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Les groupes de choc du FLN. Particularités de la guerre d'indépendance algérienne en métropole

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  • Les groupes de choc du FLN. Particularités de la guerre d'indépendance algérienne en métropole

    Marc André
    Dans Revue historique 2014/1 (n° 669),
    1« Les groupes de choc du FLN n’ont heureusement pas toujours le temps de justifier leur “appellation”. À peine formés, ils se voient “décapités” par les forces de l’ordre [1]
    [1]
    Dernière Heure Lyonnaise, 8 février 1961, p. 4. » : ce diagnostic d’un journaliste anonyme, le 8 février 1961, dans la chronique judiciaire du quotidien régional Dernière Heure Lyonnaise relève d’une évidence trompeuse.

    2Phénomène médiatique, le groupe de choc s’ancre progressivement dans les colonnes des journaux lyonnais à partir de 1957 jusqu’à atteindre une fréquence pluri-hebdomadaire. Phénomène social, il appartient à la « branche militaire » de la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale). Deux groupes armés s’y rattachent : d’une part, les groupes de choc, en charge de surveiller la migration algérienne et bras armés du FLN dans la lutte contre le parti adverse – le MNA (Mouvement national algérien) – dépendent de l’organisation politico-administrative [2]
    [2]
    Ils opèrent à l’échelon « zone » et « région ». (OPA). D’autre part, l’Organisation spéciale, indépendante de l’OPA, assume davantage des missions stratégiques contre les installations économiques, policières et militaires françaises. Décapités : le mot connote une hiérarchisation de ces groupes toujours mouvants, mais revêt une sinistre résonance sous la plume du journaliste : à cette date, douze responsables de groupes de choc ont été guillotinés dans l’enceinte de la prison militaire de Lyon (Montluc) [3]
    [3]
    Il s’agit du nombre le plus élevé d’Algériens exécutés en…. Car les groupes de choc sont tôt devenus un phénomène sinon juridique du moins judiciaire [4]
    [4]
    Quatre cent soixante-dix-huit membres de groupes de choc….

    3Ainsi, journalistes, juges, cadres et militants du FLN, tous parlent des « groupes de choc », appelés également « groupes armés » ou encore « commandos de choc ». Chacune de ces désignations voudrait connoter un caractère combattant, organisé, hiérarchisé et le FLN n’en a ni la paternité ni l’exclusivité [5]
    [5]
    Chaque guerre clandestine sécrète ce type de groupes. Plus…. Toutefois, par sa labilité et son incessante renaissance, le groupe de choc recouvre un phénomène social complexe que ce label générique maquille. Avant d’être des groupes de choc, ce sont des groupes de gens dont la genèse, les modalités de recrutement, les types d’action n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête historique.

    4En effet, si l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne est aujourd’hui relativement bien connue sur le versant algérien, avec des travaux portant sur l’organisation du FLN [6]
    [6]
    Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954-1962, Paris,…, sur les modalités de l’action armée en ville comme dans les maquis [7]
    [7]
    Ce sont d’une part les études de terrorisme : Martha Crenshaw,…, ou encore sur la répression judiciaire [8]
    [8]
    Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la…, elle l’est moins sur le versant métropolitain, champ historiographique plus récent [9]
    [9]
    En témoigne l’ouvrage dirigé par Raphaëlle Branche et Sylvie…. L’Organisation spéciale a bénéficié récemment d’une étude spécifique mais partielle, puisqu’elle repose essentiellement sur des sources orales et ne couvre pas toute la France, notamment pas la région lyonnaise [10]
    [10]
    Daho Djerbal, L’Organisation Spéciale de la Fédération de…. Quant aux groupes de choc, ils ne sont généralement évoqués qu’à travers le prisme de la répression policière [11]
    [11]
    En dernier lieu : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et…. Or, leur reconstitution suppose un positionnement à la croisée des chemins, entre une histoire sociale, une histoire judiciaire et une histoire médiatique.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    5Cet article vise donc à mieux comprendre la guerre d’Algérie telle qu’elle se déroule sur le sol métropolitain, et opte pour une approche régionale plus à même de saisir les groupes de choc dans leur complexité. Il se concentre alors sur la wilaya 3 qui est la plus vaste de France [12]
    [12]
    Le terme wilaya, toujours en usage en Algérie (c’est…. Ce découpage administratif dessiné par la Fédération de France coïncide en partie avec celui de la 8e région militaire. Ainsi, Lyon, capitale de la wilaya 3, sert de matrice à ces groupes de choc, mais Lyon, siège du gouvernement militaire et du Tribunal Permanent des Forces Armées (TPFA), est aussi le QG où se décident les opérations contre ces mêmes groupes. Cette concentration lyonnaise est d’une certaine façon couverte par une troisième carte, celle de la presse quotidienne régionale par le biais de ses antennes locales dans la région Rhône-Alpes et ses marges. La superposition des documents motivés par ces trois territoires met en évidence la complexité de l’histoire des groupes de choc que chaque auteur (journalistes, juges, militants, historiens) avait par trop simplifiée.

