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Le FLN vu par Malek Benabi

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  • Le FLN vu par Malek Benabi

    Bonsoir


    Suite à une discussion dans la rubrique actualités j’ai pensé à un texte que je vous livre tel quel.
    Je pense que nos historiens, sans esprit partisan, devraient davantage se pencher sur les épisodes sombres de la révolution et apporter des éclaircissements à même de permettre de réduire les crises cycliques que nous vivons. Je dis bien nos historiens et non pas nos intellectoman


    ............


    Peu de temps après son retour du Caire en Algérie dans l’été 1963, l’écrivain algérien Malek Bennabi, que J. Déjeux trouvait « unique en son genre », a formulé des jugements d’une grande sévérité sur le GPRA. Dans une conférence publique prononcée à Alger en février 1964, il a en effet inséré des incidents très polémiques dont les auditeurs, puis les lecteurs ne connaissaient pas toutes les raisons : « pour la vérité historique, il faudrait ajouter que ce sont les membres du GPRA qui avaient donné l’exemple de cette course éperdue. Les uns lâchant tout un plan à Tripoli où la rédaction du programme n’était même pas achevée, rejoignent Tunis pour s’occuper de leurs “affaires personnelles” et mettre au point leurs combines, avant de remettre les pieds sur le sol natal, en libérateurs. Gouverner, c’est prévoir, dit-on. Le GPRA non seulement n’a pas prévu la situation qui a suivi le cessez-le-feu, mais il l’a précipitée par le comportement de ses membres [...]. Jusqu’au jour où les libérateurs s’étaient précipités au Rocher noir pour s’emparer du pouvoir, ils n’avaient en tête qu’une idée : réoccuper l’Algérie à mesure que le colonialisme évacuerait ses propres forces, afin que le peuple algérien n’ait aucune possibilité de leur demander des comptes sur leur gestion » [1]
    Textes inédits et écrits censurés

    Sans doute pour démentir l’impression de prendre parti pour les contestataires du GPRA, l’auteur rédige, en 1967, un article exposant ses critiques sur l’ensemble de la conduite de la guerre par le FLN depuis la création du CCE et du CNRA en septembre 1956. Mais la publication de cet article non conformiste a été refusée par la rédaction de l’organe du FLN Révolution africaine où l’auteur tenait une chronique hebdomadaire.
    En 1970, Bennabi est revenu sur un sujet qui lui tenait à cœur, en publiant dans un ouvrage théorique des passages très critiques sur le rôle de Abane Ramdane qu’il juge beaucoup plus sévèrement que Messali Hadj [2] Les méthodes de celui-ci n’étaient déjà pas bien vues par Bennabi qui l’avait connu de près dans les années 1930 à Paris [3]
    C’est au moment de la parution, en 1980, de la traduction française du Problème des idées dans le monde musulman, que j’ai eu une copie d’un texte inédit écrit en arabe au Caire juste après la signature des accords d’Évian, dans lequel l’écrivain énumère ses dures critiques du FLN [4] . En 1983, Salah Bensaï, qui était très lié avec Bennabi, m’a remis des copies d’une partie de la correspondance de l’écrivain avec le FLN, commencée en 1956 et interrompue en 1958 [5]
    L’examen de ces inédits permet de se faire une idée plus exacte des appréciations négatives de l’auteur sur les dirigeants du FLN, de trouver les raisons de cette sévérité pour dégager des enseignements sur le conflit entre le pouvoir algérien naissant avec un intellectuel engagé, de façon à compléter la connaissance des nombreuses crises internes du FLN. Pour expliquer ce conflit, il convient de mentionner, brièvement, le séjour de Bennabi au Caire de 1956 à 1963.


    Le départ du Luat-Clairet au Caire du théoricien de la « colonisabilité »

