Contribution
Après des élections imposées, le soulèvement populaire algérien continuera d’aller à l’assaut d’un système politique militarisé
Le peuple algérien montre chaque jour que grâce à sa mobilisation il remportera la victoire contre des élections que les tenants du système ont voulu lui imposer, comme un moyen de leur survie.
Sans négliger cette bataille de l’heure qui, de toutes façons, devait être menée pour mieux passer aux batailles suivantes, il est utile de penser aux mobilisations de demain pour concrétiser les objectifs que le peuple s’est fixés depuis février 2019. Mais on ne peut organiser les luttes de l’avenir qu’en regardant l’essentiel du rapport de force actuel.
Où en est-on donc en Algérie plus de 9 mois après le déclenchement du soulèvement populaire de février 2019 ? Des centaines de milliers d’Algériens, dans toutes les régions du pays, continuent de marcher chaque vendredi et chaque mardi pour dire leur rejet du système politique et de ses symboles.
D’autres actions sectorielles se sont multipliées : grèves sectorielles, nationales ou régionales, initiatives de nombreux avocats, d’enseignants, de travailleurs, de personnalités, de partis, de syndicats et de collectifs associatifs acquis aux revendications du peuple, renforcent et alimentent les luttes du peuple pour sa liberté.
Tout indique que malgré les difficultés, la répression et les arrestations le peuple algérien a su trouver la voie et les ressources indispensables pour mener son combat, massivement, pacifiquement, avec détermination, désormais debout, répétant ses objectifs et les complétant patiemment au fur et à mesure que son combat l’exige.
C’est dire que contre un système qui a souvent voulu régner en manipulant les hommes, les régions et les symboles, les acteurs du soulèvement ont réussi à cimenter l’unité nationale et faire renaître l’espoir au sein du peuple.
Comme on le voit, nous commençons l’analyse de la situation politique par une présentation de l’état du soulèvement populaire. C’est que pour examiner la situation politique en Algérie, il convient désormais de regarder d’abord ce qui se passe au sein du peuple. Parce que c’est désormais un peuple en marche pour devenir maître de son destin. C’est dire que le soulèvement populaire a imposé un changement de méthode pour analyser la situation politique en Algérie. Au lieu de supputer ce qui se passe dans les arcanes du pouvoir et donc du commandement militaire, on doit regarder d’abord ce qui se passe au sein du peuple.
C’est que le soulèvement populaire a transformé les données du problème et révolutionné la scène politique. Après plusieurs mois de mobilisation, la jeunesse, suivie par des moins jeunes, des intellectuels et des personnalités a montré une extraordinaire capacité de mobilisation. Les acteurs du soulèvement ont su exprimer les aspirations populaires et trouver les voies qui portent cette vieille espérance : celle de vivre debout dans la liberté et la dignité. Le peuple dès lors clame, le plus souvent en chantant, qu’il a bien compris qu’il doit, quoi qu’il en coûte, agir pour prendre son destin en main. «Système dégage», «Yetnahaou ga3», ou «qu’ils partent tous», «Etat civil et non militaire», «Algérie libre et démocratique» ou encore «Klitou el blad ya serrakine» sont les principales revendications qui résument l’essentiel des objectifs exprimés par le soulèvement populaire.
On a souvent moqué ces objectifs, comme des objectifs peu raisonnables ou irréalisables et menant vers le vide.
Il faut donc redire pour qui veut, de bonne foi, regarder la réalité, qu’il s’agit là d’un véritable projet politique formulé par un peuple en lutte qui indique la direction souhaitée (c’est-à-dire le démantèlement du système autoritaire), un projet politique pour l’avenir, (c’est-à-dire un processus de construction démocratique), et appelle les mesures qui sont indispensables pour traduire dans la vie politique et sociale de telles orientations (c’est-à-dire l’organisation d’une transition démocratique).
Si on veut démanteler le système, il est en effet clair notamment dans la conscience collective que les institutions, les règles, les pratiques et les mécanismes qui ont conduit au désastre doivent être écartés.
Le soulèvement populaire a donc un projet qui est pratiquement un programme politique. «Yetnahaou ga3» n’est qu’une conséquence logique du rejet du système et de la prise de conscience des principaux acteurs du soulèvement indiquant que cette fois le peuple n’acceptera pas des réformes en trompe-l’œil qui ne peuvent aboutir qu’à une démocratie de façade dans laquelle les acteurs apparents sont en réalités téléguidés ou soumis au commandement militaire. «Yetnahaou ga3» complète donc le «départ» ou le démantèlement du système et signifie la dissolution du Parlement, du Conseil constitutionnel et le retrait de tout exercice de pouvoir à ceux qui ont activement soutenu ce système.
