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Mohamed KHIDER, assassiné par ses "frères" le 3 janvier 1967.

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  • Mohamed KHIDER, assassiné par ses "frères" le 3 janvier 1967.

    Mohamed KHIDER, l'un des " neuf chefs historiques " de la Révolution algérienne a été assassiné le 3 janvier 1967 à Madrid. Ci-dessous, les " bonnes feuilles " du livre " L'affaire Khider, un crime d'Etat impuni " publié par son fils Tariq* .

    L’enquête que nous relatons ci-dessous se base sur un dossier officiel détaillé, transmis par le tribunal d’instruction pénale espagnole à la famille du défunt. Le professeur Charles-Albert Reichen, ami de Mohamed Khider, le fera traduire en français, puis le résumera comme suit :
    Le 03 janvier 1967, à 22 heures 30, le greffe du tribunal de garde de Madrid recevait un appel téléphonique de la police rendant compte d’une agression à coup de feux dans la rue Saint François de Salés au No 26, commise contre l’opposant algérien Mohamed Khider, lequel avait été transféré à la clinique Notre Dame de La Conception où il était mort à son arrivée.

    A cette heure tardive de la soirée, la garde du Tribunal d’instruction est confiée au juge Munoz Alvares. Ce magistrat consciencieux et dévoué ne perd pas une minute. Il se rend sur le lieu du crime où « à la hauteur de la maison indiquée, sous le No 26 de la dite rue, se trouve stationnée en sen oblique une automobile blanche, marque Citroën, modèle connu sous le nom de DS, immatriculée à Lausanne, VD 6501.2 ». A l’intérieur de la voiture se trouvent, sur le siège avant, des lunettes ainsi qu’une pipe. Le magistrat constate que la porte avant droite est entre-ouverte et que le pare-brise porte un petit trou sur sa partie droite. Sur le terrain, à quelques 8 mètres de là, on voit une trainée de sang qui semble se diriger vers le centre de la chaussée puis, à 4 mètres au-delà, apparait une grande flaque de sang déjà coagulée.
    Avant l’arrivée du juge d’instruction, la police a retrouvé quelques douilles de balle, toutes de calibre 9 mm. La victime habitait la maison d’en face.

    Le juge continuant son enquête, gagne ensuite la morgue de la clinique Notre Dame de la Conception, où il découvre le « cadavre d’un homme ayant environ 50 ans, de couleur du visage basanée. La victime présentait une blessure, par coups de feu, au poignet droit ainsi qu’à la pommette gauche. On pouvait aussi apercevoir 3 autres orifices, l’un dans la région frontale gauche à 5 cm de l’arcade sourcilière, l’autre avec entrée dans la région occipitale gauche et sortie à 3 cm de la ligne médiane du front, et une troisième se trouvait au bas de la mamelle gauche. ».

    On le voit, Mohamed Khider avait été consciencieusement mitraillé. Il avait dû recevoir une première balle alors qu’il était encore au volant de sa voiture et se sentant blessé, avait fui par la porte droite du véhicule en se baissant. L’agresseur, tout en tirant, l’avait alors poursuivi, l’ayant atteint, la victime s’est effondrée sur le pavés. Arrivé à sa hauteur, l’assassin l’avait impitoyablement achevé de plusieurs autres coups de feu. On peut imaginer la douleur que l’on peut ressentir en détaillant le déroulement de ce crime abjecte. Quelques secondes avaient suffi à cet assassin pour éteindre la vie héroïque de cet homme qui s’était totalement donné à sa patrie.
    Les circonstances étaient particulièrement horribles pour que le juge se décide d’agir avec promptitude. En même temps qu’il avisait par téléphone le bureau de police des affaires arabes en lui demandant d’opérer des recherches de toute urgence dans les lieux fréquentés par les Nord africains, il se préparait à recevoir des dépositions.


    En premier lieu, il interrogeait le beau frère de la victime, M. Lakhdar Bellal, lequel se trouvait avec la victime et sa femme au moment de l’agression. Puis, avec tact et la discrétion nécessaire, il interrogea Mme Mohamed Khider qui se trouvait dans un état de choc qu’on imagine sans peine.
    Les deux dépositions étaient parfaitement concordantes. Nous nous bornerons à ne citer que celle de Mme Khider. Elle déclare que le dit jour, vers 20 heures, elle ou " il "’ reçut l’appel téléphonique de l’inspecteur de police Martin Guillen, chargé de la sécurité de Mohamed Khider, demandant si celui-ci comptait sortir ; ce à quoi il lui avait été répondu qu’il comptait rester à la maison pour la soirée jusqu’au lendemain où il avait rendez-vous chez le dentiste à 11 heures. Il semble donc que la victime aie refusé, pour la soirée en cours les services de son garde du corps pensant qu’il resterait chez lui.


