Tariq Ramadan est libre et peut désormais se défendre. Un livre en librairie, des interventions dans la presse et des déclarations sur les réseaux sociaux, ainsi que le soutien de ses suiveurs inconditionnels, pourront peut-être lui rendre justice quant à son incapacité d’avoir pu s’exprimer librement au sujet des accusations de viols dont il fait l’objet.
Depuis le début des « affaires Ramadan », celles et ceux qu’on appelle les musulmans ont fait l’objet d’un énième procès miroir. Tariq Ramadan, sa double vie et les accusations de violences sexuelles ont été instrumentalisés afin de faire le procès en misogynie des musulmans, dans une France où l’islamophobie est le lot quotidien de millions de personnes. Il ne s’agit certainement pas de faire ici le procès de l’adultère, peu importe ce qu’on en pense, mais plutôt d’analyser les conséquences sociales et politiques de ces affaires et d’offrir des pistes de réflexion sur les leçons à en tirer.
Il est indéniable que Tariq Ramadan a beaucoup apporté à celles et ceux qui s’identifient comme musulmans. Ses écrits, ses conférences et ses apparitions médiatiques ont été utiles à bien des égards, et son influence sur les jeunes musulmans en quête de sens et d’identité ne peut être balayée d’un revers de main ou minimisée. Avoir su affirmer une appartenance religieuse et citoyenne dans des pays occidentaux déterminés à ne jamais reconnaître leur identité, non exclusivement blanche et chrétienne, fut un accomplissement qu’il faut saluer.
Des militants de la gauche laïcarde à l’extrême droite, en passant par la droite identitaire, tous ont maudit le personnage en raison de sa capacité à les défier sur leur propre terrain, celui des idées et des débats télévisés. Incapables de le contredire lors de ces débats, ils ont opté pour la diabolisation du personnage, l’accusant d’appartenir aux frères Musulmans, comme on a pu le voir avec Caroline Fourest, Eric Zemmour ou Philippe De Villiers. Que Tariq Ramadan soit réellement un frère musulman ou non nous importe peu, et si c’était vrai, il n’aurait enfreint aucune loi ni fait preuve d’un quelconque manque d’éthique.
Mais c’est ici que tout s’arrête. Beaucoup l’ont considéré comme maître à penser ou enseignant. Cela est compréhensible à bien des égards, au vu de sa contribution, mais le lien entre enseignant et élève est rompu lorsque le premier use et abuse de son ascendant psychologique pour profiter sexuellement du second. Que Tariq Ramadan soit un libertin assidu dans tous les clubs parisiens ou londoniens ne regarde que lui et sa famille, à commencer par son épouse. Mais que sa posture de prédicateur, de porteur de “l’éthique islamique” avec une assise sur un large public – la plupart étant des jeunes en quête de sens et d’identité, par conséquent vulnérables – lui serve à manipuler les plus fragiles et malléables est tout bonnement inexcusable et injustifiable !
Au fur et à mesure des multiples accusations d’agressions sexuelles, dont les détails sordides ont été rendus publics via les échanges par messagerie entre lui et ses victimes, Tariq Ramadan est passé d’obsédé sexuel à prédateur sexuel.
Les premières accusations pour viol ont eu un retentissement mondial et, dès son incarcération, l’affaire Ramadan est devenue un feuilleton où toutes celles et ceux qui l’ont côtoyé ont été traînés dans un bain de boue. L’humiliation publique du personnage pendant son enfermement a illustré combien le cas Ramadan a été un point de cristallisation de l’islamophobie ambiante en France, et l’occasion de se venger pour ses détracteurs. Beaucoup se sont saisis des “affaires Tariq Ramadan”, non pas pour aider les victimes ou sensibiliser le public sur les violences – sexuelles ou sexistes – faites aux femmes, mais pour se servir d’elles à des fins politiques. Démonstration en fut faite avec les réseaux Fourest, Valls et autres laïcards, qui n’ont pas manqué de surexposer les victimes et de nier la nature structurelle du sexisme, en en faisant un problème spécifique aux mâles musulmans.
Quant à la procédure judiciaire, les violations des droits de la défense ont presque été la norme. Le secret de l’instruction a été violé à plusieurs reprises, sans que rien ne soit fait pour mettre un terme aux fuites. Tariq Ramadan aurait pu être invité à remettre son passeport et ne pas quitter le pays, mais au lieu de cela, décision fut prise de l’enfermer avec un traitement des plus dégradants. Sa maladie chronique n’a pas beaucoup pesé non plus pour qu’un fauteuil roulant lui soit au moins accordé. Était-ce nécessaire? Absolument pas. Que les affaires Ramadan aient été instrumentalisées par ses adversaires politiques, qui en ont profité pour coordonner les attaques, cela ne fait aucun doute. Il faudrait être naïf pour penser le contraire. Cela l’exonère-t-il pour autant ? Non.
