Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Le renouveau culturel par Mohamed Ghris

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Le renouveau culturel par Mohamed Ghris

    Au lendemain de l'indépendance et jusqu'aux années 1980, une multitude » de nœuds conflictuels complexes syndromisés dans une forte tension entre le besoin despotique d'évolutionnisme (« syndrome de l'évolué ») et les impératifs du conservatisme («obsession du passé, frustration et ressentiment») imposent à l'élite algérienne une tension extrême dans son « complexus psycho-existentiel» ballotté par le flux et le reflux de la « déviation existentielle » qui provoque une agressivité morbide contre le lieu et la strate sociaux des origines, d'une part, et la posture aphasique exprimant «une volonté de paraître», seule stratégie de réalisation de la reconnaissance, d'autre part, nous dit le docteur Lakhdar Maougal, qui «se bâtit sur les ruines de l'entourage». (in Elites algériennes, Histoire et conscience de caste, ouvrage collectif, livre I, Editions APIC, Alger 2004.).

    Autrement dit, le conditionnement évolutif culturel et social algérien était tel, sans parler des autres facteurs multiples de freinage d'une manière générale, qu'il ne pouvait y avoir objectivement des chances de « déblocage » de la situation minée de toutes parts et à laquelle s'ajoutait, malheureusement, le concours regrettable de ceux qui prônaient, en général, des attitudes d'exclusion ou d'incommunicabilité avec l'autre et qui a fait que chaque francophone, chaque arabophone et chaque berbérophone reste tranché dans ses positions, et en adversité avec les rares intellectuels des trois langues qui prônaient eux le dialogue et la concertation démocratique en prise avec les réalités nationales et le caractère pluridimensionnel de l'Algérie.

    Il fallait attendre la fracture politico-sociale d'Octobre 1988 pour que les fenêtres s'ouvrent aux vents du changement à la faveur du processus de démocratisation et de réformes institutionnelles qui donne lieu à une remise en cause en règle. Nombre de verrous sautent alors et les langues se délient dans les colonnes de la presse privatisée notamment, la censure et l'autocensure connaissant un recul notable, quoiqu'on ne puisse pas parler pour autant de libertés individuelles, de liberté de création tout à fait conquises, compte tenu du vide ambiant du champ juridico-financier (absence de statuts et de plus larges prérogatives démocratiques).

    Mais incontestablement, la prise de conscience nationale autour de la question identitaire algérienne, son caractère multidimensionnel et son patrimoine culturel et spirituel a franchi un pas de géant, principalement durant la décennie noire des années 90 qui a vu des intellectuels algériens lucides de tous les horizons, aussi bien francophones, arabophones que berbérophones, se serrer les coudes pour la sauvegarde de l'idéal républicain démocratique. Une littérature dite de « l'urgence » voit le jour dans les trois langues, des ponts s'établissent petit à petit entre les différentes élites (journalistes, écrivains, universitaires, médecins, avocats, architectes, historiens, chercheurs enseignants, étudiants, associations féminines, cinéastes, hommes de théâtre, artistes-peintres, etc.) et on commence à parler, même parmi les esprits conservateurs des uns et des irréductibles des autres, des attitudes inflexibles d'auparavant, de la nécessité de reconsidérer l'histoire patrimoniale du pays et de prendre en ligne de compte tous les éléments culturels identitaires et plurilinguistiques, sans en écarter aucun, et ce dans le souci d'oeuvrer conjointement à ce qui relève de la synthèse plus ou moins harmonieuse constitutive de l'Algérianité en son devenir d'aujourd'hui.

    En effet, ce qui relève de la synthèse dynamique de l'ensemble des paramètres culturels de l'Algérie qui se sont forgés tout au long de l'histoire multimillénaire du pays (et qui n'ont pas fini d'être à l'oeuvre) ne peut être ignoré, mis en parenthèse ou appréhendé sélectivement, privilégiant tel idiome, tel segment culturel ou tel fait historico-social, etc., et occultant tel ou tel autre sans que cela n'entraîne de graves préjudices à la nation toute entière, parce que ces éléments identitaires pluralistes renvoient en toute logique aux fondements de base de l'Algérianité.

    Concernant la littérature algérienne, il est heureux de constater parmi les larges publics, lorsqu'on en parle, que la grande majorité la désigne aujourd'hui sous ses trois dimensions de l'arabe, du français et du tamazight, voire quatre même incluant celui non négligeable de l'oralité.

