Annonce

Réduire
Aucune annonce.

L'acquittement par Leïla Aslaoui

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • L'acquittement par Leïla Aslaoui

    La salle d’audience est archi comble. Journalistes, voisins, badauds, mon épouse, ma mère, mes enfants, tous attendent le verdict. Parmi ce public, beaucoup ne me connaissent pas. Tout ce qu’ils savent de moi, ils l’ont appris par voie de presse. Je suis Mahfoud B... l’assassin de mon frère. Le monstre qui s’est emparé de toutes les richesses de mon cadet. Le mobile était le vol qualifié.

    Cela s’est passé en janvier 2005. Comment me jugent-ils, tous ces curieux intéressés par mon procès ? Que pensent- ils à l’issue de cinq journées d’audiences qui m’ont parues interminables ? Me croient-ils innocent comme je me suis évertué à le répéter ? Ma mère et ma femme attendent elles aussi. Elles sont convaincues que je ne suis pas un tueur. “Il est incapable de faire du mal à une mouche”, n’a cessé de dire ma maternelle aux policiers et au juge d’instruction. Ah, celui-là ! Je ne suis pas prêt de l’oublier avec ses questions — pièges, sa manière de me faire répéter dix fois, vingt fois ma version des faits. Mais j’ai résisté. Je n’ai pas craqué. Je plaidais l’innocence et n’avais pas l’intention de faire plaisir au juge instructeur et répondre à son invitation de passer aux aveux. Il n’avait rien, absolument rien contre moi. Le procureur a requis contre moi la peine de mort, c’est le seul moment où ma mère s’est évanouie. Moi, je suis resté imperturbable. j’avais décidé de sortir libre de cette salle d’audience et rien ne s’y opposerait. Lorsque le président, un jeune magistrat à peine plus âgé que moi, m’a demandé mécaniquement et selon un rituel dont seule Dame justice détient le secret m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter avant la mise en délibéré de mon affaire, j’ai répondu d’une voix audible : “Je m’en remets à la justice de mon pays, j’ai pleinement confiance car je suis innocent”.

    Mon avocat qui en a vu d’autres, pénaliste talentueux est lui-même convaincu que l’assassin de mon petit frère court dans la nature. Le délibéré m’a paru long, très long. J’ai ressenti une grande moiteur dans les mains, ma chemise me collait à la peau. Mon cœur battait la chamade. Soudain, j’ai eu peur que l’issue du match ne dépende plus de moi. Maître Z... avait été brillant et rien, absolument rien, n’avait été prouvé contre moi. Le bruit de la sonnette retentit, le tribunal criminel fit son entrée. Je tentais vainement de lire dans le regard du président un signe, un message. Il me demanda de me lever. Il entama d’une voix monocorde la lecture des questions. Visiblement épuisé par le procès, il butait sur les mots.

    A la première question : “L’accusé Mahfoud B... est-il coupable en janvier 2005 d’avoir commis avec préméditation et guet-apens, l’assassinat de son frère le nommé Jamel B... à Alger au lieu... ?” La réponse est non à la majorité des voix. La seconde question sur le vol qualifié devenait sans objet. J’étais un homme libre. Libre. Mon avocat se leva d’un bond, il me prit dans ses bras et m’embrassa. Je me contentais de lui dire : — Merci maître.

    J’entendis des youyous. C’était ma mère. Elle est championne pour ce genre d’exercice vocal. C’est une youyouteuse hors pair. Les journalistes se précipitent autour de moi pour connaître, disent-ils, mes impressions. — Je n’ai jamais désespéré de la justice de mon pays. Si l’on m’avait condamné c’eut été une horrible erreur judiciaire. Dans la voiture conduite par ma femme, j’allonge avec délectation mes jambes. Dans la salle n°... il me fallait toujours les garder pliées pour permettre aux soixante-dix autres codétenus d’occuper un minuscule espace.

    Trois ans de détention préventive m’ont fait oublier les gestes les plus simples. Lorsque nous pénétrons dans l’immeuble où occupe ma mère un appartement sur les hauteurs d’Alger, celle-ci pousse à nouveau un youyou strident. Les voisines donnent la réplique. Celle du rez-de-chaussée n’est pas sortie, n’avait-elle pas dit à ma maternelle et à mon épouse : “Il n’y a jamais de fumée sans feu”. Je ferme les yeux et hume l’odeur du bon café qu’on prépare dans la cuisine. Depuis combien de temps n’ai-je pas eu ce plaisir ? Ma mère tira sa derbouka d’un placard. Elle l’avait conservée après avoir quitté les orchestres féminins qu’elle accompagnait durant de longues années lors de mariages et qu’on l’appelait “Sadjia el mesmaâ”.

    C’était ce passé des folles années de ma mère que je voulais effacer et ne voulais plus évoquer. Je voulais un rang, une place dans la société et je jurais que je l’aurais. On ne retrouvera jamais le corps du frangin, on ne retrouvera jamais l’arme et j’allais enfin avec mes enfants et ma femme profiter pleinement des milliards dont mon cadet ne savait pas en tout état de cause tirer profit. Assis en face de moi, mon avocat sirotait son café content de lui. Je le laissais tout à son bonheur. “Car ce n’est pas faire acquitter un innocent qui est difficile. Le talent c’est arracher un coupable à la justice”. (Gilles Perranet).


    Par Leila Aslaoui- Le Soir

  • #2
    Ouffffffffffff.

    La fin deroutante!! Merci madame Aslaoui.

    Commentaire


    • #3
      merci morjane



      une grande dame de la justice algerienne. Magistrat de longue date, n'hesite pas a detruire les mythes de l'institution judiciaire et invite tout le monde a jetter un oeil sur ce que on appel l'egalite des citoyens.


      " Derive De Justice "

      absolument a lire, aux editions Bouchene - 1990

      Commentaire

      Chargement...
      X