S’étant terré dans un déni total, il aura fallu attendre que l’intéressé finisse par reconnaître lui-même les faits avant que beaucoup se fassent à l’idée que le prédicateur, père de famille et homme engagé, ayant fait de “l’éthique islamique” son fonds de commerce, menait une double vie faite de prédations sexuelles. Tariq Ramadan a dû admettre ces relations, non pas en raison d’une crise de conscience, de regrets ou de honte envers son public, mais en raison de preuves accablantes : les innombrables messages explicites retrouvés sur son téléphone, dans sa messagerie électronique, ainsi que dans les téléphones des victimes.
Les multiples accusations de femmes, elles, n’ont rien pesé. Si tout un chacun pourra s’interroger, voire critiquer leurs arènes d’expression ou le timing de leur communication, la vraie question à se poser est quelles arènes, quels moments, quels contextes auraient été « appropriés »? Et qu’en savons-nous de leurs tentatives d’alerter dans ces derniers, et du prix qu’elles en ont payé ?
Ce que nous savons, c’est que quel que soit le contexte qui a enfin permis d’exposer les abus de pouvoir et de confiance de Tariq Ramadan, elles n’en demeurent pas moins des victimes qui auraient dû être écoutées, entendues et protégées. L’absence d’espaces sécurisés pour que soient entendues ces accusations, et l’exceptionnalisme dans lequel versent les farouches défenseurs de Tariq Ramadan, n’ont fait qu’empirer les choses.
De victimes, elles sont devenues coupables de jeter l’opprobre sur une personnalité influente, considérée comme un leader intouchable, au-dessus de toute critique et de tout soupçon. Cette révérence aveugle, combinée à des relations clientélistes entre sa personne et les réseaux qui voyaient en lui un produit rentable capable de « remplir les salles », a empêché le traitement de ces révélations en amont. On ne peut reprocher à une victime de faire du bruit, lorsque tout le monde lui demande de se taire. Le silence de bien des organisations, à commencer par l’ex-UOIF, et autres acteurs associatifs qui étaient au courant des pratiques de Tariq Ramadan, les rend tout autant coupables d’avoir fait durer le calvaire des victimes et laissé le problème s’amplifier, au fil des ans. Si les victimes ont choisi de lancer l’alerte, c’est parce qu’il n’existait pas d’autres moyens de le faire. On ne choisit pas de devenir la cible d’un prédateur sexuel et d’affronter le torrent de boue déclenché par l’accusation.
D’autre part, attendre que des preuves matérielles émergent pour se faire une raison et accepter ce que des victimes de violences sexuelles dénoncent depuis des années prouve que la parole de l’accusé prime, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme influent, et malheureusement, au vu des résistances à l’échelle d’un pays, primera toujours sur celle des victimes. Et peu importe la communauté concernée.
Ce problème de société en dit long sur la fracture de genre qui fait qu’une victime de violences sexuelles ou une jeune femme manipulée pour finir dans le lit d’une personnalité publique a toujours très peu de chances d’être prise au sérieux, peu importe la gravité des faits qu’elle dénonce. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la plupart des viols ne soient pas dénoncés par les victimes, et que ces dernières se retrouvent à porter le poids de la culpabilité de leur propre malheur.
Cruelle ironie du sort, les mêmes qui ont défendu bec et ongles DSK, Roman Polanski, Gerald Darmanin ou Denis Baupin, se sont trouvés une fibre “féministe” pour défendre les victimes de Tariq Ramadan… Dans le cas de ce dernier, l’acharnement de ses défenseurs à discréditer les accusatrices, parce qu’un crime de lèse-majesté venait d’être commis, en dit long sur l’étendue de la culture du viol en France.
Est-ce que tout le réseau associatif concerné a protégé Tariq Ramadan? Les éléments remontant du terrain prouvent que non, mais l’omerta, les intérêts politiques et financiers, et le sentiment d’appartenance ou de solidarité mal placé, ont contribué à ce que bien des personnes se murent dans le silence, par crainte de se retrouver accusées de trahir “la communauté” ou “la cause”, ou tout simplement de perturber l’ordre des choses. Les rares personnes qui, malgré tout, ont osé s’exprimer, ont été rapidement disqualifiées sur la place publique, parce que “jalouses” ou “aigries”.