    À la fin du mois d’avril 1956, Malek Bennabi [6] décide de quitter la France où il vivait depuis 1930 pour se rendre au Caire où était installée la Délégation extérieure du FLN. Cet intellectuel difficilement classable qui partageait le sentiment nationaliste depuis 1925 [7], et que les rapports du SLNA (Service des liaisons nord-africaines) du colonel Schœn citaient à la rubrique « réformisme », faute de mieux,- avait derrière lui un quart de siècle d’activités intellectuelles et politiques qui l’avaient mis en contact avec les cheikhs Ben Badis et Tébessi, le Dr Bendjelloul et Messali Hadj, et des membres clandestins de l’OS du Constantinois, où il a été interpellé lors du démantèlement de cette organisation para-militaire du MTLD en 1950. Son départ a lieu après son refus d’occuper un poste politique important proposé par le gouvernement Guy Mollet [8] 7Il est accompagné par son ami de toujours, l’agronome Salah Bensaï [9], venu spécialement du Maroc pour l’aider à traverser les Alpes, puis la Méditerranée via Gênes pour Alexandrie.
    Les deux intellectuels avaient le sentiment d’une certaine légitimité nationaliste, malgré une attitude critique vis-à-vis des partis algériens et également de l’association des Oulémas dont ils étaient proches, tout en déplorant les insuffisances de certains de ses dirigeants. Bennabi avait sévèrement reproché à Ben Badis d’avoir mis, à l’occasion du Congrès musulman algérien de 1936, une formation religieuse à la disposition de politiciens dont il contestait la légitimité et les méthodes. Il avait cinglé ces amateurs de « boulitigue » (mot péjoratif de l’arabe parlé algérien désignant « la politique politicienne », mâtinée de combiazione italienne) ainsi que la « démagogie » attribuée à Messali-Hadj. « Le devoir est aussi une politique », rappelait-il aux tribuns qui faisaient régulièrement la quête pour aller réclamer « les droits à Paris » [10]
    Tout en vilipendant le colonialisme [11], Bennabi condamnait la politique qui se limitait à un réquisitoire anticolonialiste en négligeant d’aborder les sérieux problèmes internes de la société musulmane et en faisant l’économie d’un effort éducatif conséquent. La notion de « colonisabilité » lui sert à résumer tous les complexes paralysants nés de la crise interne de l’Islam qui avait rendu possibles les conquêtes coloniales. Pour être à la hauteur des responsabilités postcoloniales, les ex-colonisés lui paraissaient devoir se débarrasser de tous ces obstacles psychologiques. Toute politique qui négligerait cet effort pédagogique préalable lui paraissait vaine. Les commentaires favorables à ce concept de « colonisabilité » dans les revues et journaux français faisaient croire aux militants nationalistes avides d’apologie que son auteur faisait le « jeu du colonialisme », consciemment ou non [12]
    Mais le concept avait créé des malentendus avec les dirigeants des formations nationalistes qui empêcheront Bennabi de jouer un rôle actif au service de la révolution algérienne, comme il voulait le faire en quittant définitivement le Luat-Clairet [13], ce village de la vallée de Chérisy où il avait pris l’habitude de méditer, d’écrire, de cultiver son jardin et de recevoir ses amis Bensaï et Khaldi avec lesquels il avait de longues discussions sur l’actualité, et les personnalités drouaises liées à sa belle-famille [14]
    Depuis l’aggravation de la situation en Algérie, une voiture des Renseignements généraux suivait ses déplacements du haut de la colline qui surplombe sa petite maison [15]. Il a préféré se soustraire à cette surveillance pour s’engager dans le combat anticolonial plus activement que dans ses articles critiques [16]
    Dernière modification par Bogary, 29 novembre 2019, 20h28.

  • #2
    Relations conflictuelles avec les « Zaïms » du FLN au Caire

    Mais à son arrivée au Caire, un militant comme le Dr Lamine Debaghine lui reproche ses écrits sur la « colonisabilité » et s’en méfie, malgré le bon accueil de Khider et de Ben Bella [17]. Bennabi a fait quelques émissions à la « Voix des Arabes » où il a accepté de travailler un temps sous le contrôle du « grand cadi » Lakhdari, qu’il contestait au même titre que tous les autres « intellectomanes » auxquels il avait réservé des passages incendiaires dans ses écrits.
    Après l’édition de L’Afro-asiatisme (novembre 1956) par la maison gouvernementale égyptienne, il propose au FLN de le mandater pour expliquer la cause algérienne [18], à l’occasion de la présentation de son livre dans différents pays. Mais les dirigeants du FLN ne donnent pas suite à cette demande. La publication du livre sur Bandoeng et l’édition de la traduction arabe des Conditions de la renaissance rapprochent Bennabi des dirigeants égyptiens (qu’il préférait aux Frères musulmans et, surtout, aux émirs séoudiens) qui le nomment conseiller à l’organisation du Congrès musulman dont Anouar Sadate était le secrétaire général [19] Le FLN ne juge plus utile de répondre à ses courriers, dont une lettre demandait son affectation dans une unité de l’ALN pour commencer à écrire son histoire [20]
    Bennabi se consacre à l’édition des traductions arabes de ses livres, prononce des conférences en Égypte, en Syrie et au Liban et compose d’autres ouvrages, directement rédigés en arabe, ou écrits en français puis traduits par le futur avocat libanais Kamel Mesqaoui (qui a été récemment ministre à Beyrouth) et l’égyptien Abdessabour Chahine, sans s’arrêter de protester contre les éditions pirates, au Liban et en Irak notamment, des plus en vue parmi ses publications.