On ne voit pas en effet comment engager un processus démocratique fortement revendiqué par des millions de manifestants, en laissant en place les institutions et les responsables du système autoritaire qui ont soutenu ou couvert l’arbitraire, la hogra et la corruption. Non seulement il ne s’agit pas de foncer dans le vide, mais il s’agit d’un programme clair qui permet d’avancer vers la réalisation des aspirations de notre peuple. Le reste doit évidemment être l’affaire de la transition démocratique indispensable, dirigée par de nouveaux visages apparus ou à paraître au cours de cette longue lutte.
Mais personne n’est dupe, cette clarté des objectifs n’empêchera pas les adversaires ou les faux amis du soulèvement d’insister sur l’absence de programme, sur la peur du vide et le blocage de l’économie…
Le soulèvement populaire, comme souvent les combats pour la liberté et la démocratie, a enrichi son programme au fur et à mesure de sa lutte et des difficultés qu’il affronte. Les acteurs du soulèvement populaire réagissent, chaque fois qu’il s’avère nécessaire, aux politiques et à ce que j’appelle le déni des réalités du commandement militaire. Ils font la différence entre, d’un côté, le commandement militaire et, d’un autre côté, l’armée ou les soldats dont ils se déclarent «frères».
Ils appuient la grève des juges quand ils réclament l’indépendance de la justice, parce qu’ils savent pour l’avoir vécu ce que sont les procès qui se règlent par coups de téléphone des «gens» du pouvoir. Mais les acteurs du soulèvement populaire savent aussi voir les limites du Syndicat national des magistrats et de son président, la soumission de nombreux juges, devenus parfois des auxiliaires du système répressif. La lutte pour la liberté fait mûrir les revendications et les capacités pour combattre.
Et pour ne reprendre que la question de l’indépendance de la justice et celle des arrestations arbitraires, les acteurs du soulèvement savent désormais qu’il n’y aura aucun processus sérieux de construction démocratique et de justice digne de ce nom sans une politique de formation des juges aux droits de l’homme et sans le démantèlement des mécanismes qui soumettent la justice et les juges aux détenteurs du pouvoir politique et financier. Les acteurs du soulèvement ouvrent ainsi la voie aux réformes indispensables qui doivent être menées dès le début de la transition démocratique qu’ils réclament désormais très clairement.
Dans des formes établies ou nouvelles qui font leur originalité et leur force, ils montrent ainsi qu’ils ont le savoir-faire politique et ce faisant, ils se préparent au sens de l’Etat.
Chacun peut aujourd’hui observer la diversité des luttes engagées par la jeunesse, les étudiants, les enseignants, les avocats et d’autres professions. Ces luttes en cours approfondissent le projet politique du soulèvement et l’expérience de ses acteurs.
Alors que le débat devrait porter sur les questions relatives au soutien et à l’approfondissement de ces mobilisations, certains, sans autre argument que l’impatience ou la peur, ne cessent de réclamer, du haut de leur tribune, «qu’il faut maintenant des actions décisives pour en finir» ou «qu’il faut que le hirak s’organise».
Ces promoteurs d’actions «fortes» sont souvent de bonne foi. A ceux-là, compagnons de route de ce combat, nous dirons plus loin les leçons que chacun doit tirer du choix de la voie pacifique comme stratégie d’action choisie par le peuple. Jamais le soulèvement populaire n’a promis à personne que la lutte pacifique pour la liberté et la démocratie est à durée déterminée. La vérité, c’est que la mobilisation actuelle ne devrait cesser que lorsque des élections libres, contrôlées par les responsables d’une transition démocratique indépendante des tenants du système, seront organisées.
Grâce notamment à sa capacité de mobilisation sur la durée, le soulèvement populaire a permis de réaliser les clarifications et les décantations qui permettent non seulement d’approfondir ses objectifs mais aussi de clarifier les scènes politiques et sociales, ou en tout cas d’avancer dans cette direction. Je ne dis pas que ce travail est terminé.
La lutte, il faut le redire, avance bien mais elle n’est qu’à ses débuts. Il est désormais clair que le peuple algérien marchera encore durant de très nombreux vendredis… Cela signifie qu’on ne peut pas à la fois soutenir le soulèvement et clamer à chaque étape qu’on ne peut pas s’en remettre aux marches du vendredi. Celles-ci, complétées par les autres formes d’action, sont désormais la marque géniale du mouvement pour la démocratie en Algérie.
