Communication de Hamou Amirouche au colloque sur le congrès de la Soummam (26 août 2016),
Liberte
“Si, des décennies après l’indépendance, aucune force politique, aucune force sociale n’est capable de faire accepter à tous un modèle de société”, pour reprendre Mohamed Harbi (1), c’est peut-être parce que notre Nation n'a jamais su engendrer ou garder vivant bien longtemps un rassembleur, un rassembleur autour d’une doctrine.
La Révolution algérienne est la seule à ma connaissance, avec la révolution française, à n'avoir jamais eu de chef. Ni le groupe des “22” ni le congrès de la Soummam n'ont coopté un leader. Le Congrès structure l’Algérie en guerre en six zones militaires et la Zone autonome d’Alger mais ne désigne pas de chef d’État-major. Nous assistons ainsi à une série de fractures du mouvement national d'abord, puis durant la révolution elle-même, d’autres fractures marquées par l'assassinat inqualifiable de Ramdane Abane et qui culmineront en affrontements sanglants durant l'été 62. À part l'implosion du PPA/MTLD, qui marginalisa un rassembleur charismatique, Messali Hadj, les autres cassures/frictions, entre Abane et la Délégation extérieure déjà avant le Congrès de la Soummam, ensuite entre les combattants de l'Intérieur et le GPRA à partir de 1958, ont une cause commune : l’approvisionnement en armes et en munitions des maquis. Le GPRA, même s’il a négocié et arraché l’indépendance en 1962, s’était délégitimé de fait vis-à vis de l’Intérieur par son incapacité à fournir aux maquis les armes nécessaires pour soutenir le combat. C’est cet échec qui a permis à l’armée des frontières de prendre le pouvoir et de le garder en s’appuyant sur un populisme de bon aloi.
La scission du PPA/MTLD et ses conséquences
Ben Youcef Benkhedda a admis avec une candeur qui honore sa mémoire qu’il était responsable de l’éclatement du PPA/MTLD (2). Chacun sait que l’éclatement du PPA/MTLD entre partisans de Messali et le Comité Central (CC) a fait naître, le 23 mars 1954, le Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA) qui ambitionnait de réunifier les rangs. L’obstination de Messali, la pression des Tunisiens et des Marocains qui avaient lancé leur lutte armée firent que le CRUA se donna à peine trois mois pour tenter de raccommoder les deux factions qui allaient bientôt s’entre-tuer. On décida, en juin 1954, d’allumer l’incendie dans l’improvisation la plus totale. Quand on lit de la plume de Ben Khedda : “Il a suffi à Messali de se lever et de condamner le CC pour que la quasi-totalité des militants en Algérie comme en France se rangeât derrière lui” (3), on reste franchement perplexe. On ne comprend pas que le CC ait prit le risque de s'aliéner ainsi la “quasi-totalité” des militants nationalistes.
Le point de vue d’Abane rapporté par Belaïd Abdessélam mérite d’être médité : “… À ma sortie de prison…, j’ai demandé immédiatement à rencontrer Krim et Ouamrane. Lorsqu’ils m’ont exposé le bilan des effectifs dont ils disposaient, du nombre et de la qualité des armes en leur possession et des ressources financières et matérielles qu’ils détenaient, je leur ai dit que je les considérais comme des criminels pour avoir engagé le pays dans une gigantesque aventure avec des moyens aussi dérisoires… mais que je me joignais à eux, et qu’il fallait tout faire pour aboutir à la réussite”. (4)
Abane rassembleur
Abane alors s’attache à rassembler autour du FLN les forces nationales susceptibles de contribuer à sa réussite. Rappelons qu’il arriva à Alger vers le 7 février 1955, peu de temps avant l’arrestation de Rabah Bitat le 23 mars de la même année. Et dès le 1er avril 1955, il commença à s’exprimer au nom du FLN/ALN dans un appel dans lequel il invitait les Algériens à adhérer en masse au FLN.
Entre fin 55 et juin 56, Abane rallia au FLN les Centralistes, l'UDMA de Ferhat Abbas, l'Association des Ulémas et le Parti Communiste Algérien. Malheureusement, tout en rassemblant d'un côté, Abane provoquait des antagonismes et s'aliénait les membres de la délégation extérieure qu’il interpellait sans ménagement. “… Je sais une chose…, militants du Front et groupes armés sont tous montés contre vous… [Ils] ne cessent de nous répéter : si ces gens-là sont incapables d’être utiles à la cause à l’étranger, qu’ils rentrent au moins mourir avec nous. Depuis dix mois au moins vous n’avez pas été fichus de nous envoyer quoique ce soit.” (5) Cette interpellation date du 20 septembre 1955. N’était-il pas informé qu’Aït Ahmed Hocine, assisté de M’Hammed Yazid, venait de concrétiser à la Conférence de Bandoeng en avril 1955 l’un des objectifs énoncés par la Proclamation du 1er-Novembre, à savoir l’internationalisation du conflit ?
