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Documents diplomatiques suisses sur la Guerre d’Algérie

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  • Documents diplomatiques suisses sur la Guerre d’Algérie

    Bonsoir
    Georges Pompidou
    Lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, il devient son directeur de cabinet. Il est nommé en mars 1959 au Conseil constitutionnel où il siégera jusqu'en 1962. Il entre en contact avec le FLN lors de discussions qui ont lieu à Neuchâtel et à Lucerne (Suisse) préparant ainsi les accords d'Évian.

    Pour le mouvement national algérien, la Suisse fut une sorte de refuge aux portes de la France (en janvier 1956 déjà, un responsable du FLN, Tayeb Boulahrouf, s’installe à Lausanne et transforme son hôtel, l’Hôtel Orient, en siège officieux du FLN.) ; pour la France officielle, un champ d’activité pour les services spéciaux, mais aussi un terrain de rencontres officieuses avec l’adversaire algérien ; pour les réfractaires et les déserteurs français, un lieu d’asile ; pour des centaines de militantes et de militants suisses, membres ou non d’organisations politiques ou d’entraide et de solidarité, la guerre d’Algérie fut le moment d’une exigence de solidarité.

    La Suisse fut en outre un centre d’intense production éditoriale algérienne : El Moudjahid, organe officiel du FLN, et certains textes du Front (le Manuel du militant algérien, par exemple) y furent imprimés, sur des presses et par des imprimeurs « de gauche », et plus précisément encore liées au Parti du Travail.
    Les sympathisants de la cause algérienne seront rapidement nombreux en Suisse romande : des communistes, des socialistes, des chrétiens de gauche, des membres du Mouvement démocratique des étudiants transportent des tracts, livrent « El Moudjahid », hébergent des membres du FLN ou des réfractaires français ; les éditions lausannoises de la Cité publient des textes interdits en France (notamment « La Question » de Henri Alleg) ; dans les régions frontalières, des militants suisses (comme le libertaire genevois André Bösiger) font passer la frontière à des Algériens indésirables ou pourchassés en France.
    A Genève s’est installée une délégation officieuse du Croissant Rouge algérien et des dizaines de militants nationalistes de toutes tendances résident en Suisse, au vu et au su de la police, tant suisse que française. Ferhat Abbas et Saad Dahlab, président et membre du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) sont les plus connus des « hôtes » de la Confédération helvétique. Cette étrange situation ne sera pas exempte d’incidents, dont le plus spectaculaire a le parfum du scandale.
    L’Affaire Dubois
    Le 23 mars 1957, le Procureur de la Confédération,. René Dubois, se tire une balle dans la tête. La veille, La Tribune de Genève avait révélé que des fonctionnaires du pouvoir judiciaire fédéral et un « gradé » du contre-espionnage suisses avaient remis à un attaché commercial de l’Ambassade de France, Marcel Mercier, des transcriptions de conversations téléphoniques échangées entre la Légation égyptienne en Suisse et le ministère des Affaires étrangères égyptien, canal par lequel passaient nombre de communications entre responsables du FLN, ainsi que des rapports confidentiels sur des militants algériens, des fournisseurs d’armes du FLN et des mouvements d’argent au bénéfice de la résistance algérienne. Or, Marcel Mercier était un agent, avec le grade de colonel, des services secrets français (le SDECE, Service de documentation extérieur et de contre-espionnage).

    Pourquoi diable un responsable du contre-espionnage suisse, Max Ulrich, et le Procureur de la Confédération lui-même, se sont-ils transformés, consciemment, en « honorables correspondants » du SDECE ? Pour Max Ulrich, l’anticommunisme et l’appât du gain sont les mobiles les plus vraisemblables ; le cas du procureur Dubois est plus complexe, et donc plus intéressant. Dubois est fonctionnaire du Ministère public fédéral depuis 1936, substitut du Procureur fédéral depuis 1949, Procureur lui-même, enfin, depuis 1955 ; surtout, il est socialiste et francophile, quand le gouvernement français, qui mène la guerre d’Algérie, est socialiste : « que Mercier ait fait vibrer la corde sensible de ce cousinage politique, c’est plus que probable », écrit Alain Campiotti, ce que confirme et précise Charles-Henri Favrod

  • #2
    Suite

    ü Dubois convenait facilement que la SFIO, progressiste, menait le bon combat contre les réactionnaires de l’Islam, appuyés par ce Nasser que l’on comparait alors à Hitler. Et en plus, ces socialistes se montraient ouverts : (…) n’exploraient-ils pas déjà les voies d’un règlement politique ?