    6Plusieurs sources sont donc nécessaires pour appréhender ces groupes de choc. Dans un premier temps, l’analyse exhaustive de Dernière Heure Lyonnaise-Édition lyonnaise du Dauphiné Libéré doublée d’une analyse exhaustive des actes de jugement rendus par le TPFA de Lyon permet d’avancer sur un terrain solide grâce à des chiffres précis puis, par un système de croisement des données, d’approcher au plus près la réalité sociale des groupes de choc (date d’entrée en métropole, mariage, adresse, choix d’un avocat, etc.) ainsi que leur représentation médiatique. Ensuite, l’ouverture sous dérogation des archives de la justice militaire, jusqu’ici inexplorées, permet de procéder par études de cas : huit groupes de chocs ont été reconstitués [13]
    [13]
    Les huit groupes de chocs étudiés ont pour particularité…. Enfin, les Archives départementales du Rhône où se trouvent les dossiers des Renseignements généraux surveillant minutieusement les groupes de pression lyonnais, celles des cimetières lyonnais où furent enterrés certains membres de groupes de choc, et plusieurs témoignages modalisent ponctuellement l’analyse.
    7L’histoire d’un sujet encore passionnel reste délicate. Une méthode dialectique, examinant tour à tour chaque acteur, semble la seule à même d’éclairer cette guerre d’Algérie menée en métropole. Le plan suivi en découle avec une première partie qui entre dans le quotidien des groupes de choc en lutte puis une seconde qui retrace les tentatives de mobilisation des inculpés livrant une nouvelle bataille pour faire reconnaître leur statut de combattants face à une justice implacable et devant l’absence de mobilisations publiques en leur faveur.

    Le brouillon d’une lutte
    8Les dossiers d’instruction conservés aux archives de la justice militaire présentent la même configuration : aux pièces de fond (procès verbaux, curriculum vitae, rapports d’examens médicaux, photographies des états des lieux) s’ajoutent l’information judiciaire (notes d’audience, acte d’accusation, résumé des faits par le commissaire principal, lettres d’avocats) et le jugement (acte de jugement, notes de service, procès verbal d’exécution). Il devient possible de retracer ce qui fait le groupe (profils, structure) et ce qui fait le « choc » (la décision, l’action). Surtout, ces dossiers permettent de recueillir des paroles d’inculpés, paroles certes contraintes par la nature même des interrogatoires mais souvent évocatrices.

