Algérie : Répression accrue contre les manifestants
Des dirigeants du mouvement pro-démocratie ont été arrêtés avant la tenue de l’élection présidentielle dans des circonstances controversées
14 nov 2019
(Beyrouth) – Les autorités algériennes ont arrêté de nombreux activistes du mouvement pro-démocratie depuis septembre 2019, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux sont toujours détenus sur la base d’accusations vagues comme « atteinte à l’unité nationale » et « entreprise de démoralisation de l’armée ». Les autorités devraient immédiatement remettre en liberté sans conditions les activistes pacifiques et respecter les droits aux libertés d’expression et de réunion de tous les Algériens.
« Cette vague d’arrestations semble s’inscrire dans une stratégie visant à affaiblir toute tentative d’opposition aux dirigeants intérimaires de l’Algérie, et à leur volonté de tenir une élection présidentielle le 12 décembre », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités prétendent que cette élection prévue ouvrira une nouvelle ère pour la démocratie en Algérie, mais il n’y a rien de démocratique dans cette répression généralisée des détracteurs du gouvernement. »
Un mouvement de protestation, connu sous le nom de Hirak (« Mouvement » en arabe), s’est formé en février, initialement dans le but de s’opposer au projet du président Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat, et a depuis lors continué sur son élan en organisant de vastes manifestations tous les vendredis afin d’appeler au départ de l’actuel gouvernement et à la mise en place d’un cadre politique plus pluraliste et inclusif pour préparer le pays à des élections libres. Les autorités ont tout d’abord toléré ces manifestations mais, à partir de juin, ont commencé à arrêter des groupes de manifestants, dont au moins 40 pour avoir brandi le drapeau des Amazighs, symbole de cette importante communauté ethnique qui, jusqu’alors, avait été toléré.
Les autorités ont poursuivi en justice quelques personnalités en vue du mouvement Hirak, comme Lakhdar Bouregga, un ancien combattant de la guerre d’indépendance algérienne, à partir de juin, et ont intensifié la répression depuis septembre. Les autorités ont inculpé les dirigeants du mouvement, les accusant de menacer la sûreté de l’État, l’unité nationale et l’intégrité du territoire, d’avoir appelé à un rassemblement illégal et d’atteinte au moral de l’armée. Au moins 13 de ces dirigeants sont en détention préventive, tandis que d’autres sont en liberté dans l’attente d’un procès.
Le président Bouteflika a démissionné le 2 avril, deux semaines avant la date prévue de l’élection présidentielle, laquelle a alors été reportée. Le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, l’a remplacé et les autorités ont fixé la nouvelle élection présidentielle au 4 juillet, avant de la reporter une nouvelle fois. Le 15 septembre, Bensalah a annoncé que le scrutin se tiendrait le 12 décembre.
Depuis la démission de Bouteflika, l’homme qu’il avait nommé chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, est considéré comme le nouvel homme fort de l’Algérie. Gaïd Salah a publiquement décrié le mouvement de protestation. Le 18 septembre, peu après l’annonce de la nouvelle date de l’élection, il a affirmé qu’une organisation criminelle aux intentions malveillantes tentait d’empêcher l’élection de se tenir et a donné aux forces de sécurité toute latitude pour protéger le processus électoral d’un « complot. »
Le 10 octobre, les autorités ont arrêté Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), une association active au sein du mouvement de protestation. Il est détenu à la prison de Harrach à Alger en compagnie de neuf autres membres de l’association, dont l’un de ses fondateurs, Hakim Addad.
Le 26 septembre, les services de renseignement militaires ont arrêté Karim Tabbou, une personnalité en vue de l’opposition. Il est l’ancien secrétaire général d’un important parti d’opposition, le Front des Forces Socialistes (FFS), et dirige actuellement un parti non reconnu officiellement. Il est détenu à la prison de Kolea, dans l’attente de son procès sous les accusations d’atteinte à l’intérêt national et de recrutement de mercenaires pour le compte de puissances étrangères.