    Ecoutons ce que dit à ce propos Waciny Laredj, l'universitaire, critique bilingue et romancier prolifique en langue arabe: « La littérature algérienne est traversée par plusieurs langues, deux s'écrivent, avec, derrière elles, une production remarquable, en l'occurrence l'arabe et le français. La troisième, la littérature berbère, s'appuie plus sur l'oralité que sur l'écrit. Toute approche ne prenant pas en charge tous ces paramètres demeure limitée. Toute langue est porteuse de son histoire individuelle, mais aussi ses croisements. Les faiblesses de l'histoire de la littérature algérienne sont, peut-être, dans la conception elle—même de cette diversité linguistique. Une richesse qui n'a pas été pleinement assumée. L'arabophone s'autosuffit par la littérature écrite dans sa langue, le francophone fait de même. Pourtant, même si cette littérature se fait dans plusieurs langues, elle reste unie par son Algérianité». (in article « La littérature algérienne, didactique absente », El Watan du 3 mars 2005).

    Autrement dit, quoique les écrivains-intellectuels (dans les trois langues) ne constituent pas un bloc homogène, leur production littéraire les unit néanmoins dans leur Algérianité commune

    Et si à l'évidence, comme l'ont souligné maints chercheurs, historiens, sociologues, anthropologues et littérateurs, entre autres, les intellectuels et écrivains algériens en général ne forment pas de classe homogène, et que bien au contraire ils se sont souvent opposés sur le terrain idéologique et sur le plan des idées, il n'empêche néanmoins, comme indiqué ci-dessus, que d'autres facteurs d'ordre historico-culturel les unissent étroitement: ainsi, après la cause commune du projet anticolonial qui les a tous réunis hier par le passé, dans un combat commun, dans les lendemains de l'indépendance qui déchantent, comme il fallait s'y attendre, et en dépit des divergences persistantes, l'explosion d'Octobre 1988 allait faire naître dans les esprits, à l'instar de ce qui s'est passé durant la phase coloniale, l'espoir renouvelé d'un idéal commun: celui, cette fois-ci, de la démocratie libératrice des énergies, avec l'ouverture de perspectives nouvelles pour la nation. De même que l'expérience commune endurée qui s'ensuivit durant la dure épreuve de la tragédie nationale a incontestablement affermi les représentants de divers horizons et de diverses couches sociales du front patriotique mobilisateur pour la sauvegarde de l'idéal républicain démocratique, dont notamment les intellectuels-écrivains de diverses tendances, et quelle que soit leur langue, qui ont conjugué leurs efforts, en Algérie et sur le plan international, dans le sens du combat pour la démocratie et le pluralisme, garants des spécificités culturelles, des libertés publiques, des autonomies des êtres, du respect de la dignité des uns et des autres, etc., autant d'éléments rassembleurs qui ont contribué avec le temps à davantage rapprocher les intellectuels entre eux que de les en éloigner, ce qui a fait dire à l'anthropologue Abderrahmane Moussaoui, de l'université d'Aix-en-Provence, « qu'il y a eu une redistribution des cartes qui fait qu'il y a naissance de la nation par le siège, c'est-à-dire par le biais de la tragédie de cette nation. Une nation qui, aujourd'hui, veut se construire non plus sur une fiction qui serait la guerre de libération seulement. Certes, c'était un acte fondateur mais il n'est pas suffisant. Pas également sur une fiction qui serait l'Islam, parce que l'Islam est sans frontières (...). Il faudrait alors imaginer d'autres structures qui peuvent permettre la création du lien social et l'émergence de l'individu (...) », dans le cadre de l'objectif de la concorde nationale, laisse-t-il entendre (cf. in article « Il y a tragédie mais pas de nation », El Watan du lundi 20 août 2001).

    C'est là posé en définitive toute la question du défi du dépassement et de la transcendance de la dualité tradition-modernité qu'interpelle l'Algérianité en son devenir d'aujourd'hui. Et l'Algérianité, plus qu'une simple filiation se rattachant au critère juridique de la nationalité, renvoie à divers aspects culturels-identitaires la composant, et dont le travail incessant de mise à jour, de clarification en vue de la perspective historique de la synthèse culturelle qui s'ébauche quotidiennement et qui se dessine à l'horizon - en dépit de maints obstacles -, laisse entrevoir à qui veut voir un véritable projet culturel démocratique fédérateur de l'ensemble de ces paramètres identitaires foisonnant dans l'underground et l'esprit des jeunes talents multilingues pointant à l'horizon.

    Par le Quotidien d'Oran
Chargement...
X