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Mohcine Belabbas. Président du RCD : «L’absence de légitimité du chef de l’Etat sera dangereuse pour le pays»

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  • Mohcine Belabbas. Président du RCD : «L’absence de légitimité du chef de l’Etat sera dangereuse pour le pays»

    Au cœur de la révolution démocratique en cours, le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) est l’un des rares leaders politiques algériens qui ont fait corps avec le «peuple du vendredi».
    Radicalement opposé à la tenue de l’élection présidentielle, Mohcine Belabbas est catégorique : le rendez-vous du 12 décembre n’aura pas lieu, tranche-t-il. Parce que «le peuple algérien la rejette, parce qu’elle est organisée par un pouvoir illégitime avec un gouvernement quasi clandestin et en violation de la Constitution, certains juristes parlent d’un environnement »aconstitutionnel »». Le leader du RCD estime que le pouvoir est «isolé et faute de chercher des solutions à l’impasse que vit le pays par le dialogue, il tente un passage en force pour reconstruire une légitimité chimérique…».

    -Huit mois d’insurrection citoyenne en faveur du changement du système, le pays est toujours dans le blocage politique. Comment expliquez-vous cette impasse ?
    En grande partie, cela est dû à la particularité du système qui a régenté le pays depuis 1962. Un système politique où les centres de décision constitutionnels et officiels –formels pour certains – sont sous les ordres du commandement militaire, en tout cas de ceux qui ont la latitude de s’en réclamer. Le décalage entre la réalité et le discours du pouvoir de fait est sidérant, au point où des attitudes paternalistes sont convoquées pour reproduire, encore une fois, des clichés où le peuple est infantilisé par le fait que tout le mouvement est le fait de manipulations de la îssaba ou de l’étranger.
    Il est vrai que les millions d’Algériens sortis dans la rue en février et mars ont surpris beaucoup de monde. En premier lieu le commandement militaire qui était occupé à promouvoir, contre vents et marées, la candidature de Bouteflika. Devant l’ampleur et l’intensité de la contestation populaire, l’état-major a décidé de reprendre le contrôle direct sur l’action politique et la décision institutionnelle le temps, pensait-il, de remettre de l’ordre dans les rangs des sous-traitants de la classe politique dirigeante qu’il a imposée au pays. N’ayant pas pris la mesure du rejet populaire, il s’entête à vouloir colmater, à tout prix, la devanture du système.
    Du côté de la classe politique non dirigeante qui englobe des acteurs de l’opposition qui disposent de programmes et les recalés du pouvoir, les perspectives ne sont pas les mêmes. Pour les premiers, il s’agit, dans leur majorité, d’une remise en question globale et radicale du système ; cela se traduit dans une intransigeance sur les mécanismes à promouvoir afin de garantir l’Etat de droit avant toute élection à quelque niveau que ce soit. Pour les seconds, il s’agit d’une simple contestation de l’ancien pouvoir et sont de ce fait prêts à des compromis opportunistes. En somme, des acteurs qui s’inscrivent dans une nouvelle alternance clanique. Par ailleurs, la rue a maintenant établi son verdict pour cette catégorie de personnel politique qui aurait pu jouer un rôle de tampon en monayant autrement leur fréquentation de l’opposition.
    -Cependant, la révolution en cours n’arrive pas à transformer l’essai. Pourquoi la transition démocratique devant conduire à l’instauration d’un nouvel ordre politique peine à voir le jour ?
    Il était prévisible que les choses allaient durer dans le temps. Le peuple, qui a de tout temps été exclu de la décision, voire carrément de la sphère publique d’une certaine manière, ne pouvait, du jour au lendemain, reporter sa confiance sur les acteurs politiques traditionnels ou secréter rapidement des représentants du soulèvement. Les populations ne croient plus, depuis longtemps déjà, aux hommes providentiels. Une telle relation qui demande une certaine dose de confiance en les dirigeants politiques est à reconstruire. Pour cela, il faudra repenser notre conception de l’action politique du dirigeant qui jusque-là est perçu comme un simple décideur, alors que l’étape que nous traversons et l’Algérie de demain nécessitent des dirigeants qui promeuvent la liberté, le libre débat et la construction de consensus à des niveaux multiples.
    -Le Pacte de l’alternative démocratique, dont le RCD fait partie, est comme inaudible. Pourquoi ? N’est-il pas nécessaire d’élargir le pacte à d’autres forces politiques qui partagent le même positionnement ?
    Le pacte est ouvert. La difficulté est surtout dans l’interdiction systématique qui frappe ses activités publiques par le commandement militaire. Encore une fois, quand la volonté politique consiste à diaboliser tous les acteurs politiques qui ne se soumettent pas à l’agenda du pouvoir de fait, les choses ne peuvent prendre que plus de temps. Mais la transition démocratique est la seule voie pacifique pour permettre au peuple algérien, en révolution, d’exercer sa souveraineté dans des conditions acceptables. Vous remarquerez que tous les acteurs politiques et syndicaux et, bien sûr le hirak lui-même rejettent l’élection présidentielle du 12 décembre. Cela ne suffit pas encore, eu égard aux considérations que j’ai développées et qui sont le résultat d’un acharnement contre toutes les structures politiques ou de la société civile mené méthodiquement, en alliant corruption et répression multiforme, durant 20 ans.
    -Le pays ne baigne plus dans la liesse des premiers mois des mobilisations populaires, mais plutôt dans la peur. Comment est-il (le pays) passé d’un moment de grande liberté à une reprise en main autoritaire ?
