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Hommages aux Gens d'Algérie- 1- Béjaïa

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  • Hommages aux Gens d'Algérie- 1- Béjaïa

    (Extrait de "ALGÉRIE", éditions Michel Lafon. En collaboration avec le photographe iranien Reza)
    Je m’appelle Brahim Llob, et j’étais commissaire de police à Alger. J’ai écrit quelques bouquins que certains d’entre vous ont lus…Bejaïa est ma ville natale. C’est dans ses ruelles éclatantes de soleil que j’ai appris à courir après mes rêves d’enfant. A cette époque, ce n’était pas la joie, mais je suis Algérien et je sais faire d’une toile d’araignée un jardin suspendu.
    Bejaïa reste Bejaïa. En temps de fracas comme en temps de quiétude, elle est la cité-cure, une formidable thérapie.
    Lorsque mes enquêtes menaçaient de me bouffer tout cru, il me suffisait de me rendre dans ma ville pour perdre de vue les moues vénéneuses du dirlo, les gueules froissées des ripous et ces choses qui, au détour d’un casse-tête chinois ou d’un coup de gueule rageant, torpillent la foi que vous avez dans votre pays. Par j’ignore quelle magie, ou baraka, rien qu’en levant les yeux sur la première personne que je rencontrais à l’entrée de la ville, mon esprit évacuait ses toxines, mon cœur recouvrait son pouls et je me surprenais à vouloir refaire le monde exactement comme je le souhaitais. C’est tout Bejaïa : reprendre goût aux belles choses et retrouver l’entière confiance dans les uns et les autres comme retrouve un fugueur imprudent la sécurité de sa famille.
    Chez nous, ce ne sont pas les sites qui importent, mais les gens qui gravitent autour. Un clin d’œil, un pouce dressé, un petit salut de la main, et tous les démons sont conjurés.
    Si, un jour, votre villégiature vous conduisait jusque chez nous, vous regretteriez de ne pas nous avoir connus plus tôt.
    Mais il n’est jamais trop tard pour se rattraper.
    Nous sommes des gens simples, débonnaires et attachants. C’est vrai, contrairement aux Oranais et aux Constantinois, nos vannes sont en retard d’une pertinence, notre humour manque un peu de dosage et nos sautes d’humeur de réparties, mais nous n’en faisons pas des tonnes. En vérité, nous sommes plutôt réceptifs et si nous ne ruons guère dans les brancards, c’est pour ne pas chambouler notre présence d’esprit.
    A Tizi Ouzou, on nous appelle la petite Kabylie. Il ne s’agit ni d’un statut relevant d’un droit d’aînesse ni d’une quelconque allusion à la puberté, mais juste d’une hiérarchisation topographique. La grande Kabylie se situe sur les hauteurs que Tikjda et les Djurdjura surplombent de leur majesté ; la petite Kabylie s’abreuve dans la mer, jolie comme une jeune baigneuse se dorant au soleil. Chez nous, la grandeur revient à celui qui prend de la hauteur. Un berger trônant au sommet d’un rocher est perçu comme une frêle divinité. C’est notre façon de voir les choses, et nous regardons dans les signes comme regardent les poètes dans les symboles. Etre petit en Kabylie, c’est avoir droit au rêve de grandir. Et lorsqu’on est grand, on accède d’office à l’humilité. La sagesse, chez nous, est une nature.
    Bejaïa est, avec Tlemcen, la ville la plus émancipée du pays. Nous savons faire la part des choses et donner à chaque déconvenue une seconde de chance, car nous refusons de subir ce que nous pouvons corriger. Nos ancêtres n’ont jamais permis à l’adversité de nous assujettir. Depuis toujours, nous continuons d’aimer la vie malgré tout. Regardez Da L’Mouloud. Il est boutiquier de père en fils depuis des générations. Il a immanquablement une sucrerie pour les enfants. Pour lui, c’est une tradition millénaire. Rien n’égale à ses yeux le sourire d’un mouflet. Da L’Mouloud est boutiquier pour recevoir, et non pour s’en mettre plein les poches. Ses clients sont ses convives. C’est vrai qu’avec l’âge, il est devenu moins leste, mais il a gardé intactes ses réflexes de généreux. Mais là où il est fort, c’est lorsque vous n’avez pas l’appoint. Il vous regarde alors de ses yeux attendris et vous dit « Ce n’est pas grave. Vous me paierez le reste la prochaine fois ». Et il ne note rien sur votre ardoise. Ce n’est pas nécessaire quand on comprend.
    A Bejaïa, nous sommes tous des Da L’Mouloud. Rien n’est grave, chez nous, hormis l’ingratitude. Nous donnons sans compter, et lorsqu’on n’a pas le sou, nous offrons notre dernière chemise. En Kabylie, la quintessence de l’amour réside dans le souci de l’Autre. Une mauvaise passe concerne tout le monde. Nous avons survécu aux mufleries des âges grâce à notre solidarité.
    Bejaïa, c’est comme un film ou un roman, on ne peut pas la raconter sans gâcher le plaisir de la découvrir. Il n’y a qu’une seule manière de l’apprécier : s’y rendre. De préférence, en été, la saison du farniente et des soirées chantantes, des sorties en famille et des grillades sur les terrasses. Sinon, venez quand vous voulez. Et à vous la Casbah, les remparts Hammadites, le parc national de Gouraya, le Pic des Singes, le mythique Cap Carbone et, si vous souffrez de rhumatismes ou bien de coups de barre, la station thermale de Sidi Yahia vous retapera à neuf de la tête aux pieds et vous débarrassera de l’ensemble de vos angoisses. ✍ Yasmina Khadra (Extrait de "ALGÉRIE", éditions Michel Lafon. En collaboration avec le photographe iranien Reza)
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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