C’est un ancien premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika qui a gagné l’élection présidentielle algérienne, vendredi. Abdelmadjid Tebboune l’a officiellement emporté dès le premier tour avec 58 % des suffrages. Le taux d’abstention approcherait les 60 %. Les hirakistes, qui ont fait disparaître M. Bouteflika du paysage politique, ont de nouveau occupé la rue au lendemain de l’élection, réclamant de vrais changements et déniant toute légitimité au président élu. « C’est un moment anarchisant assez sympathique, mais qui demande beaucoup de souffle. Je pense que, au niveau populaire, on va se diriger vers une forme de radicalisation face à l’élection présidentielle imposée ».
Cette enquête sur le mouvement de contestation pacifique commencé en février dernier vaut au Monde diplomatique de n’être toujours pas distribué en Algérie. La voici donc en accès libre.
Hirak, le réveil du volcan algérien
En Algérie, le Hirak, ou mouvement de contestation populaire, entamé le 22 février, ne faiblit pas. Après avoir obtenu la démission de M. Abdelaziz Bouteflika, il entend s’opposer à l’élection présidentielle, fixée au 12 décembre. Conspuant les cinq candidats du sérail en lice pour le scrutin, les manifestants réclament une période de transition et une refonte du système. Une exigence à laquelle le pouvoir oppose une fin de non-recevoir.
Un reportage de Arezki Metref
Le Monde diplomatique ↑
Alger, vendredi 1er novembre. Des dizaines de milliers de personnes descendent des hauteurs de la ville et s’engagent dans la rue Didouche-Mourad. L’artère centrale s’avère trop étroite pour contenir ce flot humain. Jeunes, enfants, femmes, vieillards forment un torrent humain bigarré, arborant les couleurs du drapeau algérien sous toutes les formes : chapeaux, écharpes, calicots, tee-shirts, emblèmes divers. Le bourdonnement grêle des hélicoptères des forces de l’ordre ne parvient pas à couvrir les slogans. Les manifestants clament leur refus de l’élection présidentielle prévue le 12 décembre et s’en prennent au chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, homme fort du régime depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril dernier (1).
Ils réclament son départ, ainsi que ceux du président par intérim, M. Abdelkader Bensalah, et du premier ministre, M. Noureddine Bedoui. « Algérie libre et démocratique », « État civil et non militaire », « Par Dieu, on ne s’arrêtera pas », « Vous avez ruiné le pays, bande de voleurs », « Lâches que vous êtes, libérez nos enfants », « Pas de dialogue, pas d’élections avec la mafia », scande encore le Hirak — terme qui désigne le mouvement de protestation populaire, que l’on se trouve en Algérie, dans le Rif marocain ou au Liban. Il y a aussi des chants, dont le tube Liberté, du rappeur Soolking, et le célèbre La casa del Mouradia, l’hymne contestataire de la jeunesse des stades (2). Les références au combat anticolonial sont omniprésentes, certains en appelant à Ali la Pointe, héros de la bataille d’Alger. Preuve édifiante de la détestation du pouvoir, les hirakistes chantent à l’unisson « Istiqlal ! Istiqlal ! » (« Indépendance ! »), puis « Les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance ». Ce trente-septième vendredi de manifestation d’affilée coïncide en effet avec le 65e anniversaire du déclenchement, le 1er novembre 1954, de la lutte de libération qui conduisit à la fin de la domination coloniale française.
Une centaine de prisonniers d’opinion
Pour atténuer l’ampleur des cortèges dans Alger, le pouvoir tente depuis l’été d’empêcher les habitants du reste du pays de s’y rendre. Des barrages de police et de gendarmerie sont dressés en amont de la ville pour restreindre la circulation ; celles et ceux dont les plaques d’immatriculation ou les papiers d’identité indiquent qu’ils vivent en dehors de la capitale sont forcés de faire demi-tour. Résultat : les irréductibles ne craignent pas de marcher des dizaines de kilomètres pour contourner les barrages et participer au Hirak. D’autres embarquent à partir de villes côtières pour rejoindre les plages algéroises ; l’humour populaire les surnomme « les harragas [clandestins] de l’intérieur ».
