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Algérie. « mettez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas ! »

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  • Algérie. « mettez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas ! »

    Vendredi, 18 Octobre, 2019
    Rosa Moussaoui
    Le régime accentue la répression et multiplie les arrestations ciblées de militants, de responsables politiques et de figures du hirak. Sans parvenir à faire refluer le mouvement populaire, à quelques semaines d’un scrutin présidentiel rejeté par la rue.

    « Surveillez le pétrole, pas les étudiants ! » Sur la place des Martyrs envahie, mardi, à Alger, par une foule joyeuse et déterminée, l’atmosphère tranchait avec celle de la semaine précédente. Pas de pluie de coups de matraque, cette fois-ci, pas de rafles parmi les manifestants et un dispositif policier moins oppressant. La violence déployée contre les étudiants, le 8 octobre, avec des dizaines d’arrestations, n’a pas eu l’effet d’intimidation escompté : au contraire, elle a suscité la colère et l’indignation jusque dans les rangs des indifférents et des indécis, provoquant un net regain de mobilisation. Rejoint par des milliers de citoyens révoltés par la pression répressive qui va crescendo depuis la fin du mois de juin, ce défilé estudiantin avait des allures de vendredi. « Emmenez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas ! » chantaient les jeunes protestataires, exigeant la libération des leurs arrêtés au fil des marches et celle de tous les prisonniers politiques. Parmi les portraits brandis par la foule, un visage se détachait : celui de Yasmine Dahmani, 22 ans, étudiante en droit, incarcérée depuis un mois à la prison d’El-Harrach. Arrêtée le 17 septembre, toujours en attente de son procès, elle est devenue une icône de la révolte. Comme Jawad Belkacem, un jeune activiste d’Oran interpellé dans la marche de vendredi dernier, jugé en comparution immédiate et condamné à une année de prison ferme, assortie d’une amende de 220 000 dinars (1 650 euros). Dans sa ville, les étudiants ont choisi le ton de l’humour pour défendre leur camarade : « Talgou Jawad, ma baach el cocaïne ! » (« Relâchez Jawad, il n’a pas vendu de cocaïne ! ») Référence sarcastique au scandale consécutif à la saisie l’an dernier, en rade d’Oran, de 700 kg de cocaïne, avec la mise en cause d’innombrables officiels, jusqu’au sommet de l’appareil sécuritaire.

    De marches hebdomadaires en mobilisations motivées par la contestation de projets de loi, comme celui qui prévoit de livrer le secteur des hydrocarbures aux multinationales étrangères (voir ci-contre), le mouvement populaire, loin de refluer sous l’effet de la répression, prend désormais un rythme quasi quotidien et une empreinte sociale plus affirmée. Avec, toujours, une claire détermination à libérer le peuple algérien des lois et choix liberticides du pouvoir. Hier encore, les familles des détenus politiques et d’opinion manifestaient devant le tribunal de Sidi M’Hamed, au centre d’Alger, aux cris de « Libérez les otages ! »

    Chaque jour apporte son lot de procès et de condamnations
    Depuis sa cellule, cette semaine, le vieux Lakhdar Bouregaâ, héros de la guerre d’indépendance et fondateur du Front des forces socialistes (FFS), faisait savoir à ses avocats qu’il refuserait toute démarche en faveur de sa libération tant que de jeunes protestataires resteraient derrière les barreaux. Arrêté le 29 juin dernier devant son domicile, cet ancien officier de l’Armée de libération nationale est poursuivi pour « participation, en temps de paix, à une entreprise de démoralisation de l’armée »… Même chef d’inculpation pour Karim Tabbou, porte-parole de l’Union démocratique et sociale (UDS) et figure du hirak, placé une première fois en détention le 12 septembre, relâché la semaine suivante avant d’être aussitôt réexpédié en prison. Mais, quand elle est aux ordres, la justice sait varier les motifs pour couvrir l’arbitraire. Hakim Addad, Djalal Mokrani, Ahmed Bouider, Kamel Ouldouali et Massinissa Aissous, des militants du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) arrêtés le 4 octobre, sont ainsi poursuivis pour « incitation à attroupement et atteinte à la sécurité de l’État ». Leurs camarades Karim Boutata et Ahcene Kadi, interpellés quelques jours plus tôt, sont accusés d’« incitation à l’atteinte à l’intégrité territoriale par diffusion des vidéos sur Facebook » et de « port de pancartes et slogans attentatoires à l’unité nationale ».