    Cependant, un quart d’heure après l’appel du policier, Khider appelait par téléphone un de ses amis, M. Molha Hossein, attaché militaire de l’ambassade de Syrie. Il lui demande de ses nouvelles, ce à quoi M. Molha lui répond qu’il était malade et qu’en outre ses deux voitures étaient endommagées. M. Khider prit la décision d’aller rendre visite à son ami. En ce soir de ramadan, il est de coutume de se rendre visite en soirée. A l’issue de ce coup de fil, Khider informa sa femme et son beau frère qu’ils allaient tous trois rendre visite à leur ami syrien. «Mme Khider n’aimait pas beaucoup cette façon d’agir qu’elle jugeait imprudente. Mais ce soir là, ni son beau frère ni elle-même n’eurent l’idée de conseiller la victime de demander la protection de la police, pourtant toujours disponible.».
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Vers 22 heures, le trio descendit donc l’immeuble et trouva le concierge qui leur ouvrit la porte de sortie. Contrairement à son habitude, le portier, d’après la déclaration de Mme Khider, ne les accompagna pas jusqu’à la voiture. Celle-ci était garée face à l’immeuble, un peu en biais sur la gauche par rapport à la porte d’entrée. M. Khider ouvrit la porte avant gauche, du côté du volant. Il s’installa sur le coussin et déverrouilla toutes les autres portes de la voiture. Mme Khider pris place à côté de son époux et M. Bellal sur le siège arrière. M. Khider mit le moteur en marche, lorsqu’ils virent, au niveau de la vitre avant gauche à demi baissée, la tête d’un individu qui s’était avancé jusque là en venant de l’arrière gauche du véhicule. La conversation commença immédiatement entre le nouvel arrivé et son époux, dans les termes suivants, la déclarante précisant que la conversation eut lieu en langue arabe. L’inconnu, indubitablement algérien, parla tranquillement et de façon déférente. S’adressant à Mohamed Khider, il lui dit :
    – Vous êtes Si Mohamed Khider ?
    – Oui
    Mohamed Khider baisse davantage la glace de son côté. L’inconnu, souriant, donne alors la main à son époux, à son beau-frère et à la déclarante :
    – Qui êtes-vous ? reprit aussitôt Mohamed Khider.
    – Je veux vous dire simplement 2 mots.
    – Est-ce si urgent ? Pourquoi n’êtes-vous pas venu chez moi ?.
    – J’ai eu peur de vous déranger.
    – Qui vous a donné mon adresse ?
    – Je l’ai obtenue par l’intermédiaire de l’Ambassade algérienne.
    Mohamed Khider s’excusa alors en lui disant qu’il n’avait pas le temps pour le moment de discuter avec lui et lui demanda de revenir le lendemain. La déclarante, pendant ce temps aperçut une voiture garée derrière eux de couleur claire et dont elle ne put préciser la marque. Le conducteur de la voiture en question semblait attendre. Mohamed Khider enchaîna dans la discussion en demandant à l’inconnu de laisser son adresse.
    – Voilà mon adresse, répondit l’inconnu en portant sa main droite à l’intérieur de son manteau.
    Il sortit alors un pistolet. Il tira un premier coup de feu qui toucha M. Khider au poignet droit. La déclarante étreignit immédiatement son époux et le protégea avec son corps. De plus, elle ouvrit la porte de son côté et dégringola au sol avec son époux. L’agresseur fit le tour par devant le véhicule, et se plaçant face au moteur, il tira un autre coup de feu. A ce moment, Mohamed Khider abandonna la protection que continuait à lui assurer sa femme qui l’étreignait et il courut pour se cacher derrière des voitures. La déclarante vit alors l’assassin poursuivre son mari, pistolet au poing. Le visant, il tira un autre coup de feu. Mohamed Khider atteint par une balle tomba au sol. La déclarante courant vers le lieu où son mari était tombé, se mit alors à hurler : « Assassin ! Garde ! A l’aide ! ».


    Le meurtrier arriva avant elle et, s’agenouillant devant le corps de Mohamed Khider, il continua à tirer sur lui à bout portant. Son acte commis, il se releva et s’enfuit. Mme Khider continuant à crier le poursuivit jusqu’au coin de la rue Gutzman El Bueno. Là, l’homme se tourna vers elle, la visa et tenta de tirer. Le coup de feu ne partit pas, le chargeur étant vide. Le tueur reprit alors la fuite. Mme Khider abandonna la poursuite et remarqua alors que la voiture parquée auparavant derrière celle de son époux avait disparu. Mme Khider se rendit alors à l’entrée de l’immeuble, proférant des cris d’au secours et dit au concierge : « Ils ont tué mon mari ! ». Mme Khider décrira l’assassin de façon précise, ce qui permettra plus tard d’établir son portait robot.


    Du balcon d’un immeuble non loin du lieu de l’assassinat, une femme voit toute la scène se dérouler devant ses yeux. Saisissant son téléphone, elle appelle la police et l’informe qu’un homme s’était fait tirer dessus et qu’il gisait à terre. Rapidement la police ainsi qu’une ambulance se rendent sur les lieux. Madame Khider, affolée, refuse tout d’abord que l’ambulance transporte le corps de son mari. Elle pense que les meurtriers veulent l’enlever en utilisant un faux véhicule. La police la tranquillise lui expliquant qu’elle n’a pas à s’inquiéter et qu’il faut faire vite pour le transporter vers l’hôpital le plus proche. Son pouls bat encore et il y a peut-être un espoir pour le sauver. Le colonel ..., ami à la famille, se trouvant sur les lieux accompagné de sa femme, lui demande de monter dans son véhicule pour suivre l’ambulance. Intentionnellement, il fait plusieurs tours du quartier, le temps de la laisser retrouver son calme. Quant à l’ambulance, elle arrive rapidement à l’hôpital qui se trouvait être non loin de la résidence de la victime. Hélas, malgré l’intervention rapide des médecins, il est trop tard. Mohamed Khider ne survit pas aux multiples impacts de balles reçues. Présentant les 5 balles retirées du corps de la victime, le chirurgien, désolé, annonce à Mme Khider le décès de son mari. En pleurs, elle lui demande si elle peut les garder. On lui répond qu’il s’agit de pièces à conviction qui doivent être remises à la police.


    Dans le même temps, la brigade spéciale des affaires arabes de la Direction Générale de la sureté mène son enquête. Elle reçoit la visite d’un ouvrier maçon du nom d’Augustin Barroso Mancebo, qui avait trouvé sur son lieu de travail un pistolet de calibre 9 mm enterré dans un tas de sable. Il y avait bien des chances que ce fut celle du crime, d’autant plus qu’elle se trouvait enterré avec une paire de gants de cuir noir. On ne peut que féliciter les policiers de Madrid et le laboratoire scientifique qui examina le revolver et les douilles. On trouve au dossier un exposé remarquable sur la provenance de l’arme à feu et des munitions tirées. L’arme était un parabellum d’une singulière efficacité puisque la portée est de 1500 mètres, et que la force de pénétration des projectiles aurait suffit pour qu’à 50 mètres de distance, on pût transpercer une paroi de sapin de 150mm ou une planche de hêtre de 50mm d’épaisseur. L’arme fut identifié comme étant un P38 de type SW45, contenant un chargeur pour balles 9 mm, projectiles lourds et puissants d’un grand usage dans l’armée, la police, et le maquis.
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    • #3
      Le premier des suspects

      Rapidement la police se met en branle, telle une machine bien rodée et remarquablement huilé. Le lendemain du crime, elle avait déjà fait établir un portrait robot du meurtrier, qui sera communiqué à toutes les autorités policières du pays ainsi qu’aux postes frontières. Parallèlement, elle dressait la liste de toutes les personnes douteuses qui auraient pu se trouver en contact avec le leader assassiné. Elle passait au peigne fin tous les lieux que fréquentent les arabes de la capitale. Parfaitement informée, elle apprenait qu’au moment de l’assassinat, il y avait au moins 15 agents des services secrets algériens résidant à Madrid.