Les autorités, qui n’hésitent pas à perturber Internet pour empêcher la retransmission vidéo des marches, essaient aussi de susciter des manifestations en faveur de l’élection présidentielle. La télévision nationale, plus que jamais aux ordres malgré les protestations de nombre de ses journalistes, est convoquée pour filmer en gros plans fixes les quelques dizaines de personnes réunies pour l’occasion. Des initiatives vouées à l’échec, et qui provoquent les railleries. Le 7 novembre, à Tlemcen (Ouest), des hirakistes munis d’insecticides et d’eau de Javel lavaient à grande eau une petite place où venait de se tenir un « rassemblement spontané » d’une cinquantaine de personnes en soutien à l’armée et au scrutin présidentiel.
S’il a évité jusqu’à présent de recourir à la force contre les manifestants du vendredi, le pouvoir a néanmoins opté pour une répression et des intimidations ciblées. Celles-ci visent tout autant de jeunes militants que de simples citoyens arrêtés et condamnés pour l’exemple. Selon un bilan officieux d’organisations non gouvernementales (ONG) algériennes, dont le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), on comptait à la fin octobre plus d’une centaine de prisonniers d’opinion. D’autres estimations en évoquent trois cents ; le chiffre exact est difficile à connaître, puisque les autorités refusent de le communiquer (3). Le 12 novembre, la justice a condamné à de la prison ferme vingt-huit personnes arrêtées en possession d’un drapeau amazigh (berbère). Plusieurs personnalités sont derrière les barreaux, tels M. Lakhdar Bouregaa, un héros très respecté de la guerre d’indépendance âgé de 86 ans, ou M. Karim Tabbou, ancien responsable du Front des forces socialistes (FFS) et figure médiatique du Hirak. L’un et l’autre sont accusés d’avoir porté atteinte au moral de l’armée.
À la mi-novembre, les Algériens doutaient de la capacité du pouvoir à organiser des élections dans un tel climat de défiance. Mais, quelle que soit l’issue du scrutin, rares sont ceux qui voient le Hirak s’arrêter de sitôt. Pour prendre la mesure des dynamiques et des difficultés de ce mouvement à maints égards historique — ne serait-ce que parce qu’il est pacifique, il faut en retracer la genèse.
Dans un contexte d’interrogations quant à l’avenir et à la succession du président Bouteflika, l’année 2018 a été marquée par des luttes au sommet du pouvoir, attisées par de multiples révélations d’affaires de corruption et de trafics que les clans dirigeants s’imputaient mutuellement. Un exemple parmi tant d’autres : la cargaison de sept quintaux de cocaïne découverte par les services de sécurité sur un bateau à quai dans le port d’Oran (4). Le navire était censé transporter de la viande rouge en provenance du Brésil pour le compte d’un importateur proche du pouvoir, M. Kamel Chikhi, alias Kamel le Boucher. Outre ce dernier, de nombreux officiers supérieurs, des responsables de la police, des magistrats, de hautes personnalités politiques et même des imams ont été arrêtés ou poursuivis. L’affaire, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, a tellement choqué les Algériens, pourtant habitués aux turpitudes de leurs dirigeants, que l’un des slogans du Hirak est : « Libérez les détenus, ils n’ont pas vendu de cocaïne. »
Le 9 février 2019, la confirmation de la candidature de M. Bouteflika, grabataire, à un cinquième mandat présidentiel provoquait une onde de colère et d’indignation. Alors qu’articles, montages photographiques et textes rageurs foisonnaient sur les réseaux sociaux, c’est à Kherrata, le 16 février 2019, que ce qui allait devenir le Hirak a démarré. Dans cette petite ville de l’Est algérien, théâtre des massacres du 8 mai 1945 commis par l’armée française et ses supplétifs européens contre la population musulmane, des jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la réélection annoncée du président. Le 19, son portrait géant accroché à la façade de la mairie — conformément au culte de la personnalité imposé à la population — était arraché et déchiqueté par la foule. Trois jours plus tard, le vendredi 22, après qu’un appel anonyme à manifester eut circulé sur les réseaux sociaux, débutait dans tout le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, un mouvement qui déboucha à la fois sur la démission de M. Bouteflika et sur l’annulation du scrutin prévu le 18 avril.
