Refus des propriétaires, harcèlement, commérages… En Algérie, vivre seule en dehors des liens du mariage reste encore mal vu. Qu’elles soient étudiantes ou actives, célibataires ou divorcées, les femmes doivent redoubler d’efforts et parfois user de stratagèmes pour obtenir un logement.
Dans son appartement situé entre Miramar et Cité Perret, deux quartiers populaires du centre-ville d’Oran, Samia* boit un café tout en se préparant pour aller travailler. « Je me sens tellement bien ici ! », souffle-t-elle en jetant un œil par la fenêtre où le soleil entre et illumine la pièce.
Il y a trois ans, la jeune femme a quitté Bechar, sa ville d’origine, après l’annulation de son mariage. Salariée de l’hôpital central, elle a postulé dans une pharmacie d’Oran et sa candidature a été retenue. « Je vivais chez mes parents et mon père était assez contre l’idée que je m’installe seule… C’est son cousin qui l’en a convaincu. » Les premiers temps, Samia trouve une chambre par l’intermédiaire de sa cousine dans une maison où ne vivent que des femmes. « Une grande bâtisse, se souvient la presque quadragénaire. Au premier étage, il y avait des fonctionnaires, au deuxième des prostituées et au troisième des dames âgées. » Au total, 26 personnes vivent là pour 10 000 dinars par mois (un demi-Smic algérien, soit 50 euros**) dans une chambre individuelle, 18 000 dans une chambre partagée.
Sa cousine vit alors dans une résidence pour médecins auxquels l’hôpital octroie des logements. « Des studios qu’ils préfèrent sous-louer pour gagner de l’argent. Comme c’est illégal, ils ne sont pas très regardants sur les locataires. » Au bout de six mois, Samia rejoint sa cousine dans son studio et s’aperçoit vite que la résidence souffre d’une mauvaise réputation. « Les filles vivaient la nuit, j’étais la seule à travailler de jour. Une fois, alors que je rentrais du marché, des hommes m’ont fait des remarques déplacées pensant que j’étais une prostituée », déplore-t-elle. Elle a trouvé le T2 qu’elle occupe depuis un an grâce à Hicham, spécialisé dans la recherche de logement pour femmes seules.
Celui-ci cible les propriétaires basés à l’étranger, moins regardants et davantage centrés sur une rentrée d’argent. Samia paie un loyer de 25 000 dinars, sans contrat, pour un salaire de 42 000 dinars. « Il est impossible de trouver sans intermédiaire. J’ai cherché durant des mois sur ********* [Le Bon Coin algérien – ndlr], les propriétaires me répondaient tous : “On ne loue pas aux femmes célibataires.” » Il arrive même que ce soit stipulé dans les annonces postées sur le site.
Un jour, alors qu’elle téléphone pour un studio à louer, Samia prétend qu’elle occupera le logement avec sa sœur. « Rien que pour visiter, on doit mentir ! Hicham a proposé de m’accompagner et lorsque le propriétaire l’a su, il a annulé la visite. Un piège pour me violer… »
Une situation familière pour Leila, 50 ans. Il est 16 heures lorsqu’elle quitte l’hôtel où elle est femme de ménage pour prendre le bus et rentrer chez elle. « Certains hommes qui louent à des femmes seules leur font ensuite des avances, lâche-t-elle. Une fois, mon propriétaire est venu frapper chez moi en pleine nuit, je l’ai assommé avec une poêle et je suis partie le lendemain. » Arrivée à El Hassi, un quartier défavorisé à l’ouest d’Oran, Leila s’enfonce dans les ruelles et s’arrête devant un bâtiment pour extraire les clés de son sac.
C’est au rez-de-chaussée de cet immeuble dit collectif que Leila habite depuis l’été dernier. La chambre qu’elle loue donne directement sur le palier et de sa seule fenêtre, elle a vue sur une cuisine improvisée dans les parties communes de l’immeuble. « Les volets restent fermés, confie-t-elle. Et j’ai instauré un code pour les voisins : je laisse la serpillière devant la porte quand je suis là, sinon je la rentre. » Avec un loyer de 10 000 dinars par mois charges comprises et sans bail de location, Leila s’estime heureuse : elle a réussi, tout comme Samia, à négocier pour payer son loyer mensuellement. En Algérie, il faut débourser six à douze mois d’avance pour obtenir un logement.