Depuis le début des « affaires Ramadan », celles et ceux qu’on appelle les musulmans ont fait l’objet d’un énième procès miroir. Tariq Ramadan, sa double vie et les accusations de violences sexuelles ont été instrumentalisés afin de faire le procès en misogynie des musulmans, dans une France où l’islamophobie est le lot quotidien de millions de personnes. Il ne s’agit certainement pas de faire ici le procès de l’adultère, peu importe ce qu’on en pense, mais plutôt d’analyser les conséquences sociales et politiques de ces affaires et d’offrir des pistes de réflexion sur les leçons à en tirer.
Il est indéniable que Tariq Ramadan a beaucoup apporté à celles et ceux qui s’identifient comme musulmans. Ses écrits, ses conférences et ses apparitions médiatiques ont été utiles à bien des égards, et son influence sur les jeunes musulmans en quête de sens et d’identité ne peut être balayée d’un revers de main ou minimisée. Avoir su affirmer une appartenance religieuse et citoyenne dans des pays occidentaux déterminés à ne jamais reconnaître leur identité, non exclusivement blanche et chrétienne, fut un accomplissement qu’il faut saluer.
Des militants de la gauche laïcarde à l’extrême droite, en passant par la droite identitaire, tous ont maudit le personnage en raison de sa capacité à les défier sur leur propre terrain, celui des idées et des débats télévisés. Incapables de le contredire lors de ces débats, ils ont opté pour la diabolisation du personnage, l’accusant d’appartenir aux frères Musulmans, comme on a pu le voir avec Caroline Fourest, Eric Zemmour ou Philippe De Villiers. Que Tariq Ramadan soit réellement un frère musulman ou non nous importe peu, et si c’était vrai, il n’aurait enfreint aucune loi ni fait preuve d’un quelconque manque d’éthique.
Mais c’est ici que tout s’arrête. Beaucoup l’ont considéré comme maître à penser ou enseignant. Cela est compréhensible à bien des égards, au vu de sa contribution, mais le lien entre enseignant et élève est rompu lorsque le premier use et abuse de son ascendant psychologique pour profiter sexuellement du second. Que Tariq Ramadan soit un libertin assidu dans tous les clubs parisiens ou londoniens ne regarde que lui et sa famille, à commencer par son épouse. Mais que sa posture de prédicateur, de porteur de “l’éthique islamique” avec une assise sur un large public – la plupart étant des jeunes en quête de sens et d’identité, par conséquent vulnérables – lui serve à manipuler les plus fragiles et malléables est tout bonnement inexcusable et injustifiable !
Au fur et à mesure des multiples accusations d’agressions sexuelles, dont les détails sordides ont été rendus publics via les échanges par messagerie entre lui et ses victimes, Tariq Ramadan est passé d’obsédé sexuel à prédateur sexuel.
Les premières accusations pour viol ont eu un retentissement mondial et, dès son incarcération, l’affaire Ramadan est devenue un feuilleton où toutes celles et ceux qui l’ont côtoyé ont été traînés dans un bain de boue. L’humiliation publique du personnage pendant son enfermement a illustré combien le cas Ramadan a été un point de cristallisation de l’islamophobie ambiante en France, et l’occasion de se venger pour ses détracteurs. Beaucoup se sont saisis des “affaires Tariq Ramadan”, non pas pour aider les victimes ou sensibiliser le public sur les violences – sexuelles ou sexistes – faites aux femmes, mais pour se servir d’elles à des fins politiques. Démonstration en fut faite avec les réseaux Fourest, Valls et autres laïcards, qui n’ont pas manqué de surexposer les victimes et de nier la nature structurelle du sexisme, en en faisant un problème spécifique aux mâles musulmans.
Quant à la procédure judiciaire, les violations des droits de la défense ont presque été la norme. Le secret de l’instruction a été violé à plusieurs reprises, sans que rien ne soit fait pour mettre un terme aux fuites. Tariq Ramadan aurait pu être invité à remettre son passeport et ne pas quitter le pays, mais au lieu de cela, décision fut prise de l’enfermer avec un traitement des plus dégradants. Sa maladie chronique n’a pas beaucoup pesé non plus pour qu’un fauteuil roulant lui soit au moins accordé. Était-ce nécessaire? Absolument pas. Que les affaires Ramadan aient été instrumentalisées par ses adversaires politiques, qui en ont profité pour coordonner les attaques, cela ne fait aucun doute. Il faudrait être naïf pour penser le contraire. Cela l’exonère-t-il pour autant ? Non.