    Témoignage pour le Cheikh Larbi Tébessi et protestation contre le massacre de Mélouza

    Mais l’actualité lui donne l’occasion d’émettre des jugements sur le FLN à différentes reprises.
    L’enlèvement du cheikh Larbi Tébessi, à Alger le 8 avril 1957 l’a fait sortir de sa réserve momentanée, car le vice-président de l’association des Oulémas a été présenté comme « un grand traître qui travaillait de connivence avec le colonialisme » [21]. Dans une mise au point proposée à la presse, Bennabi rappelle qu’il connaît personnellement depuis trente ans « la personnalité religieuse algérienne » enlevée. Il témoigne que L. Tébessi « est unanimement estimé dans le pays à cause des services rendus à sa renaissance morale et à l’organisation de son enseignement libre ». Au nom de sa « conscience d’honnête homme » et de son « devoir en tant qu’Algérien conscient de la gravité d’une situation où le colonialisme peut, désormais, assassiner son ennemi en collant sur son cadavre l’étiquette de la trahison », il entend, « devant Dieu et devant l’Histoire défendre l’honneur et la mémoire d’un homme qui n’a jamais transigé sur les principes.
    En même temps, il est de mon devoir, en tant qu’écrivain engagé dans la lutte anticolonialiste depuis un quart de siècle, de dénoncer ici une situation où les forces incontrôlables qui ont abattu Mustapha Ben Boulaïd – qui était l’incarnation de la révolution – menacent désormais l’honneur et l’existence de tout Algérien honnête » [22]
    À S. Bensaï, Bennabi fait part de son « impression que la sinistre bande qui est ici ne fera pas de démenti » [23][ . Cela en dit long sur l’aggravation de son désaccord avec les « intellectomanes » qui venaient de rejoindre le FLN [24]. Dans la brochure SOS-Algérie qui a été publiée, en arabe et en français, après le massacre de Mélouza du 29 mai 1957, Bennabi « demande à Dieu de faire revenir la direction du FLN sur la bonne voie ». Cela lui vaut le retrait de la brochure de la vente et une menace de connaître le même sort que Chadli Mekki [25]
    En décembre 1957, à l’occasion de la réunion au Caire de la deuxième conférence afro-asiatique, Bennabi se fonde sur les théories exposées dans son livre sur Bandoeng pour critiquer la délégation représentant le FLN. Il lui reprochait notamment de faire acte de présence, de manquer d’originalité et de ne rien proposer. Ces reproches lui tenaient à cœur après l’indépendance et il les a reformulés dans un éditorial de Révolution africaine, où il est revenu sur le « deuxième Bandoeng » qui commençait à décevoir les espoirs suscités par la réunion d’avril 1955 : « Quant à la délégation du FLN, elle ne trouva rien de mieux à faire que de faire entendre de la tribune des peuples afro-asiatiques, non pas la voix de la révolution algérienne, mais d’un bout à l’autre les citations de la presse “progressiste” de L’Express à L’Observateur. Sans parler des faux écrivains désignés par le GPRA pour représenter l’Algérie au premier congrès des écrivains afro-asiatiques à Tachkent, en septembre 1958. » [26]
    À la parution, en 1958, du livre de Serge Bromberger sur les Rebelles algériens, Bennabi le signale au Dr Lamine pour lui faire remarquer qu’il ne servait à rien de lui demander de se taire pour éviter au « colonialisme d’être au courant de nos divisions », puisqu’un de ses auteurs sait sur la révolution ce que ses dirigeants eux-mêmes ne savent pas toujours.