Abane reconnut qu’il a été violent dans son interpellation de l’Extérieur et il a fait amende honorable dans le message suivant, le 8 octobre 1955 : “Je vous demande de m’excuser pour le ton de ma précédente lettre. J’avoue que j’avais dépassé les limites et j’en suis confus…” (6)
À ce propos, il est intéressant de connaître le commentaire de Abane quand il annonça à Krim la nouvelle de la capture des “Cinq” le 22 octobre 1956 : “Nos touristes se sont fait avoir.” (7)
Abane était cassant, autoritaire, parce qu’il n’avait pas de complexe. Il n’avait pas vécu l’implosion du PPA/MTLD. Il n’a pas été un membre du CC déchu par Messali. C’était un intellectuel qui non seulement participait pleinement à l’action mais devait être le maître d’œuvre, avec Larbi Ben M’hidi, de l’une des victoires les plus spectaculaires de la Révolution algérienne : le Congrès de la Soummam. Ses assises dotèrent l’Algérie en guerre d’un Parlement, le Conseil National de la Révolution Algérienne, et d’un Exécutif, le Comité de Coordination et d’Exécution. Les principes qui définirent la Charte de la Soummam, la primauté de l’Intérieur sur l’Extérieur, du politique sur le militaire, une majorité de “politiques” au CCE ont vécu exactement un an. En août 1957, ils furent “amendés”, et Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Abdallah Bentobbal, les trois “B” accaparèrent tous les pouvoirs. L’année 1957 fut une année charnière dans la Révolution algérienne. Elle marqua la descente aux enfers de l’ex-Intérieur devenu extérieur et sa perte de légitimité vis-à-vis des combattants de l’Intérieur qui permirent à l’armée des sanctuaires des frontières d’accaparer le pouvoir.
Liberte
“Si, des décennies après l’indépendance, aucune force politique, aucune force sociale n’est capable de faire accepter à tous un modèle de société”, pour reprendre Mohamed Harbi (1), c’est peut-être parce que notre Nation n'a jamais su engendrer ou garder vivant bien longtemps un rassembleur, un rassembleur autour d’une doctrine.
La Révolution algérienne est la seule à ma connaissance, avec la révolution française, à n'avoir jamais eu de chef. Ni le groupe des “22” ni le congrès de la Soummam n'ont coopté un leader. Le Congrès structure l’Algérie en guerre en six zones militaires et la Zone autonome d’Alger mais ne désigne pas de chef d’État-major. Nous assistons ainsi à une série de fractures du mouvement national d'abord, puis durant la révolution elle-même, d’autres fractures marquées par l'assassinat inqualifiable de Ramdane Abane et qui culmineront en affrontements sanglants durant l'été 62. À part l'implosion du PPA/MTLD, qui marginalisa un rassembleur charismatique, Messali Hadj, les autres cassures/frictions, entre Abane et la Délégation extérieure déjà avant le Congrès de la Soummam, ensuite entre les combattants de l'Intérieur et le GPRA à partir de 1958, ont une cause commune : l’approvisionnement en armes et en munitions des maquis. Le GPRA, même s’il a négocié et arraché l’indépendance en 1962, s’était délégitimé de fait vis-à vis de l’Intérieur par son incapacité à fournir aux maquis les armes nécessaires pour soutenir le combat. C’est cet échec qui a permis à l’armée des frontières de prendre le pouvoir et de le garder en s’appuyant sur un populisme de bon aloi.