Le 16 septembre, la police a arrêté Samir Belarbi, et deux jours plus tard Fodil Boumala, des dirigeants du Hirak qui s’exprimaient régulièrement dans les médias nationaux et internationaux. Ils ont été déférés devant deux tribunaux différents à Alger et inculpés d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » et de « distribution de documents de nature à nuire à l’intérêt national », en vertu des articles 79 et 96, respectivement, du code pénal.
Les autorités ont également pris pour cible des journalistes qui ont couvert les manifestations. Saïd Boudour, un journaliste d’Oran membre de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, et Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du quotidien d’Annaba Le Provincial, ont été arrêtés, puis remis en liberté dans l’attente d’un procès.
Des procès-verbaux de police versés aux dossiers judiciaires dans certaines de ces affaires montrent qu’une brigade spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité surveille les activités sur les réseaux sociaux de certains dirigeants du mouvement. Les rapports issus de ces activités de surveillance forment la base d’accusations à la formulation vague d’atteinte à la sûreté de l’État ou à l’unité nationale.
Le 11 novembre, le tribunal de Sidi M’hamed à Alger a entamé le procès de 42 activistes inculpés d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » aux termes de l’article 79 du code pénal, pour avoir brandi le drapeau amazigh, a déclaré Kaci Tansaout, un porte-parole du Comité national pour la libération des détenus, organisation créée le 26 août par des activistes et des avocats afin de prendre la défense des personnes arrêtées lors des manifestations.
Activistes détenus
Le 10 octobre, Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une organisation non gouvernementale très impliquée dans le mouvement de protestation en Algérie, a participé à une manifestation assise devant le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, en signe de solidarité avec les personnes arrêtées pour l’expression pacifique de leurs opinions. Peu avant la fin de la réunion, un groupe de policiers en civil a arrêté Fersaoui, a déclaré son avocat, Sofiane Ikken, à Human Rights Watch.
Selon Sofiane Ikken, le procès-verbal de police indique que Fersaoui était sous surveillance policière car il avait publié des écrits sur Facebook et participé à des manifestations appelant à un changement de régime et à une transition démocratique. La police affirme que ses affichages sur Facebook, dans lesquels il exigeait la remise en liberté des personnes emprisonnées pour délit d’opinion et l’instauration d’une période de transition avant toute élection et soutenait l’organisation d’une grève générale à Bejaia, ainsi que plusieurs interviews sur les chaînes de télévision nationales et internationales, dans lesquels il critiquait l’armée et la justice, sont des preuves qu’il porte atteinte à la sûreté de l’État et incite à contester les autorités.
La Brigade de recherche et investigation a ouvert une enquête sur Fersaoui le jour de son arrestation et l’a déféré devant un procureur du Tribunal de première instance de Sidi M’hamed. Il a été inculpé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », crime passible d’une peine de prison de 1 à 10 ans selon l’article 79 du code pénal, et d’« entrave au transport de matériel militaire » afin de porter atteinte à la sûreté de l’État, crime passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison en vertu de l’article 74 du code pénal. Un juge d’instruction du même tribunal a ordonné sa mise en détention le même jour à la prison de Harrach.
Les autorités ont arrêté neuf autres membres du RAJ en septembre et octobre. Le 13 septembre, la police a arrêté Kheireddine Medjani et Wafi Tigrine dans un café à Alger, peu avant le début d’une manifestation du vendredi. Le 26 septembre, elle a arrêté Ahcene Kadi et Karim Boutata à Alger et les a aussitôt déférés devant le Tribunal de première instance de Sidi M’hamed. Le 4 octobre, les autorités ont arrêté Hakim Addad, un fondateur du RAJ, ainsi que Djalel Mokrani, Kamel Ould Ouali, Ahmed Bouider et Massinissa Aissous lors d’une manifestation pacifique.
Un procureur du Tribunal de première instance de Sidi M’hamed a inculpé ces neuf hommes d’appel à un attroupement illégal en vertu de l’article 97 du code pénal et d’atteinte à l’intégrité du territoire national aux termes de l’article 76, a déclaré leur avocat, Abderrahmane Salah, à Human Rights Watch. Un juge d’instruction a ordonné leur mise en détention à la prison de Harrach.
