e r’bit (action de nouer) ou tasfih (action de blinder) ou tesskar (action de fermer) est une pratique sociale qui reste vivace en Algérie. Le terme de « ferrure » a été proposé dans la description de ce rituel par Bourdieu (1972) dans une étude effectuée sur l’ethnologie kabyle. La personne qui le subit est dite marbouta (nouée), m’safha (blindée), m’sakra (fermée). C’est un rituel de protection de la virginité qui est souvent pratiqué très tôt chez la fillette (dès 4 ans). Cette pratique s’applique aussi à l’homme : on dit d’un nouveau marié qu’il est « marbout » pour signifier la cause magique de son échec à accomplir la défloration. De même qu’une jeune fille est dite « marbouta » quand elle ne peut être déflorée sans que le sortilège n’ait été levé.
2C’est l’observation de tatouages étranges sur les cuisses de l’enfant à la maternelle qui a motivé cette étude chez des psychologues, dont l’une d’elle dirige une école maternelle à Oum El Bouagui (est algérien). Ce travail a été mené en 2003 dans le cadre d’une recherche universitaire en psychopatho logie sociale, mais eu égard au thème il se situe à l’intersection d’une approche psychologique, anthropologique, sociologique et historique. Il s’agit d’une étude prospective qui concerne une pratique peu connue et sur laquelle aucun travail psychologique n’a été effectué. La recherche a été menée dans deux villes de l’est algérien (Oum El Bouagui et Constantine) où se sont déroulés des entretiens avec des mères ayant pratiqué le rite sur leur fillette [1]
[1]
Le rituel du r’bit
Les conditions qui y président
3Elles diffèrent d’une région du pays à une autre. Cependant nous pouvons en relever des points communs : le rituel se pratique avant la puberté et après l’acquisition du langage pour que l’enfant puisse répéter les phrases du rituel ; il doit se faire avant l’entrée au jardin d’enfant ou à l’école, qui sont considérés comme présentant des facteurs de risque pour la virginité ; le cercle est strictement féminin et la personne (une vieille femme de la famille ou du voisinage) qui a réalisé le rite de fermeture doit assurer le rite d’ouverture. Il faut aussi conserver à l’abri de tout autre usage les outils-clés du rite afin de les retrouver intacts pour l’ouverture (lame de rasoir, cadenas avec clés, chutes de laine du métier à tisser, fibule, couteau pour le r’bit de l’homme…).
Les types de r’bit
4Nous désignerons, comme c’est l’usage, les types de r’bit par l’outil qui en permet la réalisation :
La Seddaya ou Mensedj (métier à tisser)
5Une fois le travail de tissage terminé, le tapis est extrait du métier à tisser et la fillette effectue sept sauts de l’extérieur vers l’intérieur de l’outil en répétant la phrase suivante : « Ana hit, ould ennas khit [Je suis un mur et le fils d’autrui est un fil]. » Ceci pour le rite de fermeture.
6L’action est inversée lors du rite d’ouverture qui doit être effectué avant le mariage de la jeune fille. Celle-ci doit effectuer sept sauts de l’intérieur vers l’extérieur du métier à tisser en répétant la phrase et en inversant le sens : « Ana khit, ould ennas hit [Je suis un fil et le fils d’autrui est un mur]. » Cette expression annule le sortilège et indique que la défloration est désormais possible. Quelques fils du tapis terminé avaient été lors du rite de fermeture mélangés à du miel et à de la semoule « tamina » et donnés à manger à l’enfant ; les fils ont alors été conservés pour le rite d’ouverture où la même opération est répétée.
Les tatouages
7Deux formes de tatouages sont réalisés au cours de ce rite : l’incision en croix et les sept tatouages.
8Pour la première, une petite incision en forme de croix est faite sur la cuisse de la fillette (au-dessus du genou plus précisément) avec une lame de rasoir ou un bout de verre. Les quelques gouttes de sang écoulé sont nettoyées du bout du doigt et étalées sur le haut du palais de l’enfant qui répète la phrase : « Ya dem rokbti, sedli nokbti [Sang de mon genou, comble mon petit trou]. » Dans l’autre façon de procéder, de petites incisions (deux, trois, cinq ou sept) sont pratiquées sur les cuisses de la fillette. L’enfant doit répéter la même phrase que celle évoquée plus haut. Les incisions sont frottées avec du kohl pour demeurer visibles jusqu’au rite d’ouverture avant le mariage. Elles sont alors rouvertes.