      Le lendemain 04 janvier 1967, à 17h 30, elle arrêtait un certain George Attila Kaposi, qui, certes ne correspondait pas au portrait robot, mais dont elle savait « qu’il avait eu antérieurement des contacts avec Khider ». En effet, le 1er janvier 1966, Khider rédigeait un texte destiné à renseigner la police espagnole sur les activités de George Kaposi et de Luis Sanchez. Ce document, écrit de la main de Mohamed Khider, relatait la confession du sujet hongrois chargé par les services de M. Boumediene de perpétrer un attentat sur sa personne. Voici le contenu du document :
      George Kaposi : Nationalité Hongroise ; réfugié politique à Alger depuis 2 ans, marié à une algérienne de confession musulmane, coiffeuse à Alger et y demeurant ; 30 ans environ ; yeux et cheveux châtains clairs ; 1,70m ; porte des lunettes cerclées de métal d’or fin ; arrêté et torturé pendant 11 jours par la S.M (Sécurité militaire algérienne) ; porte des traces de brulures à la jambe droite sous le mollet ; parle le français avec un accent. Passeport algérien valable jusqu’au 15 août ; arrivé à Palmas le 15 mai par la ville de Marseille ; arrive à Barcelone entre le 15 mai et le 25 juin ; arrivé aujourd’hui à Madrid ; doit y demeurer pendant 3 à 4 jours en hôtel ; a été contacté pour participer lui aussi à mon enlèvement ; se propose de m’aider à déjouer ce complot ; voudrait faire échapper sa femme d’Algérie ; a besoin d’un passeport et d’une résidence.

      Luis Sanchez : Organisateur du rapt ; 38 ans ; à Alger en tant qu’expert pour la réorganisation de la PRG et de la PG (services dits de renseignements généraux de la police judiciaire). Ancien officier de la marine (capitaine de corvette), ingénieur en topographie maritime ; ancien chef de la police à Saint Domingue sous le régime de Trujillo ; ami de Kaposi.

      George Kaposi s’était engagé dans la légion étrangère française. Affecté au second régiment de parachutistes cantonné à Sidi Bel Abbés, il prit part à toutes les vicissitudes de cette unité d’élite dans la guerre d’Algérie. Lorsque ce malheureux pays accéda à l’indépendance en 1962, Kaposi resta avec son régiment en garnison à la base navale de Mers El Kébir, seul point qui demeurait encore concédé aux forces françaises. Profitant d’une permission de fin de semaine, il déserta, et en compagnie de quelques amis se rendit à Oran, déguisé en ouvrier agricole. Il fût arrêté par la police à la suite d’un incident. Après quelques mois de captivité, sa collaboration fût demandée par la police algérienne. On lui propose de collaborer avec eux sur le terrain politique, «spécialement pour agir contre les éléments opposants au gouvernement de Ben Bella alors au pouvoir. ». On lui donne un passeport algérien et il est envoyé à Lausanne avec mission d’entrer en contact avec le leader algérien Mohamed Khider et d’agir en agent provocateur. Il doit proposer des armes et lui en vendre si possible. Après quoi, on dénoncera le trésorier du FLN aux autorités helvétiques, faisant ainsi obstacle au travail clandestin de l’organisation Khider.

      C’est en août 1964, que Kaposi se présente à Khider en tant que trafiquant d’armes. D’accord sur le principe, Khider lui répond qu’il y réfléchira ayant plusieurs offres de cette sorte à des prix très compétitifs. L’opération échoua. Kaposi était accompagné par 2 anges gardiens de la Sécurité militaire algérienne. Il déclarera qu’un groupe plus nombreux surveillait le leader algérien. Quand l’opération échoua, Kaposi fut réincarcéré en Algérie pour avoir échoué l’opération. Quelques mois plus tard on lui propose sa libération immédiate à condition de « s’encastrer dans des groupes d’action dont la mission consistait à éliminer physiquement certains membres d’opposition gouvernementale, ou encore de les enlever et ainsi perturber leurs activités. ».

      C’est alors que Kaposi connut un individu du nom de Luis Sanchez, ex-capitaine de corvette en république Dominicaine, ancien chef de la sécurité de ce pays avant la chute du dictateur Trujillo. Désormais au chômage, Luis Sanchez s’était offert au gouvernement algérien, pour créer, sous l’égide des services de renseignements, des commandos destinés à servir à l’étranger. Luis Sanchez refuse la proposition, ce qui pousse la police militaire à le ré-interner une fois de plus. Jeté dans un cachot, il sera privé de lumière pendant plus de 7 mois. Libéré, il est expulsé le 15 mai 1966 d’Algérie à destination de Palma de Majorque. De là, il continue son voyage vers Barcelone puis vers Madrid. Là, aux abois, sachant que Khider s’y trouvait, il tente de le contacter. La déposition poursuivit « qu’effectivement, il y eut un contact téléphonique avec Khider. Lui rappelant à celui-ci leur entrevue de Suisse, il lui demanda de le revoir à nouveau, car il devait l’avertir de certains périls sur sa personne et de complots tramés par les Services de sécurité algérienne. Une demi-heure plus tard, Mohamed Khider le convoque chez lui. Il ne semblait pas tellement croire à toutes ces histoires, ayant coutume de recevoir ce genre d’avis quotidiennement depuis son exil. Kaposi l’informe des menées du fameux ex-capitaine de corvette Dominicain, Luis Sanchez, ce à quoi Khider lui répondit qu’il était parfaitement au courant des activités de ce dernier. Kaposi semblait surtout préoccupé par des ennuis d’argent, beaucoup plus que par le souci d’aider Khider. M. Khider lui remettra un cadeau de 1500 pesetas. ».


