C’est en 1956, en pleine guerre de libération algérienne, que l’on a découvert, au Sahara, du pétrole à Edjeleh et Hassi Messaoud et du gaz à Hassi R’Mel. Il a fallu attendre six autres années avant que l’Algérie n’accède à l’indépendance. Y a-t-il relation de cause à effet entre ces découvertes et la durée de la guerre ? La réponse est malheureusement oui. Ces milliards de barils de pétrole et m3 de gaz, ont-ils été source de bonheur pour le peuple durant le demi-siècle d’indépendance que l’Algérie fête cette année ? Cela reste à prouver. Ils ont, par contre, permis à coup sûr aux équipes dirigeantes qui se sont succédé à la tête du pays durant la période d’asseoir et de renforcer leur pouvoir.
La co-souveraineté, nouvelle règle du jeu
A Evian, les Algériens avaient obtenu l’essentiel : l’indépendance avait été arrachée et l’intégrité territoriale garantie. Ils étaient donc disposés à concéder nombre de choses dans d’autres domaines, dont celui du pétrole et du gaz notamment. Le volet hydrocarbures des accords, signés le 18 mars 1962, prévoyait que « l’Algérie confirmait l’intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République Française… et s’engageait à respecter le droit pour le détenteur de titre minier et ses associés de disposer librement de leur production […] ». Les droits et privilèges exorbitants dont bénéficiaient les compagnies pétrolières entraînaient le renoncement à certains attributs de puissance publique, ce qui s’avèrera difficile à supporter pour l’Algérie indépendante, qui ne possédait ni les rouages administratifs rodés, ni les moyens de contrôle ou de coercition dont disposait l’ex-colonisateur. Par ailleurs et afin de garantir l’indépendance énergétique de l’Hexagone, tous les gouvernements français en place depuis les découvertes de 1956 avaient instauré une politique très protectionniste dans le secteur pétrolier ; de ce fait, n’étaient présentes au Sahara à l’indépendance en 1962, que des compagnies françaises, dont l’Etat était l’actionnaire majoritaire, voire unique, associées sur certains champs à des partenaires étrangers minoritaires. Cette situation fera de l’exploitation du pétrole et du gaz sahariens, au lendemain de l’indépendance, une affaire strictement algéro-française et sera source de conflits quasi-permanents. La plus grosse concession faite par les Algériens à Evian était celle instaurant la co-souveraineté dans l’exploitation des ressources pétrolières sahariennes. A la demande de la partie française, il avait été créé un organisme mixte de gestion et de contrôle de l’industrie pétrolière, dénommé Organisme Saharien (OS), au sein duquel les deux pays étaient représentés par un nombre égal d’administrateurs. Le gouvernement algérien avait donc les mains liées pour ce qui est de l’exploitation du pétrole saharien, tandis que la présence de cet écran dans les relations avec les compagnies rendait obsolètes certains de ses pouvoirs régaliens. L’affaire Trapal allait lui fournir le moyen de briser ce carcan. L’oléoduc à destination de Bejaïa étant saturé, les entreprises concessionnaires des champs de la région d’Hassi Messaoud s’associèrent au sein d’un consortium dénommé Trapal, auquel elles confièrent la tâche de construire un nouveau pipeline dont le terminal serait le petit port de pêche d’Arzew, à l’est d’Oran. En réponse à la demande de permis de construire déposée vers la fin de l’été 1962, le gouvernement algérien fit savoir qu’il souhaitait être associé au projet à concurrence de 51 %, alors que Trapal n’était disposé à céder qu’une participation de 10 à 20 %. Les discussions traînant en longueur, Ahmed Ben Bella et son équipe, composée de Belaïd Abdesselam et Bachir Boumaza, décidaient de prendre en charge la réalisation de l’ouvrage ; un pari osé compte tenu de la jeunesse et de l’inexpérience des responsables politiques et cadres de l’époque et du manque cruel de spécialistes pétroliers. S’ensuivit un bras-de-fer à l’issue duquel Trapal portait l’affaire devant le tribunal arbitral international prévu par les accords, tandis que le gouvernement algérien, désireux d’éviter l’imbroglio juridique qui pointait à l’horizon, créait le fait accompli en démarrant la pose de l’oléoduc. Il passait contrat, au début de l’automne 1963, avec l’entreprise britannique d’engineering Contractors John Brown pour la construction de l’ouvrage. Les caisses de l’Etat étaient vides, mais le prestige de l’Algérie dans le monde était tel que le financement du projet ne posa pas problème. L’Etat du Koweït accorda un prêt de 30 millions de dollars à des conditions très avantageuses et se porta garant de l’Algérie auprès de l’ECGD (Export Credit and Garantee Department) qui, à son tour, couvrait de sa garantie les crédits commerciaux proposés par les banques britanniques. Au tout début de 1964, arrivaient au port d’Alger les premiers tubes en provenance de Grande-Bretagne puis, vers la mi-1966, le terminal d’Arzew, sur la côte ouest du pays, recevait les premiers barils de pétrole en provenance de Hassi Messaoud.