La Chernia ou cadenas
9Le rituel consiste à ouvrir et à refermer sept fois de suite un cadenas à l’aide d’une clé qui est jalousement conservée jusqu’au rite d’ouverture. Cette pratique est effectuée sous les jambes légèrement écartées de l’enfant qui ne doit en aucun cas voir la clé. L’enfant répète la phrase « Ana khit ould ennass hit » et inversement pour le rite d’ouverture.
Le Sandoug ou coffre
10La pratique consiste à fermer et à ouvrir sept fois un coffre après y avoir fait asseoir la fillette. La fillette répète la phrase précédente.
La Khlala ou fibule
11Cette pratique consiste à mettre à tremper la fibule dans un bol exposé à la belle étoile toute la nuit. La fillette doit ensuite boire l’eau en sept gorgées par le biais de la fibule en répétant la phrase usuelle. Le même bol et la fibule sont conservés pour le rite d’ouverture.
12Après le mariage ce bol est retourné sur lui-même si l’on désire retarder une grossesse d’un an. Il est retourné sur lui-même autant de fois que d’années désirées.
Le couteau
13Il est surtout utilisé pour effectuer le rituel sur l’homme. On place un couteau ouvert sous un petit tapis. Après le passage de l’homme, le couteau est vite récupéré et fermé. La phrase usuelle est la suivante : « Rbattek ala koul enssa ghir alia [Je t’ai noué [2]
[2]
Noué : rendu impuissant. à l’égard de toutes les femmes sauf à l’égard de moi-même]. »
Le rite du r’bit : une origine rurale ?
14En dehors de l’ouvrage entièrement consacré au r’bit en Tunisie de Bendridi (2004), on trouve au Maghreb assez peu d’écrits sur le sujet. En Algérie, différents travaux traitent de la thématique du rite en relation avec les mutations sociales, le mariage et la défloration. La sphère sexuelle est ainsi étudiée avec des incursions dans le domaine magico-religieux ; cela caractérise le rituel du r’bit [3]
[3]
Toualbi (1984), Bourdieu (1972), Chebel (1995), Beddad (2002)…. Certaines études tunisiennes et marocaines, les seules que nous avons pu trouver sur la thématique du r’bit, présentent des développements plus importants sur le rituel en précisant le cadre et les règles qui le régissent ou en apportant des éléments précieux sur ses origines qui restent encore très confuses [4]
[4]
Khaznagi (1977), Benmiled (1988), Skhiri (1977,1990) pour la….
15Si la pratique du rite sous-tend une fonction religieuse défensive (Freud, 1965,1972 ; Caseneuve, 1971), un point commun accordé au r’bit dans les travaux cités plus haut porte sur sa seule fonction défensive. Le rituel du r’bit n’a pas de fonction religieuse. La question est de savoir à quelle motivation répondent les activités rituelles qui semblent ainsi échapper à l’ordre religieux. De là à être considérées comme bidaa (hérésie), il n’y a qu’un pas – la bidaa étant assimilée à une activité satanique.
16Le r’bit est présent aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Mais dans ce travail, ses origines rurales se dessinent. Les mères vivant dans les villes le considèrent comme un héritage transmis de génération en génération. Or toutes les mères ici sont originaires des Aurès. Cette origine rurale du rituel est évoquée dans le travail de Benmiled (1988) sur le tesfah en Tunisie. Ceci pour une raison qui semble plausible : la claustration des femmes et des filles en milieu citadin représente une sorte de protection et un moyen de sauvegarde de l’honneur et de la virginité. Cet enfermement a toujours en quelque sorte dispensé les mères d’avoir recours au rituel. Lorsque ce rituel est observé dans les villes, tout porte à croire que c’est le fait de ruraux devenus citadins. Benmiled (1988) écrit : « C’est la méthode de la claustration et de l’emprisonnement au foyer qui a été utilisée pour protéger la virginité des adolescentes. Par contre en milieu rural, de tout temps, les adolescentes se sont déplacées à l’extérieur, n’ont pas porté le voile et ont continuellement participé aux travaux agricoles et pastoraux qui sont des travaux mixtes, où les deux sexes sont ensemble pour travailler. » L’auteur fait remarquer que la crainte de la défloration étant plus que jamais présente au sein des sociétés rurales, celles-ci ont eu recours à ce rituel pour protéger les jeunes filles des éventuelles agressions sexuelles perpétrées sur elles lors des travaux aux champs. « Ainsi, le biais où le détour d’un rituel symbolique pour donner l’illusion aux deux sexes qu’en dehors du mariage aucune sexualité ne peut être possible » (Benmiled, 1988, p. 145 et 146).
