lui, n'a pas manqué de briller grâce à des étoiles de première grandeur tels le grand voyageur Ibn Battota, des philosophes et des historiens de la trempe d'El Maqqari ou d'Al-Maqrizi. C'est dire que ce 14e siècle était porteur de profondes mutations aussi bien d'ordre politique, social, économique et militaire, de bouleversement qui ont ébranlé toutes les contrées méditerranéennes aussi bien au nord qu'au sud.
Mais qu'en était-il en ce siècle des rapports entre l'Algérie et l'Espagne de cette époque ?
La géographie est la seule constante de l'histoire, irréductible dans ce domaine: il nous suffit de considérer une carte pour constater que tout est lié entre les deux arcs d'une même circonférence, allant de la Catalogne à Bizerte en passant par les îles Baléares, Malte et la Sicile.
Dans cet espace fluide on a souventes fois soulevé la question de savoir s'il faut identifier Ibn Khaldoun comme un Arabe, un Berbère ou un Espagnol.
Je crois qu'il tient de l'un comme des deux autres. A l'Espagne, il est attaché par des liens quasi charnels, ses parents étant venus du Yémen s'installer en Andalousie avant d'émigrer de nouveau à Tunis; par les amitiés tissées avec les Nasrides de Grenade et l'homme d'Etat qui en fut le symbole, Lisan-ed-Dine Ibn El-Khatib, par un long séjour en Andalousie qui lui réserva les honneurs d'une hospitalité raffinée de 1363 à 1365 dont l'exposition récemment à lui consacrée à l'Alcazar de Séville, du 19 mai au 30 septembre 2006, nous révèle quelques aspects; par les tentatives d'y venir chercher refuge et protection au cours de ses mésaventures politiques maghrébines.
Arabe et Berbère, il le fut tour à tour, menant une vie agitée ponctuée d'aventures, d'intrigues et de ce qu'il nomme lui-même dans son autobiographie «les marais de la politique», changeant de camp au gré des alliances et des ruptures, savourant les délices du pouvoir ou bien subissant l'indignité de la prison où par deux fois il séjourna quelque deux ans.
Il reste qu'Ibn Khaldoun finit par se lasser de cette vie pleine de choses vides faites pour le paraître. Il se retira alors à Qal'at Ibn Salama en 1374, pas loin de Biskra dans la tribu arabe des Béni Arif, pour se consacrer aux permanences de la réflexion et de l'esprit. Et c'est alors la naissance d'une véritable encyclopédie, un «discours sur l'histoire universelle» qu'Ibn Khaldoun intitula: «Kitab El'ibar», le livre des enseignements et traité d'histoire ancienne et moderne sur la geste des Arabes, des Perses, des Berbères et des souverains de leur temps.
L'Algérie dans sa version territoriale au 14e siècle était tiraillée entre les Mérinides de Fès (Maroc) et les Hafsides de Tunis: c'était le royaume de Tlemcen, le sultanat des Zianides appelés aussi les Abdel-Walid, qui n'excédait pas Bougie, dépendante de Tunis, elle.
C'est grâce à cette position centrale, grâce à ses deux poumons maritimes qu'étaient Honeyn et Oran - et Ténès dans une moindre mesure - que le royaume de Tlemcen pouvait se permettre certaines libertés, une espèce d'auto-gouvernement des citoyens maintenu vaille que vaille, et des interventions d'autant plus fréquentes en Andalousie que tous deux souffraient une anarchie chronique aggravant leur commune misère. Pesante restait quand même la réalité du pouvoir exclusif du long règne des Mérinides qui dura jusqu'en 1465 sur cette Afrique du Nord héritée des Almohades en 1269.
Aussi, le royaume de Tlemcen, au gré des événements qui ont marqué le 14e siècle, s'est-il trouvé, nolens volens, mêlé à toutes les péripéties qui ont agité les riverains de la Méditerranée occidentale, profitant d'une victoire par-ci, essuyant les conséquences d'un échec par-là.
En gros, bilan politique et militaire fort mince, jalonné surtout par les retombées d'une participation en dents de scie: lutte pour Tarifa prise grâce à une centaine de navires suivant Ibn Khaldoun, 250 suivant les chroniques des rois de Castille, puis perdue après le désastre de Rio Salado (28 nov. 1340) infligé par une flotte chrétienne venue de Gênes et du Portugal à la rescousse de l'Andalous déjà repris. Ce fut le tour de Gibraltar à tomber (27 mars 1343), mais consolidation, avec l'aide des Nasrides, d'une série de forteresses restées arabes comme Ronda, Castellar, Marbella, Estepona.
Mais la course au pouvoir ici, l'anarchie en Andalousie, les crises de succession répétées, les ralliements suivis de trahisons, suivies de ralliements, suivis... finissent par avoir raison des énergies les plus trempées et des dévouements les plus spontanés. Jusqu'à la fin du siècle, une longue période de paix est à peu près maintenue grâce probablement à une relative inaction des Espagnols après leurs succès récents. Seuls quelques troubles sporadiques sont animés par des mercenaires maghrébins toujours présents à la cour espagnole des Nasrides.
Tlemcen a vite fait de retrouver son dynamisme et son entregent. Le royaume se rappela très vite que toutes les routes du commerce méditerranéen passaient par son port Honeyn; que son autre port, Oran, était florissant et comptait déjà 6.000 foyers comme en témoignent par exemple des chroniqueurs sérieux comme Marmol et Alvarez Gomez; que le royaume, surtout que sa côte se déroule parallèlement à celle de l'Espagne, n'éprouvait aucune difficulté à enrichir des échanges facilités par la proximité; et qu'enfin il était lié à la couronne d'Aragon depuis le début du siècle par des traités stipulant que «les sujets de Jacques II n'inquiéteraient les Tlemcéniens ni sur terre ni sur mer, à la seule condition que le sultanat reversât une partie de ses recettes douanières».
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