    Des hommes ordinaires
    9« Militants obscurs » sous la plume d’Ali Haroun [14]
    [14]
    Ali Haroun, La 7e wilaya. La guerre du FLN en France.…, passés sous silence dans les mémoires d’Omar Boudaoud [15]
    [15]
    Responsable de la Fédération de France, il ne consacre que six…, les membres de groupes de chocs prennent corps grâce à la mise en série des curriculum vitae établis par les policiers au début de l’enquête [16]
    [16]
    Il est classique de poser la question de la fiabilité des…. La mise en perspective des données recueillies dans ces curriculum vitae pour les quarante-six membres des huit groupes de chocs étudiés avec les données extraites des actes d’accusation pour les quatre cent vingt-trois membres d’autres groupes de choc témoigne de la fiabilité de l’échantillon retenu [17]
    [17]
    Par ailleurs, le travail des enquêteurs ne s’est pas arrêté au…. Il ressort de ces données un constat simple : ces membres de groupes de choc sont des hommes ordinaires.

    Tableau 1Parcours migratoire des membres des groupes de choc
    Tableau 1

    Tableau 2Profil socio-économique des membres des groupes de choc
    Tableau 2

    10Ordinaires, ces hommes le sont d’abord par leurs parcours migratoires. Leur arrivée en métropole s’échelonne de 1946 à 1958 mais la moyenne des arrivées gravite autour de 1955 : les membres des groupes de choc entrent donc tardivement en métropole et se font arrêter deux ou trois ans après leur installation. L’un d’eux connaît même la prison trois jours après son arrivée à Lyon. Généralement, ces hommes n’ont qu’une domiciliation en métropole puisque 72 % arrivent à destination en une étape, 89 % en une ou deux étapes. Ce nomadisme limité s’explique par des raisons familiales ou professionnelles. Au sein de la wilaya, la ventilation géographique correspond aux principaux centres industriels : quinze villes regroupent 81 % des membres des groupes de choc dont 58 % pour les trois premières que sont Lyon, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand.
    11Ordinaires, ces hommes le sont aussi par leur profil socio-économique. Fruits d’une immigration orpheline – la plupart sont orphelins de père – ils quittent leur douar (village) après avoir travaillé dans leur famille ou chez des colons. Majoritairement illettrés (78 %), ils entrent donc en métropole dans le cadre d’une immigration du travail et sont dès lors « dépaysannisés [18]
    [18]
    Pour paraphraser Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le… ». À quelques exceptions près, tous les membres des groupes de choc travaillent lors de leur arrestation et sont ouvriers pour 90 % d’entre eux. Ils font preuve à cet égard d’une très grande mobilité professionnelle comme le montrent les enquêtes de personnalité réalisées par la police auprès de tous les employeurs. Tous offrent un profil positif, comme par exemple Belkacem Benabdallah : « Les renseignements recueillis sur [son] compte à Firminy sont bons. [Ses] chefs [le] considèrent comme intelligent, discipliné et travailleur [19]
    [19]
    Archives de la justice militaire (AJM), Dossier Touir FEGHOUL*.… ». Parfois, une petite touche négative transparaît comme pour Touir Feghoul que ses employeurs considèrent comme « robuste, assez intelligent, mais renfermé, orgueilleux [20]
    [20]
    Idem. ». Mais, dans tous les cas, les qualités que chacun manifeste à la tâche sont unanimement saluées. Intégrés au monde du travail, les membres des groupes de choc sont parfois installés avec leur famille. C’est le cas d’un tiers d’entre eux qui, pour 18 %, ont des enfants.

    12Travailleurs, les membres des groupes de choc ne sont pas du tout des tueurs aguerris. 65 % d’entre eux bénéficient d’un casier judiciaire vierge lors de leur arrestation, auxquels il est possible d’ajouter les 12 % qui voient inscrit sur leur casier un délit récent d’origine politique [21]
    [21]
    Les membres de groupes de chocs sont jugés à plusieurs reprises…. Enfin, parmi les 23 % d’individus ayant été déjà condamnés, la plupart l’ont été pour de menus larcins par des tribunaux correctionnels. Un seul a été condamné pour deux meurtres en Algérie dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