      Deux jours plus tard, Kaposi essaie de revoir Khider qui refuse de le voir, sous prétexte qu’il n’a rien à lui apprendre de plus qu’il ne sache déjà. Avec insistance il « lui demande de l’assister financièrement dans la mesure de ses moyens ». Répondant à ce SOS, Khider convoque le hongrois au café Calobra, au coin de la rue St François de Sales, où il lui remet 1000 pésétas. Ce fut là sa dernière rencontre que Kaposi prétend avoir eu avec le leader.
      Interrogé, Kaposi précise son emploi du temps pour la journée du 3 janvier. Son alibi est plausible et il peut être vérifié valablement. Kaposi aurait pu donc être libéré. Mais néanmoins, il était peut-être en mesure de fournir quelques informations utiles, étant donné ses rapports avec les services secrets du gouvernement algérien. Il sera donc gardé en détention préventive. Sa déposition mentionne l’inquiétude dans laquelle il se trouve en présence des soupçons qui peuvent être portés sur lui. « Automatiquement et spontanément » pour reprendre les termes même du document, Kaposi déclare que « d’après lui, les faits ont dû être, pour le moins, dirigés et organisés par l’algérien Rabah Boukhalfa, attaché culturel à l’ambassade d’Algérie à Madrid, bien qu’il sache que sa véritable fonction soit celle de commissaire de police en Algérie, attaché au service de renseignement. ». Ceci est, dans l’acceptation du terme, le passage clé de la déposition Kaposi. C’est grâce à cette information, que la police madrilène va se trouver enfin mise sur la piste définitive.


      Quelle est la raison de cette dénonciation de la part de Kaposi ? On ne le saura jamais exactement. La dénonciation du diplomate algérien ressemble à un acte gratuit. Mais on peut penser qu’en réalité, Kaposi est un faible très influençable, facile à intimider, peu logique au demeurant et volontiers sentimental. Ajoutons que le portrait robot ne lui avait pas été présenté.
      Il est hors de doute que l’accusation formulée par Kaposi à l’encontre d’un fonctionnaire puissant de l’ambassade d’Algérie, ne laisse pas d’être terriblement accablant. En premier lieu, le déclarant précise, qu’à plusieurs occasions, « Boukhalfa lui avait proposé de se charger de la surveillance permanente de Mohamed Khider et d’Aït-Ahmed, beau frère du précédent. Ce à quoi il s’est refusé froidement. ».

      En second lieu, Kaposi révèle que les activités de Boukhalfa ne sont pas spécifiquement diplomatiques, mais « consacrées au renseignement et à l’enquête politique, spécialement auprès des milieux algériens hostiles au gouvernement du colonel Boumediene. ».
      En troisième lieu, Kaposi précise que Boukhalfa lui a confié qu’il allait être bientôt affecté au montage de Services secrets soit en Espagne, en Allemagne ou en Hongrie, soit au Japon.

      Kaposi prétend bien connaître le diplomate qui, oh paradoxe, opère à Madrid en tant qu’attaché culturel alors qu’il ne possède même pas un certificat de fin d’études, ce qui montre bien l’intérêt qu’on accorde à la culture dans certains pays du Tiers monde. D’après Kaposi, Boukhalfa semblait insister beaucoup afin qu’il travaille pour lui. Il y eut plusieurs coups de téléphone entre les deux hommes. Par ailleurs, en une certaine occasion, dont le déclarant n’a pas spécifié la date, il semble que Kaposi ait rencontré par hasard Boukhalfa à la terrasse d’un café situé rue Goya. Le diplomate était accompagné d’une autre personne inconnue de Kaposi, un certain Pepe El Moro, propriétaire d’une bijouterie. On parlera surtout affaire. Boukhalfa présenta à Kaposi « cette personne comme étant un ami de tous les membres de l’ambassade d’Algérie » . Probablement les dépannait-il à l’occasion, car, généreux des deniers des autres, Boukhalfa propose à Pepe el Moro de remettre au Hongrois « 7.000 pésétas en échange d’un reçu sur une banque d’Alger ». La main sur le cœur, l’attaché culturel se portait garant de cette proposition. Malgré tous les éloges qu’il fit au bijoutier sur son bon ami Kaposi, Pepe el Moro ne marcha pas.

      La déposition de Kaposi contenait 3 autres points importants. D’abord le fait que Boukhalfa était parfois accompagné d’un étudiant algérien, maigre et mesurant au moins 1,80 m. Il sera identifié par la suite comme étant un certain Mrabet Mohamed. En second lieu, Kaposi prétend avoir rencontré, deux mois avant le crime, Boukhalfa en compagnie d’un individu d’une trentaine d’années, « ayant approximativement 1,72 m, maigre, aux cheveux noirs légèrement ondulés, au teint olivâtre, et qui semblait avoir un regard fixe, ce qui donnait à son visage une expression très spéciale ».

      Ce signalement se recoupe avec celui du meurtrier. Le portrait robot est alors présenté à Kaposi. Il ne pu rien affirmer de net, mais trouva quand même « une grande ressemblance entre ce portait et l’individu décrit par lui ». Enfin Kaposi prétend connaître la voiture Opel 1700, de couleur beige clair avec toit noir dans laquelle se déplace Boukhalfa. Cette voiture était parquée dans la rue de la Montera, la veille et le matin du crime.

      Cette déposition est accablante pour l’attaché culturel Boukhalfa. De plus, elle sera complétée par 2 déclarations faites, cette fois-ci non plus à la police spécialisée dans les affaires arabes, mais au commissariat général d’enquête sociale. Il semblerait qu’en certaines occasions, Boukhalfa eût exprimé des menaces de mort à l’encontre de Kaposi. Dans une deuxième déclaration, Kaposi affirme que la chancellerie de l’ambassade algérienne, avait tenté de lui confisquer son passeport algérien mais sans résultat. Boukhalfa, un mois avant le crime, chercha alors à lui acheter le passeport, ce que Kaposi refusa. Quelle manœuvre était-elle envisagée par le soi-disant diplomate ? On ne le sait pas, mais on peut faire des suppositions.
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      • #4
        Rabah Boukhalfa, un étrange diplomate

        La police et la justice espagnoles, bien qu’elles fussent convaincues de l’innocence d’Attila Kaposi, ne pouvaient en aucune façon le relâcher. Il fallait contrôler ses dépositions et comme une importante personnalité de l’ambassade était mise en cause, il convenait de savoir jusqu’à quel point les déclarations des témoins étaient fondées. Tout le petit monde qui gravitait autour de Rabah Boukhalfa, pourrait peut-être, s’il était interrogé habilement et individu par individu, mettre définitivement en cause un personnage mystérieux, non encore identifié et qui serait à coup sûr, le coupable. C’est dans cet espoir que la brigade spéciale des affaires arabes interrogea Janos Mlimar, compatriote d’Atilla Kaposi, le 7 janvier.

