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Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1

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  • Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1

    - la chronique cinéma d'Andrea Lauro
    Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro
    Rejeton d'une riche famille aristocratique, il devint l'un des plus grands cinéastes de tous les temps et un compagnon de route du Parti communiste italien. Andréa Lauro retrace pour le Chiffon Rouge son itinéraire de vie et artistique.

    Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance
    Partie 1

    Par Andréa Lauro

    décembre 2019



    Le comte Luchino Visconti de Modrone est né à Milan le 2 novembre 1906. Son père, Giuseppe, est duc, sa mère, Carla Erba, est la fille et l'héritière du propriétaire de la plus grande maison pharmaceutique italienne de l’époque. Ascendances qui assurent à Luchino et à ses six frères une enfance dorée, aristocratique, très riche, passée dans un palais milanais fréquenté par des nobles et intellectuels de premier plan. C’est entre deux pôles, la mondanité et la culture, que Luchino construit sa personnalité.

    Giuseppe et Carla ne sont pas des représentants frivoles d’une classe privilégiée, ou du moins pas seulement. Leur attention aux arts les plus disparates (Giuseppe a des passions théâtrales et picturales, Carla est une musicienne talentueuse) dépasse la simple prétention seigneuriale et se présente comme une interprétation sincère de la vie en termes culturels ; non pas une ostentation de possibilités et d’extrêmes, mais une constante tension intellectuelle qui contamine inévitablement aussi la progéniture, au point qu’au palais Visconti on fait construire un petit théâtre privé pour pouvoir organiser des spectacles "dans la famille".

    Luchino, dès son plus jeune âge, pille la bibliothèque de son père et devient un lecteur avide, se mesurant à de grands textes théâtraux et littéraires. Parmi les sept frères, c’est celui qui souffre le plus de certaines contradictions internes au noyau familial et de l’isolement d’une première éducation dispensée avec rigueur entre les murs de la maison par la mère Carla elle-même. Dans ce milieu à la fois d’extrême discipline et d’extrême liberté créative, Visconti croît entouré de stimulations pas seulement intellectuelles : pendant des années à côté des leçons de la mère il y a une ferme éducation physique, réalisée par les soins d'un athlète anglais dont Luchino et les frères révéleront ensuite la folie complète.

    Inclination artistique d’un côté, fanatisme physique de l’autre, discipline morale surtout, Visconti en sort adolescent agité et rebelle. Il s’enfuit souvent de chez lui, par amour ou par pur désir d’aventure, et s’évade immanquablement des collèges où ses parents l’enferment pour le punir. Même en jouissant du climat familial qui ne lui fait rien manquer (économiquement, spirituellement, culturellement) il est déjà fort en lui le besoin de s’en détacher pour donner forme à sa propre individualité.

    En 1926, peut-être pour répondre aux attentes des autres ou pour lutter contre une vague crise existentielle, il fréquente l’École d’Application de Chevalerie à Pinerolo, devenant sergent-chef. Deux ans plus tard, il se donne, littéralement, à l’hippique, en ouvrant une écurie de chevaux de course, activité à laquelle il se livre avec abnégation pendant longtemps et qui, une fois abandonnée, il aura l’occasion de remercier pour lui avoir révélé que le domaine dans lequel il voulait vraiment exceller était l’art.



    Même pendant les années consacrées à l’art équestre, Visconti ne néglige jamais les intérêts culturels; au contraire, il les intensifie, selon ceux qui lui sont proches à cette époque. Après de nombreuses épreuves littéraires qui montrent une écriture de bon niveau, mais liée à un maniérisme forcé, à la recherche épuisante de la belle phrase, du style "haut", en 1930 il écrit le "Le jeu de la vérité", avec l’ami d’enfance Livio Dell'Anna. Il s’agit d’un texte dramaturgique inspiré d’Henrik Ibsen, de Luigi Pirandello et de la tradition de la comédie bourgeoise, jamais publié ni représenté et pourtant concevable comme le premier travail accompli - et dans les intentions, destiné au public - réalisé par Visconti.

    Dès 1932, il commence à fréquenter les salons mondains parisiens, introduit par des connaissances aristocratiques. Ici il interagit avec Jean Cocteau, Kurt Weill, Bertolt Brecht et noue une amitié solide avec Coco Chanel.