    13Majoritairement célibataires, ouvriers bien notés, illettrés en français, tard venus en métropole, domiciliés dans les principaux centres industriels de la région, sans casier judiciaire : les membres des groupes de choc sont pour la plupart des migrants ordinaires [22]
    [22]
    Ils correspondent au portrait sociologique que fait d’eux,….
    14Toutefois, passant des statistiques aux cas individuels, il arrive de découvrir des parcours plus étonnants, comme celui de Mohamed Benzouzou. D’origine rurale mais issu d’une famille « honorablement connue à Marnia » (sa famille possède une exploitation de quelques hectares), il est orphelin en 1952. Bien que n’ayant jamais fréquenté d’école, il a « un français correct », son instruction datant du régiment. En 1950, il entre en Métropole et effectue un grand tour, de Versailles à Roanne, ponctué par six étapes intermédiaires. Son parcours devient d’autant plus singulier qu’il semble bien intégré à Roanne et fréquente des métropolitains. En effet, Mohamed Benzouzou voit des Roannais venir témoigner en sa faveur comme Ida M. :

    15

    Un jour que mon époux était absent de son atelier de cordonnerie, j’ai reçu un client qui a dit se nommer « zouzou ». Il m’a laissé une paire de chaussures à réparer ; puis, par la suite, il est devenu un bon client, venant à la maison une ou deux fois par semaine. Benzouzou a su gagner notre confiance, à tel point que pour les fêtes de Pentecôte, nous l’avons invité à faire une sortie à Nevers, avec nous et les époux V., demeurant […] à Roanne. Cet homme a toujours été très correct vis-à-vis de nous. Jamais Benzouzou ne m’a fait de confidences sur ses antécédents, et je ne connais absolument pas les autres fréquentations que pouvait avoir ce garçon. Je crois, cependant, qu’il ne sortait guère avec ses coreligionnaires, auxquels il reprochait de ne pas se tenir correctement […] [23]
    [23]
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      AJM, Dossier Mohamed BENZOUZOU*..
      16Le témoignage d’amitié est réciproque. Lors de son interrogatoire, Mohamed Benzouzou évoque les quelques moments passés avant le choc : « À ma sortie du travail je m’étais rendu chez des amis métropolitains ; je suis resté chez eux un moment ; comme il pleuvait au moment où je les ai quittés ils m’ont prêté un imperméable et un chapeau ». D’autres membres de groupes de choc correspondent à ce profil comme ceux qui vivent maritalement ou en concubinage avec des métropolitaines à l’instar de Gaffar Dieb ou de Miloud Bougandoura.

      17Maîtrisant le français, amis avec des métropolitains ou mariés avec des métropolitaines, issus de familles plus aisées : les membres des groupes de choc deviennent des quasi-métropolitains. Comment, dès lors, font-ils groupe par-delà les différences ? À l’évidence, l’émigration offre en elle-même une expérience commune propice à un regroupement militant.
      Des recrutements stratégiques
      18Les chefs de ces huit groupes de choc diffèrent par leurs parcours. Deux profils types sont malgré tout remarquables : d’un côté, des anciens, militants, expérimentés et fichés par les Renseignements généraux ; de l’autre des jeunes, vierges de tout casier, qui forment une relève de plus en plus influente.

      19Du premier groupe émerge la figure emblématique d’Omar Haraigue, condamné à mort par contumace à cinq reprises par le TPFA de Lyon. Les RG (Renseignements généraux) le qualifient de « chef FLN pour les régions de Lyon et de Saint-Étienne [24]
      [24]
      AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Toutes les citations qui suivent… ». Présent à Saint-Étienne dès 1946, il déploie une triple activité politique. Syndicaliste, il milite comme délégué du personnel d’abord dans les rangs de l’UD-CGT Loire (Union départementale de la Confédération générale du travail), puis de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) jusqu’en janvier 1956. Nationaliste, il s’engage de 1950 à 1952 dans le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et, « considéré comme le cerveau de l’activité nationaliste à Firminy », diffuse des consignes de boycott d’alcool en 1955 ou organise des collectes de fonds [25]
      [25]
      Dès 1956 son activité nationaliste semble prendre le pas sur…. En troisième lieu, il participe activement à la campagne électorale en faveur de Eugène Claudius-Petit, député-maire de Firminy, aux élections législatives du 2 janvier 1956. Les actes d’accusations mentionnent en outre « la réalisation d’une part du terrorisme Nord-Africain local ». De fait, d’après une note des RG en date du 11 avril 1958, il participe le 26 janvier 1957 aux côtés de son frère à une opération de représailles dirigée contre un militant MNA, Tahar A. Le 12 décembre 1958, c’est lui qui donne par lettre l’ordre de tuer un compatriote. Comme chef de secteur, il a un rôle dans la formation des groupes de choc puis dans leur direction directe [26]
      [26]
      Ali Haroun le désigne comme chef de l’OS (Organisation….