        Mlimar avait fait la connaissance d’Attila Kaposi à la légation royale de Hongrie au début juillet 1966. Sachant que son compatriote était dans la misère, il l’avait reçu à son propre domicile. Mlimar sera présenté par la suite, par l’intermédiaire de Kaposi, à Rabah Boukhalfa dans un café du nom de California, qui semble avoir été pour un certain temps, le quartier général du diplomate algérien. Ils firent un peu la noce ensemble en compagnie de deux jeunes femmes espagnoles, et parlèrent de thèmes généraux ‘’sans effleurer en rien les problèmes politiques’’.

        Trois jours plus tard, Boukhalfa et Mlimar se rencontrent par hasard, tous les deux arrêtés à un feu rouge. Ils se firent des signes et se parquèrent au bord du trottoir. Le Hongrois vint rejoindre le diplomate algérien. Ce dernier lui déclara « qu’il traversait une mauvaise situation financière, résultant de la maladie de son épouse et de la mort de son fils à la naissance. ». Il lui montre alors un pistolet P38, (du même type que celui découvert après le crime), dont la crosse était de couleur marron en bon état, et qu’il offrait de la lui vendre, « Mlimar refuse ne voyant pas à quoi une arme aussi lourde pourrait lui être utile.’’

        Le 27 décembre 1966, Boukhalfa téléphone à Mlimar pour lui demander des nouvelles de Kaposi, invisible depuis quelques temps. Un rendez-vous sera fixé auquel il se rendra accompagné d’un autre compatriote, Lajos Hegyesy, qui exerçait la profession de journaliste. Boukhalfa semblait furieux à l’encontre de Kaposi, estimant qu’il parlait trop et qu’il avait un compte à régler avec lui. Rabah demanda ensuite comment était faite une balle Dum Dum ? Lajos intervenant dans la discussion, s’enquit de savoir pour quelle raison, il avait besoin d’une balle de ce genre ?
        - Pour George, répondit Rabah, se référant à Kaposi. Mlimar et Lajos comprirent que ces paroles impliquaient une claire menace de mort.
        Après l’assassinat de Mohamed Khider, Mlimar reçoit un coup de fil du diplomate algérien qui lui demande des nouvelles de George Kaposi et lui pose la question si ce serait lui qui aurait assassiné Khider ?
        – J’en ai beaucoup plus long à dire que tu ne le penses, répondit alors Boukhalfa, et il raccrocha aussitôt. Mlimar dès ce moment là, éprouva des craintes et comme il le dit lui-même «de l’insécurité et de l’inquiétude ».
        Le 9 janvier 1967, Lajos Hegyessy est interrogé. Le singulier journaliste vivait de Bric et de broc, d’une manière plus ou moins illégale, « subvenant à ses besoins avec l’aide de la communauté juive internationale », le déclarant étant de religion israélite. Lajos confirma intégralement les menaces de mort que Boukhalfa avait proféré à l’égard de Kaposi qui, selon lui, ne faisait que réclamer de l’argent sans lamais le rendre, et qui, surtout, parlait trop ; l’allusion de la balle Dum Dum est aussi confirmé.

        Nous passerons rapidement sur la déposition Mrabet qui ne nous apprend rien de neuf sauf que ce prétendu étudiant à l’université de Madrid, est certainement un agent spécial à la solde des services secrets du gouvernement algérien, mais qui n’a rien a voir avec l’assassinat de M. Khider. En effet, le jour du crime, il se trouvait à la prison provinciale de Carabanchel où il avait été incarcéré depuis 2 mois à la suite d’une plainte pénale en extorsion de fonds et pour usage de faux passeports.
        Passons maintenant à l’un des personnages les plus louches de cette affaire, encore que juridiquement rien de précis n’ait été retenu contre lui ; nous voulons parler d’Isaac Elias Cohen, Allias Pepe El Moro. On se rappelle que dans sa déposition, George Atilla Kaposi avait fait mention d’une rencontre au cours de laquelle le diplomate Rabah Boukhalfa l’avait présenté à un bijoutier nommé Pepe El Moro. Ce dernier avait refusé un marché proposé par le diplomate et qui consistait à échanger certains reçus sur une banque d’Alger contre espèce sonnantes.

        Ce négociant en bijoux avait des antécédents assez mouvementés. Arrêté à maintes reprises pour viol, revente de billets de chemin de fer, trafic de devises, vol, trafic de chèques et faux dollars, utilisation de divers faux papiers. Il est né à Tanger le 18 janvier 1910. Après avoir été concierge à l’hôtel St Francisco à Madrid, il semblait s’être très vite enrichi. Ce qui lui permit d’ouvrir un magasin de bijoux haut de gamme.

        La première déposition date du 07 janvier 1967 ; elle est assez laconique. La seconde, enregistrée le 19 janvier 1967, est plus intéressante et précise, puisqu’entre temps l’assassin de Mohamed Khider avait été identifié et que Pepe El Moro, comme il le dit lui-même, était disposé maintenant à renseigner utilement la police, car il dit ne rien avoir avec le crime de M. Khider. Dans sa première déposition donc, Pepe El Moro déclare connaître certes le diplomate Rabah Boukhalfa, qui lui aurait été présenté par un de ses associés d’affaires, Youssef Dakhmouche sur lequel il ne s’étale pas trop. Il confirme que Boukhalfa lui avait demandé de l’argent pour Kaposi contre remise de certains reçus sur une banque d’Algérie. Questionné s’il peut donner quelques informations à son sujet, il répond prudemment, « qu’il est fonctionnaire de l’ambassade d’Algérie et qu’il l’a vu pour la dernière fois hier à 21h au sujet d’une voiture appartenant à l’un de ses amis et qu’il serait peut-être désireux d’acquérir. ». Pas un mot de plus, pas un détail de plus.
        Le 19 janvier 1967, dans sa deuxième déposition, il précise connaître depuis plus de 5 ans le sujet algérien Youssef Dakhmouche et qu’il l’avait soupçonné très vite d’être membre du FLN. Mais comme le déclarant n’avait jamais fait de politique, il n’y attacha pas d’importance. Il précise aussi qu’il fit la connaissance de Dakhmouche du fait que ce dernier était lui aussi bijoutier et commerçant. Ils feront ensemble une opération commerciale jusqu’au mois de février 1966, date à laquelle le dit Youssef lui proposa de s’associer et de monter un magasin. Dakhmouche offrit de lui fournir les moyens financiers et de façon concrète, lui avança 165 000 pesetas. Pepe El Moro déclare avoir remboursé une très grande partie à son associé.