    Charles-Henri Favrod, cité par Alain Campiotti, La mort du Procureur Dubois, in L’Hebdo du 23 mai 1985

    Le choix de Dubois de collaborer activement avec les services spéciaux français illustre jusqu’à l’absurde le dilemme socialiste : faut-il, au nom des principes, soutenir un mouvement de libération nationale en lutte contre un gouvernement présidé par un socialiste (Guy Mollet), et donc rompre le fil fragile de la solidarité socialiste, ou se cramponner à cette solidarité, aider ce gouvernement et donc nier le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sauf à esquiver un tel dilemme en réduisant le combat de la nation algérienne à une sédition tribale ou religieuse ? Dubois choisit de servir les intérêts français, quitte à brader l’image de la neutralité helvétique. Il accepte des invitations à Paris, où il se rend avec le colonel Mercier en automne 1956, en pleine crise de Suez ; il transmet à Mercier des renseignements confidentiels : résultats d’écoutes téléphoniques, informations sur les fournisseurs d’armes, sur le FLN et sur les fonds du mouvement… Bref, le Procureur de la Confédération, sur les traces du colonel du SDECE, fait « sa » guerre d’Algérie ; ce haut fonctionnaire suisse et socialiste s’identifie à un serviteur des gouvernants socialistes français, empêtrés dans un conflit dont ils ne savent comment sortir, alors que nombreux sont ceux qui, pas seulement à gauche, mais à plus forte raison à gauche, y compris au sein du PS-SFIO, doutent d’une solution par une victoire militaire. A l’Ambassade de France à Berne travaillent deux fonctionnaires opposés à la politique de leur pays : le catholique progressiste Henri Guillemin et la gaulliste Elisabeth de Miribel. Le secret de la collaboration de Dubois avec les services français ne pouvait être gardé très longtemps : dès 1956, la rumeur de « fuites » d’informations en provenance de la police fédérale se répand. Le service de renseignements de l’armée constate que les Français disposent d’informations qu’il avait transmises au contre-espionnage suisse, et à lui seul : une enquête est donc demandée, et obtenue, mais elle est du ressort… du Procureur de la Confédération, Dubois lui-même.

    L’ « affaire » n’éclatera que par le fait de la presse : le 18 mars 1957, le Rédacteur en chef adjoint de La Tribune de Genève, Georges-Henri Martin, apprend d’un mystérieux informateur (qui se révélera être un compagnon de route français du FLN, Serge Michel, proche de Ferhat Abbas) qu’un diplomate français en poste à Berne reçoit de la Police fédérale des informations confidentielles. Le scandale est amorcé, prêt à éclater ; interrogé, René Dubois reconnaît qu’une enquête a été ouverte contre un inspecteur de la Bupo ; sachant l’inspecteur Ulrich prêt de « tomber », Mercier vend brusquement la mèche (lui-même ne risque qu’une expulsion, couvert qu’il est par son statut diplomatique) et informe le Département fédéral de Justice et police que le Procureur de la Confédération est « mouillé ». Le 23 mars, apprenant qu’il est découvert, René Dubois se tire une balle dans la tête.

    Le scandale est énorme : le 24 mars 1957, le Conseil fédéral publie un communiqué au style contourné mais à la conclusion glaciale :

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    • #3
      ü Les recherches concernant l’affaire d’un inspecteur de la police fédérale ont été poursuivies avec toute l’énergie nécessaire. Les recherches les plus récentes ont permis de découvrir des indices sérieux établissant qu’il était possible que le Procureur de la Confédération ait pu communiquer lui-même à un organe étranger des informations qui ne concernaient pas les affaires suisses. Le Département de Justice et police a été informé à midi que le Procureur de la Confédération, René Dubois, s’était donné volontairement la mort.

      (cité par Alain Campiotti, art.cit.)

      Si énorme que fut le scandale, nul n’avait intérêt à engager une polémique, sinon les communistes, qui virent là l’occasion de dénoncer la corruption du monde politique suisse, de régler quelques comptes avec les socialistes et d’allumer un « contre-feu » à la vague d’anticommunisme provoquée par la crise hongroise, toute récente. Le Parti du Travail saisit l’occasion au bond, et organise à Genève une « manifestation publique de protestation » le 29 mars 1957. Dans un supplément spécial de La Voix Ouvrière, le PdT résume sa vision de l’ « affaire » :

      ü Il apparaît au grand jour international que la police politique suisse espionne les diplomates étrangers.

