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Les médias américains et l’ennemi iranien- Si tu veux la guerre, prépare la guerre

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  • Les médias américains et l’ennemi iranien- Si tu veux la guerre, prépare la guerre

    Entre l’Iran et les États-Unis, les incidents se multiplient. Depuis que le président Donald Trump a décidé de dénoncer l’accord sur le nucléaire conclu avec Téhéran par les grandes puissances en 2015, durant le mandat de son prédécesseur Barack Obama, les drones abattus succèdent aux déclarations martiales et aux embargos. La presse américaine n’est pas étrangère à cette surenchère.

    par Serge Halimi & Pierre Rimbert
    Le Monde diplomatiqueSi tu veux la guerre, prépare la guerre↑

    Imaginons qu’un drone iranien soit abattu au-dessus de la Floride, ou à quelques kilomètres de ses côtes. Au lieu de débattre de la localisation précise de l’appareil, on s’offusquerait certainement de sa présence à douze mille kilomètres de Téhéran. Mais, quand, le 20 juin dernier, l’Iran a détruit un drone américain qui avait frôlé son territoire (version du Pentagone) ou qui l’avait survolé (selon Téhéran), nul ou presque ne s’est interrogé sur le bien-fondé de la présence militaire américaine dans le golfe Arabo-Persique. La dissymétrie du traitement médiatique occidental, selon que le pays qui enfreint le droit international est une (gentille) démocratie libérale ou un (méchant) pays autoritaire, ne soulève plus d’objection.

    Dans un climat d’escalade entre Washington et Téhéran, « présenter sans cesse l’Iran comme une menace, nucléaire ou autre, induit le message qu’il faut l’attaquer », avertit cependant Gregory Shupak, spécialiste des médias à l’université de Guelph-Humber (Canada). Pourtant, ajoute-t-il, « dire que ce sont les États-Unis qui menacent l’Iran serait beaucoup plus respectueux de la vérité que prétendre l’inverse. Après tout, c’est bien le gouvernement américain qui, en ce moment, détruit l’économie iranienne par des sanctions restreignant l’accès de la population à la nourriture et aux médicaments, et qui encercle l’Iran de bases militaires et de forces armées à la fois terrestres, maritimes et aériennes. Pour sa part, l’Iran ne fait rien de comparable avec les États-Unis » (1).

    Ce renversement qui favorise « spontanément » la puissance américaine s’appuie notamment sur la mémoire sélective, mélange de confection politique de l’oubli et de mensonge médiatique par omission. Ainsi, qui, en Occident, se souvient du vol 655 de la compagnie Iran Air ? Le 3 juillet 1988, le croiseur américain USS Vincennes, patrouillant dans les eaux territoriales iraniennes, détruit un avion de ligne qui transporte 290 passagers et membres d’équipage à destination de Dubaï. Les États-Unis nient d’abord leur responsabilité, puis font valoir que le Vincennes naviguait dans les eaux internationales et que l’Airbus iranien, qu’ils ont confondu avec un avion de chasse, descendait de façon menaçante vers le navire américain. Deux mensonges, reconnus plus tard, au point que les États-Unis exprimeront leurs « profonds regrets » et verseront 61,8 millions de dollars aux familles des victimes.

    Si cette affaire a été rapidement oubliée — sauf en Iran… —, une autre, comparable et pourtant plus ancienne, a longtemps marqué les mémoires occidentales. Le 1er septembre 1983, un chasseur soviétique Soukhoï pulvérise un Boeing 747 de Korean Air Lines (KAL) qui relie New York à Séoul avec 269 personnes à bord. En pleine guerre froide, l’avion avait accidentellement dévié de sa route et avait pénétré de nuit dans l’espace aérien soviétique, au-dessus d’installations militaires stratégiques. Le Kremlin expliquera avoir confondu l’avion civil avec un appareil d’espionnage. Largement documentés, ces deux drames, l’iranien et le coréen, fournissent les éléments d’une situation quasi expérimentale : la différence entre le traitement médiatique du vol KAL 007 et celui du vol Iran Air 655 donne l’exacte mesure du biais idéologique de la presse occidentale, et en particulier de la presse américaine, pourtant citée en exemple dans le monde entier.

    Au lendemain de la destruction du Boeing 747 par la chasse soviétique, l’éditorial du New York Times (2 septembre 1983), intitulé « Meurtre aérien », affirme : « On ne peut concevoir aucune excuse lorsqu’une nation, quelle qu’elle soit, abat un avion de ligne inoffensif. » Cinq ans plus tard, lorsqu’il s’agit d’un tir de l’armée américaine, les justifications ont cessé d’être inconcevables. « Bien que la chose soit horrible, c’était un accident, souligne en effet un autre éditorial du même quotidien. On voit mal ce que la marine américaine aurait pu faire pour l’éviter » (5 juillet 1988). Et le New York Times d’inviter ses lecteurs à une expérience intellectuelle insolite : « Mettez-vous à la place du capitaine [William C. Rogers, qui ordonna le tir du missile] : il est difficile de lui reprocher d’avoir tiré sur l’avion. » D’autant, explique le grand quotidien libéral, que les torts sont partagés : « L’Iran aussi est responsable, parce qu’il n’a pas dissuadé les avions civils de s’approcher de la zone d’un combat qu’il avait lui-même engagé (2). »

    Dans une étude comparée des deux tragédies publiée en 1991, le professeur de science politique Robert M. Entman a relevé que, dans le cas de l’attaque soviétique, le cadrage général choisi par les médias américains « insistait sur la banqueroute morale et la culpabilité de la nation à l’origine du tir, alors que, dans le second cas, il minorait la culpabilité et mettait l’accent sur les problèmes complexes liés à des opérations militaires dans lesquelles la technologie joue un rôle-clé (3) ».