        Youssef Dakhmouche semblait être un pilier de l’ambassade d’Algérie. On pouvait l’appeler à toute heure et quand ce n’était pas lui qui répondait directement, c’était une demoiselle qui s’empressait d’aller chercher l’intéressé. A part cela, continue à déclarer Pepe El moro, on faisait des affaires, notamment avec un collaborateur de Boukhalfa, du nom de Boumaaza. Et puis il y avait Ben Houda à qui il avait vendu une bague, un bracelet, des pendentifs en or. Mais, en fait, le client sérieux, c’était Boukhalfa lui-même, que les témoins désignent comme « le véritable ami de son associé ». Il se préoccupait souvent pour lui et surtout qu’il ne commette pas d’excès de boisson.

        Le 20 décembre 1966, Boukhalfa téléphona à Pepe El moro pour lui faire part de son inquiétude concernant Dakhmouche. La voiture de ce dernier était bien devant l’hôtel qu’habitait celui-ci. Son manteau bleu était déposé sur les coussins. Sa mallette était encore dans sa chambre, mais lui-même était introuvable. Qui sait, s’il n’était pas arrivé malheur à ce cher ami. C’est pourquoi Pepe El moro reçut la mission de contacter la police pour savoir s’il n’était rien arrivé de fâcheux à l’égard de l’enfant chéri. La police ne trouvant rien, s’excusa de l’échec de ses recherches. Le lendemain, tout s’arrangeait puisque Youssef avait refait surface. Pepe El Moro précise qu’il vit Youssef utiliser 3 fois 3 voitures différentes ; une voiture de marque Seat 600D de couleur verte, une voiture 1500 de même marque, couleur beige grisâtre et une voiture 850 de couleur blanche. Dakhmouche lui avait précisé que ces voitures étaient mises à sa disposition par le garage qui lui réparait la sienne, une Simca, immatriculée en France.

        Le 28 décembre, Youssef Dakhmouche vint voir son ami, Elias. Il prenait congé de lui et lui réclame 14 000 Pt. Quant au reliquat, Youssef prétendit que « partant pour un long voyage, d’où il ne reviendrait pas de sitôt, il enverrait une personne de confiance pour récupérer le reste. Il précise au juif que s’il ne respectait pas leurs accords, ça lui couterait très peu de tuer un type ». Le portrait robot que donne Pepe El Moro est d’une remarquable précision et contribuera à lever les derniers doutes de la police. Le portrait physique décrit correspond à celui qu’on appellera désormais l’assassin.
        Le petit monde de Boukhalfa est bien particulier. Il nous a permis de brosser une tranche de vie telle qu’on en trouverait dans les romans sur la pègre.
        L'interrogatoire du " diplomate "

        Rendons hommage à la police de la sûreté madrilène. Le crime était à peine connu, l’enquête à peine commencée, que sans se laisser intimider par les prérogatives du droit diplomatique, dont se réclamera plus tard Rabah Boukhalfa, elle demandait par lettre adressée au juge Carreras Gistau, l’autorisation de perquisitionner au domicile de l’attaché culturel, « où aurait pu être cachés des documents de la plus grande utilité, quant à la découverte des auteurs du crime ». Le même jour, le juge répondait favorablement et, mettant la main sur le diplomate, les policiers l’amenèrent à leur bureau, ce même 05 janvier, à 09h30. On ne saurait vraiment faire plus vite.
        La déposition est vraiment intéressante. Le diplomate ne nie pas connaître le Hongrois Kaposi, avec lequel il était en relation depuis 1964. Il nie catégoriquement lui avoir proposé de surveiller Khider ou son beau-frère, Hocine Aït-Ahmed. Questionné s’il connaissait un dominicain dénommé Luis Sanchez, il répond par la négative. Quant à l’assassinat de Khider, Boukhalfa affirme sans broncher « qu’il connaît seulement les détails que la presse a publiés ». Il ne nie pas avoir présenté Kaposi à Pepe El Moro et sa déposition concorde avec celle du bijoutier.

        Quelques moments plus tard, les inspecteurs présentent à Boukhalfa un portrait de son concitoyen et compère de cabaret, Youssef Dakhmouche. Le diplomate consent à dire qu’en une occasion il lui était arrivé d’inviter à l’apéritif un ami « dont les caractères physiques ne correspondaient pas entièrement à l’individu mentionné dans la question ». Il admet connaître aussi le Hongrois Jamos Mlimar. Revenant à Kaposi, il le taxe de mythomanie, lorsque ce dernier s’est targué devant Jamos Mlimar d’appartenir aux services secrets algériens et d’avoir rempli une mission en Suisse. Dans l’affaire du revolver P38, à crosse marron, tout à fait semblable à celui retrouvé sur les lieux du crime et dont il aurait proposé la vente à Jamos, Bouchalfa se défend comme un beau diable : « Absolument faux, je n’ai pas rencontré Janos, je ne l’ai pas appelé et je lui ai encore moins offert de lui vendre un pistolet quelconque ».
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          Concernant l’histoire de la balle Dum Dum, Boukhalfa répond : « Non cela n’est pas exact ; ce fut Janos qui, parlant de son compatriote, déclara : il mériterait une balle Dum Dum… c’est tout ce que mérite ce vaurien. ». La déposition de Boukhalfa est suspecte et loin d’être convaincante ; elle se heurte à des contradictions. Il est prouvé en effet que Boukhalfa fut un important fonctionnaire de la police, tant à Oran qu’à Tlemcen, et qu’il ne s’était jamais occupé d’affaires économiques dans lesquels il était incompétent. De plus, la culture moins qu’élémentaire de notre homme ne peut tout de même pas le faire apparaître sous l’angle diplomatique ou culturel.

          L’après-midi du 08 janvier, la brigade spéciale des affaires arabes obtempérait à l’ordre donné par le juge et procédait à une perquisition au domicile particulier de Rabah Boukhalfa, rue Général Mola, N° 275. La seule découverte que les enquêteurs y firent fut celle d’un pistolet de marque Beretta de calibre 7,65. Boukhalfa expliqua la présence de l’arme à son domicile en déclarant qu’il l’avait amené chez lui, hier 7 janvier au soir, depuis l’ambassade de son pays ; « il avait en effet observé que, dans la matinée du même jour, en sortant de son ambassade, une voiture s’était placée derrière lui lors d’un arrêt à un feu rouge. Le conducteur et unique occupant de cette voiture avait un pistolet à la main qui devait être un jouet, car il avait entendu 2 coups de feu caractéristique d’une arme à jouet (sic) ». Ce bruit et la mort récente de son compatriote Mohamed Khider fut ce qui le décida à avoir l’arme indiquée à son domicile.

