Par Selma Kasmi
Lutte contre le terrorisme, contrôle des ressources naturelles, encerclement de l’Algérie, prévention contre l’expansion chinoise et russe au Sahel... Le politologue algérien Tewfik Hamel décrypte pour Sputnik la course effrénée des implantations militaires étrangères au Niger depuis deux ans. Entretien.
Le Niger a de plus en plus de mal à repousser les attaques terroristes. Menacé sur ses frontières est, ouest et sud, le gouvernement avait même décidé en juin dernier de reconduire l’état d’urgence dans les régions de Diffa (sud-est), Tillabéry et Tahoua (ouest). De même, au nord-est, depuis la chute du régime de Mouammar Khadafi en 2011, cette zone frontalière avec la Libye est particulièrement à risque.
Pourtant, dans ce pays sahélien de 21 millions d’habitants, les troupes militaires étrangères se bousculent. Des présences canadienne, italienne et bien sûr, de l’ancienne puissance coloniale, la France, se répartissent sur le territoire. Paris a ainsi inscrit officiellement son retour en 2010 à la suite de la prise d’otages de travailleurs de l'entreprise nucléaire Areva, avant de renforcer sa présence militaire en 2014 avec le déploiement de la force Barkhane dans le Mali voisin, d’où des expéditions militaires sont menées régulièrement contre des djihadistes transfrontaliers.
Par ailleurs, le 30 août dernier, le Président nigérien Mahamadou Issoufou a ratifié avec l’Allemagne un nouvel accord portant sur le renforcement de leur coopération militaire. Les deux pays entretiennent une collaboration de longue date – en 2016, le Niger avait autorisé l’Allemagne à construire une base aérienne à Niamey, dans le sud-ouest du pays, en appui à la Minusma, la mission militaire onusienne qui combat les djihadistes au Mali voisin.
En juin 2019, le Niger et les Émirats Arabes Unis ont ratifié un autre accord concernant l’installation d’une base militaire dans la région d’Agadez (nord-ouest du pays), à 800 km des frontières algériennes. Une zone qui abrite déjà des militaires américains dont la présence fut révélée en octobre 2017 à la suite de l’assassinat de quatre bérets verts. C’est là aussi qu’en 2018 fut lancé l’important chantier de la base aérienne américaine «201», qui sera réceptionnée à l’horizon 2024 et dont le coût a été estimé par le site américain Intercept à 4 milliards de dollars.
Paradoxalement, la multiplication des présences militaires internationales et régionales n’ont en rien réduit les actes de violence dans ce pays. Selon le dernier rapport des Nations unies, 179 personnes ont été enlevées dans la région de Diffa (sud-est) depuis janvier 2019, dont au moins 66 pour le seul mois de juillet, parmi lesquelles 44 femmes! Cette situation critique a poussé l’ONG internationale Médecins sans frontières à annoncer en août dernier son retrait du Niger pour «des raisons sécuritaires» (excepté dans la région de Diffa).
Un millier de Nigériens, essentiellement des étudiants, ont d’ailleurs manifesté en mai dernier à Niamey pour exiger le départ des forces étrangères, accusées «d'inertie face aux attaques djihadistes meurtrières», notamment des troupes françaises, américaines et allemandes stationnées dans le pays. Comment l’expliquer?
Pour répondre à cette question, Sputnik s’est entretenu avec Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire & études de défense à l’université Paul Valéry de Montpellier (sud de la France). Il apporte des éléments de réponse sur le pourquoi de ces multiples installations de bases militaires au Niger, les raisons réelles de leur implantation et les enjeux économiques et géostratégiques pour ce pays du Sahel.
Sputnik: Le gouvernement américain a annoncé le 23 juillet dernier qu’il avait décidé de renforcer la base militaire d’Agadez par le déploiement effectif de drones et un investissement de 280 millions de dollars pour son élargissement. Qu’est-ce qui justifie ce renforcement de la présence américaine au Niger?
