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Je n'aime pas la poésie

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  • Je n'aime pas la poésie

    Voici un peu notre histoire
    On nous tua
    Longtemps, à chaque fois


    Tous nos ancêtres saignent et attendent au bout de nos langues
    Tous avaient une pierre tombale entre les dents, même avant les dents
    Et tous ont, à peine, touché terre après la naissance
    Avant de rebondir vers un ciel et un oubli
    A peine l’âge d’un nuage
    Qui donne et s’en va

    Puis on se tua les uns les autres
    Car on était un pays libre
    Libre de nous entretuer
    On a donc rejoué aux morts et aux survivants
    Comme à chaque fois
    Nous avions un drapeau mais pas de but
    Il y a eu brusquement trop de Dieux et trop de prophètes
    Et donc beaucoup de fins de mondes et de jugements derniers.

    Puis on s’assit et on tua le temps
    Le temps n’a pas de cadavre
    Nous sommes ses cadavres
    Quand on le tue, c’est nous qui pourrissons

    Nous sommes passés du djoundi au bandit
    Du colonel à l’Emir
    De l’Emir au cheikh
    Puis du cheikh au muezzin
    Vin
    Pain
    Chaloupes ou la mort
    Chacun a creusé un trou
    L’un pour retrouver son ancêtre
    L’autre pour déboucher dans le paradis
    L’autre pour ressortir, de nuit, en Espagne
    L’autre pour trouver de l’argent ou l’enfouir
    L’un pour enterrer les femmes
    L’autre pour trouer la terre et l’envoyer au fond des eaux

    Le pays est vaste mais dès qu’on voyage
    On sait qu’il est étroit
    Pourquoi ?
    Parce que personne n’y vit
    Personne n’y meurt
    On est tous ensemble, depuis trois mille ans, assis au même endroit
    On est enfermé
    Le reste du monde on l’appelle «El kharedj»
    C’est à dire l’Extérieur
    Car nous sommes enfermés

    On est passé de la Révolution à la distribution
    Puis à la prière
    Puis au sachet
    Puis à la lapidation
    Puis à la lâcheté, la peur, la servilité, l’indignité
    Nous sommes à «l’Intérieur» mais chacun à l’intérieur de lui-même
    Le pays est la tête de chacun et
    La tête de chacun est posée sur une étagère ou un tapis
    On n’a plus d’ombre dans ce pays, ni de poids, ni de mesures
    Il y a bien un drapeau et une histoire mais
    Il n’y a plus de vent pour les faire bouger
    Il n’y a plus de sol
    La terre est une poignée et l’hymne du barbelé

    Il y a encore le souvenir des armes
    Mais c’est pour se suicider ou s’entretuer
    Il y a la mer
    Mais personne n’a de corps et les femmes n’ont plus
    de visages ni de cheveux
    Nous sommes descendus des maquis pour remonter dans des minarets
    Et on a laissé nos enfants jouer dans un terrain vague
    Si vague qu’ils finissent par ne plus venir au monde
    Seulement, au ciel, l’enjamber

    Je n’aime pas la poésie
    Car elle ne meurt pas
    Et moi si.


    Kamel DAOUD





    Puissent ces derniers évènements rebondir
    sur de la paix ,

    la tolérance

    et une fin joyeuse...
    Dernière modification par Strange_R, 10 novembre 2019, 15h29.

  • #2
    Je n'aime pas.
    Pour une fois que je n'aime pas du Kamel Daoud

    Commentaire

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