      Le Procureur général et le policier Ulrich connaissaient en vertu de leur fonction d’importants secrets qu’ils ont divulgués.

      Ces renseignements ont profité à une puissance étrangère en guerre (contre l’Algérie et. un temps, contre l’Egypte).

      Ces renseignements ont abouti à des arrestations, en France, de dirigeants du mouvement de résistance algérienne ; de tels faits s’étaient déjà produits au mois de juillet 1956, quand fut expulsé de Suisse un important réfugié politique, Moulay Merbah, secrétaire général du Mouvement national algérien.

      Quelles seront les conséquences ?

      Qui voudra croire à la neutralité du pays quand le Procureur général de la Confédération lui-même se met au service de l’étranger ?

      La Suisse, pour des raisons évidentes, a, jusqu’à présent, pris une attitude favorable aux peuples arabes ; M. Petitpierre a dit un jour que le colonialisme était révolu ; le Conseil fédéral a condamné l’agression franco-britannique contre Suez. C’est que les pays arabes sont appelés à connaître un prochain développement économique et qu’il y a là de très importants débouchés pour l’industrie suisse.

      La Vérité, supplément périodique genevois de La Voix Ouvrière, Genève, mars 1957

      Les communistes vont ensuite s’en prendre directement aux socialistes : c’est de bonne guerre, si l’on ose dire, après les « purges » anticommunistes dans les syndicats et le soutien apporté par le PSS aux mesures prises contre les militants du PdT dans les administrations publiques. La Vérité dénonce donc l’interprétation, en effet étrange, donnée par le Volksrecht socialiste à l’ « affaire Dubois » : un échange d’informations politiques et militaires « coutumier » (üblich) entre services de renseignement de pays différents et un « dérapage » dû au « tempérament welsche » du Procureur fédéral. Si le mobile du policier Ulrich (membre du parti catholique conservateur) semble relever de la pure et simple vénalité, celui du procureur Dubois est défini par le quotidien socialiste de manière positive, comme relevant de « l’idéalisme » et de la solidarité avec le gouvernement socialiste français. Le Parti du Travail saute sur l’occasion pour condamner l’attitude, en effet équivoque, des socialistes :

      ü Dubois était un socialiste actif. Le gouvernement français qui conduit contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance une guerre terrible et exterminatrice (l’abbé Pierre a dû protester la semaine dernière contre la terreur et les tortures qui sont les instruments principaux de la police française en Algérie) est un gouvernement socialiste. Le président du Conseil Mollet et le ministre responsable de l’Algérie, Lacoste, sont socialistes. Le parti socialiste suisse a interdit au Peuple, son quotidien romand, de publier des articles condamnant la guerre d’Algérie, ce qui a provoqué la démission du chroniqueur régulier Edmont Privat. Le dirigeant socialiste Camille Brandt a écrit que la politique de Lacoste en Algérie était « socialiste » et qu’elle était « la seule juste ». Le Parti socialiste suisse, qui a hurlé contre l’URSS à l’occasion des événements de Hongrie, n’a pas protesté contre l’agression antiégyptienne ni contre la guerre d’Algérie. La trahison de Dubois se situe dans un contexte politique qui donne à réfléchir. (…) que la pourriture touche les partis gouvernementaux (…), que l’espion Ulrich soit chrétien-social, voilà qui est dans l’ordre des choses. Mais qu’un haut personnage socialiste trahisse le pays, c’est un affront au peuple suisse particulièrement douloureux.

      La Vérité, supplément périodique genevois de La Voix Ouvrière, Genève, mars 1957

      Et le Parti du Travail de conclure suavement que si les « scandales » ont touché tous les partis, il est lui-même l’exception à cette règle : « Les agents de l’étranger, ce n’est pas chez nous qu’on les trouve. Les traîtres au pays, il n’y en a point dans nos rangs. Qui peut en dire autant ? »

      De l’ « Affaire Dubois » aux « bons offices »
      L’Affaire Dubois prend la Suisse à contre-pied de l’évolution de sa diplomatie et de son opinion publique, vers des positions moins systématiquement défavorables à la cause algérienne, quelles que soient les prudences de la Suisse officielle et les contradictions de la gauche. En Romandie, le mouvement d’émancipation algérien a trouvé de nombreux défenseurs : le journaliste Charles-Henri Favrod prend sa défense dans la très bourgeoise Gazette de Lausanne et son collègue de la radio Jean-Pierre Goretta souligne la réalité d’un soulèvement que la thèse officielle française s’efforce de réduire à du terrorisme et du brigandage, et cette absence de parti pris est déjà un engagement.

