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Levée d’écrou pour treize détenus d’opinion : Les enfants de la liberté

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  • Levée d’écrou pour treize détenus d’opinion : Les enfants de la liberté

    Par ZOHEIR ABERKANE -24 décembre 2019
    Hier, c’était un jour béni devant la prison d’El Harrach. Une animation particulière dès la première heure, avec l’arrivée de nombreux militants et activistes du Hirak, des familles des détenus d’opinion et de quelques journalistes habitués du Hirak. Des détenus du Hirak vont retrouver la liberté.

    7h20. Il fait encore sombre quand les premiers accueillants des treize détenus qui seront libérés dans un peu plus d’une heure font le pied de grue en face du lugubre édifice de la prison d’El Harrach. Ils sont reconnaissables au simple fait qu’ils ne portent aucun couffin, contrairement aux visiteurs qui se pressent en face, devant l’entrée «visiteurs». Deux mondes que sépare une chaussée froide. Deux mondes que lie la même détresse. Celle de la privation de liberté.

    Vers 8h30, il y a déjà plus de deux cents personnes que la police cantonne dans la petite ruelle qui donne l’impression de finir en *** de sac, et qui fait face à la prison. La foule qui grossit fait craindre aux policiers quelques débordements ou peut-être le début d’une marche… Au même moment, arrive un fourgon cellulaire vert, de l’administration pénitentiaire, escorté de trois 4×4 portant le sigle BRI. Certainement une grosse pointure de l’ancien régime devant être présentée devant un juge pour instruction ou complément d’information. Rien n’a filtré dans la presse sur une quelconque comparution des caciques du régime hôte d’El Harrach. Mais les regards sont ailleurs. Sur la porte de sortie…

    Dans la foule, beaucoup de visages familiers du Hirak et des rassemblements devant les tribunaux de Sidi M’hamed ou celui de Ruisseau. Fadhila Messouci, Souad Leftissi, l’épouse du détenu Bibi et ses enfants, des mamans, des papas, des frères et des sœurs. Même la sœur de Houda Yasmine, libérée quelques semaines plus tôt, a tenu à être là. Au nom de sa sœur. Il y a le père et la maman Aouissi, Mme Abed Fatiha, mais sans son trublion de mari, Omar, cloué au lit par un méchant AVC, mais qui n’a pas eu raison de sa détermination. Il entame dès aujourd’hui une phase de rééducation laborieuse. Il pense déjà à rejoindre le Hirak.

    Les filles Semallah sont là. En signe de solidarité. Comme toutes celles et ceux dont les enfants ne sortiront pas aujourd’hui, mais qui ont tenu à partager la joie des Leftissi, Oudihat, Guerroudj, Bibi, Bacha, le plus jeune détenu Ould Taleb, Boudraâ et tous les autres. Ils sont treize au total.
    Beaucoup d’avocates et d’avocats sont là également. Aouïcha Bakhti, Leïla Djerder, Samira Nemar et d’autres avocats encore. Fetta Sadat est de la partie aussi. Pas en tant qu’avocate, mais en militante, femme politique et députée.

    La foule grossit au grand dam des policiers qui peinent à la contenir. Quelques activistes entament des slogans anti-système. Un officier de police les supplie presque de réserver cet accueil bruyant plus tard, à la sortie des détenus. L’entrevue se termine en rires. L’ambiance est, pour l’instant, bon enfant. Malgré une présence policière accrue. Avec même des éléments des URI (Unités républicaines d’intervention). Et beaucoup d’éléments en civil.