La clarification et la décantation continuent. On distingue désormais plus facilement ceux qui veulent vraiment que le système soit démantelé et ceux qui se cachent derrière des qualificatifs prétendus nationalistes et la peur du vide, pour préserver un système sans lequel ils ont peur soit de n’être rien, soit de faire apparaître au grand jour l’immensité des dégâts occasionnés au pays par leur politique et leur gestion.
C’est malheureusement encore le discours que tient le commandement militaire, appuyé par toutes les clientèles historiques ou construites autour de la préservation de leur pouvoir et de leurs intérêts. Tant que le commandement militaire ne reconnaît pas lui-même clairement la réalité notamment en ce qui concerne la nature du système politique, il ne sera pas possible d’avancer vers la satisfaction des revendications portées par le soulèvement du peuple. La balle est donc dans son camp
. C’est la responsabilité des tenants du système de prendre les mesures politiques sérieuses et fortes pour négocier la mise en place d’une période de transition démocratique avec les acteurs du soulèvement populaire. C’est désormais la seule voie pour se hisser à la hauteur de cet extraordinaire soulèvement populaire.
Cette manière de voir signifie que ce n’est pas aux acteurs du soulèvement de faire des concessions en renonçant aux revendications légitimes de démantèlement du système sans la satisfaction desquelles le système autoritaire et sa militarisation perdureront. Surtout, c’est une règle politique élémentaire pour tous ceux qui souhaitent légitimement jouer un rôle dans ce domaine, on ne négocie que lorsque l’adversaire annonce publiquement et prouve sa volonté de changer le système que le peuple rejette. Il ne s’agit pas seulement de sortir de prison des acteurs de la liberté.
Les mesures de libération et les mesures d’ouverture politique sont des préalables à la négociation. Ils ne sont que les éléments premiers qui ouvrent la voie à la négociation. La négociation, elle, a pour premier objectif l’organisation d’une transition démocratique.
C’est cette voie qui doit être publiquement engagée par les décideurs. Cette manière de voir sera d’une importance cruciale après le 12 décembre 2019 parce que les tenants du système tenteront peut-être quelques manœuvres et il conviendra de se départir de tout amateurisme politique, d’autant que le pouvoir algérien est réputé maître dans l’art de la manipulation. Il ne s’agit pas ici de refuser la négociation. Il s’agit de savoir s’y engager et s’entourer des précautions nécessaires pour la mener et des concertations indispensables pour rester fidèles aux revendications du soulèvement.
Après des élections imposées, le soulèvement populaire algérien continuera d’aller à l’assaut d’un système politique militarisé
Le peuple algérien montre chaque jour que grâce à sa mobilisation il remportera la victoire contre des élections que les tenants du système ont voulu lui imposer, comme un moyen de leur survie.
Sans négliger cette bataille de l’heure qui, de toutes façons, devait être menée pour mieux passer aux batailles suivantes, il est utile de penser aux mobilisations de demain pour concrétiser les objectifs que le peuple s’est fixés depuis février 2019. Mais on ne peut organiser les luttes de l’avenir qu’en regardant l’essentiel du rapport de force actuel.
Où en est-on donc en Algérie plus de 9 mois après le déclenchement du soulèvement populaire de février 2019 ? Des centaines de milliers d’Algériens, dans toutes les régions du pays, continuent de marcher chaque vendredi et chaque mardi pour dire leur rejet du système politique et de ses symboles.
D’autres actions sectorielles se sont multipliées : grèves sectorielles, nationales ou régionales, initiatives de nombreux avocats, d’enseignants, de travailleurs, de personnalités, de partis, de syndicats et de collectifs associatifs acquis aux revendications du peuple, renforcent et alimentent les luttes du peuple pour sa liberté.
Tout indique que malgré les difficultés, la répression et les arrestations le peuple algérien a su trouver la voie et les ressources indispensables pour mener son combat, massivement, pacifiquement, avec détermination, désormais debout, répétant ses objectifs et les complétant patiemment au fur et à mesure que son combat l’exige.
C’est dire que contre un système qui a souvent voulu régner en manipulant les hommes, les régions et les symboles, les acteurs du soulèvement ont réussi à cimenter l’unité nationale et faire renaître l’espoir au sein du peuple.
Comme on le voit, nous commençons l’analyse de la situation politique par une présentation de l’état du soulèvement populaire. C’est que pour examiner la situation politique en Algérie, il convient désormais de regarder d’abord ce qui se passe au sein du peuple. Parce que c’est désormais un peuple en marche pour devenir maître de son destin. C’est dire que le soulèvement populaire a imposé un changement de méthode pour analyser la situation politique en Algérie. Au lieu de supputer ce qui se passe dans les arcanes du pouvoir et donc du commandement militaire, on doit regarder d’abord ce qui se passe au sein du peuple.
