Alors que Mohammed VI tente de mettre les jeunes au cœur de ses préoccupations, du moins dans son discours, voilà que les leaders du hirak du Rif veulent se défaire de leur allégeance au roi
Le leader du Hirak du Rif, Nasser Zefzafi et ses compagnons en prison ont décidé de défier l'autorité même du roi Mohammed VI (Reuters)
Par Aziz Chahir
Date de publication: Mercredi 18 septembre 201
Dans une vidéo live diffusée sur Facebook, le père de Nasser Zefzafi, en présence des membres des familles de six leaders de la contestation populaire dans la région du Rif, a fait savoir qu’« une demande officielle [avait] été envoyée par les détenus au ministre de la Justice et au président du ministère public leur réclamant la déchéance de la nationalité marocaine », en ajoutant qu’il ne fallait pas prendre cette demande à la légère.
À la première lecture de la lettre de Nasser Zefzafi, on peut légitimement s’interroger sur la légalité de cette réclamation de déchéance de la nationalité. À cette question, la loi répond de manière claire : les cas de figure pour la perte de la nationalité marocaine, tels qu’ils sont présentés dans le Code de la nationalité marocaine de 1958, ne s’appliquent pas aux six détenus politiques du hirak du Rif.
Message du père de Nasser Zefzafi, Ahmed, posté sur Facebook, annoncant que les leaders du hirak réclament la déchéance de la nationalité marocaine
Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte dans la manœuvre de Nasser Zefzafi c’est, avant tout, la portée politique, hautement symbolique, de la demande de déchéance qui recèle un acte de défiance au roi et à son autorité politico-religieuse.
Les dernières annonces remontent à 2015 : trois demandes de déchéance de la nationalité marocaine ont été présentées aux autorités. Elles concernaient la militante pro-Polisario Aminatou Haidar, le boxeur Zakaria Moumni et le juge sahraoui Mohamed Kandil.
Avant cela, en 2010, Ahmed Benseddik, proche du sérail et ex-responsable d’une filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), a révoqué la bay’a envers Mohammed VI en raison de la prévarication de son régime.
Un acte de défiance face au monarque
Historiquement, les oulémas s’accordent sur l’importance de l’acte d’allégeance et le devoir de la communauté des musulmans de le respecter, sauf dans le cas où le sultan ne remplit pas son contrat moral envers ses sujets.
Ce fut le cas notamment début du XXe siècle, lorsque les oulémas décidèrent de rompre leur lien d’allégeance envers le sultan Moulay Abdelaziz, qui manqua à ses devoirs de protéger le royaume, et d’accorder leur soutien au sultan Moulay Abdelhafid.
Les oulémas ont toujours considéré les personnes qui rompaient leur lien d’allégeance au sultan comme des hérétiques
Ce qui n’a pas empêché ce dernier, pour autant, d’abdiquer en acceptant de signer l’accord du protectorat en 1912.
Dans un autre registre, il faut noter que dès l’avènement de la dynastie alaouite, début du XVIIe siècle, les oulémas ont toujours considéré les personnes qui rompaient leur lien d’allégeance comme des hérétiques infidèles à combattre pour éviter de semer la division (fitna).
Le précédent Zefzafi
Renoncer à sa nationalité marocaine, au-delà de l’acte juridique et procédural que cela représente, pourrait être considéré comme un acte de défiance, à peine voilé, remettant en question le pouvoir religieux du sultan.
Pour mémoire, Nasser Zefzafi n’en est pas à son premier coup d’essai. Fin avril 2017, le leader du hirak du Rif avait interrompu l’imam de la mosquée Mohammed V à Al Hoceïma. « Est-ce que les mosquées sont faites pour Dieu ou le makhzen ? » s’était-il écrié, selon une vidéo de l’incident, diffusée sur la toile. Accusé d’avoir tenu un « discours provocateur » qui tendait à « semer le trouble » dans la mosquée, Zefzafi avait justifié sa réaction, à juste titre d’ailleurs, en expliquant que le discours de l’imam insistait sur le devoir des fidèles de se mobiliser contre les manifestants.