Des dirigeants du mouvement pro-démocratie ont été arrêtés avant la tenue de l’élection présidentielle dans des circonstances controversées
14 nov 2019
(Beyrouth) – Les autorités algériennes ont arrêté de nombreux activistes du mouvement pro-démocratie depuis septembre 2019, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux sont toujours détenus sur la base d’accusations vagues comme « atteinte à l’unité nationale » et « entreprise de démoralisation de l’armée ». Les autorités devraient immédiatement remettre en liberté sans conditions les activistes pacifiques et respecter les droits aux libertés d’expression et de réunion de tous les Algériens.
« Cette vague d’arrestations semble s’inscrire dans une stratégie visant à affaiblir toute tentative d’opposition aux dirigeants intérimaires de l’Algérie, et à leur volonté de tenir une élection présidentielle le 12 décembre », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités prétendent que cette élection prévue ouvrira une nouvelle ère pour la démocratie en Algérie, mais il n’y a rien de démocratique dans cette répression généralisée des détracteurs du gouvernement. »
Un mouvement de protestation, connu sous le nom de Hirak (« Mouvement » en arabe), s’est formé en février, initialement dans le but de s’opposer au projet du président Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat, et a depuis lors continué sur son élan en organisant de vastes manifestations tous les vendredis afin d’appeler au départ de l’actuel gouvernement et à la mise en place d’un cadre politique plus pluraliste et inclusif pour préparer le pays à des élections libres. Les autorités ont tout d’abord toléré ces manifestations mais, à partir de juin, ont commencé à arrêter des groupes de manifestants, dont au moins 40 pour avoir brandi le drapeau des Amazighs, symbole de cette importante communauté ethnique qui, jusqu’alors, avait été toléré.
Les autorités ont poursuivi en justice quelques personnalités en vue du mouvement Hirak, comme Lakhdar Bouregga, un ancien combattant de la guerre d’indépendance algérienne, à partir de juin, et ont intensifié la répression depuis septembre. Les autorités ont inculpé les dirigeants du mouvement, les accusant de menacer la sûreté de l’État, l’unité nationale et l’intégrité du territoire, d’avoir appelé à un rassemblement illégal et d’atteinte au moral de l’armée. Au moins 13 de ces dirigeants sont en détention préventive, tandis que d’autres sont en liberté dans l’attente d’un procès.
Le président Bouteflika a démissionné le 2 avril, deux semaines avant la date prévue de l’élection présidentielle, laquelle a alors été reportée. Le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, l’a remplacé et les autorités ont fixé la nouvelle élection présidentielle au 4 juillet, avant de la reporter une nouvelle fois. Le 15 septembre, Bensalah a annoncé que le scrutin se tiendrait le 12 décembre.
Depuis la démission de Bouteflika, l’homme qu’il avait nommé chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, est considéré comme le nouvel homme fort de l’Algérie. Gaïd Salah a publiquement décrié le mouvement de protestation. Le 18 septembre, peu après l’annonce de la nouvelle date de l’élection, il a affirmé qu’une organisation criminelle aux intentions malveillantes tentait d’empêcher l’élection de se tenir et a donné aux forces de sécurité toute latitude pour protéger le processus électoral d’un « complot. »
Le 10 octobre, les autorités ont arrêté Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), une association active au sein du mouvement de protestation. Il est détenu à la prison de Harrach à Alger en compagnie de neuf autres membres de l’association, dont l’un de ses fondateurs, Hakim Addad.
Le 26 septembre, les services de renseignement militaires ont arrêté Karim Tabbou, une personnalité en vue de l’opposition. Il est l’ancien secrétaire général d’un important parti d’opposition, le Front des Forces Socialistes (FFS), et dirige actuellement un parti non reconnu officiellement. Il est détenu à la prison de Kolea, dans l’attente de son procès sous les accusations d’atteinte à l’intérêt national et de recrutement de mercenaires pour le compte de puissances étrangères.
