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Piketty, un ami qui veut vos biens

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  • Piketty, un ami qui veut vos biens

    Raphaël Legendre Raphaël Legendre 12 septembre 2019 à 06h00

    L’économiste aux 2,5 millions d’ouvrages vendus revient dans les librairies avec une nouvelle charge contre deux leviers fondamentaux de la création de richesse : le capitalisme et la propriété privée
    KakKak © Kak
    Auréolé du succès planétaire de son prédécent ouvrage, Le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty publie ce jeudi Capitalisme et idéologie aux éditions du Seuil. Un pavé de 1 232 pages qui revient sur l’histoire des systèmes de justification des inégalités au travers de différentes sociétés. L’auteur y propose de remplacer la propriété privée par une « propriété sociale et temporaire ».

    Une rock star débarque. Thomas Piketty, c’est cinq fois les ventes de Michel Houellebecq, avec des livres de 1 000 pages sans jamais une scène de sexe. Traduit en 40 langues, son précédent ouvrage, Le Capital au XXIe siècle, s’est écoulé à 2,5 millions d’exemplaires. Un succès hors norme qui dit quelque chose de l’opinion des sociétés modernes. Car son dada à lui, c’est la critique du système capitaliste, la traque des inégalités et une passion dévorante pour l’arme fiscale contre les plus riches.

    A 48 ans, l’économiste revient jeudi avec un nouveau pavé (1 232 pages) : Capital et idéologie (Seuil). Comme la dernière fois, ce professeur à l’Ecole d’économie de Paris y expose une somme de recherches statistiques importantes sur l’histoire des systèmes de justification des inégalités au travers différentes sociétés, à différents âges. À nouveau, il pose la question rousseauiste de la propriété et des inégalités, qui devrait trouver un écho important dans l’opinion publique.

    A quelques exceptions près, son travail de recherche est largement salué par le milieu académique, y compris par ses plus fervents détracteurs. Titulaire de la chaire « Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance » au Collège de France, Philippe Aghion est de ceux-là : « Piketty démontre très bien l’embourgeoisement des partis sociaux-démocrates qui comptent désormais davantage de gens éduqués, les autres étant partis vers les partis populistes. C’est nouveau », indique l’économiste. Mais l’éloge s’arrête ici. « Son travail reste une régression par rapport à Marx et Schumpeter », ajoute l’ancien professeur à Harvard.

    Effets induits. Le problème avec Piketty, c’est que les propositions qui accompagnent ses ouvrages tranchent avec son travail de recherche. « Piketty est brillant, son travail sur les données est extraordinaire. Mais ses propositions sont idéologiques », regrette Christian de Boissieu, professeur émérite d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et vice-président du Cercle des économistes. « Son rêve depuis toujours, c’est de faire de la politique. C’est pour cela qu’il n’avance que des propositions radicales », confie en off un ponte du milieu universitaire qui le connaît bien.

    Piketty ne s’en est jamais caché. Il a conseillé Ségolène Royal en 2007, a influencé le programme fiscal de François Hollande en 2012 qui s’est terminé par 50 milliards de hausses d’impôt sur 90 % des ménages, et a fait partie de l’équipe de campagne de Benoît Hamon en 2017. « Il pose les bonnes questions. Le problème, c’est que son raisonnement termine toujours par des hausses d’impôts sans analyse des effets induits sur l’économie », résume le chef économiste d’Allianz, Ludovic Subran.

    Dans Capital et idéologie, Thomas Piketty appelle à « dépasser » le capitalisme et le concept de propriété privée. Pour cela, il prône l’émergence d’une pensée universaliste, typique de l’école française des Lumières, mais aussi socialiste. Pas un socialisme d’Etat à la mode soviétique, mais un socialisme new-look, « participatif », qui passe par la mise en place d’une « propriété sociale et temporaire ».

    Pour le côté social, l’économiste s’inspire du modèle de cogestion à l’allemande. Il propose de réserver la moitié des fauteuils des conseils d’administration aux salariés. Le pouvoir des gros actionnaires serait parallèlement plafonné à 10 % des droits de vote. Ceux qui apportent le capital ne seraient plus ceux qui décident... De quoi assécher le financement des entreprises.