L’affaire Trapal eut deux conséquences extrêmement importantes :
la création de l’outil qui allait gérer la construction et l’exploitation du pipeline, la Sonatrach (Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures) qui vit le jour le 31 décembre 1963 ;
puis, Trapal ayant soumis le différend à l’arbitrage international, le pouvoir algérien mettait à profit cette opportunité pour demander la remise à plat des dispositions arrêtées à Evian.
5La renégociation du volet pétrolier aboutit, le 29 juillet 1965, à la signature dans la capitale algérienne de « l’Accord d’Alger, portant règlement de questions touchant les hydrocarbures et le développement industriel de l’Algérie ». La principale disposition de cet accord était la création d’une association à parts égales, dite « Association coopérative » (ASCOOP), entre les compagnies nationales des deux pays, la Sonatrach et l’ERAP, à laquelle était attribuée une superficie de 180 000 km2 destinée à la recherche de pétrole et de gaz. La grande innovation du système était « la répartition globalement équilibrée du rôle d’opérateur » entre les deux entreprises, permettant ainsi à la Sonatrach de se lancer pour la première fois dans des opérations sur le terrain.
Dans le domaine du gaz, l’accord d’Alger en attribuait le monopole du transport, de la distribution et de la commercialisation à l’Algérie ; en vertu de cette disposition, était signé en mai 1967 un contrat de vente de 3,5 milliards de m3 par an de gaz algérien à la France. Le plus gros inconvénient de cet accord était qu’il reconduisait le principe déjà mis en place à Evian, la co-souveraineté sur les ressources pétrolières algériennes. En effet, tous les organismes qu’il avait créés étaient mixtes et paritaires. Même le prix de cession du gaz à la Sonatrach au départ du gisement d’Hassi R’Mel, par la compagnie française opératrice du champ, était calculé par une commission mixte algéro-française et non pas négocié entre les partenaires, comme dans toute transaction commerciale. L’accord d’Alger avait également figé le prix posté du baril de pétrole aux différents terminaux pétroliers du pays [2]
[2]On appelle prix posté ou prix affiché, le prix qui sert….
Comme tout accord, celui du 29 juillet 1965 n’était que le reflet du rapport de forces existant entre les protagonistes. Il y apparaissait clairement que bien qu’indépendante, l’Algérie ne pouvait rien décider dans le domaine pétrolier sans l’accord de l’ex-puissance occupante. Le fait de mettre à disposition aux seules compagnies pétrolières françaises une superficie aussi vaste que celle attribuée à l’ASCOOP a contribué à décourager d’autres entreprises étrangères à venir s’installer en Algérie ; de même, en fixant dans un accord algéro-français, les prix postés sur la base desquels les sociétés pétrolières, toutes nationalités confondues, devaient payer leurs impôts, signifiait que l’industrie pétrolière algérienne continuait d’être cogérée avec la France.