Avant cela, elle partageait un F3 avec deux autres femmes dans le quartier Saint-Hubert. L’une d’elles ramenait souvent des hommes à la maison. Elle décide de partir le jour où sa colocataire lui propose de passer du temps avec un colonel, puis trouve cette chambre grâce à un commerçant qui connaît la propriétaire. « Elle habite dans l’immeuble et a été rassurée de voir que je travaillais à des horaires normaux. » Leila le sait, elle doit vivre cachée pour vivre heureuse. Un jour, une connaissance lui rend visite à l’improviste et ne la trouve pas. « Elle avait un look un peu vulgaire et les voisins me l’ont fait remarquer. Pour m’éviter les ennuis, je ne l’ai plus jamais reçue à la maison », se remémore-t-elle.
Car le célibat, mal perçu en Algérie, rime avec vie nocturne, alcool, sexe hors mariage… Le voisinage n’hésite pas à mener des actions contre les locataires dès lors que le cadre familial est menacé – ou semble l’être. Samia se souvient d’une affaire récente. « Un matin, un cadavre a été retrouvé en bas et les habitants ont accusé une voisine qui vivait seule. Ils ont écrit une lettre au procureur pour virer toutes les femmes célibataires résidant ici ! » Lorsque sa voisine vient lui demander de signer la pétition, Samia lui rappelle qu’elle est aussi concernée. « Toi, ce n’est pas pareil. Tu travailles à la pharmacie, tu rentres à l’heure, on sait que tu es sérieuse », a-t-elle répondu. Le propriétaire, installé en France, fait alors le déplacement et décide de toutes les faire partir, sauf Samia. « J’ai su plus tard qu’il était venu à la pharmacie, sans que je ne sache que c’était lui. Je lui avais fait bonne impression et il s’est fié aux voisins. » Depuis, un gardien surveille l’entrée et lorsqu’elle finit à 22 heures, Samia préfère garder sa blouse blanche pour signifier qu’elle rentre du travail.
Pour Akli*, habitant à Bejaïa et propriétaire d’un logement à Alger, c’est avant tout culturel : le schéma classique veut qu’un jeune vive avec ses parents et ne quitte le foyer que pour en retrouver un autre, dans le cadre du mariage. Lorsque ce père de famille décide de louer son bien à deux étudiantes, il se confronte à l’incompréhension générale. « Bien sûr elles sortaient, pour aller en cours ou voir des amis. Elles recevaient aussi chez elles et ça n’a pas plu aux voisins. » Face à leur mécontentement et leurs plaintes incessantes, Akli décide, à regret, de ne pas renouveler le bail. « La société algérienne a des codes, ça changera avec le temps. »
Mediapart
Dans son appartement situé entre Miramar et Cité Perret, deux quartiers populaires du centre-ville d’Oran, Samia* boit un café tout en se préparant pour aller travailler. « Je me sens tellement bien ici ! », souffle-t-elle en jetant un œil par la fenêtre où le soleil entre et illumine la pièce.
Il y a trois ans, la jeune femme a quitté Bechar, sa ville d’origine, après l’annulation de son mariage. Salariée de l’hôpital central, elle a postulé dans une pharmacie d’Oran et sa candidature a été retenue. « Je vivais chez mes parents et mon père était assez contre l’idée que je m’installe seule… C’est son cousin qui l’en a convaincu. » Les premiers temps, Samia trouve une chambre par l’intermédiaire de sa cousine dans une maison où ne vivent que des femmes. « Une grande bâtisse, se souvient la presque quadragénaire. Au premier étage, il y avait des fonctionnaires, au deuxième des prostituées et au troisième des dames âgées. » Au total, 26 personnes vivent là pour 10 000 dinars par mois (un demi-Smic algérien, soit 50 euros**) dans une chambre individuelle, 18 000 dans une chambre partagée.
Sa cousine vit alors dans une résidence pour médecins auxquels l’hôpital octroie des logements. « Des studios qu’ils préfèrent sous-louer pour gagner de l’argent. Comme c’est illégal, ils ne sont pas très regardants sur les locataires. » Au bout de six mois, Samia rejoint sa cousine dans son studio et s’aperçoit vite que la résidence souffre d’une mauvaise réputation. « Les filles vivaient la nuit, j’étais la seule à travailler de jour. Une fois, alors que je rentrais du marché, des hommes m’ont fait des remarques déplacées pensant que j’étais une prostituée », déplore-t-elle. Elle a trouvé le T2 qu’elle occupe depuis un an grâce à Hicham, spécialisé dans la recherche de logement pour femmes seules.