La scission du PPA/MTLD et ses conséquences
Ben Youcef Benkhedda a admis avec une candeur qui honore sa mémoire qu’il était responsable de l’éclatement du PPA/MTLD (2). Chacun sait que l’éclatement du PPA/MTLD entre partisans de Messali et le Comité Central (CC) a fait naître, le 23 mars 1954, le Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA) qui ambitionnait de réunifier les rangs. L’obstination de Messali, la pression des Tunisiens et des Marocains qui avaient lancé leur lutte armée firent que le CRUA se donna à peine trois mois pour tenter de raccommoder les deux factions qui allaient bientôt s’entre-tuer. On décida, en juin 1954, d’allumer l’incendie dans l’improvisation la plus totale. Quand on lit de la plume de Ben Khedda : “Il a suffi à Messali de se lever et de condamner le CC pour que la quasi-totalité des militants en Algérie comme en France se rangeât derrière lui” (3), on reste franchement perplexe. On ne comprend pas que le CC ait prit le risque de s'aliéner ainsi la “quasi-totalité” des militants nationalistes.
Le point de vue d’Abane rapporté par Belaïd Abdessélam mérite d’être médité : “… À ma sortie de prison…, j’ai demandé immédiatement à rencontrer Krim et Ouamrane. Lorsqu’ils m’ont exposé le bilan des effectifs dont ils disposaient, du nombre et de la qualité des armes en leur possession et des ressources financières et matérielles qu’ils détenaient, je leur ai dit que je les considérais comme des criminels pour avoir engagé le pays dans une gigantesque aventure avec des moyens aussi dérisoires… mais que je me joignais à eux, et qu’il fallait tout faire pour aboutir à la réussite”. (4)
Abane rassembleur
Abane alors s’attache à rassembler autour du FLN les forces nationales susceptibles de contribuer à sa réussite. Rappelons qu’il arriva à Alger vers le 7 février 1955, peu de temps avant l’arrestation de Rabah Bitat le 23 mars de la même année. Et dès le 1er avril 1955, il commença à s’exprimer au nom du FLN/ALN dans un appel dans lequel il invitait les Algériens à adhérer en masse au FLN.
Entre fin 55 et juin 56, Abane rallia au FLN les Centralistes, l'UDMA de Ferhat Abbas, l'Association des Ulémas et le Parti Communiste Algérien. Malheureusement, tout en rassemblant d'un côté, Abane provoquait des antagonismes et s'aliénait les membres de la délégation extérieure qu’il interpellait sans ménagement. “… Je sais une chose…, militants du Front et groupes armés sont tous montés contre vous… [Ils] ne cessent de nous répéter : si ces gens-là sont incapables d’être utiles à la cause à l’étranger, qu’ils rentrent au moins mourir avec nous. Depuis dix mois au moins vous n’avez pas été fichus de nous envoyer quoique ce soit.” (5) Cette interpellation date du 20 septembre 1955. N’était-il pas informé qu’Aït Ahmed Hocine, assisté de M’Hammed Yazid, venait de concrétiser à la Conférence de Bandoeng en avril 1955 l’un des objectifs énoncés par la Proclamation du 1er-Novembre, à savoir l’internationalisation du conflit ?
Abane reconnut qu’il a été violent dans son interpellation de l’Extérieur et il a fait amende honorable dans le message suivant, le 8 octobre 1955 : “Je vous demande de m’excuser pour le ton de ma précédente lettre. J’avoue que j’avais dépassé les limites et j’en suis confus…” (6)
À ce propos, il est intéressant de connaître le commentaire de Abane quand il annonça à Krim la nouvelle de la capture des “Cinq” le 22 octobre 1956 : “Nos touristes se sont fait avoir.” (7)
Abane était cassant, autoritaire, parce qu’il n’avait pas de complexe. Il n’avait pas vécu l’implosion du PPA/MTLD. Il n’a pas été un membre du CC déchu par Messali. C’était un intellectuel qui non seulement participait pleinement à l’action mais devait être le maître d’œuvre, avec Larbi Ben M’hidi, de l’une des victoires les plus spectaculaires de la Révolution algérienne : le Congrès de la Soummam. Ses assises dotèrent l’Algérie en guerre d’un Parlement, le Conseil National de la Révolution Algérienne, et d’un Exécutif, le Comité de Coordination et d’Exécution. Les principes qui définirent la Charte de la Soummam, la primauté de l’Intérieur sur l’Extérieur, du politique sur le militaire, une majorité de “politiques” au CCE ont vécu exactement un an. En août 1957, ils furent “amendés”, et Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Abdallah Bentobbal, les trois “B” accaparèrent tous les pouvoirs. L’année 1957 fut une année charnière dans la Révolution algérienne. Elle marqua la descente aux enfers de l’ex-Intérieur devenu extérieur et sa perte de légitimité vis-à-vis des combattants de l’Intérieur qui permirent à l’armée des sanctuaires des frontières d’accaparer le pouvoir.
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