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La résistance de l’Emir Abdelkader à travers l’historiographie maghrébine traditionnelle

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  • La résistance de l’Emir Abdelkader à travers l’historiographie maghrébine traditionnelle

    Ce qui suit est extrait d'un article du Pr. Mohamed Ghalem.
    Quelles sont les positions adoptées par le discours historique traditionnel au Maghreb face à l’expérience – résistance et Etat – de l’Emir Abdelkader ?
    Ce discours a-t-il des bases cognitives qui le qualifient pour transmettre le message de « la nation et la modernité » symbolisé par les actes de l’Emir Abdelkader ?
    C’est là la question posée dans cet article. Pour la traiter, j’ai sélectionné deux ouvrages :
    • « Investigations sur les relations sur les Etats du Maghreb Extrême » d’An Naciri (al istiqça – الاستقصا في أخبار دول المغرب الأقصى)
    • et « Sa’ed sou’oud » de Mazari ( طلوع سعد السعود في أخبار مدينة وهران و مخزنها الأسود).

    […]
    Naciri distingue deux phases dans la résistance algérienne sous la direction de l’Emir Abdelkader : une première phase où il considère que l’Emir est un moudjahid et la résistance un djihad, et une deuxième phase où il traite l’Emir d’agitateur, de corrompu, de démon et de sournois, et où il qualifie la résistance de combat sans fruits puis comme fitna (troubles destructeurs) parce qu’elle a abouti à la perversion (ifsâd) des tribus maghrébines.

    1. An-Naciri
    Les origines d’Ahmed ibn Khaled Naciri Slaoui remontent au fondateur de la zaouïa Naciria au Maghreb Extrême.
    Il est né à Salé en 1835, où il fit ses premières classes. Il a ensuite poursuivi ses études à l’université Al Qaraouiyine. Après avoir achevé ses études, il a occupé des fonctions dans le makhzen à Salé, Casablanca, Marrakech, Tanger, Fès et ailleurs.
    […]
    Naciri a écrit plusieurs ouvrages, mais celui qui est à la base de sa notoriété c’est « al istiqça ».
    Il est décédé à Salé en 1897.

    2. al istiqça
    La publication de al istiqça représente une avancée inédite du mouvement de l’écriture au Maroc. Naciri ne s’y est pas limité à une période déterminée mais y a traité l’histoire générale de son pays. Selon Laroui, al istiqça est la première publication exhaustive de l’histoire du Maghreb Extrême, de présentation de données relatives à l’histoire politique, qui étaient dispersées dans d’autres ouvrages et biographies.

    Pour Laroui, l’auteur présente expressément le message qu’il veut transmettre à travers cet ouvrage, à savoir toutes les composantes qui concernent l’histoire générale du Maghreb Extrême. Les historiens qui l’ont précédé ne se sont intéressés qu’à l’un des aspects particuliers de l’histoire du Maghreb Extrême parce qu’ils ne percevaient pas cette histoire comme partie intégrante d’une histoire plus générale et plus globale.

    D’un point de vue méthodologique, al istiqça n’est pratiquement rien d’autre qu’une compilation de textes et relations (أخبار) qui figurent dans des publications antérieures comme celles d’Ibn Zarae, Ibn Khaldoun, Afrani, Ziani, Qadiri et d’autres. Naciri l’a structuré sous la forme d’« annales » où il cite l’année au début et les décès à la fin.

    Naciri ne déduit pas les tendances générales mais a produit un « journal » qui relate des faits sans les lier intellectuellement les uns aux autres. Cette méthode ne permet pas à l’historien d’analyser les faits de la période traitée ni d’émettre un avis global dessus.

    al istiqça qui a été édité pour la première fois au Caire au début du XXème siècle, se compose de quatre parties :
    • Première partie : la tradition du prophète (sîra) et des quatre premiers khalifes, la fondation de Fès et des dynasties almoravide et almohade (المرابطون و الموحدون).
    • Deuxième partie : historiographie détaillée des Mérinides et des Wattassides (المرينيين و الوطاسيين)
    • Troisième partie : historiographie des Saadiens (السعديين)
    • Quatrième partie : historiographie des Alaouites (العلويين). Dans cette partie, il aborde la question de la conquête de l’Algérie par les Français, la position du Maroc vis-à-vis de cette conquête et la résistance armée sous la direction de l’Emir Abdelkader.


    3. L’Emir à la lumière de l’istiqça
    Naciri parle de la résistance armée sous le commandement de l’Emir Abdelkader dans le prolongement de son discours sur la position marocaine vis-à-vis de l’occupation française de l’Algérie en 1830.