Cet accord a eu néanmoins des retombées positives puisqu’il a permis la remise en cause du système d’exploitation du pétrole et du gaz prévalant jusqu’alors. L’Algérie cessait d’être un simple percepteur d’impôts ; elle se lançait dans l’aventure industrielle et rejoignait le groupe, très restreint des pays du Tiers-monde qui avaient pris directement en mains les opérations d’exploration et de production de leurs ressources en hydrocarbures. Cette mesure représentait de loin la plus importante victoire arrachée dans le cadre de cet accord : c’est grâce à ce rôle d’opérateur assumé par la Sonatrach que le pays finira par exercer, à compter du 24 février 1971, une totale souveraineté sur les richesses de son sous-sol.
Après l’indépendance politique, l’indépendance économique
La coopération instaurée par l’accord d’Alger, dont on attendait qu’elle constituât un modèle de relations saines et harmonieuses entre un pays producteur et des compagnies pétrolières étrangères, montra très vite ses limites. Les premières frictions algéro-françaises apparurent à la fin de l’été 1966, lors des discussions sur le budget de l’année suivante. On se rendit compte, du côté algérien, que le partenaire français n’était nullement désireux de s’investir dans la recherche pétrolière ; son objectif était uniquement d’augmenter au maximum la production des champs existants. Les Algériens commencèrent alors à s’interroger sur l’opportunité de figer, au bénéfice des seules entreprises françaises, une zone de 180000 km2 destinée à l’exploration. Ne pouvant, de ce fait, intéresser à la recherche pétrolière d’autres investisseurs que français, le gouvernement lança deux initiatives en direction des Etats-Unis et de l’Union Soviétique. La première consistait à créer une quinzaine de sociétés mixtes, en partenariat avec les plus grands noms de l’industrie pétrolière américaine, qui seraient chargées de couvrir toute la panoplie des services requis par les exploitants. La seconde était de demander à l’Union Soviétique de dépêcher en Algérie deux équipes de géologues, géophysiciens et ingénieurs pétroliers qui seraient chargées de proposer la stratégie à mettre en œuvre pour développer la recherche et la production de pétrole et de gaz. Une de ces équipes avait pour mission de regrouper tous les travaux et études entrepris jusque-là sur différentes zones sahariennes, d’en faire la synthèse et partant d’élaborer un plan global d’exploration du Sahara qui permit de nouvelles découvertes quelques années plus tard. Les travaux de la seconde équipe étaient focalisés sur le gisement d’Hassi Messaoud, le but étant d’en augmenter la production qui fut portée, après quatre années d’études et de réalisations sur le terrain, de 19 millions de tonnes en 1969 à 30 millions en 1972.
Par ailleurs, la guerre du Moyen Orient de juin 1967 fournissait au régime du président Houari Boumediene l’occasion de créer une première brèche dans le front des compagnies concessionnaires, en vue de la reprise en main des réserves pétrolières du pays. Par solidarité avec les pays arabes engagés dans le conflit, le gouvernement décida de mettre sous contrôle de l’Etat les firmes pétrolières américaines présentes dans le pays. A la levée de la mesure, Getty Oil, qui détenait 5 % d’intérêts sur le champ de Rhourde El Baguel, entrait en négociation avec la Sonatrach, en lui cédant 51 % de cette participation et donc le contrôle des opérations communes ; c’était là un précédent pour des relations futures avec d’autres partenaires.
Une seconde conséquence de cette mise sous contrôle de l’Etat des firmes américaines a été le rachat par Sonatrach, à El Paso Natural Gas, de ses concessions sur les gisements de Rhourde Nouss – Rhourde Chouff – Rhourde Adra, en contrepartie de la signature d’un contrat d’achat de gaz par l’entreprise américaine à hauteur de 10 milliards de m3 par an durant 25 ans. Ce contrat, gigantesque pour l’époque, était d’autant plus important qu’il intervenait à la suite d’une série de fins de non-recevoir signifiées par d’autres clients potentiels aux représentants de la Sonatrach qui avaient fait le tour de l’Europe et essayé, sans succès, de placer des ventes de gaz. On soupçonnait bien à Alger, mais sans en avoir la preuve, que ce n’était pas pour des raisons purement commerciales que les Européens refusaient d’acheter du gaz aux Algériens ; ceci jusqu’au jour où un haut responsable politique espagnol expliqua, sous le sceau du secret, à la délégation commerciale algérienne, que son pays subissait de la part des entreprises et du gouvernement français des pressions afin de ne pas acheter du gaz en direct à l’Algérie, mais de passer par le canal de Gaz de France.