          Le lendemain, la brigade des affaires arabes interrogeait le sieur Mohamed Merabet, ressortissant algérien né à Casablanca et lieutenant des services de la sécurité algérienne. Merabet précisa que Boukhalfa, contrairement à ce qu’il avait dit, « c'est un homme qualifié de par ses antécédents politiques, son expérience et les missions réalisées, pour mener à bien des activités d’un type spécial ». Merabet semble avoir bien connu Boukhalfa qui, pendant la guerre de libération, dirigea des coups de force contre l’armée française. Ainsi, on se doute bien que Boukhalfa n’avait certes pas les compétences qui font les Talleyrand et les Metternich. « Un homme de cette expérience est accoutumé à ce genre de luttes, précise Merabet, et n’a pas d’autre culture que celle que lui a fourni un baccalauréat élémentaire et n’est pas préparé pour remplir des fonctions purement diplomatiques ». Merabet signale également qu’il est entouré, à son ambassade, par 2 ou 3 comparses, tel qu’un certain Boumaaza qui, selon le déclarant « est capable même de tuer, moyennant une forte somme d’argent ».

          Le juge d'instruction était suffisamment éclairé sur les réelles activités de Rabah Boukhalfa, pour qu’il se résolve à prendre une décision hardie. Il adressa donc à l’ambassadeur d’Algérie une note ainsi conçue :
          « Votre Excellence,
          Dans le dossier qui a été instruit touchant la mort de M. Khider, j’ai décidé d’adresser à votre excellence, la présente lettre, vous priant de bien vouloir faire le nécessaire aux fins que le sujet algérien, Rabah Boukhalfa, lequel fournit ses services en votre ambassade, en qualité de chargé des affaires consulaires, comparaisse devant le tribunal le 11 courant à 11 heures, aux fins de faire une déposition’’.
          Le message était courtois. En qualifiant Boukhalfa de ‘‘chargé des affaires consulaires’’, le magistrat espérait éviter l’objection selon laquelle un fonctionnaire d’ambassade jouit du privilège d’immunité, ce privilège étant refusé au personnel consulaire.
          Malheureusement, cette distinction subtile ne devait pas être appréciée à sa juste valeur par l’ambassadeur d’Algérie qui, par le biais du ministère des Affaires étrangères, répondait : « Urgent. Mardi 10 janvier 1967. Affaire : Statut diplomatique M. Rabah Boukhalfa attaché à l’ambassade d’Alger sur ordre de Mr. le Ministre des Affaires étrangères et en réponse à votre écrit du 09 courant, référence 50/67, j’ai l’honneur de porter à votre connaissance que M. R. BOUKHALFA est attaché à l’ambassade d’Algérie à Madrid et jouit de ce fait d’un statut diplomatique. Que Dieu vous garde de nombreuses années ».

          Invoquer l’immunité diplomatique dans un cas de ce genre, surtout lorsqu’il s’agit de l’assassinat d’un leader politique du pays qui refuse d’éclairer la justice, prouve la tentative de camoufler un meurtre politique.
          L’implication de Rabah Boukhalfa dans l’assassinat ne fait aucun doute dans mon esprit. D’autant que son profil se prête parfaitement à la sale besogne. Luis Manuel Gonzales-Mata, espion espagnole, impliqué à tord, écrira à propos de l’assassinat de M. Khider dans son livre " CYGNE mémoire d’un agent secret " : « (...) C’est ainsi que Blanco me conduisit dans son bureau où se trouvait Kaposi et Rabah Boukhalfa, l’attaché consulaire algérien, et l’ambassadeur d’Algérie lui-même qui venait récupérer son collaborateur. Je regarde Boukhalfa, je m’écrie : « Titus ». Dans ce diplomate, je reconnais en effet Titus, un membre de la Sécurité Militaire algérienne qui m’avait torturé personnellement lors de ma première arrestation en Algérie. L’ambassadeur baisse le nez. Dès lors les accusations de Kaposi contre moi ne valaient plus rien : il était lui-même en rapport avec les services secrets algériens. Envoyé pour camoufler l’opération et intoxiquer le colonel Blanco, Kaposi nous apportait donc la preuve de l’intervention de la Sécurité militaire algérienne….’’.
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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          • #6
            Sur les traces de l'assassin

            L’identification du meurtrier ayant été faite, le plus dur restait à faire ; le retrouver et l’arrêter.

            Kaposi est remis en liberté le 10 janvier 1967 par le juge Munoz Alvarez. Le 21 janvier 1967, le juge Juan de Dios Jimenez Molino prenait une mesure d’inculpation, et décrétait l’emprisonnement provisoire du dénommé Youssef Dakhmouche. On se lance à la poursuite du meurtrier qu’on supposait réfugié en France. Interpol est alerté le 21 janvier 1967, et le 26 janvier 1967, le tribunal demandait aux autorités française l’extradition de l’inculpé, conformément au traité conclut entre la France et l’Espagne en 1877. La police des frontières françaises informa Madrid que Dakhmouche, se disant commerçant, est entré en Italie le 6 janvier 1967 par la frontière de Menton. Il avait déclaré venir d’Espagne et devait se rendre en Italie à Montecatini-Terme, pour une affaire d’importation d’anchois avec un Tunisien. On demande alors l’extradition de Dakhmouche réfugié à Milan. Mais le même jour, l’inspecteur du corps général de police, affecté à l’Interpol de Madrid, M. Thomas Lucendo Hernan, vint déclarer au juge que l’inculpé avait quitté le sol italien, ayant probablement passé en Suisse où l’on avait pu savoir qu’il possédait un domicile, celui d’une entreprise commerciale avec laquelle il était en relation. L’information était précise. Il s’agissait de la firme Derelco S.A .

            Le vendredi 17 février, le parquet prononçait la réquisition suivante : « Y. Dakhmouche dont l’identité exacte et le lieu exacte où il se trouve sont inconnus, inculpé pour assassinat dans l’affaire No 50 de 1967, comparaîtra dans le délai de 10 jours par devant le tribunal d’instruction No 17 de cette capitale dans le but d’être conduit en prison, l’emprisonnement ayant été décrété dans cette affaire. ». Malgré tout le dévouement d’Interpol, toutes les souricières tendues, tous les avis envoyés aux frontières, Y. Dakhmouche restait introuvable. Le 22 février 1967, la Direction générale de la Sûreté envoyait au parquet la communication suivante : « Soyez informé que jusqu’à ce jour, les démarches effectuées pour l’accomplissement de votre requête selon réquisition émanant de vous, sont restées totalement infructueuse ».