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    • #3
      Interruption des relations épistolaires avec le FLN

      À partir de cette date, les contacts avec ce qu’il appellera les zaïmillons deviennent rares et Bennabi se consacre entièrement à son œuvre, après avoir constaté l’échec de sa tentative de jouer un rôle actif au profit de la révolution algérienne. Il avait renoncé à percevoir l’aide financière que lui versait le FLN en tant que réfugié au Caire [27]
      Dans une lettre à « Messieurs du FLN et de l’ALN au Maroc », écrite le 18 juillet 1958 à propos de la réédition dans ce pays de SOS-Algérie, l’écrivain tient « à dissiper une idée qui pourrait fausser totalement votre jugement : je ne suis candidat à aucune charge officielle dans le futur État algérien. Par conséquent, je juge le comportement de M. Lamine et de ses camarades de la façon la plus désintéressée, avec la conviction d’accomplir un simple devoir ». Ce renoncement aux honneurs l’a amené à rester au Caire, où il était pris par la publication de nombreux textes. Il est rentré en Algérie plus d’un an après le cessez-le-feu, après l’insistance de Khaldi (qui a été proche de Ben Bella, jusqu’aux premiers désaccords apparus après la rédaction de la « Charte d’Alger » à l’issue du congrès du FLN d’avril 1964, puis de Boumédiène) pour le convaincre d’occuper le poste de recteur de l’Université d’Alger, puis celui de directeur de l’enseignement supérieur.
      Ce sont sans doute les observations recueillies au Caire sur la conduite des « intellectomanes » devenus chefs du FLN qui ont inspiré à Bennabi les principales idées de son livre sur La lutte idéologique dans les pays colonisés [28] Il y étudie des aspects de la « guerre psychologique » moderne et déplore la dépendance intellectuelle qui amène à prendre comme maître à penser Sartre, pour les uns, et Mauriac pour d’autres. Cette démission dans le domaine de la pensée lui paraissait inadaptée aux exigences de l’édification d’une nation indépendante, et laissait prévoir en partie les échecs postcoloniaux.

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      • #4
        Le problème des « interlocuteurs valables »

        C’est par les thèmes de la dissimulation et de la manipulation exposés déjà dans ce dernier livre que débute le témoignage de mars 1962 qui impute aux « mains invisibles de Paris et d’Alger » le maintien d’une obscurité autour des principaux épisodes de la guerre.
        Selon Bennabi, la recherche des « interlocuteurs valables » par le gouvernement G. Mollet en vue de trouver une solution négociée a été un tournant dangereux dans toute l’histoire de la révolution algérienne.
        Depuis l’annonce du tryptique – « cessez-le-feu, négociations, élections » –, les contacts se sont multipliés et le nombre des intermédiaires accru. Il y a eu la rencontre secrète à Alger entre Abane Ramdane et Me Verny, un avocat dépêché par P. Mendès France quand celui-ci était encore membre du gouvernement G. Mollet [29]. Moins mystérieuses étaient les initiatives de Farès qui a cherché à voir Benkhedda et Abane Ramdane, sans doute à la demande du gouvernement, bien avant la parution en septembre 1956 dans Le Monde de l’interview dans laquelle il recommandait ouvertement la négociation avec le FLN [30]
        Il y a eu également la tentative de Hamza Boubakeur qui voulait être préféré à tous les autres « interlocuteurs valables » en essayant de parler au nom de la wilaya 1 des Aurès. Par l’entremise de Me Mallem, un de ses anciens élèves du lycée Bugeaud devenu avocat à Batna, Boubakeur (qui était par ailleurs conférencier sur l’Islam du 5e Bureau chargé de l’Action psychologique depuis 1955) [31] a pu avoir l’accord d’Omar Ben Boulaïd qui a succédé à son frère Mustapha comme chef politico-militaire de la wilaya des Aurès. Mais l’interception du courrier adressé par Mallem a valu à Si Hamza une perquisition des paras dans son domicile de la Redoute en décembre 1956. Le professeur d’arabe dit avoir agi à la demande de membres éminents du cabinet civil du ministre-résident R. Lacoste, le colonel Schœn et Lucien Paye qui sont restés dubitatifs, sans doute par refus d’assumer la paternité d’une opération non concluante [32]. Il y a eu d’autres candidats au statut d’interlocuteurs valables : en février 1956, le cheikh B. Brahimi a écrit de Ryad à Tewfiq Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas qui était encore à Alger pour lui demander de convaincre le gouvernement de négocier avec lui. Il a ajouté une recommandation d’associer F. Abbas à ces pourparlers, « compte tenu de son expérience » [33]..
        Il y avait également les contacts d’Abdelmadjid Mécheri (frère du préfet Cherif Mécheri qui était un collaborateur du président Coty) avec Ben Bella au Caire, avec l’accord de G. Mollet [34]. Le cadi Lakhdari aurait effectué des missions similaires avant de s’installer au Caire [35], etc.
        Bennabi était au courant d’une partie de ces contacts que la presse ébruitait de temps en temps [36][ . Lors d’une rencontre, en compagnie du Dr Khaldi notamment, avec C. Bourdet au siège de France-Observateur en février 1956, ce dernier leur a expliqué que G. Mollet veut négocier, mais qu’il ne le fera pas avec les « militaires ». « Cette opinion mettait en cause, visiblement, la structure même de la révolution [...] Notre ami posait alors indirectement mais clairement [...] le problème de l’ “interlocuteur valable”. » [37]
        Contestation radicale de la ZAA et du Congrès de la Soummam

