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« Ils ont osé : encore une fois, des élections sans électeurs » en Algérie

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  • « Ils ont osé : encore une fois, des élections sans électeurs » en Algérie

    CHRONIQUE
    Karim Moussaoui

    Dans sa chronique hebdomadaire, le cinéaste Karim Moussaoui raconte « la mise en scène électorale » de la présidentielle du 12 décembre.

    Publié hier à 19h00


    Le 12 décembre 2019 à Alger, jour de l’éléction présidentielle.
    Le 12 décembre 2019 à Alger, jour de l’éléction présidentielle. Ramzi Boudina/REUTERS
    Chronique. Un calme inhabituel règne dehors. Les rues d’Alger sont vides. Nous nous sommes tous réveillés ce samedi matin avec la gueule de bois. Non pas que nous ayons fait la fête, la veille, lors une soirée arrosée. Mais sûrement parce que toute la semaine avait été très tendue. Avant, pendant et après le 12 décembre, jour de la présidentielle, ce simulacre politique.

    Il y a eu d’abord la manifestation des étudiants le mardi 10. On sentait que les événements se précipitaient. J’avais besoin de retrouver le monde. Alors je suis descendu. Ils étaient là, défilant dans les rues. Les regards étaient très vifs, on aurait dit qu’on allait tous mordre quelque chose ou quelqu’un. Il y avait eux aussi, les policiers. Ils étaient complètement perdus ce matin-là. Ils nous sentaient venir. Fatigués eux aussi, résignés. Fatigués d’exécuter les ordres. Je le voyais bien. Ils résistaient à leur manière aux chefs. Les sous-officiers couraient dans tous les sens, les poussaient contre nous. La journée s’est quand même terminée dans la joie, j’avais rencontré des amis, partagé une pizza et des beignets. Un peu durs, les beignets. Durs et froids.


    Le matin du mercredi, rebelote. Nous sortons encore, sans même s’être donné le mot. J’avais très peu dormi. Nous étions en état d’alerte permanent. J’avais passé la nuit à scruter la moindre information sur le Net, des informations « de sources bien informées »… Les articles qui commencent par « selon des sources bien informées » ne citent jamais ces fameuses sources. Des médias se sont spécialisés dans ce type d’information. En d‘autres termes, on fait du journalisme avec des rumeurs. Je ne sais pas quoi en penser. Peut-être que je ne comprends rien au journalisme.


    Il y avait là ce policier, place Audin, qui, avec ses camarades, formait une barrière humaine pour contenir la manifestation. Suant sous son casque qui ne laissait voir que son visage, il semblait complètement noyé dans cette masse bleue. J’ai capté son regard un instant et lui ai fait un signe de la main tout en criant avec les autres « Algérie libre et démocratique ! ». Il aurait pu feindre d’ignorer le salut de cet inconnu du Hirak mal réveillé, mais il hocha la tête, comme pour manifester son assentiment. Cet instant volé m’a redonné de la motivation. J’ai poursuivi avec plus d’optimisme.

    Mourir libres tous ensemble
    Le jeudi 12 décembre est arrivé. Jour de la mise en scène électorale. Comment dire ? On était fébriles. En débouchant dans la rue Didouche, on a été arrêtés par un cordon de police. Inhabituel à cet endroit. Plus tard, j’ai compris que nous étions à proximité d’une école où se déroulait le vote. Ou plutôt, où se fabriquait le vote. Il a fallu se rabattre sur le trottoir d’en face et avancer groupés. Il faisait un temps maussade, le ciel était gris et chargé de nuages. Nous aussi. Un vent froid fouettait les visages. Une clameur commençait à nous arriver d’en bas, s’élevait de l’autre côté du mur policier. Nous découvrons à mesure que nous avançons derrière les policiers, sous le brouillard qui s’estompe doucement, une marée humaine. Presque autant que les vendredis [jour de manifestation hebdomadaire], c’était, comme l’a dit quelqu’un, le vendredi du jeudi. Ou le vendredi numéro 42 bis. Ça hurlait dans les rues et boulevards d’Alger. On hurlait notre détermination à reconquérir notre indépendance. J’avais le sentiment que nous étions prêts à mourir, là, mourir pas seuls mais tous ensemble, mourir libres, enfin libres. L’angoisse a laissé place à l’euphorie.


    Vendredi. Les rumeurs vont bon train. Deuxième tour ? Qui d’Azzedine Mihoubi ou d’Abdelkader Bengrina ? (Mais d’où il sort celui-là ?) Ils seraient en train de s’entre-tuer… A 11 heures, les dés sont jetés : ils ont choisi Abdelmajid Tebboune. Ils ont osé. Encore une fois, des élections sans électeurs, le changement dans la continuité. Ils ont même annoncé un taux de participation de 46 %. Ils sont où, ces quarante-six pour cent ? C’est bizarre qu’on ne les voit pas célébrer leur victoire dans les rues.

    Nous entamons notre marche du vendredi 13, la rage au cœur. Encore plus nombreux. Même qu’au bout d’un moment, on ne pouvait plus avancer. Certains ont même lancé de la farine, pour se moquer de l’« affaire de la cocaïne » dans laquelle le fils de Tebboune serait impliqué. La longue file des drapeaux cousus les uns avec les autres, et portant chacun le nom d’une des 48 wilayas [préfectures], défile à nouveau. Ça faisait longtemps qu’on ne les avait pas vus. Portés par les gars de Bab El-Oued. Le drapeau amazigh [berbère] aussi fait une timide apparition. Le Hirak est loin d’être fini.

    Karim Moussaoui est un cinéaste algérien né en 1976 à Jijel. Il a notamment réalisé Les Jours d’avant (2015), un moyen-métrage qui raconte les prémices de la « décennie noire », puis le long-métrage En attendant les hirondelles, présenté au Festival de Cannes 2017. Témoin quotidien du mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis le 22 février, il a accepté de livrer au Monde Afrique son regard sur le Hirak, à travers une chronique hebdomadaire que nous publierons tout au long de ce mois de décembre.

    Karim Moussaoui
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