« Le peuple a dépassé les fractures des années 1990 »
Vice-président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), M. Djalal Mokrani a vu la première marche partir de Bab El-Oued. Il préparait alors avec ses collègues une action prévue pour le lendemain dans les locaux de l’association, situés au centre-ville. « On a tout laissé en plan et on a rejoint les citoyens, qui étaient de plus en plus nombreux », nous racontait-il quelques jours avant son arrestation, en compagnie d’autres militants du RAJ, le 4 octobre dernier. Cinq d’entre eux sont accusés d’« incitation à attroupement et atteinte à la sécurité de l’État ». Leur emprisonnement a provoqué un élan de solidarité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le RAJ dénonçant quant à lui « des pratiques condamnables, scandaleuses et despotiques d’un régime agonisant qui veut se maintenir coûte que coûte ».
Comment, dans un pays où la population avait suivi de loin les révoltes populaires arabes de 2011, un tel élan a-t-il pu surgir de manière aussi soudaine ? C’est avant tout la colère des jeunes qui a joué un rôle déterminant. Écrivain et journaliste au quotidien indépendant francophone El Watan, Mustapha Benfodil se trouvait en reportage dans les quartiers populaires en bordure d’Alger quelques jours avant la manifestation du 22 février. « Les jeunes n’avaient qu’un mot à la bouche : “humiliation”. Ils ne supportaient plus l’image de Bouteflika, un homme quasiment mort, utilisé comme un pantin par ce que l’on appelle depuis la ‘içaba, c’est-à-dire “la bande”. » De son côté, Mme Intissar Bendjabellah, 30 ans, doctorante en littérature française, militante féministe et figure de la contestation dans la capitale, relève que le Hirak n’est « pas uniquement un mouvement de jeunes, mais ces derniers sont en tête des cortèges, plus nombreux et plus virulents ». Le grand rassemblement du 22 février fut d’ailleurs précédé de celui des étudiants, le 19. Depuis, chaque manifestation du mardi après-midi donne le ton. Elle répond au discours, le matin même, du général Gaïd Salah (5), et préfigure en même temps celle du vendredi, notamment en ce qui concerne l’attitude plus ou moins répressive des forces de l’ordre.
Cette enquête sur le mouvement de contestation pacifique commencé en février dernier vaut au Monde diplomatique de n’être toujours pas distribué en Algérie. La voici donc en accès libre.
Hirak, le réveil du volcan algérien
En Algérie, le Hirak, ou mouvement de contestation populaire, entamé le 22 février, ne faiblit pas. Après avoir obtenu la démission de M. Abdelaziz Bouteflika, il entend s’opposer à l’élection présidentielle, fixée au 12 décembre. Conspuant les cinq candidats du sérail en lice pour le scrutin, les manifestants réclament une période de transition et une refonte du système. Une exigence à laquelle le pouvoir oppose une fin de non-recevoir.
Un reportage de Arezki Metref
Le Monde diplomatique ↑
Alger, vendredi 1er novembre. Des dizaines de milliers de personnes descendent des hauteurs de la ville et s’engagent dans la rue Didouche-Mourad. L’artère centrale s’avère trop étroite pour contenir ce flot humain. Jeunes, enfants, femmes, vieillards forment un torrent humain bigarré, arborant les couleurs du drapeau algérien sous toutes les formes : chapeaux, écharpes, calicots, tee-shirts, emblèmes divers. Le bourdonnement grêle des hélicoptères des forces de l’ordre ne parvient pas à couvrir les slogans. Les manifestants clament leur refus de l’élection présidentielle prévue le 12 décembre et s’en prennent au chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, homme fort du régime depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril dernier (1).
