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Économie : le fantasme du bon modèle

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  • Économie : le fantasme du bon modèle

    Prévoir. Il fut un temps où ce mot pouvait être entendu. En effet, la croissance évoluait autour d’une tendance, et les marchés évoluaient autour de la croissance. Mais aujourd’hui, on ne sait plus où en est le cycle, on est même plus certain de la tendance, et on voit des marchés surréagir pour un tweet ou un chiffre.

    Les institutions se retrouvent comme désemparées par un monde qu’elles ne reconnaissent plus. Elles semblent alors nous préparer au pire comme pour mieux nous protéger :



    FMI : nouvelle révision à la baisse des prévisions de croissance mondiale, justifiée par une décélération des échanges commerciaux et une aggravation des tensions géopolitiques.
    OCDE : des perspectives économiques revues significativement à la baisse ; « l’ordre mondial qui régulait le commerce n’est plus là et nous sommes dans une nouvelle ère de relations commerciales moins sûres, plus bilatérales et parfois musclées ».
    Commission Européenne : révision baissière de la croissance suite aux tensions commerciales persistantes et à des incertitudes politiques en Europe (Brexit, Italie).
    BCE et Fed : les deux Banques centrales ont récemment initié un nouveau tournant accommodant de leur politique monétaire, justifié par des incertitudes croissantes concernant l’évolution de leurs économies, et une inflation décevante.


    Et pourtant, il faut bien essayer de prévoir un peu, au moins pour mieux parer les coups du destin. Ainsi, nos institutions n’ont jamais cessé d’user de modèles toujours plus élaborés pour percer le mystère de la croissance et de l’inflation qui ne sont pas là où on les attend. Aujourd’hui même, ces modèles semblent prendre un nouveau virage, avec la montée en puissance du Big Data et du Machine Learning. Cela suffira-t-il ?

    LES TROIS MODÈLES PRÉTENDANTS
    Les modèles se classent comme les chaussettes, par paire :



    on peut associer les modèles théoriques à des modèles peu performants pour répliquer les faits économiques contemporains. Ces modèles brillent par leur formalisme séduisant, permettant d’obtenir des résultats théoriques sous forme d’équilibre ou de valeur « juste ». Mais lorsqu’on les confronte au réel, ils ont toujours plus de difficulté, surtout depuis les années 2000 : l’exemple le plus parlant est celui de la crise des subprimes en 2008.
    on peut associer les modèles plus pragmatiques (économétriques) à des modèles trop adhocs. Ces modèles tentent de conjuguer intelligemment l’intuition économique et la performance. Effectivement, ces modèles arrivent à mieux décrire le réel, car ils acceptent de s’écarter du formalisme théorique : on choisit alors les variables adéquates, la période d’estimation qui nous arrange. Mais on produit alors des modèles dits « effectifs », dont l’objectif est peut-être de trop coller à la réalité et pas assez à l’interprétabilité.
    enfin, on peut associer les modèles de Machine Learning – Big Data à de véritables boites noires, dont le seul objectif est de répliquer le réel, sans aucune référence à une quelconque intuition économique. Il s’agit d’artillerie lourde dont l’efficacité repose principalement sur un grand stock de données à traiter. En vérité, nos institutions n’utilisent pas ces techniques aussi naïvement, mais les mettent au service d’autres modèles afin d’affiner leur connaissance de la vie économique.
    LE MODÈLE DE DEMAIN
    La montée en puissance du Big Data et du Machine Learning fait une victime : la théorie. Jadis, la théorie était le moyen le plus efficace pour sonder le réel, par manque de données et d’outils pour faire parler ces données. Les sciences physiques sont peut-être la meilleure illustration de ce recours au formalisme théorique pour comprendre les faits : relativité générale, équations de maxwell, équation de Dirac, et autres.

    Mais désormais, l’utilisation et le traitement de nombreuses données dispensent de construire un modèle pour comprendre le tout. Il ne s’agit plus que de mettre en évidence des corrélations qui fonctionnent. Dans certains domaines, comme la médecine, le e-commerce, ou même les mathématiques, les succès sont d’ailleurs au rendez-vous.

    Aujourd’hui, la tentation est donc grande de ne plus utiliser que des données sans faire aucune hypothèse aucune sur un modèle sous-jacent : « Hypothèses non fingo », latin pour « Je n’avance pas d’hypothèses » est une phrase célèbre employée par Isaac Newton, et qui incarne à merveille l’approche Big Data-Machine Learning. En philosophie des sciences, on oppose aussi l’utilisation du rasoir d’Ockham consistant à utiliser les seules hypothèses nécessaires à un platonisme excessif consistant à chercher le « vrai » modèle qui explique le réel. Le couple Big Data – Machine Learning appliquerait donc ce principe du rasoir d’Ockham.

    Mais les réserves sont nombreuses quant à l’utilisation excessive du couple Big Data- Machine Learning pour faire parler les données. En particulier, l’utilisation intensive de données peut finir par produire des corrélations dites fallacieuses, c’est-à-dire des relations entre données qui semblent tangibles, mais en fait sont dues au hasard : c’est le risque d’un déluge de corrélations.

    FAUT-IL ATTENDRE LE BON MODÈLE ?
    La recherche académique ne prétend pas trouver le bon modèle qui expliquera ou prévoira les cycles économiques et financiers. Néanmoins, la question est plutôt : jusqu’où peut-on prétendre comprendre ou prévoir ?

    Peut-être existe-t-il un modèle qui permettrait de lever au moins un bout du voile de la vérité, de comprendre au moins une partie de ce qui anime nos économies et nos marchés. C’est effectivement ce qui se produit à chaque fois qu’une théorie nouvelle a vu le jour par le passé, et l’expression « lever un bout du voile » est d’ailleurs l’expression qu’employa le célèbre physicien Werner Heisenberg la nuit même où il découvrit sur son île le formalisme adéquat pour décrire ce que l’on appelle la mécanique quantique.

    Ou bien cette quête même modeste est-elle vaine, car l’objet de son étude est trop particulier : il s’agit de nous-même. En effet, il ne s’agit plus de décrire des planètes ou des particules, mais de décrire nos propres comportements, nos choix. Certains ironisent alors en avançant qu’une telle quête suppose que l’on soit capable de « se regarder passer par la fenêtre », afin d’analyser nos propres faits et gestes… sans que l’on s’en aperçoive. Par construction, la recherche en sciences économiques est confrontée à ce problème puisque le chercheur fait partie du sujet de recherche. Autant essayer de se soulever par les cheveux comme le fit le baron de Münchhausen afin de se sauver d’une noyade certaine…

    Imaginons quand même que ce bon modèle existe, nous avons alors une certitude : nos institutions n’ont pas encore mis la main dessus.

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