Du côté des mères…
17Nous avons reporté sur le tableau suivant les éléments qui permettent d’identifier au mieux les mères ainsi que le rituel effectué.
18Bien que toutes les femmes parlent volontiers entre elles de ce rituel, avec force détails et interprétations, il n’a pas été facile de trouver des mères ayant effectué le rituel sur leurs filles disposées à en parler avec nous. Seules quatre femmes ont bien voulu le faire. L’une d’elles (Soltana) s’est présentée d’elle-même. Lors des entretiens, les mères sont invitées alors à en faire le récit ; cependant elles sont orientées de manière assez souple vers des axes de la recherche – le rituel et sa fantasmatique, la virginité, le rituel et la présence masculine.
Le r’bit : une dimension mythique ?
19Bien des questions se posent à propos du rituel du r’bit, de son origine, de ses aspects magiques, de sa situation en dehors de la norme religieuse, de l’aliénation des femmes qui le perpétuent, habitées qu’elles sont par la crainte de déshonneur, de l’homme, de la société.
20Cet article, qui a fait l’objet d’une communication lors d’une rencontre scientifique à Alger [5]
[5]
« Masculin/féminin et prise en charge », Journée annuelle de la…, a suscité une certaine révolte chez des femmes de l’assistance qui ont parlé d’« aliénation » chez les mères. Ceci semble bien refléter la dimension interculturelle revêtue par la communication. Les réactions de ces femmes algériennes ont placé d’emblée le sujet dans l’interculturalité. C’est un peu la position adoptée sur le r’bit par Ferhati (2007) dans son article sur les clôtures symboliques des Algériennes, où elle met en avant le caractère aliénant de ce rituel et se questionne sur la liberté des femmes.
21La construction de l’objet est laborieuse. Le thème est très peu référencé dans la littérature. Ainsi que nous l’avons dit, ce travail est une étude prospective dont l’objectif est plus de donner à penser, à réfléchir que de trouver du sens et des interprétations – qui relèveraient d’autres études. Il nous semble bien, pourtant, à la lumière des récits des mères, de leur croyance, de leur angoisse, de l’analyse de leur défense contre cette angoisse, qu’un mythe s’est construit là où la peur et l’interdit ont commencé. Considérer le mythe tel que défini dans la perspective d’une thérapie familiale nous permet d’apporter quelques éclaircissements sur ce rituel et sur sa transmission.
2C’est l’observation de tatouages étranges sur les cuisses de l’enfant à la maternelle qui a motivé cette étude chez des psychologues, dont l’une d’elle dirige une école maternelle à Oum El Bouagui (est algérien). Ce travail a été mené en 2003 dans le cadre d’une recherche universitaire en psychopatho logie sociale, mais eu égard au thème il se situe à l’intersection d’une approche psychologique, anthropologique, sociologique et historique. Il s’agit d’une étude prospective qui concerne une pratique peu connue et sur laquelle aucun travail psychologique n’a été effectué. La recherche a été menée dans deux villes de l’est algérien (Oum El Bouagui et Constantine) où se sont déroulés des entretiens avec des mères ayant pratiqué le rite sur leur fillette [1]
[1]
Le rituel du r’bit
Les conditions qui y président
3Elles diffèrent d’une région du pays à une autre. Cependant nous pouvons en relever des points communs : le rituel se pratique avant la puberté et après l’acquisition du langage pour que l’enfant puisse répéter les phrases du rituel ; il doit se faire avant l’entrée au jardin d’enfant ou à l’école, qui sont considérés comme présentant des facteurs de risque pour la virginité ; le cercle est strictement féminin et la personne (une vieille femme de la famille ou du voisinage) qui a réalisé le rite de fermeture doit assurer le rite d’ouverture. Il faut aussi conserver à l’abri de tout autre usage les outils-clés du rite afin de les retrouver intacts pour l’ouverture (lame de rasoir, cadenas avec clés, chutes de laine du métier à tisser, fibule, couteau pour le r’bit de l’homme…).