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      • #4
        Plus tard, l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle provoquera une intense mobilisation diplomatique dont la Suisse sera l’un des théâtres privilégiés et les Suisses des acteurs fort disponibles. De Gaulle n’ignore pas qu’une victoire militaire sur la « rébellion » ne réglera rien et le FLN n’a pas la possibilité d’emporter la solution par les armes. Si la négociation s’impose, la France ne reconnaît pas la légitimité du FLN. On négociera donc secrètement, en cherchant un intermédiaire neutre et discret après l’échec des pourparlers de Melun. Cet intermédiaire sera suisse –en fait, il sera la Suisse elle-même.



        En automne 1960, Tayeb Boulahrouf, au nom du FLN, prend contact avec le diplomate suisse Olivier Long et lui demande de sonder le gouvernement français. Après en avoir référé à Max Petitpierre et obtenu de lui l’autorisation de le faire « à titre personnel, sans engager la Confédération », Long contacte le ministre français des Affaires algériennes, Louis Joxe. Une première rencontre a lieu de 20 février 1961 en Suisse centrale : elle réunit Ahmed Boumendjel, Tayeb Boulahrouf, Bruno de Leusse et Georges Pompidou. Parallèlement, une autre filière se met en place, à la faveur de la concurrence régnant au sein du gouvernement français entre ministres désireux de s’illustrer dans la conclusion de la paix en Algérie : le Premier ministre Michel Debré « double » son propre ministre des Affaires algériennes en chargeant son émissaire personnel, Claude Chayet, de rencontrer à Genève le ministre des Affaires étrangères du GPRA, Saad Dahlab, par l’entremise de Charles-Henri Favrod.

        De rencontres clandestines en négociations officieuses, la France et le FLN finissent par convenir de négociations officielles, qui s’ouvriront le 20 mai 1961 à Evian, une localité répondant à l’exigence française que la conférence se déroule sur le territoire national, et à la volonté des Algériens de résider en terrain neutre. Les représentants du FLN seront pris en charge et protégés par les autorités helvétiques et amenés chaque jour à Evian par des hélicoptères de l’armée suisse. Après cinq mois de dialogues de sourds, les négociations sont rompues. La diplomatie « secrète » reprend le pas sur la diplomatie officielle, et c’est dans un chalet jurassien, aux Rousses –toujours à la frontière franco-suisse- que les tractations reprennent, les délégués algériens convoyés par des policiers suisses, la résidence vaudoise de la délégation algérienne placée sous la surveillance de l’armée fédérale. Le 18 mars 1962, enfin, Louis Joxe et Krim Belkacem signent les accords qui mettent fin à huit ans de guerre et à 130 ans de colonisation.



        La Suisse aura finalement joué un rôle exceptionnellement actif (voir infra, les rapports des représentants diplomatiques suisses engagés dans cette action). Les sympathies pro-arabes de quelques politiciens, ni la francophobie de certains décideurs alémaniques, n’expliquent un tel engagement. Le calcul économique, habituellement si déterminant, n’a pas davantage joué un rôle prioritaire. La raison de ce soutien de la Suisse officielle à la cause algérienne est bien l’engagement de l’opinion publique, du moins de sa part la plus « éclairée ». Certes, la guerre d’Algérie n’a pas eu (ethnocentrisme oblige) l’impact émotionnel massif des événements de Hongrie, mais elle a mobilisé des centaines de citoyens, surtout romands et souvent des intellectuels, aux côtés des Algériens (mais aussi quelques dizaines aux côtés des ultras de l’Algérie française). Un Max Petitpierre (Conseiller fédéral, en charge des Affaires étrangères) ne pouvait pas rester insensible à cette mobilisation, dépassant largement le cercle des militants « anticolonialistes » de gauche : romand, il a sans doute bien mieux que ses collègues alémaniques mesuré le hiatus survenu entre la partie francophone du pays et la France en tant que référence culturelle et politique ; en charge de la politique étrangère de la Suisse, il disposait des moyens d’engager la Confédération dans un travail de « facilitation » (comme on le redira plus de quarante ans après, lorsque la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey engagera, elle aussi, la Suisse dans un travail comparable, mais plus difficile encore, autour de l’ « Initiative de Genève » pour une paix négociée entre Palestiniens et Israéliens…).