        Selon Bennabi c’est en raison de ce problème que la « révolution algérienne, qui suivait son cours normal, prît le 20 août 1956, le chemin du congrès de la Soummam » [38]
        Il « laisse à l’historien l’étude de l’organisation matérielle de cette réunion » [39]
        Il note que ce congrès « modifie fondamentalement les structures de la révolution, en mettant le CCE à la place du NIDHAM », supprimant d’ailleurs le mot lui-même du vocabulaire révolutionnaire... Mais le congrès de la Soummam comptera surtout par le bouleversement qu’il avait apporté dans la hiérarchie révolutionnaire elle-même : le pouvoir qui était entre les mains des Moudjahidines, des combattants, passent entre les mains des « politiques ». En somme, le problème de l’ « interlocuteur valable » était inscrit entre les lignes, sinon dans les lignes, au programme du congrès. « Je note simplement que le vœu du journaliste parisien a été exaucé. Simple vœu ou suggestion par personne interposée ? » [40]
        Bennabi propose au chercheur d’examiner attentivement l’évolution qui a conduit au renversement du congrès de la Soummam. Il observe que cela avait été précédé par le statut particulier conféré à la zone autonome d’Alger. « Je pose la question : y a-t-il eu dans l’histoire de toutes les révolutions, sauf la nôtre, quelque chose de comparable à ce qu’on a baptisé dès le début de 1955, la zone autonome d’Alger, la fameuse ZAA ? » [41]
        Pour Bennabi, la ZAA a été le « premier faux pas » de la révolution d’où ont découlé tous les autres : « le congrès de la Soummam, le GPRA, le wilayisme, le régionalisme, le “Bien Vacant”, et l’UGEMA – il ne faut pas l’oublier – qui a préparé ces “lendemains qui chantent” dans certains cafés de la rue Didouche-Mourad » [42][42]« Retour aux sources », article censuré par Révolution….
        On apprend dans ce document inédit que le cheikh L. Tébessi avait « exprimé son étonnement » devant cette exception à la règle de l’unité du commandement. Lénine aurait déclaré une « zone autonome de Moscou, le foyer de la contre-révolution qu’il faut anéantir avant la contre-révolution de Wrangel » [43]. Bennabi se permet une sévère comparaison avec Mouçaïlima, le faux prophète qui voulait partager l’Arabie avec Mohamed : « En somme, Mouçaïlima voulait sa ZAA... » [44]. Il met en cause nommément Abane Ramdane qui « s’est prêté au jeu de l’illusionniste pour décapiter la direction de la révolution qui avait lancé son volant le 1er novembre 1954, pour usurper son pouvoir et tenter de l’utiliser contre la révolution elle-même » [45]. Après la Soummam, « la révolution n’eut plus une direction, mais une intendance qui pourvoyait d’ailleurs à des besoins d’apparat plus qu’aux besoins des combattants » [46]..
        Abandon de l’ALN par les politiques de l’extérieur

        Le reproche d’abandon des combattants de l’intérieur est sévèrement formulé dans le texte rédigé en arabe en 1962. « Le commandement français a pu ériger en toute quiétude la ligne Morice électrifiée, et la nouvelle direction de la révolution n’a rien fait pour s’attaquer à ce barrage, ni même pour retarder son achèvement. Dans le même temps, cette direction interrompt l’approvisionnement de l’ALN en armes et en munitions. » [47]. Pour les Zaïms, « l’Armée servait surtout pour les revues organisées en présence des journalistes à la frontière pour leur propre publicité » [48]
        Le congrès de la Soummam est encore vilipendé pour avoir affirmé la primauté du politique sur le militaire, ce qui revenait à « mettre Ben Boulaïd et ses frères moudjahidines sous l’autorité de MM. F. Abbas, Francis, etc. » [49] Il s’agit d’un coup de force qui a écarté « ces héros qui avaient créé l’ALN » au profit des « politiciens qui, pour la défense de leurs intérêts, ont créé un syndicat qu’ils ont baptisé “Front de libération nationale” pour abuser le peuple avec des mots » [50].
        Bennabi s’interroge sur l’intégrité de « Abderrahmane Yalaoui à qui ont été confiées les finances du FLN à Damas », le patriotisme de « Lakhdari à qui il a été permis de s’adresser au peuple algérien par La voix des Arabes, alors que nous savons qui il est », et même la compétence de M’hamed Yazid [51]