C’est que le soulèvement populaire a transformé les données du problème et révolutionné la scène politique. Après plusieurs mois de mobilisation, la jeunesse, suivie par des moins jeunes, des intellectuels et des personnalités a montré une extraordinaire capacité de mobilisation. Les acteurs du soulèvement ont su exprimer les aspirations populaires et trouver les voies qui portent cette vieille espérance : celle de vivre debout dans la liberté et la dignité. Le peuple dès lors clame, le plus souvent en chantant, qu’il a bien compris qu’il doit, quoi qu’il en coûte, agir pour prendre son destin en main. «Système dégage», «Yetnahaou ga3», ou «qu’ils partent tous», «Etat civil et non militaire», «Algérie libre et démocratique» ou encore «Klitou el blad ya serrakine» sont les principales revendications qui résument l’essentiel des objectifs exprimés par le soulèvement populaire.
On a souvent moqué ces objectifs, comme des objectifs peu raisonnables ou irréalisables et menant vers le vide.
Il faut donc redire pour qui veut, de bonne foi, regarder la réalité, qu’il s’agit là d’un véritable projet politique formulé par un peuple en lutte qui indique la direction souhaitée (c’est-à-dire le démantèlement du système autoritaire), un projet politique pour l’avenir, (c’est-à-dire un processus de construction démocratique), et appelle les mesures qui sont indispensables pour traduire dans la vie politique et sociale de telles orientations (c’est-à-dire l’organisation d’une transition démocratique).
Si on veut démanteler le système, il est en effet clair notamment dans la conscience collective que les institutions, les règles, les pratiques et les mécanismes qui ont conduit au désastre doivent être écartés.
Le soulèvement populaire a donc un projet qui est pratiquement un programme politique. «Yetnahaou ga3» n’est qu’une conséquence logique du rejet du système et de la prise de conscience des principaux acteurs du soulèvement indiquant que cette fois le peuple n’acceptera pas des réformes en trompe-l’œil qui ne peuvent aboutir qu’à une démocratie de façade dans laquelle les acteurs apparents sont en réalités téléguidés ou soumis au commandement militaire. «Yetnahaou ga3» complète donc le «départ» ou le démantèlement du système et signifie la dissolution du Parlement, du Conseil constitutionnel et le retrait de tout exercice de pouvoir à ceux qui ont activement soutenu ce système.
On ne voit pas en effet comment engager un processus démocratique fortement revendiqué par des millions de manifestants, en laissant en place les institutions et les responsables du système autoritaire qui ont soutenu ou couvert l’arbitraire, la hogra et la corruption. Non seulement il ne s’agit pas de foncer dans le vide, mais il s’agit d’un programme clair qui permet d’avancer vers la réalisation des aspirations de notre peuple. Le reste doit évidemment être l’affaire de la transition démocratique indispensable, dirigée par de nouveaux visages apparus ou à paraître au cours de cette longue lutte.
Mais personne n’est dupe, cette clarté des objectifs n’empêchera pas les adversaires ou les faux amis du soulèvement d’insister sur l’absence de programme, sur la peur du vide et le blocage de l’économie…
Le soulèvement populaire, comme souvent les combats pour la liberté et la démocratie, a enrichi son programme au fur et à mesure de sa lutte et des difficultés qu’il affronte. Les acteurs du soulèvement populaire réagissent, chaque fois qu’il s’avère nécessaire, aux politiques et à ce que j’appelle le déni des réalités du commandement militaire. Ils font la différence entre, d’un côté, le commandement militaire et, d’un autre côté, l’armée ou les soldats dont ils se déclarent «frères».
Ils appuient la grève des juges quand ils réclament l’indépendance de la justice, parce qu’ils savent pour l’avoir vécu ce que sont les procès qui se règlent par coups de téléphone des «gens» du pouvoir. Mais les acteurs du soulèvement populaire savent aussi voir les limites du Syndicat national des magistrats et de son président, la soumission de nombreux juges, devenus parfois des auxiliaires du système répressif. La lutte pour la liberté fait mûrir les revendications et les capacités pour combattre.
Et pour ne reprendre que la question de l’indépendance de la justice et celle des arrestations arbitraires, les acteurs du soulèvement savent désormais qu’il n’y aura aucun processus sérieux de construction démocratique et de justice digne de ce nom sans une politique de formation des juges aux droits de l’homme et sans le démantèlement des mécanismes qui soumettent la justice et les juges aux détenteurs du pouvoir politique et financier. Les acteurs du soulèvement ouvrent ainsi la voie aux réformes indispensables qui doivent être menées dès le début de la transition démocratique qu’ils réclament désormais très clairement.