Tewfik Hamel: «La présence militaire américaine au Niger, comme dans le reste de l’Afrique, s’inscrit dans le cadre de la "stratégie du nénuphar". La pierre angulaire de cette stratégie consiste à rechercher des accords militaires bilatéraux avec de nombreux pays en développement et de disposer ainsi de l’accès à différents types de bases offrant le maximum de flexibilité pour mener des opérations militaires. Sa logique est simple: démultiplier les endroits à partir desquels des opérations peuvent être menées et cela, quelle que soit la situation. Le Pentagone a besoin d’être en mesure de déplacer rapidement ses forces dans et à travers les théâtres d’opération, les points pivots stratégiques et les régions éloignées.
Il conviendrait de préciser ici que les États-Unis cherchent à étendre une présence non permanente en développant un réseau d’installations appelé CSL (Cooperative Security Locations). Il s’agit de sites de matériels prépositionnés et d’accords de facilité d’accès. Ces CSL n’hébergent pas les forces américaines de façon permanente et peuvent être élargis en fonction des besoins. Ils fournissent en revanche un accès d’urgence et servent de points pour les activités de coopération de sécurité. Ils permettent aussi aux forces américaines de s'entraîner avec des alliés locaux, tout en déstockant et en prépositionnement des matériels.»
Sputnik: À l’image de la base des drones du Niger, les États-Unis ont-ils ainsi changé leur approche d’implantation militaire?
Tewfik Hamel: «Une douzaine de bases aériennes de ce type ont été établies en Afrique depuis 2007, date de la création d’Africom. Toutefois, ce qui différencie l’Amérique d’aujourd’hui de celle des années 1990, c’est que la projection de ses forces ne relève plus d’un désir inextinguible d'expansion territoriale mais d’une quête de petits sites nécessaires pour asseoir sa puissance impériale. Le temps de réaction, et non la taille, est la nouvelle métrique.
Aujourd’hui, la puissance américaine a besoin de sites de lancement et de récupération pour ses F-15 et ses drones. Le Pentagone a d’ailleurs mis en place des bases de drones au Qatar, aux Émirats arabes unis, au Niger, en Éthiopie, à Djibouti, aux Seychelles, etc. L'empire américain d'aujourd'hui n'a pas tant besoin de vastes territoires, de colonies dépendantes ou de gouvernements fantoches. Au contraire, il lui faut des lieux pour que ses soldats puissent dormir la nuit et du tarmac pour garer ses avions de guerre.»
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Lutte contre le terrorisme, contrôle des ressources naturelles, encerclement de l’Algérie, prévention contre l’expansion chinoise et russe au Sahel... Le politologue algérien Tewfik Hamel décrypte pour Sputnik la course effrénée des implantations militaires étrangères au Niger depuis deux ans. Entretien.
Le Niger a de plus en plus de mal à repousser les attaques terroristes. Menacé sur ses frontières est, ouest et sud, le gouvernement avait même décidé en juin dernier de reconduire l’état d’urgence dans les régions de Diffa (sud-est), Tillabéry et Tahoua (ouest). De même, au nord-est, depuis la chute du régime de Mouammar Khadafi en 2011, cette zone frontalière avec la Libye est particulièrement à risque.
Pourtant, dans ce pays sahélien de 21 millions d’habitants, les troupes militaires étrangères se bousculent. Des présences canadienne, italienne et bien sûr, de l’ancienne puissance coloniale, la France, se répartissent sur le territoire. Paris a ainsi inscrit officiellement son retour en 2010 à la suite de la prise d’otages de travailleurs de l'entreprise nucléaire Areva, avant de renforcer sa présence militaire en 2014 avec le déploiement de la force Barkhane dans le Mali voisin, d’où des expéditions militaires sont menées régulièrement contre des djihadistes transfrontaliers.
Par ailleurs, le 30 août dernier, le Président nigérien Mahamadou Issoufou a ratifié avec l’Allemagne un nouvel accord portant sur le renforcement de leur coopération militaire. Les deux pays entretiennent une collaboration de longue date – en 2016, le Niger avait autorisé l’Allemagne à construire une base aérienne à Niamey, dans le sud-ouest du pays, en appui à la Minusma, la mission militaire onusienne qui combat les djihadistes au Mali voisin.
En juin 2019, le Niger et les Émirats Arabes Unis ont ratifié un autre accord concernant l’installation d’une base militaire dans la région d’Agadez (nord-ouest du pays), à 800 km des frontières algériennes. Une zone qui abrite déjà des militaires américains dont la présence fut révélée en octobre 2017 à la suite de l’assassinat de quatre bérets verts. C’est là aussi qu’en 2018 fut lancé l’important chantier de la base aérienne américaine «201», qui sera réceptionnée à l’horizon 2024 et dont le coût a été estimé par le site américain Intercept à 4 milliards de dollars.