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        • #5
          La parole au peuple, commissions d’enquête et Congrès extraordinaire

          Les « situations exécrables » vécues pendant la guerre ne prendront fin que si le peuple est suffisamment informé de façon à éviter à l’ « édifice politique et social » de l’Algérie indépendante de « reposer sur la trahison, le stratagème et l’irresponsabilité » [52]. Pour cela, Bennabi propose que la parole soit donnée au peuple, après la réunion d’un congrès dans le cimetière où seront transférées les cendres de Mustapha Ben Boulaïd. Avant l’organisation des élections, le congrès devrait examiner les rapports de plusieurs commissions d’enquête sur différents sujets, comme :
          — les conditions de la création de la ZAA ;
          — les circonstances de la mort de M. Ben Boulaïd, Laghrour Abbas, Zirout Youssef, Amirouche, « Colonel » Mohamed Bahi, Abdelhaï, etc. [53]
          — les circonstances de la désertion d’anciens officiers algériens de l’armée française, comme le commandant Idir, qui a rejoint le FLN à Alger, alors qu’il était en garnison à Khenchela. Ces DAF (Déserteurs de l’Armée française) ont pris la place des officiers de l’ALN qui avaient été éliminés. Bennabi cite le commandant Mostéfa Lakehal « qui a été assassiné par les services de Monsieur Boussouf près du Kef en Tunisie. D’autres ont été dégradés et abandonnés à leur sort dans les rues de Tunis et de Rabat » [54]
          — l’assassinat au siège du GPRA au Caire en février 1959 de Amirat Allaoua, après avoir ébruité, au retour de Beyrouth, des contacts douteux qu’avait F. Abbas [55]
          — le budget de l’ALN, pour le comparer à celui des ministères politiques et révéler le train de vie des membres du GPRA. La représentativité du CNRA devrait être examinée. Toutes les régions du pays, n’y sont pas équitablement représentées.
          Bennabi conclut son témoignage en indiquant qu’il a pour but « d’éviter au peuple d’entrer dans la bataille des élections dans l’obscurité totale qui lui cache les tristes réalités : la révolution qui a été une période de souffrances et de deuil pour le peuple, a été fastueuse pour ses Zaïms, ceux-là mêmes qui ont dépensé son sang dans leurs banquets où coulent champagne et whisky. Leur comportement est identique à celui des émirs arabes qui construisent des palais des Mille et Une Nuits avec les recettes du pétrole de leurs pays » [56].. L’auteur regrette qu’ « aucune voix d’intellectuel ou de Alem (savant religieux) ne se soit élevée pour dénoncer cet état de fait et faire prendre conscience au peuple de ses devoirs. Au lieu de cela, chacun veillait à prendre place au banquet des Zaïms, ou à attendre son tour » [57].. Il précise enfin qu’aucun des Zaïms à qui il a demandé de lire ce document à la tribune de la conférence de Tripoli, où s’est réuni le CNRA en mai 1962, n’a accepté de le faire. Il tient à préciser que ses interrogations sur l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella, qui a arrangé les partisans du congrès de la Soummam favorables à l’entrée dans le FLN des « interlocuteurs valables » en vue de l’ouverture des négociations, ne signifie en aucun cas « un parti pris en faveur d’un Zaïm contre les autres » [58].
          Ces appréciations sans complaisance sont conformes à la vision qu’a toujours eue Bennabi de la politique en Algérie, et à sa grande méfiance de la presque totalité de la classe politique algérienne traditionnelle [59] Cela l’avait amené à critiquer sévèrement le cheikh Ben Badis après sa visite à Paris avec la délégation du Congrès musulman algérien, en août 1936. Il déplorait que les Oulémas, qui avaient une mission plus importante de renaissance morale, aient accepté d’être à la remorque de Bendjelloul et de F. Abbas dont il contestait la conception de la politique, et à qui il reprochait une certaine déculturation.
          Les artisans du 1er novembre 1954, comme Ben Boulaïd – qu’il cite abondamment, sans doute parce qu’il l’avait connu avant 1954, lors de ses tournées de conférences dans le Constantinois, et notamment à Batna où les frères Bensaï le mettaient en contact avec de futurs chefs de l’ALN, comme Maache et d’autres – lui paraissaient traduire les aspirations du peuple algérien, au même titre que les dirigeants du mouvement islahiste de 1925, et d’avant la « déviation » de 1936. Il identifie le CRUA au peuple algérien : « C’est le peuple algérien qui, finalement, rompit l’intermède. Il lâche en effet en 1954, tous ses directeurs de conscience pour s’engager tout seul dans la révolution. » [60] Du fait du 1er novembre 1954, la direction de la révolution incombait aux militaires, estimait Bennabi qui contestait la légitimité des politiques issus des partis traditionnels, à ses yeux incapables de sortir de l’impasse dans laquelle ils avaient engagé le mouvement national. Il a été inquiété de voir des « intellectomanes » de la deuxième génération se « rallier, apparemment, à la révolution. En fait ils se rallièrent aux Zaïms qui distribuaient bourses et prébendes à Tunis et au Caire » [61]