Le 16 septembre, la police a arrêté Samir Belarbi, et deux jours plus tard Fodil Boumala, des dirigeants du Hirak qui s’exprimaient régulièrement dans les médias nationaux et internationaux. Ils ont été déférés devant deux tribunaux différents à Alger et inculpés d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » et de « distribution de documents de nature à nuire à l’intérêt national », en vertu des articles 79 et 96, respectivement, du code pénal.
Les autorités ont également pris pour cible des journalistes qui ont couvert les manifestations. Saïd Boudour, un journaliste d’Oran membre de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, et Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du quotidien d’Annaba Le Provincial, ont été arrêtés, puis remis en liberté dans l’attente d’un procès.
Des procès-verbaux de police versés aux dossiers judiciaires dans certaines de ces affaires montrent qu’une brigade spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité surveille les activités sur les réseaux sociaux de certains dirigeants du mouvement. Les rapports issus de ces activités de surveillance forment la base d’accusations à la formulation vague d’atteinte à la sûreté de l’État ou à l’unité nationale.
Le 11 novembre, le tribunal de Sidi M’hamed à Alger a entamé le procès de 42 activistes inculpés d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » aux termes de l’article 79 du code pénal, pour avoir brandi le drapeau amazigh, a déclaré Kaci Tansaout, un porte-parole du Comité national pour la libération des détenus, organisation créée le 26 août par des activistes et des avocats afin de prendre la défense des personnes arrêtées lors des manifestations.
Activistes détenus
Le 10 octobre, Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une organisation non gouvernementale très impliquée dans le mouvement de protestation en Algérie, a participé à une manifestation assise devant le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, en signe de solidarité avec les personnes arrêtées pour l’expression pacifique de leurs opinions. Peu avant la fin de la réunion, un groupe de policiers en civil a arrêté Fersaoui, a déclaré son avocat, Sofiane Ikken, à Human Rights Watch.
Selon Sofiane Ikken, le procès-verbal de police indique que Fersaoui était sous surveillance policière car il avait publié des écrits sur Facebook et participé à des manifestations appelant à un changement de régime et à une transition démocratique. La police affirme que ses affichages sur Facebook, dans lesquels il exigeait la remise en liberté des personnes emprisonnées pour délit d’opinion et l’instauration d’une période de transition avant toute élection et soutenait l’organisation d’une grève générale à Bejaia, ainsi que plusieurs interviews sur les chaînes de télévision nationales et internationales, dans lesquels il critiquait l’armée et la justice, sont des preuves qu’il porte atteinte à la sûreté de l’État et incite à contester les autorités.
La Brigade de recherche et investigation a ouvert une enquête sur Fersaoui le jour de son arrestation et l’a déféré devant un procureur du Tribunal de première instance de Sidi M’hamed. Il a été inculpé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », crime passible d’une peine de prison de 1 à 10 ans selon l’article 79 du code pénal, et d’« entrave au transport de matériel militaire » afin de porter atteinte à la sûreté de l’État, crime passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison en vertu de l’article 74 du code pénal. Un juge d’instruction du même tribunal a ordonné sa mise en détention le même jour à la prison de Harrach.
Les autorités ont arrêté neuf autres membres du RAJ en septembre et octobre. Le 13 septembre, la police a arrêté Kheireddine Medjani et Wafi Tigrine dans un café à Alger, peu avant le début d’une manifestation du vendredi. Le 26 septembre, elle a arrêté Ahcene Kadi et Karim Boutata à Alger et les a aussitôt déférés devant le Tribunal de première instance de Sidi M’hamed. Le 4 octobre, les autorités ont arrêté Hakim Addad, un fondateur du RAJ, ainsi que Djalel Mokrani, Kamel Ould Ouali, Ahmed Bouider et Massinissa Aissous lors d’une manifestation pacifique.
Un procureur du Tribunal de première instance de Sidi M’hamed a inculpé ces neuf hommes d’appel à un attroupement illégal en vertu de l’article 97 du code pénal et d’atteinte à l’intégrité du territoire national aux termes de l’article 76, a déclaré leur avocat, Abderrahmane Salah, à Human Rights Watch. Un juge d’instruction a ordonné leur mise en détention à la prison de Harrach.
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