    Les lions sortent de cage

    Mais dès l’apparition des premiers libérés, difficile de contenir cette masse hurlante, joyeuse, en larmes et en rires. Il est 9h10. La barrière imposée par les policiers est vite franchie. L’un des premiers visages reconnu est celui de Leftissi, un peu amaigri mais avec son éternel sourire et son regard d’acier. Oudihat, imposant de toute sa masse et Ould Taleb, silhouette frêle mais aussi tenace qu’un bambou. La foule les adule, les embrasse, chacun voulant déjà son selfie pour l’éternité. Les familles sont les dernières à les enlacer, mais aussi les plus heureuses à cet instant précis. Souad Leftissi a les larmes aux yeux, son père est ému. Fadhila Messouci aussi est émue jusqu’aux larmes. Tout comme Leïla Djerdjer, cette avocate au cœur d’or. Tous les détenus du Hirak qu’elle a eu à défendre ne sont pas ses clients, mais ses petits frères. Une grande affection la lie désormais à ces jeunes. Elle retrouve le jeune Ali Iddir, acquitté
    par le tribunal de Baïnem et qu’elle avait défendu. Grand moment d’émotion. Ali est venu soutenir ses amis détenus pour qui, il espère l’acquittement pur et simple en appel. Autre émotion mouvante et émouvante, Fatiha B. Elle est de tous les combats et de toutes les tâches.
    Le service d’ordre est dépassé. Les premières émotions passées, il tente de cantonner cette foule en liesse dans l’exigüe ruelle. Les libérés sont portés sur les épaules. On chante, on crie, on hurle sa joie. On chante Qassaman. On encense les libérés. «Allah Akbar ! Billal Bacha !» ou encore «Bravo les détenus ! L’Algérie est fière de vous !»

    Makhlouf Bibi serre ses enfants pour la première fois depuis six mois. En toute liberté. Sa fille Dassine a fêté ses 4 ans deux jours avant sa libération. Sans son père. Aujourd’hui, c’est l’heure des grandes retrouvailles. C’est jour de fête. Le Hirak retrouve ses enfants. Une partie pour l’instant, mais c’est déjà beaucoup aux yeux des amis et des familles de détenus.
    Les filles Semallah n’ont pas pu retenir leurs larmes. Des larmes de tristesse et cela se comprend. Leur père leur manque tant et elles auraient aimé qu’il soit là, à ce moment précis. Dans les yeux des filles Semallah se reflètent toute la peine humaine face à la cruauté d’un système aussi froid que les geôles dans lesquelles il emprisonne ses opposants.

    Le drapeau amazigh flotte devant le prison d’El Harrach

    On continue à s’embrasser. On pleure, on rit. On chante. On vilipende le système. On vante la liberté et l’identité des aïeux. «Mazalagh thimazighen» Sommes toujours des Amazighs. Le jeune Oudihat, porté sur les épaules d’un camarade, harangue la foule. «Anwa wiggi Imazighen !» lance-t-il, puis, brandit devant les regards interloqués des policiers et ravis de l’assistance le drapeau amazigh ! En vérité, il a tenu une promesse. Celle faite devant le juge. «Demain, si je suis libéré, je porterai à nouveau haut dans le ciel le drapeau amazigh !» Chose promise, chose due.
    Mais cela n’est pas, assurément du goût des policiers. Une escouade s’infiltre dans la foule. Vont-ils arrêter à nouveau Oudihat ? Non. Mais ils ont confisqué l’objet du délit. Le drapeau amazigh. Leïla Djerdjer est en furie. Encore une atteinte manifeste à la liberté d’opinion, d’autant plus que dans beaucoup de juridictions où les porteurs de drapeau amazigh ont été acquittés, le drapeau leur a été restitué et n’est plus, de fait, un délit.
    «Mais allez faire comprendre cela à ces flics qui, dès qu’il voit un drapeau amazigh, foncent dessus tête baissée», s’exclamera Fadhila Messouci, outrée elle aussi, par cette intervention, pour le moins inconvenante en pareille circonstance.

    Cependant, il en faudra beaucoup pour gâcher la fête. Le drapeau amazigh est dans les cœurs. Et même sur les cœurs. Beaucoup de pin’s à l’effigie de l’emblème berbère, brillent cette matinée au soleil qui se lève sur la prison d’El Harrach.
    Avant de se quitter, on organise une petite réception avec gâteaux et bougies pour célébrer, avec le papa, cette fois-ci, l’anniversaire de Dassine, la fille de Mokhtar Bibi, mais aussi l’anniversaire de Yasmine, la nièce adorée de Messaoud Leftissi. Aouicha Bekhti appelle les «détenus» à prendre part à l’événement. Puis se ravise : «Les libérés, venez !» Rires et bonne humeur. Et double anniversaire fêté pratiquement devant le parvis de la prison d’El Harrach. Qu’importe l’endroit, il y a beaucoup d’amour et de fraternité autour de cette cérémonie improvisée. Et une détermination d’acier. Comme celle qu’incarne Messaoud Leftissi, heureux de retrouver la liberté et tellement pressé de renouer avec ses idéaux et le Hirak. Il a promis d’être là, vendredi prochain.
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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