Cette fois-ci, le leader du Mouvement a décidé de s’attaquer directement au roi en remettant en doute l’autorité de ce dernier en tant que « grand imam » (al-imam al-a’dam) et « commandeur des croyants » (amir al-mouminine).
Cela étant dit, les vraies raisons qui ont incité les leaders du hirak du Rif à renoncer à leur nationalité marocaine et à rompre le lien d’allégeance au roi sont probablement diverses et variées.
Cette demande de déchéance de la nationalité marocaine et la révocation de l’allégeance sont des signes révélateurs du manque d’adhésion à la monarchie, lié à l’injustice ressentie face à ce régime dont la dérive autoritaire est pour le moins dangereuse.
Concrètement, cela nous pousse à nous demander : comment un mouvement populaire de protestation pacifique peut-il faire autant de mal au régime de Mohammed VI, qui se présente comme un « exemple de stabilité et un havre de paix, de droits et de libertés » dans toute la région ?
Comment expliquer l’acharnement politico-médiatique du pouvoir contre de jeunes activistes qui se sont trouvés acculés à rejeter leur nationalité et à rompre leur lien d’allégeance avec le roi, alors qu’ils protestaient pour dénoncer les inégalités socioéconomiques et la marginalisation de la région du Rif ?
Crispation identitaire
Il n’est pas exagéré de voir dans la crise politique du Rif l’émanation socioculturelle d’un conflit identitaire qui a fortement marqué l’histoire du royaume.
La question d’une « identité nationale » homogénéisante par rapport à des identités locales étouffées, stigmatisées, voire même marginalisées, revient actuellement au devant de la scène politique. Et pour cause : depuis le protectorat français, les rapports entre les leaders nationalistes rifains et le Palais n’ont jamais été au beau fixe.
L’animosité entre le sultan et l’émir Abdelkrim al-Khattabi, qui fonda sa République en 1921, reste encore gravée dans les mémoires des Marocains. Après l’indépendance, les populations rifaines garderont les séquelles des répressions violentes de la sanglante révolte du Rif (1957-1958).
L’acte de Zefzafi de demander la déchéance de la nationalité marocaine et le rejet du lien d’allégeance est certainement une tentative mûrement réfléchie, visant à inscrire la crise politique du Rif dans le cadre d’une « altération identitaire » profonde où la question du « nous » (Rifains opprimés) face à « eux » (le roi et ses élites) est désormais posée avec acuité sur la place publique.
Mais l’aspect historique et identitaire n’est certainement qu’un élément parmi beaucoup d’autres qui pourraient nous aider à comprendre la crispation de la situation politique actuelle dans la région du Rif.
Pacifisme du hirak du Rif
Tout d’abord, rappelons que la contestation populaire dans le Rif n’est pas un mouvement qui prône la violence. Bien au contraire, les populations rifaines organisaient des manifestations pacifistes, qui appelaient les autorités à un dialogue constructif et les protestataires à la retenue, afin d’éviter tout affrontement avec les forces de l’ordre.
Malgré cela, de nombreux manifestants ont été harcelés, violentés et même arrêtés et jugés injustement dans le cadre de procès expéditifs et éminemment politiques.
Devant le refus des autorités de prendre en considération l’esprit civique et le caractère pacifique des manifestations, les leaders du hirak exprimaient ainsi une frustration sociale, tout à fait légitime, qui semble avoir motivé leur décision de demander la déchéance de leur nationalité marocaine.
La répression violente du mouvement du Hirak semble avoir nourri un sentiment de désespoir parmi les leaders de la contestation populaire.
La violence des autorités à l’encontre des populations rifaines remonte à des enlèvements de certains manifestants et le classement des affaires des martyrs du 20 février 2011 à Al Hoceima.
Elle est surtout liée à la mort tragique du martyr Mouhcine Fikri, broyé tragiquement dans un camion poubelle.
Le délégué interministériel aux droits de l’homme a même déclaré, tout récemment, que « lors des manifestations populaires dans la région du Rif, ce sont les forces de l’ordre qui auraient fait l’objet de violences de la part de groupes de manifestants ‘’non identifiés’’ ».