Les types de r’bit
4Nous désignerons, comme c’est l’usage, les types de r’bit par l’outil qui en permet la réalisation :
La Seddaya ou Mensedj (métier à tisser)
5Une fois le travail de tissage terminé, le tapis est extrait du métier à tisser et la fillette effectue sept sauts de l’extérieur vers l’intérieur de l’outil en répétant la phrase suivante : « Ana hit, ould ennas khit [Je suis un mur et le fils d’autrui est un fil]. » Ceci pour le rite de fermeture.
6L’action est inversée lors du rite d’ouverture qui doit être effectué avant le mariage de la jeune fille. Celle-ci doit effectuer sept sauts de l’intérieur vers l’extérieur du métier à tisser en répétant la phrase et en inversant le sens : « Ana khit, ould ennas hit [Je suis un fil et le fils d’autrui est un mur]. » Cette expression annule le sortilège et indique que la défloration est désormais possible. Quelques fils du tapis terminé avaient été lors du rite de fermeture mélangés à du miel et à de la semoule « tamina » et donnés à manger à l’enfant ; les fils ont alors été conservés pour le rite d’ouverture où la même opération est répétée.
Les tatouages
7Deux formes de tatouages sont réalisés au cours de ce rite : l’incision en croix et les sept tatouages.
8Pour la première, une petite incision en forme de croix est faite sur la cuisse de la fillette (au-dessus du genou plus précisément) avec une lame de rasoir ou un bout de verre. Les quelques gouttes de sang écoulé sont nettoyées du bout du doigt et étalées sur le haut du palais de l’enfant qui répète la phrase : « Ya dem rokbti, sedli nokbti [Sang de mon genou, comble mon petit trou]. » Dans l’autre façon de procéder, de petites incisions (deux, trois, cinq ou sept) sont pratiquées sur les cuisses de la fillette. L’enfant doit répéter la même phrase que celle évoquée plus haut. Les incisions sont frottées avec du kohl pour demeurer visibles jusqu’au rite d’ouverture avant le mariage. Elles sont alors rouvertes.
La Chernia ou cadenas
9Le rituel consiste à ouvrir et à refermer sept fois de suite un cadenas à l’aide d’une clé qui est jalousement conservée jusqu’au rite d’ouverture. Cette pratique est effectuée sous les jambes légèrement écartées de l’enfant qui ne doit en aucun cas voir la clé. L’enfant répète la phrase « Ana khit ould ennass hit » et inversement pour le rite d’ouverture.
Le Sandoug ou coffre
10La pratique consiste à fermer et à ouvrir sept fois un coffre après y avoir fait asseoir la fillette. La fillette répète la phrase précédente.
La Khlala ou fibule
11Cette pratique consiste à mettre à tremper la fibule dans un bol exposé à la belle étoile toute la nuit. La fillette doit ensuite boire l’eau en sept gorgées par le biais de la fibule en répétant la phrase usuelle. Le même bol et la fibule sont conservés pour le rite d’ouverture.
12Après le mariage ce bol est retourné sur lui-même si l’on désire retarder une grossesse d’un an. Il est retourné sur lui-même autant de fois que d’années désirées.
Le couteau
13Il est surtout utilisé pour effectuer le rituel sur l’homme. On place un couteau ouvert sous un petit tapis. Après le passage de l’homme, le couteau est vite récupéré et fermé. La phrase usuelle est la suivante : « Rbattek ala koul enssa ghir alia [Je t’ai noué [2]
[2]
Noué : rendu impuissant. à l’égard de toutes les femmes sauf à l’égard de moi-même]. »
Le rite du r’bit : une origine rurale ?
14En dehors de l’ouvrage entièrement consacré au r’bit en Tunisie de Bendridi (2004), on trouve au Maghreb assez peu d’écrits sur le sujet. En Algérie, différents travaux traitent de la thématique du rite en relation avec les mutations sociales, le mariage et la défloration. La sphère sexuelle est ainsi étudiée avec des incursions dans le domaine magico-religieux ; cela caractérise le rituel du r’bit [3]
[3]
Toualbi (1984), Bourdieu (1972), Chebel (1995), Beddad (2002)…. Certaines études tunisiennes et marocaines, les seules que nous avons pu trouver sur la thématique du r’bit, présentent des développements plus importants sur le rituel en précisant le cadre et les règles qui le régissent ou en apportant des éléments précieux sur ses origines qui restent encore très confuses [4]
[4]
Khaznagi (1977), Benmiled (1988), Skhiri (1977,1990) pour la….