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La co-souveraineté, nouvelle règle du jeu
A Evian, les Algériens avaient obtenu l’essentiel : l’indépendance avait été arrachée et l’intégrité territoriale garantie. Ils étaient donc disposés à concéder nombre de choses dans d’autres domaines, dont celui du pétrole et du gaz notamment. Le volet hydrocarbures des accords, signés le 18 mars 1962, prévoyait que « l’Algérie confirmait l’intégralité des droits attachés aux titres miniers et de transport accordés par la République Française… et s’engageait à respecter le droit pour le détenteur de titre minier et ses associés de disposer librement de leur production […] ». Les droits et privilèges exorbitants dont bénéficiaient les compagnies pétrolières entraînaient le renoncement à certains attributs de puissance publique, ce qui s’avèrera difficile à supporter pour l’Algérie indépendante, qui ne possédait ni les rouages administratifs rodés, ni les moyens de contrôle ou de coercition dont disposait l’ex-colonisateur. Par ailleurs et afin de garantir l’indépendance énergétique de l’Hexagone, tous les gouvernements français en place depuis les découvertes de 1956 avaient instauré une politique très protectionniste dans le secteur pétrolier ; de ce fait, n’étaient présentes au Sahara à l’indépendance en 1962, que des compagnies françaises, dont l’Etat était l’actionnaire majoritaire, voire unique, associées sur certains champs à des partenaires étrangers minoritaires. Cette situation fera de l’exploitation du pétrole et du gaz sahariens, au lendemain de l’indépendance, une affaire strictement algéro-française et sera source de conflits quasi-permanents. La plus grosse concession faite par les Algériens à Evian était celle instaurant la co-souveraineté dans l’exploitation des ressources pétrolières sahariennes. A la demande de la partie française, il avait été créé un organisme mixte de gestion et de contrôle de l’industrie pétrolière, dénommé Organisme Saharien (OS), au sein duquel les deux pays étaient représentés par un nombre égal d’administrateurs. Le gouvernement algérien avait donc les mains liées pour ce qui est de l’exploitation du pétrole saharien, tandis que la présence de cet écran dans les relations avec les compagnies rendait obsolètes certains de ses pouvoirs régaliens. L’affaire Trapal allait lui fournir le moyen de briser ce carcan. L’oléoduc à destination de Bejaïa étant saturé, les entreprises concessionnaires des champs de la région d’Hassi Messaoud s’associèrent au sein d’un consortium dénommé Trapal, auquel elles confièrent la tâche de construire un nouveau pipeline dont le terminal serait le petit port de pêche d’Arzew, à l’est d’Oran. En réponse à la demande de permis de construire déposée vers la fin de l’été 1962, le gouvernement algérien fit savoir qu’il souhaitait être associé au projet à concurrence de 51 %, alors que Trapal n’était disposé à céder qu’une participation de 10 à 20 %. Les discussions traînant en longueur, Ahmed Ben Bella et son équipe, composée de Belaïd Abdesselam et Bachir Boumaza, décidaient de prendre en charge la réalisation de l’ouvrage ; un pari osé compte tenu de la jeunesse et de l’inexpérience des responsables politiques et cadres de l’époque et du manque cruel de spécialistes pétroliers. S’ensuivit un bras-de-fer à l’issue duquel Trapal portait l’affaire devant le tribunal arbitral international prévu par les accords, tandis que le gouvernement algérien, désireux d’éviter l’imbroglio juridique qui pointait à l’horizon, créait le fait accompli en démarrant la pose de l’oléoduc. Il passait contrat, au début de l’automne 1963, avec l’entreprise britannique d’engineering Contractors John Brown pour la construction de l’ouvrage. Les caisses de l’Etat étaient vides, mais le prestige de l’Algérie dans le monde était tel que le financement du projet ne posa pas problème. L’Etat du Koweït accorda un prêt de 30 millions de dollars à des conditions très avantageuses et se porta garant de l’Algérie auprès de l’ECGD (Export Credit and Garantee Department) qui, à son tour, couvrait de sa garantie les crédits commerciaux proposés par les banques britanniques. Au tout début de 1964, arrivaient au port d’Alger les premiers tubes en provenance de Grande-Bretagne puis, vers la mi-1966, le terminal d’Arzew, sur la côte ouest du pays, recevait les premiers barils de pétrole en provenance de Hassi Messaoud.