    Naciri résume sa position vis-à-vis de l’Emir Abdelkader et de la résistance par cette formule :
    « En gros, Hadj Abdelkader était au début tout à fait convenable quant à sa persévérance dans le djihad et l’écrasement de l’ennemi. Cependant, au final, son attitude a complètement changé et finalement les territoires sont revenus aux Français. »

    Naciri souligne que ce jugement n’est pas subjectif mais la réalité qu’il a découverte :

    « Je sais que certains critiques vont s’arrêter sur ce que nous avons relaté comme nouvelles sur cet homme et vont y voir un parti-pris sectaire et une inconvenance. En fait, la réponse est que tout ce que nous avons relaté n’est que réalité. »

    Il ne cache pas que sa position est aussi la position marocaine officielle mais il ne considère nullement cela comme une flagornerie ou de la complaisance à l’égard du makhzen marocain.

    Avant d’entamer l’explication des bases théoriques qui déterminent le discours historique chez Naciri, nous allons d’abord préciser son avis sur l’Emir et sur la résistance en général. Naciri distingue deux phases dans la résistance algérienne sous la direction de l’Emir Abdelkader : une première phase où il considère que l’Emir est un moudjahid et la résistance un djihad, et une deuxième phase où il traite l’Emir d’agitateur, de corrompu, de démon et de sournois, et où il qualifie la résistance de combat sans fruits puis comme fitna (troubles destructeurs) parce qu’elle a abouti à la perversion (ifsâd) des tribus maghrébines.

    Comment Naciri justifie-t-il cette transformation de la résistance passée de djihad à fitna ?

    En fait, la fin de sa formule : « son attitude a complètement changé et finalement les territoires sont revenus aux Français. » , est pour Naciri la justification de la transformation dont il parle.

    3. Pourquoi et comment l’Emir a-t-il changé ?
    Naciri répond : parce que les intentions de l’Emir ont dégénéré durant cette deuxième période. Au début, Naciri considérait que l’Emir combattait au nom du sultan et sous la bannière du makhzen [marocain] et puis quand Moulay Abderrahmane l’a appelé à soit cesser la résistance soit partir au Sahara, il a rejeté ces deux options, a fait preuve d’orgueil et a renié l’autorité du sultan. Il s’est mis : « à pervertir les tribus maghrébines » et « à pousser les gens de la région à venir lui prêter allégeance et à se mettre sous son autorité ».

    Il ne fait aucun doute que l’Emir Abdelkader a rejeté les offres du sultan marocain pour des raisons sensées, seulement, « l’allégation de la vassalité au Maghreb Extrême » citée dans des correspondances du makhzen n’est pas établie. L’Emir Abdelkader a nié la véracité de cette vassalité et pour preuve, l’envoi d’une ambassade de l’Emir à Fès, sous la conduite de son représentant (khelifa) Bouhamidi, dément cette allégation (Maziri confirme l’envoi de cette ambassade).

    Il se trouve que Naciri ne traite pas la question sous l’angle de la recherche historique mais sous l’angle strictement idéologique. Pour Naciri, l’Emir Abdelkader, en sa qualité de [/I]« gouverneur du sultan marocain »[/I], se devait d’exécuter les ordres et de se conformer à la servitude chérifienne. Tout acte qui sort des limites de cette servitude est considéré comme acte de désobéissance et de rejet « de la soumission au véritable imam et à qui allégeance a été prêtée [par l’Emir] ».

    En considérant l’Emir Abdelkader comme : « le serviteur du sultan au Maghreb Central », Naciri ne reconnait pas la légitimité de l’allégeance qui lui a été prêtée ni la légitimité du titre d’émir qui lui a été attribué, car seuls les membres de la famille alaouite ont droit à l’allégeance et à l’émirat. Naciri rejette le fait qu’Abdelkader soit émir (il le désigne par l’appellation Hadj Abdelkader) parce que celui-ci descend d’une famille almoravide qui appartient à la confrérie soufie (tariqa) « al qadiriya ». Du point de vue de Naciri, les cheikhs des confréries soufies ne sont pas habilités à diriger les musulmans ni à en être les émirs parce qu’ils sont source de troubles (fitna) : « les tariqa brisent la chaîne d’obéissance et cassent la cohésion entre humains » et elles apparaissent de manière à attirer vers elles « les ignorants, les aveuglés et les égarés ».

    Naciri est un historiographe officiel pour qui le point de départ est la défense du pouvoir royal au Maghreb Extrême et il considère que l’unité du Maghreb Extrême réside dans l’unité de son pouvoir central. Tout rejet de l’obéissance au sultan est fitna et toute fitna est égarement, ce qui conduit à une cassure au sein du « groupe » (الجماعة) et ébranle les fondements de celui-ci.

    Du fait de sa formation traditionnelle, Naciri adopte à la fois la position de l’historiographe officiel qui place le pouvoir central au dessus de toute considération et celle du savant salafiste qui rejette la fitna (la fitna est pire que la tuerie). Pour lui, les confréries soufies sont à l’origine : « de la dégradation qui a touché les musulmans ».