Ils réclament son départ, ainsi que ceux du président par intérim, M. Abdelkader Bensalah, et du premier ministre, M. Noureddine Bedoui. « Algérie libre et démocratique », « État civil et non militaire », « Par Dieu, on ne s’arrêtera pas », « Vous avez ruiné le pays, bande de voleurs », « Lâches que vous êtes, libérez nos enfants », « Pas de dialogue, pas d’élections avec la mafia », scande encore le Hirak — terme qui désigne le mouvement de protestation populaire, que l’on se trouve en Algérie, dans le Rif marocain ou au Liban. Il y a aussi des chants, dont le tube Liberté, du rappeur Soolking, et le célèbre La casa del Mouradia, l’hymne contestataire de la jeunesse des stades (2). Les références au combat anticolonial sont omniprésentes, certains en appelant à Ali la Pointe, héros de la bataille d’Alger. Preuve édifiante de la détestation du pouvoir, les hirakistes chantent à l’unisson « Istiqlal ! Istiqlal ! » (« Indépendance ! »), puis « Les généraux à la poubelle, l’Algérie aura son indépendance ». Ce trente-septième vendredi de manifestation d’affilée coïncide en effet avec le 65e anniversaire du déclenchement, le 1er novembre 1954, de la lutte de libération qui conduisit à la fin de la domination coloniale française.
Une centaine de prisonniers d’opinion
Pour atténuer l’ampleur des cortèges dans Alger, le pouvoir tente depuis l’été d’empêcher les habitants du reste du pays de s’y rendre. Des barrages de police et de gendarmerie sont dressés en amont de la ville pour restreindre la circulation ; celles et ceux dont les plaques d’immatriculation ou les papiers d’identité indiquent qu’ils vivent en dehors de la capitale sont forcés de faire demi-tour. Résultat : les irréductibles ne craignent pas de marcher des dizaines de kilomètres pour contourner les barrages et participer au Hirak. D’autres embarquent à partir de villes côtières pour rejoindre les plages algéroises ; l’humour populaire les surnomme « les harragas [clandestins] de l’intérieur ».
Les autorités, qui n’hésitent pas à perturber Internet pour empêcher la retransmission vidéo des marches, essaient aussi de susciter des manifestations en faveur de l’élection présidentielle. La télévision nationale, plus que jamais aux ordres malgré les protestations de nombre de ses journalistes, est convoquée pour filmer en gros plans fixes les quelques dizaines de personnes réunies pour l’occasion. Des initiatives vouées à l’échec, et qui provoquent les railleries. Le 7 novembre, à Tlemcen (Ouest), des hirakistes munis d’insecticides et d’eau de Javel lavaient à grande eau une petite place où venait de se tenir un « rassemblement spontané » d’une cinquantaine de personnes en soutien à l’armée et au scrutin présidentiel.
S’il a évité jusqu’à présent de recourir à la force contre les manifestants du vendredi, le pouvoir a néanmoins opté pour une répression et des intimidations ciblées. Celles-ci visent tout autant de jeunes militants que de simples citoyens arrêtés et condamnés pour l’exemple. Selon un bilan officieux d’organisations non gouvernementales (ONG) algériennes, dont le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), on comptait à la fin octobre plus d’une centaine de prisonniers d’opinion. D’autres estimations en évoquent trois cents ; le chiffre exact est difficile à connaître, puisque les autorités refusent de le communiquer (3). Le 12 novembre, la justice a condamné à de la prison ferme vingt-huit personnes arrêtées en possession d’un drapeau amazigh (berbère). Plusieurs personnalités sont derrière les barreaux, tels M. Lakhdar Bouregaa, un héros très respecté de la guerre d’indépendance âgé de 86 ans, ou M. Karim Tabbou, ancien responsable du Front des forces socialistes (FFS) et figure médiatique du Hirak. L’un et l’autre sont accusés d’avoir porté atteinte au moral de l’armée.
À la mi-novembre, les Algériens doutaient de la capacité du pouvoir à organiser des élections dans un tel climat de défiance. Mais, quelle que soit l’issue du scrutin, rares sont ceux qui voient le Hirak s’arrêter de sitôt. Pour prendre la mesure des dynamiques et des difficultés de ce mouvement à maints égards historique — ne serait-ce que parce qu’il est pacifique, il faut en retracer la genèse.