L’affaire Trapal eut deux conséquences extrêmement importantes :
la création de l’outil qui allait gérer la construction et l’exploitation du pipeline, la Sonatrach (Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures) qui vit le jour le 31 décembre 1963 ;
puis, Trapal ayant soumis le différend à l’arbitrage international, le pouvoir algérien mettait à profit cette opportunité pour demander la remise à plat des dispositions arrêtées à Evian.
5La renégociation du volet pétrolier aboutit, le 29 juillet 1965, à la signature dans la capitale algérienne de « l’Accord d’Alger, portant règlement de questions touchant les hydrocarbures et le développement industriel de l’Algérie ». La principale disposition de cet accord était la création d’une association à parts égales, dite « Association coopérative » (ASCOOP), entre les compagnies nationales des deux pays, la Sonatrach et l’ERAP, à laquelle était attribuée une superficie de 180 000 km2 destinée à la recherche de pétrole et de gaz. La grande innovation du système était « la répartition globalement équilibrée du rôle d’opérateur » entre les deux entreprises, permettant ainsi à la Sonatrach de se lancer pour la première fois dans des opérations sur le terrain.
Dans le domaine du gaz, l’accord d’Alger en attribuait le monopole du transport, de la distribution et de la commercialisation à l’Algérie ; en vertu de cette disposition, était signé en mai 1967 un contrat de vente de 3,5 milliards de m3 par an de gaz algérien à la France. Le plus gros inconvénient de cet accord était qu’il reconduisait le principe déjà mis en place à Evian, la co-souveraineté sur les ressources pétrolières algériennes. En effet, tous les organismes qu’il avait créés étaient mixtes et paritaires. Même le prix de cession du gaz à la Sonatrach au départ du gisement d’Hassi R’Mel, par la compagnie française opératrice du champ, était calculé par une commission mixte algéro-française et non pas négocié entre les partenaires, comme dans toute transaction commerciale. L’accord d’Alger avait également figé le prix posté du baril de pétrole aux différents terminaux pétroliers du pays [2]
[2]On appelle prix posté ou prix affiché, le prix qui sert….
Comme tout accord, celui du 29 juillet 1965 n’était que le reflet du rapport de forces existant entre les protagonistes. Il y apparaissait clairement que bien qu’indépendante, l’Algérie ne pouvait rien décider dans le domaine pétrolier sans l’accord de l’ex-puissance occupante. Le fait de mettre à disposition aux seules compagnies pétrolières françaises une superficie aussi vaste que celle attribuée à l’ASCOOP a contribué à décourager d’autres entreprises étrangères à venir s’installer en Algérie ; de même, en fixant dans un accord algéro-français, les prix postés sur la base desquels les sociétés pétrolières, toutes nationalités confondues, devaient payer leurs impôts, signifiait que l’industrie pétrolière algérienne continuait d’être cogérée avec la France.
Cet accord a eu néanmoins des retombées positives puisqu’il a permis la remise en cause du système d’exploitation du pétrole et du gaz prévalant jusqu’alors. L’Algérie cessait d’être un simple percepteur d’impôts ; elle se lançait dans l’aventure industrielle et rejoignait le groupe, très restreint des pays du Tiers-monde qui avaient pris directement en mains les opérations d’exploration et de production de leurs ressources en hydrocarbures. Cette mesure représentait de loin la plus importante victoire arrachée dans le cadre de cet accord : c’est grâce à ce rôle d’opérateur assumé par la Sonatrach que le pays finira par exercer, à compter du 24 février 1971, une totale souveraineté sur les richesses de son sous-sol.