    Pour assurer une rotation du capital, Piketty propose par ailleurs l’instauration d’un impôt progressif sur le patrimoine dont le taux varierait de 0,1 % jusqu’à 200 000 euros (patrimoine moyen des Français), à 5 % au-delà de 2 millions et 60 % au-delà de 200 millions. Au-delà de deux milliards, Piketty veut piquer tout, ou presque : 90 %. Les recettes serviraient à financer une dotation en capital universelle de 120 000 euros, versée à chaque jeune de 25 ans.

    « Il pense appropriation des richesses mais oublie le développement des richesses. C’est pour cela que ses propositions sont irréalistes »

    Cet impôt ultra-progressif n’est rien d’autre qu’une forme d’expropriation des entrepreneurs par l’outil fiscal. Un système digne de l’ancien secrétaire général du Parti communiste hongrois, Mátyás Rákosi qui, une fois devenu Premier ministre au début des années 1950, était critiqué par Moscou pour la lenteur des nationalisations d’entreprises. « Je n’accélère pas les nationalisations, je monte tellement les impôts que les entreprises viendront toutes seules à moi », avait-il répondu à ses détracteurs, rappelle le professeur d’économie à l’ESCP, Jean-Marc Daniel.

    C’est là que le bât blesse chez Piketty. « Il me fait penser à Claude Lévi-Strauss et sa structure de la parenté qui fige la société. Piketty structure les sociétés à travers la propriété, sans jamais s’interroger sur l’autre versant de l’appropriation : le développement », indique le président du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi.

    Sous couvert d’anonymat, un universitaire reconnu est plus tranchant. « L’idée fixe de Piketty, c’est les 1 % [les plus riches]. Les effets sur les entreprises, la prise de risque ou l’innovation ne l’intéressent pas. Il ne pense le monde qu’en termes d’inégalités. Or, on ne peut appréhender les questions de fiscalité sans prendre en compte ces deux aspects. Il pense appropriation des richesses mais oublie le développement des richesses. C’est pour cela que ses propositions sont irréalistes. »

    C’est pourtant la première vertu de la propriété privée. « C’est vieux comme la scolastique du Moyen-Âge : ce qui appartient à tout le monde n’appartient à personne, commente Jean-Marc Daniel. Un impôt sur le patrimoine est une forme de confiscation. Si on empêche les gens de toucher le fruit de leur travail, ils arrêteront de travailler ». Philippe Aghion résume l’impasse des propositions de Piketty en une phrase : « Sans protection de la propriété privée, pas d’innovation ; sans innovation, pas de croissance ».

    « Raisonnable ». Seule « la propriété privée de taille raisonnable est légitime, répond Piketty. Elle permet aux subjectivités individuelles de s’exprimer. Mais il faut éviter les concentrations excessives et trop durables des pouvoirs ». Mais où placer la barrière du « raisonnable », notion morale et subjective ?

    Piketty oublie par ailleurs que différents instruments existent déjà empêcher pour la concentration excessive de la propriété. Le premier, pour les entreprises, s’appelle le droit de la concurrence. Un droit de la concurrence dont l’objectif est en Europe le bien-être consommateur. Comme Montaigne a remis l’humain au centre de l’Histoire face à la religion, le droit de la concurrence européen remet le consommateur au centre du développement économique, à la différence du droit américain qui, ces dernières années, a plutôt servi la création de géants mondiaux, au détriment du consommateur final.

    Pour les ménages, l’instrument de lutte contre la concentration de la propriété s’appelle le droit des donations-successions. Aujourd’hui, 10 % des ménages concentrent 50 % des propriétés en France. De nombreuses préconisations ont été faites pour remédier à ce problème. Les solutions existent. A commencer par la circulation intergénérationnelle du capital. Pour cela, plutôt que de s’attaquer à la propriété privée, garantie individuelle de pouvoir se projeter dans l’avenir, il serait possible d’assouplir les règles de donation du vivant, pour que les moins de 40 ans par exemple profitent davantage du capital des plus âgés, qui héritent aujourd’hui au moment où ils rentrent à la retraite.

    Bref, s’attaquer à la fiscalité plutôt qu’aux richesses. L’exact inverse de ce que propose Thomas Piketty.

    OPINION
    LE JOURNAL DES BANKSTERS
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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