    Combien d’opposants, de révoltés dans les geôles du régime ? La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a recensé 111 incarcérations de militants et marcheurs depuis le 21 juin, date à laquelle le pouvoir s’est engagé dans une stratégie d’arrestations ciblées visant d’abord les porteurs de drapeaux amazighs (berbères), puis les responsables politiques et finalement tous les visages connus du hirak. « C’est un décompte approximatif : chaque jour apporte son lot d’arrestations, de procès, de condamnations. La capitale est la plus touchée, mais aucune région n’est épargnée et, dans les zones les plus reculées, des arrestations passent inaperçues, avec, parfois, des motifs d’inculpation maquillés », résume Saïd Salhi, président de la LADDH. Pour ce militant, cette stratégie est vouée à l’échec : « Un travail de profilage et de fichage est engagé depuis huit mois. En ciblant les têtes qui émergent, le pouvoir espère semer la peur et décapiter le hirak. Mais les Algériens se sont définitivement libérés de la peur le 22 février et il est impossible de décapiter un mouvement horizontal et pacifique, sans chefs, sans représentants, sans appels ni mots d’ordre centralisés. »

    Aucun opposant de poids ne semble prêt à jouer le jeu
    En dépit de ce rapport de forces conforté chaque semaine depuis huit mois par la rue, les hommes du pouvoir s’accrochent, signent des contrats de gré à gré, tentent de passer en contrebande des lois stratégiques. Ils s’obstinent, invectivent les protestataires et menacent encore. À commencer par le chef d’état-major des armées, Ahmed Gaïd Salah, qui enchaîne, au fil de sa tournée des casernes, des discours de politique générale dignes d’un chef d’État ou de gouvernement. Le vieux général affecte des postures toujours plus martiales, à mesure qu’approche le 12 décembre, date supposée d’un scrutin présidentiel contesté. En visite, mardi, au siège du commandement des forces navales, à Alger, il s’en est pris sur un ton furieux à ceux qui tentent « d’entraver ce processus électoral décisif ou d’influencer la conscience du peuple algérien ». Fidèle à sa rhétorique de la main étrangère, il a fustigé une « minorité dépourvue de patriotisme » faisant « usage de mensonges ». Sur le ton de la paranoïa, il a mis en garde ceux « qui font des marches pacifiques (contre) la présence de certaines parties insidieuses qui s’efforcent de surfer sur la vague de ces manifestations ». Des « entités inconnues » aux « objectifs malveillants » mobilisent « de l’argent sale afin d’amplifier le nombre de ces manifestations », a-t-il encore assuré.

    Les inflexions belliqueuses de ce discours trahissent pourtant une certaine fébrilité, alors que la feuille de route établie par le pouvoir semble chaque jour plus compromise. À une semaine du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, aucun opposant de poids ne semble prêt à jouer le jeu. D’abord pressé de concourir, Ali Benflis s’est fait discret, ces dernières semaines. Quant à Abdelmadjid Tebboune, l’autre « candidat à la candidature », il tente de convaincre, en vain, qu’il n’est pas le « candidat du pouvoir ». « Il n’y a que des anciens premiers ministres de Bouteflika comme candidats », ironisent les Algériens, à propos de ces deux aspirants. Dans le camp islamiste, les chefs du MSP, Abderrazak Makri, et du FJD, Abdallah Djaballah, après avoir laissé entrevoir la possibilité d’une alliance avec les nationalistes, ont finalement entériné leur retrait de la course.

    Quant à l’opposition rassemblée autour du pacte de l’alternative démocratique, elle plaide pour une transition ouvrant sur un processus constituant et rejette sans appel la perspective d’un scrutin propre à recycler le système. Même ceux qui voyaient dans ce scrutin verrouillé l’opportunité d’une « sortie de crise » commencent à faire défection. Cette semaine, une vingtaine de personnalités, dont Ahmed Taleb Ibrahimi, Ahmed Benbitour, Ali Yahia Abdennour et Abdelaziz Rahabi, ont lancé un appel à un « dialogue sérieux », jugeant « inconcevable d’envisager la tenue de la présidentielle du 12 décembre dans de pareilles circonstances ». La rue, elle, reste catégorique : « Makanch intikhabat maâ l’îssabat », scandent les protestataires. « Pas d’élections avec les bandits ».

    Rosa Moussaoui
    l huma
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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