Dans un contexte d’interrogations quant à l’avenir et à la succession du président Bouteflika, l’année 2018 a été marquée par des luttes au sommet du pouvoir, attisées par de multiples révélations d’affaires de corruption et de trafics que les clans dirigeants s’imputaient mutuellement. Un exemple parmi tant d’autres : la cargaison de sept quintaux de cocaïne découverte par les services de sécurité sur un bateau à quai dans le port d’Oran (4). Le navire était censé transporter de la viande rouge en provenance du Brésil pour le compte d’un importateur proche du pouvoir, M. Kamel Chikhi, alias Kamel le Boucher. Outre ce dernier, de nombreux officiers supérieurs, des responsables de la police, des magistrats, de hautes personnalités politiques et même des imams ont été arrêtés ou poursuivis. L’affaire, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, a tellement choqué les Algériens, pourtant habitués aux turpitudes de leurs dirigeants, que l’un des slogans du Hirak est : « Libérez les détenus, ils n’ont pas vendu de cocaïne. »
Le 9 février 2019, la confirmation de la candidature de M. Bouteflika, grabataire, à un cinquième mandat présidentiel provoquait une onde de colère et d’indignation. Alors qu’articles, montages photographiques et textes rageurs foisonnaient sur les réseaux sociaux, c’est à Kherrata, le 16 février 2019, que ce qui allait devenir le Hirak a démarré. Dans cette petite ville de l’Est algérien, théâtre des massacres du 8 mai 1945 commis par l’armée française et ses supplétifs européens contre la population musulmane, des jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la réélection annoncée du président. Le 19, son portrait géant accroché à la façade de la mairie — conformément au culte de la personnalité imposé à la population — était arraché et déchiqueté par la foule. Trois jours plus tard, le vendredi 22, après qu’un appel anonyme à manifester eut circulé sur les réseaux sociaux, débutait dans tout le pays, jusqu’aux villages les plus reculés, un mouvement qui déboucha à la fois sur la démission de M. Bouteflika et sur l’annulation du scrutin prévu le 18 avril.
« Le peuple a dépassé les fractures des années 1990 »
Vice-président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), M. Djalal Mokrani a vu la première marche partir de Bab El-Oued. Il préparait alors avec ses collègues une action prévue pour le lendemain dans les locaux de l’association, situés au centre-ville. « On a tout laissé en plan et on a rejoint les citoyens, qui étaient de plus en plus nombreux », nous racontait-il quelques jours avant son arrestation, en compagnie d’autres militants du RAJ, le 4 octobre dernier. Cinq d’entre eux sont accusés d’« incitation à attroupement et atteinte à la sécurité de l’État ». Leur emprisonnement a provoqué un élan de solidarité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le RAJ dénonçant quant à lui « des pratiques condamnables, scandaleuses et despotiques d’un régime agonisant qui veut se maintenir coûte que coûte ».
Comment, dans un pays où la population avait suivi de loin les révoltes populaires arabes de 2011, un tel élan a-t-il pu surgir de manière aussi soudaine ? C’est avant tout la colère des jeunes qui a joué un rôle déterminant. Écrivain et journaliste au quotidien indépendant francophone El Watan, Mustapha Benfodil se trouvait en reportage dans les quartiers populaires en bordure d’Alger quelques jours avant la manifestation du 22 février. « Les jeunes n’avaient qu’un mot à la bouche : “humiliation”. Ils ne supportaient plus l’image de Bouteflika, un homme quasiment mort, utilisé comme un pantin par ce que l’on appelle depuis la ‘içaba, c’est-à-dire “la bande”. » De son côté, Mme Intissar Bendjabellah, 30 ans, doctorante en littérature française, militante féministe et figure de la contestation dans la capitale, relève que le Hirak n’est « pas uniquement un mouvement de jeunes, mais ces derniers sont en tête des cortèges, plus nombreux et plus virulents ». Le grand rassemblement du 22 février fut d’ailleurs précédé de celui des étudiants, le 19. Depuis, chaque manifestation du mardi après-midi donne le ton. Elle répond au discours, le matin même, du général Gaïd Salah (5), et préfigure en même temps celle du vendredi, notamment en ce qui concerne l’attitude plus ou moins répressive des forces de l’ordre.
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