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    « Le vivre-ensemble est difficile »

    La Croix - 22 août 2019

    Fatiha Benabbou,*juriste, membre de l’instance officielle de dialogue

    « Je ne fais pas dans l’angélisme. Les manifestations sont pacifiques. Pourtant le vivre-ensemble est difficile en Algérie. La régression de la société est profonde depuis qu’une fenêtre démocratique s’est ouverte dans les années 1988-1992. La société est devenue très conservatrice. Elle est même inquisitoriale. La vie quotidienne est violente. Si je m’habille un peu court, je peux me faire frapper par des jeunes. Je suis accusée d’être une laïcarde. Le combat féminin est fondamental.

    Et pourtant le*hirak*ne nous a rien apporté, à nous les femmes. On nous rétorque que ce n’est pas le moment. Les Algériens ont perdu l’habitude du dialogue, comme toute société pré-moderne, pré-politique. Si elle était plus mature, moi, la constitutionnaliste, je prônerais l’élection d’une Assemblée constituante. Mais dans les manifestations, il y a des alliances contre nature et pas de projet commun de société. Moi aussi j’ai manifesté en février et mars jusqu’à ce que j’aie atteint mon objectif : celui de l’abandon du 5emandat de Bouteflika.

    En 2014, avant le 4e*mandat, je préconisais déjà la création d’une instance indépendante des élections, mais pas d’une instance comme celle qui a été créée et qui n’avait pas la maîtrise des listes électorales, ni même des résultats dans un pays coutumier des fraudes ! Le vote reste indépassable. Aujourd’hui, on nous tend une perche avec l’instance de dialogue. Je prends cette perche. Je m’implique dans l’instance pour aller doucement vers la démocratie. »

    Recueilli par Marie Verdier

    _______

    « Le mouvement vivra un second souffle avec la rentrée sociale »

    Salah Dabouz,*avocat, ex-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, victime de harcèlement judiciaire

    Source :*Salah Dabouz

    « Nous ne sommes pas pressés pour destituer un régime qui s’est enraciné avant même l’indépendance de l’Algérie. Une révolution pacifique peut prendre beaucoup de temps. Elle n’a pas dévié de son ordre du jour, à savoir le départ du pouvoir assis sur l’armée et les services de renseignements pour l’instauration d’un pouvoir civil.

    Il sera temps d’aborder le deuxième* point – l’installation d’une instance de transition – lorsque l’armée acceptera de rendre les clés. Si le rapport de force demeure insuffisant, il évolue. Après le rejet du cinquième mandat de Bouteflika et de l’élection présidentielle fixée le 18 avril puis le 4 juillet, c’est l’instance de dialogue officielle qui échoue à se constituer. Les vagues d’arrestations de dirigeants politiques et de chefs d’entreprise n’ont pas calmé la rue.

    Personne n’est dupe devant cette guerre des clans au sein d’un pouvoir en crise qui ne sait que recourir à la répression. Cet état de panique nous conforte dans nos convictions. En me contraignant pendant près de quatre mois à un contrôle judiciaire trois fois par semaine à Ghardaïa, à 600 km au sud d’Alger où je réside, on m’a épuisé et mis au chômage forcé. J’ai suspendu ma grève de la faim au bout d’un mois (1). Mais avec mon comité de soutien, nous allons trouver un autre moyen de continuer le combat contre le déni de justice. Le mouvement vivra un second souffle avec la rentrée sociale. La détermination finira par gagner. »

    Recueilli par Marie Verdier

    (1) Pour contester le harcèlement judiciaire à son encontre, Salah Dabouz a commencé une grève de la faim qu’il a maintenue pendant un mois, avant de l’interrompre le 7 août dernier.

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    « Le système cherche à asservir socialement le peuple »

    Slim Othmani,*président du conseil d’administration de l’entreprise NCA-Rouiba et du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care)

    Source :*Slim Othmani

    « J’essaye de faire la différence entre le court et le long terme. À long terme, quand je pense à l’avenir ouvert aux Algériens par le 22 février, je suis très optimiste. J’attendais une réaction de la population face à l’humiliation des années Bouteflika. Cela a dépassé toutes mes espérances. Le mouvement a révélé la capacité des Algériens à changer leur destin et à orienter le pays sur la trajectoire d’un État démocratique et avec lui d’une économie moderne. Mais sur le court terme, le risque de l’enlisement économique nous guette. La crise est là, et elle va frapper de plein fouet.