15Si la pratique du rite sous-tend une fonction religieuse défensive (Freud, 1965,1972 ; Caseneuve, 1971), un point commun accordé au r’bit dans les travaux cités plus haut porte sur sa seule fonction défensive. Le rituel du r’bit n’a pas de fonction religieuse. La question est de savoir à quelle motivation répondent les activités rituelles qui semblent ainsi échapper à l’ordre religieux. De là à être considérées comme bidaa (hérésie), il n’y a qu’un pas – la bidaa étant assimilée à une activité satanique.
16Le r’bit est présent aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Mais dans ce travail, ses origines rurales se dessinent. Les mères vivant dans les villes le considèrent comme un héritage transmis de génération en génération. Or toutes les mères ici sont originaires des Aurès. Cette origine rurale du rituel est évoquée dans le travail de Benmiled (1988) sur le tesfah en Tunisie. Ceci pour une raison qui semble plausible : la claustration des femmes et des filles en milieu citadin représente une sorte de protection et un moyen de sauvegarde de l’honneur et de la virginité. Cet enfermement a toujours en quelque sorte dispensé les mères d’avoir recours au rituel. Lorsque ce rituel est observé dans les villes, tout porte à croire que c’est le fait de ruraux devenus citadins. Benmiled (1988) écrit : « C’est la méthode de la claustration et de l’emprisonnement au foyer qui a été utilisée pour protéger la virginité des adolescentes. Par contre en milieu rural, de tout temps, les adolescentes se sont déplacées à l’extérieur, n’ont pas porté le voile et ont continuellement participé aux travaux agricoles et pastoraux qui sont des travaux mixtes, où les deux sexes sont ensemble pour travailler. » L’auteur fait remarquer que la crainte de la défloration étant plus que jamais présente au sein des sociétés rurales, celles-ci ont eu recours à ce rituel pour protéger les jeunes filles des éventuelles agressions sexuelles perpétrées sur elles lors des travaux aux champs. « Ainsi, le biais où le détour d’un rituel symbolique pour donner l’illusion aux deux sexes qu’en dehors du mariage aucune sexualité ne peut être possible » (Benmiled, 1988, p. 145 et 146).
Du côté des mères…
17Nous avons reporté sur le tableau suivant les éléments qui permettent d’identifier au mieux les mères ainsi que le rituel effectué.
18Bien que toutes les femmes parlent volontiers entre elles de ce rituel, avec force détails et interprétations, il n’a pas été facile de trouver des mères ayant effectué le rituel sur leurs filles disposées à en parler avec nous. Seules quatre femmes ont bien voulu le faire. L’une d’elles (Soltana) s’est présentée d’elle-même. Lors des entretiens, les mères sont invitées alors à en faire le récit ; cependant elles sont orientées de manière assez souple vers des axes de la recherche – le rituel et sa fantasmatique, la virginité, le rituel et la présence masculine.
Le r’bit : une dimension mythique ?
19Bien des questions se posent à propos du rituel du r’bit, de son origine, de ses aspects magiques, de sa situation en dehors de la norme religieuse, de l’aliénation des femmes qui le perpétuent, habitées qu’elles sont par la crainte de déshonneur, de l’homme, de la société.
20Cet article, qui a fait l’objet d’une communication lors d’une rencontre scientifique à Alger [5]
[5]
« Masculin/féminin et prise en charge », Journée annuelle de la…, a suscité une certaine révolte chez des femmes de l’assistance qui ont parlé d’« aliénation » chez les mères. Ceci semble bien refléter la dimension interculturelle revêtue par la communication. Les réactions de ces femmes algériennes ont placé d’emblée le sujet dans l’interculturalité. C’est un peu la position adoptée sur le r’bit par Ferhati (2007) dans son article sur les clôtures symboliques des Algériennes, où elle met en avant le caractère aliénant de ce rituel et se questionne sur la liberté des femmes.
21La construction de l’objet est laborieuse. Le thème est très peu référencé dans la littérature. Ainsi que nous l’avons dit, ce travail est une étude prospective dont l’objectif est plus de donner à penser, à réfléchir que de trouver du sens et des interprétations – qui relèveraient d’autres études. Il nous semble bien, pourtant, à la lumière des récits des mères, de leur croyance, de leur angoisse, de l’analyse de leur défense contre cette angoisse, qu’un mythe s’est construit là où la peur et l’interdit ont commencé. Considérer le mythe tel que défini dans la perspective d’une thérapie familiale nous permet d’apporter quelques éclaircissements sur ce rituel et sur sa transmission.
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