        Une solidarité multiforme, des militants de toutes tendances
        Il y eut plusieurs manières de manifester en Suisse sa solidarité avec le mouvement algérien, et plusieurs types de solidarité : « porteurs de valises » au service du FLN, publicistes, éditeurs et imprimeurs, « passeurs » de réfugiés, réseaux (ou individus) hébergeant des militants algériens ou des réfractaires français… Si les sensibilités de gauche furent, logiquement, majoritaires dans ce mouvement de solidarité, elles n’y furent pas seules, ainsi qu’en témoigne Marie-Madeleine Brumagne :

        ü Les sympathies allaient au-delà des clivages politiques. Il s’agissait bien plutôt de l’engagement d’hommes à l’égard d’autres hommes qu’on traitait par le mépris et le racisme (…). Mon engagement était personnel.

        in Le Courrier du 2 février 1985

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        • #5
          Les « porteurs de valises » n’étaient pas nombreux : une cinquantaine, estime M.-M. Brumagne, qui publiait à l’époque un petit bulletin d’information (le Bulletin antiraciste et anticolonialiste). Nombre d’entre eux avaient déjà mené le même combat pour la Résistance française entre 1940 et 1944 ; il en va d’ailleurs de même pour ceux qui hébergèrent des nationalistes algériens ou des déserteurs français (le statut d’objecteur de conscience n’existant pas encore en France). Ils furent deux à trois cent, les réfractaires français réfugiés en Suisse, les uns cherchant surtout à s’y faire oublier, les autres s’engageant aux côtés des Algériens :

          ü (Certains) furent de simples courroies de transmission. Ils assuraient un soutien moral, surtout, et matériel aux Algériens. D’autres (…), qui faisaient un travail de permanents dans Jeune Résistance (le réseau des réfractaires) ou dans le MAF (un réseau de soutien politique au FLN), furent très proches du Front, sans jamais pourtant s’y intégrer (notamment) parce que le FLN a farouchement défendu sa composition exclusivement algérienne.

          Chantal Thévenoz, Les Genevois et l’Algérie, in Dossiers Publics, novembre-décembre 1987

          D’autres Français encore sont plus directement engagés dans le conflit, regroupés dans les réseaux de soutien au FLN comme le fameux « Réseau Jeanson ». Ces militants trouveront, eux aussi, soutien et solidarité en Suisse.



          Dans l’article qu’elle consacre aux « Genevois et l’Algérie », Chantal Thévenoz pose la question : « quelle signification éthique ou politique a pu avoir alors la « cause algérienne » pour les Genevois, de tous les milieux sociaux, qui hébergèrent des militants, « portèrent les valises » de documents et d’argent (…), traversèrent les frontières » ? Ces « Genevois » (au sens large) répondent eux-mêmes, par la voix d’Isabelle Vichniac : « Les Algériens étaient objectivement des victimes, ils subissaient une injustice évidente. C’était aussi l’injustice la plus proche à secourir ». Dans sa simplicité humaniste, cette explication est sans doute la plus crédible : ils venaient en effet d’horizons politiques fort différents, et étaient animés de motivations parfois contradictoires, celles et ceux qui se mobilisèrent aux côtés du mouvement national algérien, quels que pussent être leurs sentiments à l’égard des stratégies suivies par le FLN, notamment à l’égard des autres composantes du mouvement national (en particulier les messalistes), mais aussi des composantes « non musulmanes » du peuple algérien. Il y eut certes des engagements pleinement politiques et revendiqués comme tels, basés sur une « analyse concrète de la situation concrète » et sur le principe du droit des peuples à l’autodétermination, mais il y eut surtout des engagements éthiques, une « insurrection des consciences » face à la pratique de la torture et de la répression de masse par la France. Il y eut enfin, de la part des militants français mais aussi de la part de ces Romands toujours plus francophiles que les Français eux-mêmes, une protestation par l’acte contre la politique française, au nom des valeurs françaises (liberté, égalité, fraternité…) : « On ne peut pas laisser faire cela, la torture, les massacres, par un pays civilisé, et surtout pas par ce pays-là ! ».

          Documents diplomatiques suisses sur la Guerre d’Algérie
          (source : Archives diplomatiques suisses )
          Dernière modification par mohoo, 29 mars 2007, 21h45.

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