Paradoxalement, la multiplication des présences militaires internationales et régionales n’ont en rien réduit les actes de violence dans ce pays. Selon le dernier rapport des Nations unies, 179 personnes ont été enlevées dans la région de Diffa (sud-est) depuis janvier 2019, dont au moins 66 pour le seul mois de juillet, parmi lesquelles 44 femmes! Cette situation critique a poussé l’ONG internationale Médecins sans frontières à annoncer en août dernier son retrait du Niger pour «des raisons sécuritaires» (excepté dans la région de Diffa).
Un millier de Nigériens, essentiellement des étudiants, ont d’ailleurs manifesté en mai dernier à Niamey pour exiger le départ des forces étrangères, accusées «d'inertie face aux attaques djihadistes meurtrières», notamment des troupes françaises, américaines et allemandes stationnées dans le pays. Comment l’expliquer?
Pour répondre à cette question, Sputnik s’est entretenu avec Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire & études de défense à l’université Paul Valéry de Montpellier (sud de la France). Il apporte des éléments de réponse sur le pourquoi de ces multiples installations de bases militaires au Niger, les raisons réelles de leur implantation et les enjeux économiques et géostratégiques pour ce pays du Sahel.
Sputnik: Le gouvernement américain a annoncé le 23 juillet dernier qu’il avait décidé de renforcer la base militaire d’Agadez par le déploiement effectif de drones et un investissement de 280 millions de dollars pour son élargissement. Qu’est-ce qui justifie ce renforcement de la présence américaine au Niger?
Tewfik Hamel: «La présence militaire américaine au Niger, comme dans le reste de l’Afrique, s’inscrit dans le cadre de la "stratégie du nénuphar". La pierre angulaire de cette stratégie consiste à rechercher des accords militaires bilatéraux avec de nombreux pays en développement et de disposer ainsi de l’accès à différents types de bases offrant le maximum de flexibilité pour mener des opérations militaires. Sa logique est simple: démultiplier les endroits à partir desquels des opérations peuvent être menées et cela, quelle que soit la situation. Le Pentagone a besoin d’être en mesure de déplacer rapidement ses forces dans et à travers les théâtres d’opération, les points pivots stratégiques et les régions éloignées.
Il conviendrait de préciser ici que les États-Unis cherchent à étendre une présence non permanente en développant un réseau d’installations appelé CSL (Cooperative Security Locations). Il s’agit de sites de matériels prépositionnés et d’accords de facilité d’accès. Ces CSL n’hébergent pas les forces américaines de façon permanente et peuvent être élargis en fonction des besoins. Ils fournissent en revanche un accès d’urgence et servent de points pour les activités de coopération de sécurité. Ils permettent aussi aux forces américaines de s'entraîner avec des alliés locaux, tout en déstockant et en prépositionnement des matériels.»
Sputnik: À l’image de la base des drones du Niger, les États-Unis ont-ils ainsi changé leur approche d’implantation militaire?
Tewfik Hamel: «Une douzaine de bases aériennes de ce type ont été établies en Afrique depuis 2007, date de la création d’Africom. Toutefois, ce qui différencie l’Amérique d’aujourd’hui de celle des années 1990, c’est que la projection de ses forces ne relève plus d’un désir inextinguible d'expansion territoriale mais d’une quête de petits sites nécessaires pour asseoir sa puissance impériale. Le temps de réaction, et non la taille, est la nouvelle métrique.
Aujourd’hui, la puissance américaine a besoin de sites de lancement et de récupération pour ses F-15 et ses drones. Le Pentagone a d’ailleurs mis en place des bases de drones au Qatar, aux Émirats arabes unis, au Niger, en Éthiopie, à Djibouti, aux Seychelles, etc. L'empire américain d'aujourd'hui n'a pas tant besoin de vastes territoires, de colonies dépendantes ou de gouvernements fantoches. Au contraire, il lui faut des lieux pour que ses soldats puissent dormir la nuit et du tarmac pour garer ses avions de guerre.»
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