          Malgré ses appréhensions, il a quitté le cadre paisible de la vallée de Chérisy pour rallier la révolution au Caire, à cause des craintes inspirées par le ralliement de F. Abbas, de Francis et, même, de Tewfiq al Madani qu’il juge sévèrement, notamment à cause de son « sabordage du Jeune Musulman » [62].
          Bennabi n’a pas pu être un acteur de la révolution algérienne, sans doute en raison de son refus des compromis et de sa fidélité à l’état d’esprit avec lequel il s’était engagé dans les années 1930 dans un militantisme atypique, avec son « maître » H. Bensaï [63] à qui il avait cédé sa place de secrétaire général de l’AEMNAF, après le raz de marée en sa faveur aux élections de fin 1931 [64] Cet échec est surtout imputable à la grande méfiance des dirigeants du FLN vis-à-vis des intellectuels qui refusent d’échanger leur liberté d’expression contre la fonction de scribe, et qui n’étaient pas réceptifs à sa critique de l’étroitesse d’esprit inhérente au nationalisme, considéré par lui, dans la plupart de ses écrits, comme un passage obligé après l’échec patent de la colonisation [65] Le FLN ne comprenait pas ses craintes, formulées dans L’Afro-asiatisme de voir la « haine des petits remplacer le mépris des grands », et ses citations d’Abu’l Kalam Azad, l’ancien compagnon musulman de Gandhi devenu ministre de l’Éducation nationale de l’Inde, avec lequel Bennabi avait des échanges épistolaires et qui préconisait une prévention de la rancune des colonisés par une réforme des programmes scolaires [66]
          À défaut d’avoir pu agir au sein de la révolution algérienne, il en a été le témoin attentif et sans complaisance. Malgré le caractère excessif de certains de ses jugements, sa liberté de ton devrait encourager encore une écriture de l’histoire démystifiée de la guerre d’Algérie. Aussi bien les Algériens que les Français ont besoin de cette démystification, quarante ans après la signature des accords d’Évian qui avait inspiré à Bennabi son témoignage censuré.
          Ces inédits montrent également que cet « humaniste musulman du XXe siècle » [67] partisan d’une « réforme intellectuelle et morale » et hostile à l’empirisme politique, qui citait Bonald et Péguy et se référait à Djamal Eddine Afghani, était également favorable à une « démocratie musulmane » [68]. Sa critique est concentrée contre le congrès de la Soummam qu’il assimile à un coup d’État destiné à écarter les premiers chefs de l’ALN qu’il croyait en mesure de faire de la politique sur des bases plus saines que celles des hommes de partis. Ceux-ci sont jugés sévèrement à travers sa grille de lecture de l’actualité qui était déduite de sa conception à lui de l’histoire, comme il s’en est expliqué dans un de ses articles écrits en arabe peu après son retour en Algérie [69].
          Son jugement sur le FLN repose sur l’affirmation de la primauté de l’intérieur et le refus de la prééminence des politiques sur les militaires. D’où la dureté des reproches adressés aux politiques installés à l’extérieur. Il a sans doute été le seul à avoir exprimé en « temps réel » des critiques à l’intention des dirigeants de ce mouvement qui n’a fait l’objet d’un libre examen qu’à la parution des écrits de Mohamed Harbi dans les années 1970. Sans prendre parti pour un clan contre les autres, et en prenant des risques considérables, Bennabi voulait introduire le débat d’idées dans la vie politique algérienne dont la plupart des acteurs avaient des inclinations totalitaires, refusaient systématiquement toute remise en cause, et n’hésitaient pas à mettre la contestation sur le compte de la trahison. Pour avoir fait valoir son droit d’exprimer librement son point de vue, il a eu à subir des persécutions qui étaient destinées à le faire taire pour de bon [70].
          Son témoignage inédit mérite d’être ajouté à l’ensemble des documents peu connus, que l’ouverture des archives en France et en Algérie rend accessibles, et dont l’examen aidera à éclairer les zones d’ombre de l’histoire contemporaine de l’Algérie et à revoir les stéréotypes, comme ceux qui ont été diffusées sur M. Bennabi lui-même, par des politologues notamment [71]