    Sous l’aile de Jean Cocteau, il se passionne pour le cinéma, un médium qu’il a peu considéré jusqu’ici. Josef von Sternberg, Eric Von Stroheim et les réalisateurs soviétiques l’enlèvent au point de déclencher dans son horizon un processus qui le conduit rapidement à mettre le théâtre au second plan, élisant le cinéma comme un instrument idéal, car il est plus adapté à une reproduction de la réalité.

    De retour en Italie, il achète en 1934 une caméra et s’engage à auto-produire un film, avec une équipe et de moyens professionnels. L’histoire voit un jeune de 16 ans quitter les campagnes milanaises pour aller en ville, se heurtant durement à la nouvelle dimension sociale, succombant enfin victime de trois femmes dont il tombe amoureux. Un opéra qui ne voit pas la fin, quand Visconti n’a plus d’argent à investir. Le tournage est réduit en cendres dans un incendie du palais Visconti pendant la guerre, mais avec les témoignages de ceux qui y participent l'on peut isoler au moins deux données intéressantes en vue de ce qui va suivre : le recours prépondérant aux « locations » extérieures et l’utilisation d’une véritable prostituée pour interpréter le rôle, recherchée autour de Milan pour répondre aux demandes d’adhérence esthétique à la réalité du réalisateur.

    Le théâtre reste quand même très présent dans la vie de Visconti. De 1936 à 1938 le futur réalisateur s’occupe de la scénographie et des costumes de différents spectacles mis en scène à Milan, Côme et San Remo. C’est l’occasion d’émerger aux yeux de critique et de professionnels, grâce au respect maniaque pour les meubles, pour les objet décoratifs, pour les détails de l’habillement (particularité aussi de la production filmique). Éléments qui donnent crédit à une 'idée de représentation "vivante", composée de personnages marqués par un lien indissoluble à un cadre chargé de déterminer la personnalité de ceux qui l’habitent, de participer à l’action. Une attention aux détails expliquée par la passion de Visconti pour les antiquités, mais qui dans un discours plus organique montre combien la question des relations entre fiction et réalité - fondamentale surtout dans la première étape de la carrière cinématographique - était déjà présente dans sa façon de comprendre la mise en scène.



    En conjonction avec l’activité théâtrale, Visconti ne se résigne pas et insiste sur le cinéma. Après le film inachevé il écrit des sujets et des scénarios et en 1936 un d’eux est signalée à Gabriel Pascal, producteur français de passage en Italie qui, impressionné par la compétence d’écriture, lui assigne la réalisation d’une transposition de "Novembre" de Flaubert à tourner à Londres. Arrivé en Angleterre, Visconti devine que Pascal prétend avoir plus de contacts et de fonds productifs qu’il n’en a réellement, et que le film ne se fera pas, ou en tout cas pas à ses conditions. Déçu, découragé, il se réfugie à Paris pour se défouler et demander conseil à ses amis sur ses ambitions cinématographiques. Coco Chanel saisit cette occasion pour le présenter et le recommander à Jean Renoir. L’entente entre les deux est immédiate et le français lui confie les costumes et l’assistance générale de "Une partie de Campagne".

    Si, d’un point de vue professionnel, la rencontre avec Renoir est cruciale, elle l’est tout autant dans le cadre idéologique. C’est par l’intermédiaire du réalisateur français que se produit en effet la première approche de la politique pour Visconti, un domaine qui, complice un milieu familial depuis toujours désintéressé, ne l’avait jamais stimulé ni particulièrement touché. Mais, ces derniers temps, il commence lui aussi à percevoir l’asphyxie du milieu italien, à la fois du milieu culturel et aristocratique, qui s’enroule sur lui-même, et à la fois du milieu censeur et imprégné d’auto-exaltation du régime fasciste. Renoir, membre du Front populaire français, ne déclenche peut-être pas le ressort définitif vers l’activisme de gauche (il viendra plus tard, pendant et après l’occupation allemande) mais il déplace les positions de Visconti par rapport à la situation dictatoriale européenne, en l’invitant à prendre en considération des facettes de la réalité concrète et pas seulement artistiques.

    A suivre.

    Andréa Lauro,

    pour le Chiffon Rouge, 29 décembre 2019
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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