      20Tout comme lui, Brahimi Menaï arrive à la fin des années quarante. Toutefois, son engagement est plus fluctuant : connu des RG dès 1954, alors qu’il milite au MTLD, il entre au MNA après la dissolution de ce parti en novembre 1954. Le cantonnement de la Rive dont il est le responsable est d’ailleurs d’abord un bastion messaliste très résistant aux entreprises du FLN avant de céder en 1956 pour évoluer vers le FLN. Il se rapproche d’Omar Haraigue, alors chef du secteur de l’Ondaine et, repéré en 1957, semble en être l’adjoint :

      21

      Selon les précisions fournies par nos informateurs […] Brahimi exerçait son autorité à l’échelon le plus élevé à Firminy, c’est-à-dire d’abord à l’échelon de la kasma, puis à l’échelon secteur après le départ d’Haraigue Omar (5/11/1957) et l’arrestation de Saïd B., son successeur (5/12/1957). À ces échelons de la hiérarchie FLN il avait autorité sur le groupe de choc sans toutefois en avoir le commandement direct [27]
      [27]
      AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Né en 1926, cet ouvrier….
      22Reste que c’est Brahimi qui organise les opérations pour lesquelles il est jugé le 12 décembre 1958. Les autres anciens diffèrent peu de ces deux exemples [28]
      [28]
      Miloud Bougandoura, âgé de 39 ans lors de son procès, est….

      23À côté d’eux, les autres chefs ont entre 23 et 27 ans. Leur ascendant tient davantage à des qualités propres : entendu comme témoin, Jean Juillard, commissaire de police au SRPJ, affirme : « il est bien évident que Mokrani et Guettalah faisaient la loi sur Givors. Guettalah était au-dessus de Mokrani [29]
      [29]
      AJM, Dossier Mahmoud MOKRANI*. ». Mahmoud Mokrani a 24 ans le jour de son procès. Or, d’après l’extrait des minutes du Greffe de la cour d’appel de Lyon, « il a été également établi que Mokrani Mahmoud appartenait au FLN depuis 4 mois […] sans doute commandait-il un groupe de choc [30]
      [30]
      Idem. Il a comme supérieur Atmane Guettalah, 24 ans. Autres… ». Rarement fichés aux Renseignements généraux et donc moins faciles à connaître, tous ces jeunes chefs de groupes de choc manifestent sans aucun doute des personnalités fiables dans les combats menés pour assurer la sécurité du FLN. C’est pourquoi les anciens dominent la hiérarchie jusqu’au milieu de l’année 1958, et laissent les plus jeunes prendre la relève par la suite.