    Je vis cela à travers mes entreprises, la situation se dégrade à grande allure. Les impayés enflent parce que les entreprises clientes connaissent des difficultés financières ou parce qu’elles sont à l’arrêt avec leurs dirigeants en prison. Face à l’inconnu, les entreprises ont tiré le frein à main sur les investissements. L’administration elle-même ne travaille plus. L’issue politique tarde à se dessiner. Le dialogue, lancé sur des bases qui ne correspondent pas aux attentes du*hirak, est mal parti.

    Entre ceux qui veulent aller directement à une élection présidentielle et ceux qui exigent des réformes constitutionnelles auparavant, il faudra bien trouver un compromis. Je soupçonne le système de chercher à asservir socialement le peuple, pour dire à la fin :*“Il n’y a que moi qui peux te sortir de là.”*»

    Recueilli par Amine Kadi

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    « Ce régime est fini »

    Sofia Djama,*cinéaste, réalisatrice du film*Les Bienheureux

    Source :*Sofia Djama

    « Quand, il y a six mois, a eu lieu la première manifestation, je me souviens avoir été d’abord dubitative. Mais, finalement, je n’y tenais plus et suis descendue dans la rue à 14 h 30 : et là, nous avons tous été surpris de notre propre présence. On n’avait pas vu cela à Alger depuis la guerre civile. Et quand Alger bouge, cela veut dire que le pays bouge : la capitale est éminemment symbolique et doit garder le souffle, l’élan.

    Vivant entre Alger et Paris, j’ai participé pour la dernière fois à une manifestation le 5 juillet. Elle était moins ample que les premières, c’est normal car il est difficile, épuisant même, de tenir sur la durée. Un mouvement de cette profondeur doit apprendre à s’installer dans le temps et je crois que les Algériens sont lucides et, j’ose dire, sereins. Bien persuadés que ce régime est fini. Même si nous devons rester vigilants, car on connaît des systèmes usés qui parviennent à se régénérer…

    Comme artiste, je suis consciente que le cinéma, la photo, la littérature ont leur rôle à jouer, ne serait-ce qu’en témoignant, en racontant ce que nous sommes. Au-delà du romantisme qui accompagne naturellement toute révolution, surtout dans un pays avec une population très jeune. En réalité, les manifestations rassemblent toutes les générations. Si mes parents étaient en vie, je sais qu’ils auraient adoré y participer ! »

    Recueilli par Emmanuelle Giuliani

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    « La situation n’est ni noire ni blanche »

    Louisa Dris-Aït Hamadouche,*politologue

    Source :*Louisa Dris-Aït Hamadouche

    « Le soulèvement populaire ne s’est pas encore transformé en processus révolutionnaire. Ce n’est qu’au vu du résultat, s’il y a un changement politique et économique profond, que l’on pourra alors parler de révolution. Pour l’heure, les conditions requises – projet alternatif, élite d’avant-garde, etc. – ne sont pas réunies. Des personnalités sans doute émergent mais considèrent que le temps n’est pas encore venu de s’affirmer comme leaders potentiels, tant existe la peur de la récupération. Nous vivons néanmoins un moment politique fondateur. Six mois ce n’est pas rien. Le mouvement a traversé des obstacles qui auraient pu le diviser et le casser. Même s’il a perdu en nombre pendant l’été, il a fait preuve de résilience. Il est resté homogène et pacifique. S’il poursuit sur sa dynamique, il est probable que l’élection présidentielle voulue par le pouvoir n’aura pas lieu.

    La situation n’est ni blanche ni noire. L’Algérie a ses chances. Il y a un potentiel de réussite sur le long cours si se fraye le chemin d’un compromis et d’une solution négociée entre le pouvoir, la société civile et les partis politiques qui souffrent d’un déficit de légitimité, à la fois victime du système et coupable d’en avoir été partie prenante. Toutefois, un scénario répressif à l’égyptienne, peu probable, ne peut pas tout à fait être exclu. Surtout, nous ne sommes pas à l’abri du risque d’auto reproduction du système, à savoir un renouvellement du personnel politique mais pas de son modus operandi. Ne pas minimiser ce risque, c’est à mes yeux le plus gros enjeu. »

    Recueilli par Marie Verdier
    Othmane BENZAGHOU
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