Le leader du Hirak du Rif, Nasser Zefzafi et ses compagnons en prison ont décidé de défier l'autorité même du roi Mohammed VI (Reuters)
Par Aziz Chahir
Date de publication: Mercredi 18 septembre 201
Dans une vidéo live diffusée sur Facebook, le père de Nasser Zefzafi, en présence des membres des familles de six leaders de la contestation populaire dans la région du Rif, a fait savoir qu’« une demande officielle [avait] été envoyée par les détenus au ministre de la Justice et au président du ministère public leur réclamant la déchéance de la nationalité marocaine », en ajoutant qu’il ne fallait pas prendre cette demande à la légère.
À la première lecture de la lettre de Nasser Zefzafi, on peut légitimement s’interroger sur la légalité de cette réclamation de déchéance de la nationalité. À cette question, la loi répond de manière claire : les cas de figure pour la perte de la nationalité marocaine, tels qu’ils sont présentés dans le Code de la nationalité marocaine de 1958, ne s’appliquent pas aux six détenus politiques du hirak du Rif.
Message du père de Nasser Zefzafi, Ahmed, posté sur Facebook, annoncant que les leaders du hirak réclament la déchéance de la nationalité marocaine
Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte dans la manœuvre de Nasser Zefzafi c’est, avant tout, la portée politique, hautement symbolique, de la demande de déchéance qui recèle un acte de défiance au roi et à son autorité politico-religieuse.
Les dernières annonces remontent à 2015 : trois demandes de déchéance de la nationalité marocaine ont été présentées aux autorités. Elles concernaient la militante pro-Polisario Aminatou Haidar, le boxeur Zakaria Moumni et le juge sahraoui Mohamed Kandil.
Avant cela, en 2010, Ahmed Benseddik, proche du sérail et ex-responsable d’une filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), a révoqué la bay’a envers Mohammed VI en raison de la prévarication de son régime.
Un acte de défiance face au monarque
Historiquement, les oulémas s’accordent sur l’importance de l’acte d’allégeance et le devoir de la communauté des musulmans de le respecter, sauf dans le cas où le sultan ne remplit pas son contrat moral envers ses sujets.
Ce fut le cas notamment début du XXe siècle, lorsque les oulémas décidèrent de rompre leur lien d’allégeance envers le sultan Moulay Abdelaziz, qui manqua à ses devoirs de protéger le royaume, et d’accorder leur soutien au sultan Moulay Abdelhafid.
Les oulémas ont toujours considéré les personnes qui rompaient leur lien d’allégeance au sultan comme des hérétiques
Ce qui n’a pas empêché ce dernier, pour autant, d’abdiquer en acceptant de signer l’accord du protectorat en 1912.
Dans un autre registre, il faut noter que dès l’avènement de la dynastie alaouite, début du XVIIe siècle, les oulémas ont toujours considéré les personnes qui rompaient leur lien d’allégeance comme des hérétiques infidèles à combattre pour éviter de semer la division (fitna).
Le précédent Zefzafi
Renoncer à sa nationalité marocaine, au-delà de l’acte juridique et procédural que cela représente, pourrait être considéré comme un acte de défiance, à peine voilé, remettant en question le pouvoir religieux du sultan.
Pour mémoire, Nasser Zefzafi n’en est pas à son premier coup d’essai. Fin avril 2017, le leader du hirak du Rif avait interrompu l’imam de la mosquée Mohammed V à Al Hoceïma. « Est-ce que les mosquées sont faites pour Dieu ou le makhzen ? » s’était-il écrié, selon une vidéo de l’incident, diffusée sur la toile. Accusé d’avoir tenu un « discours provocateur » qui tendait à « semer le trouble » dans la mosquée, Zefzafi avait justifié sa réaction, à juste titre d’ailleurs, en expliquant que le discours de l’imam insistait sur le devoir des fidèles de se mobiliser contre les manifestants.