Dans des formes établies ou nouvelles qui font leur originalité et leur force, ils montrent ainsi qu’ils ont le savoir-faire politique et ce faisant, ils se préparent au sens de l’Etat.
Chacun peut aujourd’hui observer la diversité des luttes engagées par la jeunesse, les étudiants, les enseignants, les avocats et d’autres professions. Ces luttes en cours approfondissent le projet politique du soulèvement et l’expérience de ses acteurs.
Alors que le débat devrait porter sur les questions relatives au soutien et à l’approfondissement de ces mobilisations, certains, sans autre argument que l’impatience ou la peur, ne cessent de réclamer, du haut de leur tribune, «qu’il faut maintenant des actions décisives pour en finir» ou «qu’il faut que le hirak s’organise».
Ces promoteurs d’actions «fortes» sont souvent de bonne foi. A ceux-là, compagnons de route de ce combat, nous dirons plus loin les leçons que chacun doit tirer du choix de la voie pacifique comme stratégie d’action choisie par le peuple. Jamais le soulèvement populaire n’a promis à personne que la lutte pacifique pour la liberté et la démocratie est à durée déterminée. La vérité, c’est que la mobilisation actuelle ne devrait cesser que lorsque des élections libres, contrôlées par les responsables d’une transition démocratique indépendante des tenants du système, seront organisées.
Grâce notamment à sa capacité de mobilisation sur la durée, le soulèvement populaire a permis de réaliser les clarifications et les décantations qui permettent non seulement d’approfondir ses objectifs mais aussi de clarifier les scènes politiques et sociales, ou en tout cas d’avancer dans cette direction. Je ne dis pas que ce travail est terminé.
La lutte, il faut le redire, avance bien mais elle n’est qu’à ses débuts. Il est désormais clair que le peuple algérien marchera encore durant de très nombreux vendredis… Cela signifie qu’on ne peut pas à la fois soutenir le soulèvement et clamer à chaque étape qu’on ne peut pas s’en remettre aux marches du vendredi. Celles-ci, complétées par les autres formes d’action, sont désormais la marque géniale du mouvement pour la démocratie en Algérie.
La clarification et la décantation continuent. On distingue désormais plus facilement ceux qui veulent vraiment que le système soit démantelé et ceux qui se cachent derrière des qualificatifs prétendus nationalistes et la peur du vide, pour préserver un système sans lequel ils ont peur soit de n’être rien, soit de faire apparaître au grand jour l’immensité des dégâts occasionnés au pays par leur politique et leur gestion.
C’est malheureusement encore le discours que tient le commandement militaire, appuyé par toutes les clientèles historiques ou construites autour de la préservation de leur pouvoir et de leurs intérêts. Tant que le commandement militaire ne reconnaît pas lui-même clairement la réalité notamment en ce qui concerne la nature du système politique, il ne sera pas possible d’avancer vers la satisfaction des revendications portées par le soulèvement du peuple. La balle est donc dans son camp
. C’est la responsabilité des tenants du système de prendre les mesures politiques sérieuses et fortes pour négocier la mise en place d’une période de transition démocratique avec les acteurs du soulèvement populaire. C’est désormais la seule voie pour se hisser à la hauteur de cet extraordinaire soulèvement populaire.
Cette manière de voir signifie que ce n’est pas aux acteurs du soulèvement de faire des concessions en renonçant aux revendications légitimes de démantèlement du système sans la satisfaction desquelles le système autoritaire et sa militarisation perdureront. Surtout, c’est une règle politique élémentaire pour tous ceux qui souhaitent légitimement jouer un rôle dans ce domaine, on ne négocie que lorsque l’adversaire annonce publiquement et prouve sa volonté de changer le système que le peuple rejette. Il ne s’agit pas seulement de sortir de prison des acteurs de la liberté.
Les mesures de libération et les mesures d’ouverture politique sont des préalables à la négociation. Ils ne sont que les éléments premiers qui ouvrent la voie à la négociation. La négociation, elle, a pour premier objectif l’organisation d’une transition démocratique.
C’est cette voie qui doit être publiquement engagée par les décideurs. Cette manière de voir sera d’une importance cruciale après le 12 décembre 2019 parce que les tenants du système tenteront peut-être quelques manœuvres et il conviendra de se départir de tout amateurisme politique, d’autant que le pouvoir algérien est réputé maître dans l’art de la manipulation. Il ne s’agit pas ici de refuser la négociation. Il s’agit de savoir s’y engager et s’entourer des précautions nécessaires pour la mener et des concertations indispensables pour rester fidèles aux revendications du soulèvement.
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