Après l’indépendance politique, l’indépendance économique
La coopération instaurée par l’accord d’Alger, dont on attendait qu’elle constituât un modèle de relations saines et harmonieuses entre un pays producteur et des compagnies pétrolières étrangères, montra très vite ses limites. Les premières frictions algéro-françaises apparurent à la fin de l’été 1966, lors des discussions sur le budget de l’année suivante. On se rendit compte, du côté algérien, que le partenaire français n’était nullement désireux de s’investir dans la recherche pétrolière ; son objectif était uniquement d’augmenter au maximum la production des champs existants. Les Algériens commencèrent alors à s’interroger sur l’opportunité de figer, au bénéfice des seules entreprises françaises, une zone de 180000 km2 destinée à l’exploration. Ne pouvant, de ce fait, intéresser à la recherche pétrolière d’autres investisseurs que français, le gouvernement lança deux initiatives en direction des Etats-Unis et de l’Union Soviétique. La première consistait à créer une quinzaine de sociétés mixtes, en partenariat avec les plus grands noms de l’industrie pétrolière américaine, qui seraient chargées de couvrir toute la panoplie des services requis par les exploitants. La seconde était de demander à l’Union Soviétique de dépêcher en Algérie deux équipes de géologues, géophysiciens et ingénieurs pétroliers qui seraient chargées de proposer la stratégie à mettre en œuvre pour développer la recherche et la production de pétrole et de gaz. Une de ces équipes avait pour mission de regrouper tous les travaux et études entrepris jusque-là sur différentes zones sahariennes, d’en faire la synthèse et partant d’élaborer un plan global d’exploration du Sahara qui permit de nouvelles découvertes quelques années plus tard. Les travaux de la seconde équipe étaient focalisés sur le gisement d’Hassi Messaoud, le but étant d’en augmenter la production qui fut portée, après quatre années d’études et de réalisations sur le terrain, de 19 millions de tonnes en 1969 à 30 millions en 1972.
Par ailleurs, la guerre du Moyen Orient de juin 1967 fournissait au régime du président Houari Boumediene l’occasion de créer une première brèche dans le front des compagnies concessionnaires, en vue de la reprise en main des réserves pétrolières du pays. Par solidarité avec les pays arabes engagés dans le conflit, le gouvernement décida de mettre sous contrôle de l’Etat les firmes pétrolières américaines présentes dans le pays. A la levée de la mesure, Getty Oil, qui détenait 5 % d’intérêts sur le champ de Rhourde El Baguel, entrait en négociation avec la Sonatrach, en lui cédant 51 % de cette participation et donc le contrôle des opérations communes ; c’était là un précédent pour des relations futures avec d’autres partenaires.
Une seconde conséquence de cette mise sous contrôle de l’Etat des firmes américaines a été le rachat par Sonatrach, à El Paso Natural Gas, de ses concessions sur les gisements de Rhourde Nouss – Rhourde Chouff – Rhourde Adra, en contrepartie de la signature d’un contrat d’achat de gaz par l’entreprise américaine à hauteur de 10 milliards de m3 par an durant 25 ans. Ce contrat, gigantesque pour l’époque, était d’autant plus important qu’il intervenait à la suite d’une série de fins de non-recevoir signifiées par d’autres clients potentiels aux représentants de la Sonatrach qui avaient fait le tour de l’Europe et essayé, sans succès, de placer des ventes de gaz. On soupçonnait bien à Alger, mais sans en avoir la preuve, que ce n’était pas pour des raisons purement commerciales que les Européens refusaient d’acheter du gaz aux Algériens ; ceci jusqu’au jour où un haut responsable politique espagnol expliqua, sous le sceau du secret, à la délégation commerciale algérienne, que son pays subissait de la part des entreprises et du gouvernement français des pressions afin de ne pas acheter du gaz en direct à l’Algérie, mais de passer par le canal de Gaz de France.
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