Cette fois-ci, le leader du Mouvement a décidé de s’attaquer directement au roi en remettant en doute l’autorité de ce dernier en tant que « grand imam » (al-imam al-a’dam) et « commandeur des croyants » (amir al-mouminine).
Cela étant dit, les vraies raisons qui ont incité les leaders du hirak du Rif à renoncer à leur nationalité marocaine et à rompre le lien d’allégeance au roi sont probablement diverses et variées.
Cette demande de déchéance de la nationalité marocaine et la révocation de l’allégeance sont des signes révélateurs du manque d’adhésion à la monarchie, lié à l’injustice ressentie face à ce régime dont la dérive autoritaire est pour le moins dangereuse.
Concrètement, cela nous pousse à nous demander : comment un mouvement populaire de protestation pacifique peut-il faire autant de mal au régime de Mohammed VI, qui se présente comme un « exemple de stabilité et un havre de paix, de droits et de libertés » dans toute la région ?
Comment expliquer l’acharnement politico-médiatique du pouvoir contre de jeunes activistes qui se sont trouvés acculés à rejeter leur nationalité et à rompre leur lien d’allégeance avec le roi, alors qu’ils protestaient pour dénoncer les inégalités socioéconomiques et la marginalisation de la région du Rif ?
Crispation identitaire
Il n’est pas exagéré de voir dans la crise politique du Rif l’émanation socioculturelle d’un conflit identitaire qui a fortement marqué l’histoire du royaume.
La question d’une « identité nationale » homogénéisante par rapport à des identités locales étouffées, stigmatisées, voire même marginalisées, revient actuellement au devant de la scène politique. Et pour cause : depuis le protectorat français, les rapports entre les leaders nationalistes rifains et le Palais n’ont jamais été au beau fixe.
L’animosité entre le sultan et l’émir Abdelkrim al-Khattabi, qui fonda sa République en 1921, reste encore gravée dans les mémoires des Marocains. Après l’indépendance, les populations rifaines garderont les séquelles des répressions violentes de la sanglante révolte du Rif (1957-1958).
L’acte de Zefzafi de demander la déchéance de la nationalité marocaine et le rejet du lien d’allégeance est certainement une tentative mûrement réfléchie, visant à inscrire la crise politique du Rif dans le cadre d’une « altération identitaire » profonde où la question du « nous » (Rifains opprimés) face à « eux » (le roi et ses élites) est désormais posée avec acuité sur la place publique.
Mais l’aspect historique et identitaire n’est certainement qu’un élément parmi beaucoup d’autres qui pourraient nous aider à comprendre la crispation de la situation politique actuelle dans la région du Rif.
Pacifisme du hirak du Rif
Tout d’abord, rappelons que la contestation populaire dans le Rif n’est pas un mouvement qui prône la violence. Bien au contraire, les populations rifaines organisaient des manifestations pacifistes, qui appelaient les autorités à un dialogue constructif et les protestataires à la retenue, afin d’éviter tout affrontement avec les forces de l’ordre.
Malgré cela, de nombreux manifestants ont été harcelés, violentés et même arrêtés et jugés injustement dans le cadre de procès expéditifs et éminemment politiques.
Devant le refus des autorités de prendre en considération l’esprit civique et le caractère pacifique des manifestations, les leaders du hirak exprimaient ainsi une frustration sociale, tout à fait légitime, qui semble avoir motivé leur décision de demander la déchéance de leur nationalité marocaine.
La répression violente du mouvement du Hirak semble avoir nourri un sentiment de désespoir parmi les leaders de la contestation populaire.
La violence des autorités à l’encontre des populations rifaines remonte à des enlèvements de certains manifestants et le classement des affaires des martyrs du 20 février 2011 à Al Hoceima.
Elle est surtout liée à la mort tragique du martyr Mouhcine Fikri, broyé tragiquement dans un camion poubelle.
Le délégué interministériel aux droits de l’homme a même déclaré, tout récemment, que « lors des manifestations populaires dans la région du Rif, ce sont les forces de l’ordre qui auraient fait l’objet de violences de la part de groupes de manifestants ‘’non identifiés’’ ».
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