Celui-ci cible les propriétaires basés à l’étranger, moins regardants et davantage centrés sur une rentrée d’argent. Samia paie un loyer de 25 000 dinars, sans contrat, pour un salaire de 42 000 dinars. « Il est impossible de trouver sans intermédiaire. J’ai cherché durant des mois sur ********* [Le Bon Coin algérien – ndlr], les propriétaires me répondaient tous : “On ne loue pas aux femmes célibataires.” » Il arrive même que ce soit stipulé dans les annonces postées sur le site.
Un jour, alors qu’elle téléphone pour un studio à louer, Samia prétend qu’elle occupera le logement avec sa sœur. « Rien que pour visiter, on doit mentir ! Hicham a proposé de m’accompagner et lorsque le propriétaire l’a su, il a annulé la visite. Un piège pour me violer… »
Une situation familière pour Leila, 50 ans. Il est 16 heures lorsqu’elle quitte l’hôtel où elle est femme de ménage pour prendre le bus et rentrer chez elle. « Certains hommes qui louent à des femmes seules leur font ensuite des avances, lâche-t-elle. Une fois, mon propriétaire est venu frapper chez moi en pleine nuit, je l’ai assommé avec une poêle et je suis partie le lendemain. » Arrivée à El Hassi, un quartier défavorisé à l’ouest d’Oran, Leila s’enfonce dans les ruelles et s’arrête devant un bâtiment pour extraire les clés de son sac.
C’est au rez-de-chaussée de cet immeuble dit collectif que Leila habite depuis l’été dernier. La chambre qu’elle loue donne directement sur le palier et de sa seule fenêtre, elle a vue sur une cuisine improvisée dans les parties communes de l’immeuble. « Les volets restent fermés, confie-t-elle. Et j’ai instauré un code pour les voisins : je laisse la serpillière devant la porte quand je suis là, sinon je la rentre. » Avec un loyer de 10 000 dinars par mois charges comprises et sans bail de location, Leila s’estime heureuse : elle a réussi, tout comme Samia, à négocier pour payer son loyer mensuellement. En Algérie, il faut débourser six à douze mois d’avance pour obtenir un logement.
Avant cela, elle partageait un F3 avec deux autres femmes dans le quartier Saint-Hubert. L’une d’elles ramenait souvent des hommes à la maison. Elle décide de partir le jour où sa colocataire lui propose de passer du temps avec un colonel, puis trouve cette chambre grâce à un commerçant qui connaît la propriétaire. « Elle habite dans l’immeuble et a été rassurée de voir que je travaillais à des horaires normaux. » Leila le sait, elle doit vivre cachée pour vivre heureuse. Un jour, une connaissance lui rend visite à l’improviste et ne la trouve pas. « Elle avait un look un peu vulgaire et les voisins me l’ont fait remarquer. Pour m’éviter les ennuis, je ne l’ai plus jamais reçue à la maison », se remémore-t-elle.
Car le célibat, mal perçu en Algérie, rime avec vie nocturne, alcool, sexe hors mariage… Le voisinage n’hésite pas à mener des actions contre les locataires dès lors que le cadre familial est menacé – ou semble l’être. Samia se souvient d’une affaire récente. « Un matin, un cadavre a été retrouvé en bas et les habitants ont accusé une voisine qui vivait seule. Ils ont écrit une lettre au procureur pour virer toutes les femmes célibataires résidant ici ! » Lorsque sa voisine vient lui demander de signer la pétition, Samia lui rappelle qu’elle est aussi concernée. « Toi, ce n’est pas pareil. Tu travailles à la pharmacie, tu rentres à l’heure, on sait que tu es sérieuse », a-t-elle répondu. Le propriétaire, installé en France, fait alors le déplacement et décide de toutes les faire partir, sauf Samia. « J’ai su plus tard qu’il était venu à la pharmacie, sans que je ne sache que c’était lui. Je lui avais fait bonne impression et il s’est fié aux voisins. » Depuis, un gardien surveille l’entrée et lorsqu’elle finit à 22 heures, Samia préfère garder sa blouse blanche pour signifier qu’elle rentre du travail.
Pour Akli*, habitant à Bejaïa et propriétaire d’un logement à Alger, c’est avant tout culturel : le schéma classique veut qu’un jeune vive avec ses parents et ne quitte le foyer que pour en retrouver un autre, dans le cadre du mariage. Lorsque ce père de famille décide de louer son bien à deux étudiantes, il se confronte à l’incompréhension générale. « Bien sûr elles sortaient, pour aller en cours ou voir des amis. Elles recevaient aussi chez elles et ça n’a pas plu aux voisins. » Face à leur mécontentement et leurs plaintes incessantes, Akli décide, à regret, de ne pas renouveler le bail. « La société algérienne a des codes, ça changera avec le temps. »
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