    4. « les territoires sont revenus aux Français »
    Naciri souligne qu’après la défaite d’Isly, la résistance est devenue un[/I] « djihad sans fruits »[/I], que ce djihad n’est plus utile mais est devenu nuisible et que : « la résolution de hadj Abdelkader n’est plus qu’impuissance ». Depuis que les troupes françaises se sont emparé de la Zmala de l’Emir en 1843, la résistance a, du point de vue de Naciri, perdu ses principales forces vu que l’armée française a consolidé sa mainmise sur la région ouest et s’est emparé des principales villes algériennes.

    Après la conclusion de l’accord de paix entre le Maghreb Extrême et la France à la suite de la bataille d’Isly en 1844, le « djihad sans fruits » s’est transformé en fitna.

    Pour Naciri, cet accord représente : « une victoire pour le Maghreb Extrême » parce qu’il est : [/I]« avantageux pour l’Islam et les Musulmans »[/I]. Pour lui, après la défaite de 1844, le Maghreb Extrême était menacé dans sa souveraineté, son intégrité territoriale et l’unité de son pouvoir. Le but de la conclusion de l’accord de paix était de : « fermer la porte à la fitna pour l’élite et pour la masse ». Dans ces conditions, l’obstination à continuer la résistance et à combattre les Français ne sert pas les intérêts du Maghreb Extrême et de son pouvoir mais prend les traits d’une fitna et d’une trahison.

    Naciri considère la résistance sous l’angle des intérêts politiques et juridiques du makhzen alaouite et son sort est déterminé en fonction des intérêts supérieurs du Maghreb Extrême et de son pouvoir. Le positionnement idéologique qui est le sien l’a empêché de percevoir les dimensions réelles de la résistance algérienne du temps de l’Emir Abdelkader, lesquelles consistaient en la fondation d’un Etat qui opère une rupture avec la pensée politique traditionnelle au Maghreb Arabe, qui rassemble les territoires algériens, qui unifie les tribus sur la base de l’abolition des privilèges et qui affirme l’unité du pouvoir central.

    Naciri, en tant qu’historiographe qui recherche la vérité historique, reconnait à l’émir « le courage » et « le bon jugement » dans les arts de la guerre, qu’il est l’homme qui a étourdi l’armée française qu’il a battue au cours de plusieurs batailles. Il va même jusqu’à soutenir l’émir quand celui-ci a attiré l’attention de Moulay Abderrahmane sur la nécessité de réformer l’armée et de se préparer sérieusement pour affronter l’armée française dans la bataille d’Isly. Il dit à ce propos : « Quand le khelifa Sidi Mohammed est parvenu à Isly et y a établi son cantonnement, hadj Abdelkader est venu à lui… et ils ont eu une discussion… et Abdelkader a montré comment lui, il combattait l’ennemi… C’était là des paroles justes mais il n’a pas réussi à convaincre du fait de la corruption des desseins. »
    […]
    Le discours de Naciri reflète « les intérêts d’un pouvoir du makhzen » en position défensive. […]

    L’historiographie traditionnelle au Maghreb repose sur des bases intellectuelles qui ne consacrent pas la prise de conscience des dimensions réelles de l’Etat que l’Emir Abdelkader voulait édifier. Le message de « la nation et la modernité », symbolisé par ses réformes n’est pas perceptibles dans le discours historique traditionnel mais l’est dans le discours historique européen avec ses deux facettes : colonialistes et libéral (regard de l’autre) et dans le discours nationaliste qui s’appuie sur la conscience de la modernité.

    Pr. Mohamed Ghalem
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    tu le trouves pas trop makhzni , le Naciri ?

    En rapport à l'Émir Abdelkader, je ne sais vraiment pas quoi penser.
    ìl a été emblématique pour le FLN et me le rend du coup suspect, j'ai une trop grande méfiance de tout ce que les enfants de ce parti disent ou font.

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    • #3
      Naciri était officiellement un historiographe au service de la monarchie alaouite:
      Il [Naciri] ne cache pas que sa position est aussi la position marocaine officielle mais il ne considère nullement cela comme une flagornerie ou de la complaisance à l’égard du makhzen marocain.
      La position de la monarchie alaouite vis à vis de l'Emir Abdelkader a changé en 1843, bien avant la bataille d'Isly et la signature de l'accord entre la France et le Maroc en 1844.
      Envoyé par Bachi
      ìl a été emblématique pour le FLN et me le rend du coup suspect, j'ai une trop grande méfiance de tout ce que les enfants de ce parti disent ou font.
      Le FLN post-indépendance a instrumentalisé à son profit presque toutes les figures de proue de la lutte anti-coloniale. Cela ne rend pas pour autant ceux-ci "suspects".
      Ceux qui se sont accaparés à leur profit du sigle du FLN après l'indépendance, ont pensé qu'ils peuvent se targuer d'une légitimité historique et révolutionnaire en glorifiant les héros de la lutte anti-coloniale et du mouvement national en prétendant qu'ils en sont les continuateurs. C'est pour cela qu'il est temps de mettre ce sigle au musée et on a déjà trop tardé à le faire.
      "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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