    C’est le cas de le dire, même s’il ne faut pas non plus exagérer le climat de peur. A défaut de protéger les citoyens et d’encadrer la contestation populaire, le pouvoir recourt à des arrestations arbitraires, des mises en détention autoritaires, l’instrumentalisation de la justice et à l’instauration d’une politique liberticide par la fermeture des espaces de liberté et un musellement total des médias. L’instrumentalisation des peurs pour imposer une alternance faite d’autoritarisme, de règlement de comptes et de désordre sur fond de corruption renseigne avant tout que la peur est installée dans les arcanes du pouvoir de fait. Isolé et faute de chercher des solutions à l’impasse que vit le pays par le dialogue, il tente un passage en force pour reconstruire une légitimité chimérique. Mais vous savez comme moi que quand le seul moyen de maintenir l’autorité est la répression, la soumission de la justice pour maintenir en prison de parfaits innocents, la diffusion des peurs, la division et subséquemment le mensonge, c’est que la fin n’est pas loin.
    -Votre parti est opposé à l’élection présidentielle prévue pour le 12 décembre, ce rendez-vous aura-t-il lieu ? Que se passerait-il en cas d’un passage en force ?
    L’élection présidentielle n’aura sûrement pas lieu. D’abord et avant tout, parce que le peuple algérien la rejette. Deuxièmement, parce qu’elle est organisée par un pouvoir illégitime avec un gouvernement quasi clandestin et en violation de la Constitution, certains juristes parlent d’un environnement »aconstitutionnel ». Par contre, le théâtre habituel portant désignation d’un chef de l’Etat peut jouer, mais avec une salle quasiment vide. L’absence de légitimité du chef de l’Etat qui sera ainsi désigné et la défiance citoyenne à son encontre précipiteronttout le système vers une impasse encore plus difficile à gérer, mais aussi dangereuse pour le pays.
    -Sur un autre plan, comment voulez-vous que cette élection garde ne serait-ce qu’une petite dose de crédit, lorsque le pouvoir s’acharne à vouloir codifier l’avenir du pays moins de deux mois avant le rendez-vous qu’il s’est fixé lui-même au mois de décembre ?
    L’adoption de projets de loi aussi sensibles que celui sur les hydrocarbures par le dernier illégitime Conseil des ministres, la révision annoncée du code de procédure pénale pour libérer la police judiciaire du procureur de la République, un projet de loi de finances qui décide de l’avenir des secteurs industriels avec revirement à 180 degrés sur les financements (retour à l’endettement extérieur…), confirment, pour tout le monde, l’inexistence des conditions de l’action et de la compétition politique et surtout de l’exercice vrai du pouvoir. Les urnes du 12 décembre ne sont qu’une formalité pour ceux qui contrôlent encore les centres de décision du pays.
    C’est pour tout cela qu’il est de la plus haute importance de construire une autre alternative dès maintenant pour éviter au pays une aventure périlleuse. C’est ce que nous faisons aussi.
    -Le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, est en première ligne depuis la déposition de Abdelaziz Bouteflika ; pourquoi s’empresse-t-il à organiser la présidentielle ?
    Depuis le retrait forcé de Abdelaziz Bouteflika, il y a une militarisation assumée du système politique. Cette projection de l’institution militaire au-devant de la scène cache en réalité un climat de peur chez le commandement militaire. Une peur qui pour l’essentiel est due à l’incertitude des lendemains. Leur obstination à restaurer une forme de légitimité institutionnelle au système lui-même est symptomatique de cette peur. Tout le monde sait qu’en dehors d’un dialogue sérieux et profond, rien de durable et viable ne peut se faire. Même le cadre constitutionnel dont ils se prévalent est piétiné tous les jours et la violation des lois en vigueur l’atteste dans tous les domaines.
    Aujourd’hui, la seule explication à cet empressement à désigner un nouveau chef de l’Etat est de tenter de donner à l’autoritarisme en vigueur une forme de légitimation. On peut spéculer sur les raisons qui poussent le commandement militaire à privilégier cette voie, mais la réalité est là.
    -L’institution militaire est-elle réellement dans une situation confortable ? Se plaît-elle dans son «rôle» actuel ?
    Aucune des forces en présence ne peut se targuer d’être dans une posture confortable. L’institution militaire encore moins, parce qu’elle n’a pas pu anticiper le raz-le-bol populaire d’un pouvoir qui a humilié la nation avant l’éclatement de la révolution. Mais aussi, elle-même était en proie à des tiraillements nombreux ces dernières années, au point où la valse des généraux à des postes stratégiques a constitué l’actualité nationale des années 2017 et 2018.
    Depuis, une quinzaine de généraux sont poursuivis en justice ou en fuite à l’étranger. Cette situation a forcément brouillé l’image d’une institution qui était jusque-là un exemple de stabilité. Les slogans («Les généraux à la poubelle, El Djazaïr tedi el Istiqlal !» «Y en a marre des généraux !») scandés dans les manifestations renseignent sur le degré de dégradation de cette image que les citoyens perçoivent. L’adoption du projet de loi portant statut des personnels militaires par le Conseil des ministres excluant les militaires en retraite de toute activité politique ou fonction élective publique est un autre indicateur de cette situation inconfortable.
    Et enfin, l’opinion publique s’interroge, à raison, sur les chefs d’inculpation retenus contre des acteurs de la société civile, à l’image du commandant de l’ALN, Lakhdar Bouregaâ, ou de Karim Tabbou qui sont accusés «d’atteinte au moral de l’armée». Peut-elle vraiment se plaire d’un tel rôle ?

    El Watan
    La guerre c'est le massacre entre gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais qui ne se massacrent pas.
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