S’étant terré dans un déni total, il aura fallu attendre que l’intéressé finisse par reconnaître lui-même les faits avant que beaucoup se fassent à l’idée que le prédicateur, père de famille et homme engagé, ayant fait de “l’éthique islamique” son fonds de commerce, menait une double vie faite de prédations sexuelles. Tariq Ramadan a dû admettre ces relations, non pas en raison d’une crise de conscience, de regrets ou de honte envers son public, mais en raison de preuves accablantes : les innombrables messages explicites retrouvés sur son téléphone, dans sa messagerie électronique, ainsi que dans les téléphones des victimes.
Les multiples accusations de femmes, elles, n’ont rien pesé. Si tout un chacun pourra s’interroger, voire critiquer leurs arènes d’expression ou le timing de leur communication, la vraie question à se poser est quelles arènes, quels moments, quels contextes auraient été « appropriés »? Et qu’en savons-nous de leurs tentatives d’alerter dans ces derniers, et du prix qu’elles en ont payé ?
Ce que nous savons, c’est que quel que soit le contexte qui a enfin permis d’exposer les abus de pouvoir et de confiance de Tariq Ramadan, elles n’en demeurent pas moins des victimes qui auraient dû être écoutées, entendues et protégées. L’absence d’espaces sécurisés pour que soient entendues ces accusations, et l’exceptionnalisme dans lequel versent les farouches défenseurs de Tariq Ramadan, n’ont fait qu’empirer les choses.
De victimes, elles sont devenues coupables de jeter l’opprobre sur une personnalité influente, considérée comme un leader intouchable, au-dessus de toute critique et de tout soupçon. Cette révérence aveugle, combinée à des relations clientélistes entre sa personne et les réseaux qui voyaient en lui un produit rentable capable de « remplir les salles », a empêché le traitement de ces révélations en amont. On ne peut reprocher à une victime de faire du bruit, lorsque tout le monde lui demande de se taire. Le silence de bien des organisations, à commencer par l’ex-UOIF, et autres acteurs associatifs qui étaient au courant des pratiques de Tariq Ramadan, les rend tout autant coupables d’avoir fait durer le calvaire des victimes et laissé le problème s’amplifier, au fil des ans. Si les victimes ont choisi de lancer l’alerte, c’est parce qu’il n’existait pas d’autres moyens de le faire. On ne choisit pas de devenir la cible d’un prédateur sexuel et d’affronter le torrent de boue déclenché par l’accusation.
D’autre part, attendre que des preuves matérielles émergent pour se faire une raison et accepter ce que des victimes de violences sexuelles dénoncent depuis des années prouve que la parole de l’accusé prime, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme influent, et malheureusement, au vu des résistances à l’échelle d’un pays, primera toujours sur celle des victimes. Et peu importe la communauté concernée.
Ce problème de société en dit long sur la fracture de genre qui fait qu’une victime de violences sexuelles ou une jeune femme manipulée pour finir dans le lit d’une personnalité publique a toujours très peu de chances d’être prise au sérieux, peu importe la gravité des faits qu’elle dénonce. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la plupart des viols ne soient pas dénoncés par les victimes, et que ces dernières se retrouvent à porter le poids de la culpabilité de leur propre malheur.
Cruelle ironie du sort, les mêmes qui ont défendu bec et ongles DSK, Roman Polanski, Gerald Darmanin ou Denis Baupin, se sont trouvés une fibre “féministe” pour défendre les victimes de Tariq Ramadan… Dans le cas de ce dernier, l’acharnement de ses défenseurs à discréditer les accusatrices, parce qu’un crime de lèse-majesté venait d’être commis, en dit long sur l’étendue de la culture du viol en France.
Est-ce que tout le réseau associatif concerné a protégé Tariq Ramadan? Les éléments remontant du terrain prouvent que non, mais l’omerta, les intérêts politiques et financiers, et le sentiment d’appartenance ou de solidarité mal placé, ont contribué à ce que bien des personnes se murent dans le silence, par crainte de se retrouver accusées de trahir “la communauté” ou “la cause”, ou tout simplement de perturber l’ordre des choses. Les rares personnes qui, malgré tout, ont osé s’exprimer, ont été rapidement disqualifiées sur la place publique, parce que “jalouses” ou “aigries”.
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