    Ce traitement à géométrie variable se retrouve dans l’importance accordée au sujet, dans le champ lexical et dans la représentation des victimes. Au cours des deux semaines suivant l’accident, la destruction du vol KAL 007 fait l’objet d’une couverture deux à trois fois plus importante que celle du vol Iran Air : 51 pages dans Time et Newsweek dans un cas, 20 dans l’autre ; 286 articles, contre 102, dans le New York Times. Après l’attaque soviétique, les couvertures des magazines américains rivalisent d’indignation : « Meurtre aérien. Un guet-apens impitoyable » (Newsweek, 13 septembre 1983) ; « Tirer pour tuer. Atrocité dans le ciel. Les Soviétiques descendent un avion civil » (Time, 13 septembre 1983) ; « Pourquoi Moscou l’a fait » (Newsweek, 19 septembre 1983). Mais, sitôt que le missile fatal porte la bannière étoilée, changement de ton : il n’est plus question d’atrocités et encore moins d’intentionnalité. Le registre bascule de l’actif au passif, comme si le massacre n’avait pas d’auteur : « Pourquoi c’est arrivé », titre Newsweek (18 juillet 1988). Time préfère même réserver sa couverture aux voyages spatiaux sur Mars et reléguer le drame aérien en pages intérieures, avec le titre : « Ce qui a mal tourné dans le Golfe ». Les qualificatifs les plus courants dans les articles du Washington Post et du New York Times sont, dans un cas, « brutal », « barbare », « délibéré », « criminel » et, dans l’autre, « par erreur », « tragique », « fatal », « compréhensible », « justifié ». Même le regard porté sur les victimes s’embue ou se durcit en fonction de l’identité de leur meurtrier. Doit-on préciser à ce stade à qui les journalistes américains réservent les termes « êtres humains innocents », « histoires personnelles poignantes », « personnes aimées » et ceux, plus sobres, de « passagers », « voyageurs » ou « personnes qui sont mortes » ?

    Ces automatismes d’écriture contribuent à la désinformation autant que des mensonges caractérisés, à ceci près que le décodage des préjugés atlantistes s’avère moins en vogue que celui des fake news. Détester l’Iran et promouvoir les bobards du Pentagone ne ralentit pas une carrière de commentateur. « Les Perses mentent comme des marchands de tapis », écrivait ainsi Richard Cohen, éditorialiste réputé du Washington Post (29 septembre 2009). Bret Stephens, un avocat de la droite israélienne pour qui l’accord de Genève conclu avec l’Iran par M. Barack Obama était « pire que Munich » (The Wall Street Journal, 25 novembre 2013), est devenu l’un des chroniqueurs-vedettes du New York Times. Même le démembrement à la scie d’un collaborateur du Washington Post — le journaliste Jamal Khashoggi, en octobre 2018 — n’a pas endigué les flots de complaisance envers la monarchie saoudienne, ennemie de l’Iran. Parfois, y compris sur Public Broadcasting Service, où préférer l’actuel président des États-Unis à l’ancien passe pour une impardonnable faute de goût, cette règle ne vaut plus quand il s’agit de l’Iran : « Le président Obama espérait que l’Iran se modérerait. Il s’est complètement trompé, estime l’éditorialiste David Brooks (11 mai 2018). Ils sont [l’Iran] la nation la plus génocidaire de la Terre, ils exportent violence et terreur dans le monde entier. Trump est donc fondé à leur résister. Peut-être comprend-il mieux les gens de cette espèce que des personnes au brillant parcours scolaire. » Car, quand il faut préparer l’opinion à la guerre, mieux vaut ne rien connaître de l’histoire du pays ciblé, ni de sa civilisation.

    Serge Halimi & Pierre Rimbert

    (1) Gregory Shupak, « Creating a climate for war with Iran », Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR), 2 juillet 2019.

    (2) « KAL 007 and Iran Air 655. Comparing the coverage », Extra !, n° 4, New York, juillet-août 1988.

    (3) Robert M. Entman, « Framing US coverage of international news : Contrasts in narratives of the KAL and Iran Air incidents », Journal of Communication, vol. 41, n° 4, Washington, DC, décembre 1991. Les citations et données suivantes sont tirées de cet article. Merci à Chloé Bonafoux pour ses recherches sur le sujet.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Ainsi, qui, en Occident, se souvient du vol 655 de la compagnie Iran Air ? Le 3 juillet 1988, le croiseur américain USS Vincennes, patrouillant dans les eaux territoriales iraniennes, détruit un avion de ligne qui transporte 290 passagers et membres d’équipage à destination de Dubaï. Les États-Unis nient d’abord leur responsabilité, puis font valoir que le Vincennes naviguait dans les eaux internationales et que l’Airbus iranien, qu’ils ont confondu avec un avion de chasse, descendait de façon menaçante vers le navire américain. Deux mensonges, reconnus plus tard, au point que les États-Unis exprimeront leurs « profonds regrets » et verseront 61,8 millions de dollars aux familles des victimes.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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