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          • #6
            Tout en vilipendant le colonialisme [11], Bennabi condamnait la politique qui se limitait à un réquisitoire anticolonialiste en négligeant d’aborder les sérieux problèmes internes de la société musulmane et en faisant l’économie d’un effort éducatif conséquent.
            Franchement, c'est de l'intellectualisme qui vaut pas une cenne noire. Quand on fait la guerre, on ne cherche pas le sexe des anges.

            Je n'ai vraiment pas besoin de connaitre ce qui s'est passé durant la guerre de libération entre Algériens, dans toute révolution, y a de la casse, du noir et du sang, bien du sang, des coups tordus entre factions. Vraiment, ca n'a aucune importance et je ne crois pas que cela peut nous éclairer sur les problèmes de l'Algérie indépendante. Le but qui est l'indépendance du pays étant atteint, la naissance d'une nation étant bel et bien à l'oeuvre, pour ma part, je m'en fouts du reste. Gloire aux martyres ! Le peuple algérien a été héroique !...

            La gang qui a pris le pouvoir en Algérie en 62, c'est la gang militaire, un quaterton de colonels. et jusqu'à ce jour, c'est la caserne qui dirige le pays et à clef tous les échecs dus à cette grande anomalie: des militaires illettrés conduisant, le revolver à la main, un pays.

            et nous y sommes encore.

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            • #7
              Quand on fait la guerre, on ne cherche pas le sexe des anges.

              au hirak il faut encore des années pour éduquer la population



              je me comprends ?



              La gang qui a pris le pouvoir en Algérie en 62, c'est la gang militaire, un quaterton de colonels. et jusqu'à ce jour, c'est la caserne qui dirige le pays

              la cause est mentionnée dans le texte; bien sûr s'il est lu avant de le commenter.
              Et comme les mêmes causes entrainent les mêmes effets ..

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              • #8
                au hirak il faut encore des années pour éduquer la population

                ahlan wa sahlan
                "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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                • #9
                  Je n'ai pas eu le temps de lire et je ne crois pas le faire. J'ai expliqué pourquoi.
                  L'intellectualisme des révolutions, en sortir des concepts théoriques, ca n'a jamais rien donné. Les révolutions sont ce qu'elles sont, des époques de non rationalité, de violence, d'anarchie, de désordre. Les ausculter, selon moi, c'est de la pure perte de temps.
                  Vaut mieux analyser l'Algérie à partir de 62 ou même par apres.

                  Mais bon, ca c'est moi.
                  Je ne suis ni un sociologue ni un historien.
                  C'est un simple avis d'un Algérien.

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                  • #10
                    Je ne suis ni un sociologue ni un historien.
                    d'accord
                    Je n'ai pas eu le temps de lire et je ne crois pas le faire
                    d'accord aussi


                    C'est un simple avis d'un Algérien.

                    oui, ce n'est qu'un avis

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                    • #11
                      El moufid , Bog
                      "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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                      • #12
                        El moufid

                        Je dis bien nos historiens et non pas nos intellectoman

                        dois-je rajouter clown aux intellectoman LOL

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                        • #13
                          Merci pour le partage..

                          Très instructif..
                          J'ai lu le texte 2 fois !
                          Et je lirai probablement le livre..

                          Il plairait fortement à Benabi - Allah Yarhmou - de savoir que la primauté du militaire est de nouveau aux première loges !

                          Une justice divine dirait-on..


                          Merci encore..

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                          • #14
                            dois-je rajouter clown aux intellectoman LOL
                            les felins EL Moufid²
                            -ps / c a madame , ou a la ville ,le Bogary , c juste pour plus de compréhension, du texte



                            Merci encore..

                            t'as oublié votre cris de guerre..........ila el amam.......la 3em voie
                            Dernière modification par zemfir, 30 novembre 2019, 11h27.
                            "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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                            • #15
                              Bog , c plus fort que moi , tu doit t'habituer a cela ,
                              Dernière modification par zemfir, 30 novembre 2019, 11h27.
                              "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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