            L’ultime conclusion fut tirée par le juge Molina le 8 mars 1967 : « Attendu que parce qu’on ignore le domicile ou le lieu actuel de résidence de l’inculpé Y. Dakhmouche, attendu que le dit inculpé n’a pas comparu dans le délai fixé dans la réquisition et n’a pas été appréhendé par les agents de l’autorité, considérant que d’après l’article 834 du Code de procédure pénale sera déclaré contumace l’inculpé qui, dans le délai indiqué par les réquisitoires, ne comparaîtra pas ou ne sera pas appréhendé et présenté par devant le juge du tribunal, est déclaré contumace l’inculpé Y. Dakhmouche et le cours de l’affaire est suspendu à son égard, sous réserve pour la victime du dommage des droits que lui concède l’article 843 de la loi de procédure pénale… ».
            L’affaire se terminait en queue de poisson, mais il serait faux de penser qu’elle a été classée ou assimiler une telle décision à un non-lieu. On eut certes préférer une condamnation par contumace, mais comment intenter un procès puisque l’immunité diplomatique couvrait le témoin N° 1 de l’affaire et excluait donc son interrogatoire devant la cour.

            Le gouvernement algérien reçut des excuses verbales de la part du gouvernement espagnole " en ce qui concerne la détention momentanée de son attaché culturel à Madrid". Malgré cela, il insista pour avoir des excuses par écrit. Un journal madrilain, El Pueblo, titrait ainsi : Alger ne se considère pas satisfait par des paroles. « Avant-hier, le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, a formulé une protestation au chargé d’affaire espagnole à Alger, tandis qu’une démarche similaire était effectuée par l’ambassadeur algérien à Madrid au ministre espagnole des Affaires étrangères, M. Castiella…. ». M. Bouteflika aurait protesté contre la violation de l’immunité diplomatique de Rabah Boukhalfa, qui aurait fait l’objet " d’un traitement honteux de la part de la police et de la justice espagnole".
            La réaction du gouvernement algérien était prévisible. En effet, comment expliquer cette attitude si ce n’est la volonté de camoufler le crime politique. En invoquant l’immunité diplomatique, Alger peut ainsi stopper le cours de l’enquête et se donne, de la sorte, du temps pour agir en haut lieu afin de classer définitivement l’affaire.

            L’évidence s’impose et l’enquête le démontre, le meurtre avait été orchestré par Alger. D’autres personnalités en seront aussi convaincu et, entre autres, Hocine Aït Ahmed, pour ne citer que lui, chef du Front d’opposition FFS ; Il est formel. Dans le compte rendu de sa conférence de presse donnée à Londres, le 05 février 1967, il s’exprime ainsi : « J’accuse le régime de Boumediene d’avoir conçu, organisé, et perpétré l’assassinat. Cette pratique honteuse de gangstérisme politique porte le sceau de ce clan d’aventuriers sans scrupule, qui ont usurpé le pouvoir et détruit dans notre pays les principes de liberté, de démocratie et de justice, pour lesquels des millions d’Algériens et Khider parmi eux, ont donné le meilleur d’eux-mêmes. ».
            Pour démontrer la culpabilité du gouvernement algérien, Aït Ahmed nous indique expressément que les tenants " du pouvoir néo-fasciste " tentèrent de faire transférer à Alger le corps de la victime, demandèrent aux autorités espagnoles la mise sous séquestre des biens de Mohamed Khider, lancèrent une offensive de coopération avec l’Espagne, suscitèrent dans certaines presses, des " campagnes de mensonges et de mystification ". En effet, hélas, après l’assassinat du leader politique et afin de couvrir l’évidence du crime politique, le gouvernement d’Alger s’acharna à démontrer qu’en fait Khider avait été assassiné pour des histoires d’argent. Ils tentèrent de détruire sa mémoire en le discréditant auprès des masses. Ce fut l’affaire du trésor du FLN, qui fera grand bruit durant des années.
            Mais qu’en est-il advenu du meurtrier Y. Dakhmouche ? C’est en 1976, que des révélations sont faites par Gonzales-Mata, l’espion espagnol. Dans son livre " Cygne ", édité par Grasset et Fasquelle, il revient sur la fuite de Y. Dakhmouche en Suisse « (...) Nos services, alertés par mes soins, dépistèrent à nouveau Dakhmouche, mais quand la police suisse investit l’hôtel où séjournait l’assassin, celui-ci avait déjà trouvé refuge à l’ambassade d’Algérie à Berne. Quelques heures plus tard, Youssef Dakhmouche avait déjà passé la frontière italienne, puis de Milan, prit l’avion pour l’Algérie(...) Et puis, quelques semaines plus tard, je reçus directement des nouvelles de Youssef Dakhmouche. Il était en Algérie, tranquille et satisfait. L’armée le convia un jour à des manœuvres organisées par l’école de guerre de Sidi-Bel-Abbès, et Dakhmouche s’y rendit. Il regardait les soldats lorsqu’il trébucha curieusement sur une pierre. La chenille d’un char, passant par là, lui écrasa la tête. » !
            Justice de Dieu, pourrait-on dire. Il n’en reste pas moins qu’en fait, il n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les vrais coupables sont ceux-là mêmes qui ont ordonnés le crime. Ils font partie du système qui gouverne encore aujourd’hui et qui, durant des années, ont assassiné, torturé, volé en toute impunité, laissant en héritage une Algérie dévastée par la gangrène de la corruption.
            A quand le changement ? Un jour sûrement. « Cela semble toujours impossible, jusqu'à ce qu'on le fasse » (Nelson Mandela).

            *Tariq KHIDER, L'affaire KHIDER; un crime d'Etat impuni, KOUKOU Editions, Alger 2017.
            The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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            • #7
              Incroyable. Je viens de m'apercevoir, d’apres la description qui en est faite dans le texte, que ce Attila Kaposi n’était autre qu'un voisin de quartier qui habitait a 100 m de mon immeuble. C’était un homme original sous tous les aspects et poète a ses heures perdues.
              ثروة الشعب في سكانه ’المحبين للعمل’المتقنين له و المبدعين فيه. ابن خلدون

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