      24Tous, anciens comme jeunes, recrutent leurs troupes. On repère ainsi deux cercles, celui du commando stricto sensu et celui des aides extérieures. Le lieu de recrutement est primordial : les membres d’un groupe de choc proviennent en général d’un même garni. Les groupes dirigés par Brahim Menaï naissent dans le cantonnement de la Rive à Fraisse, celui de Mahmoud Mokrani au 44 rue Joseph Faure à Givors, celui d’Abderrahmane Lakhlifi à la fois dans le garni du 8 quai Fillon et au centre nord-africain de la rue Lieutenant-Colonel Girard, tous deux situés à Lyon [31]
      [31]
      Cette double origine s’explique par la taille de ce groupe de…. Le groupe de Miloud Bougandoura naît également en deux lieux villeurbannais, au centre nord-africain de la Doua d’une part et chemin des Buers de l’autre. Enfin, le groupe de Mohamed Achouri a exclusivement pour cadre le garni du 29 rue Bancel à Lyon. Seuls les chefs ou quelques forces d’appoint n’habitent pas dans le même lieu. Le garni est donc le sociotope favorable à la naissance des groupes de choc : alors que le secret et donc la compartimentation s’imposent pour toute la hiérarchie de l’organisation politico-administrative de la Fédération de France du FLN, ici la proximité est un atout. Dès lors le recrutement s’opère dans ces bastions FLN où les membres du groupe se cooptent. Deux modalités de recrutement sont néanmoins à distinguer : en premier lieu la contrainte comme en témoigne Abdallah Kabouche :

      25

      Je suis arrivé à Lyon en mars 1957, j’ai logé immédiatement au CNA de la Part-Dieu où je suis resté un peu plus d’un an. J’ai été sollicité par le FLN pour payer des cotisations environ 3 mois avant les faits. C’est Abderrahmane B. qui m’a sollicité ; il tenait l’épicerie du CNA de la Part-Dieu. J’ai payé mes cotisations pour aider les combattants algériens. Au début je payais 1 000 francs, et à la fin 2 000 francs.
      Quelques temps après il m’a demandé de rentrer dans le groupe de choc. Je lui ai demandé ce que c’était. Comme il me disait que c’était pour commettre des attentats, j’ai refusé une 1re fois. Il savait que je savais me servir des armes. Il m’a alors dit : « il faut y entrer » c’est « l’ordre et la loi ». J’ai accepté par peur, car si je refusais j’étais tué [32]
      [32]
      AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*..
      26Bien évidemment, la mise en avant de la contrainte peut se comprendre dans une stratégie de défense, comme une manière de se disculper, mais une telle attitude est rare et n’est pas en adéquation avec la ligne du FLN [33]
      [33]
      Une enquête orale menée en Algérie (novembre 2012), auprès de….

      27En second lieu, le recrutement passe par l’appel au volontariat :

      28

      Jeudi (18 septembre 1958), vers 19 h 15, à la demande de Lakhlifi alias Khelifa, chef du groupe de choc, B. s’est rendu à une réunion au CNA de Gerland. Cette réunion groupait la plupart des membres du même groupe de choc. Le but était, à n’en point douter, de chercher des « volontaires » – c’est l’actuelle méthode – pour « effectuer du travail » pour le parti [34]
      [34]
      AJM, Dossier Abderramane LAKHLIFI*..
      29Le commissaire de police Maurice Chaboud, dans sa conclusion d’enquête, parle d’une « campagne de recrutement des “volontaires de la mort” (qui) va chaque jour s’amplifiant [35]
      [35]
      Idem. Il précise : « J’ai dit “volontaires de la mort” – ce… ». Ce jugement vaut pour le mois de septembre 1958 mais, durant toute la période de la guerre d’Algérie, contrainte et volontariat coexistent dans la formation des groupes de choc.

      30Une fois constitués, les groupes de choc bénéficient d’appuis extérieurs, souvent de femmes métropolitaines. Certaines, passées totalement inaperçues dans les actes d’accusation ou dans la presse, n’en connaissent pas moins la prison. C’est le cas de l’épouse de Ghaffar Dieb, Clothilde F., âgée de 17 ans, qui fait le récit de son engagement :

      31
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        Il y a six mois environ Haifi ici présent est venu à deux reprises à notre domicile. La première fois il était en possession d’un revolver à barillet et la seconde fois d’un pistolet automatique. Je suis affirmative il s’agissait bien de deux armes différentes. Il est exact qu’il a remis une somme de 80 000 francs que j’ai gardée selon son désir et que je lui ai remise par la suite. En plus de cela, je me suis rendue compte, à plusieurs reprises, qu’il était en possession de sommes d’argent importantes, que j’ai supposé provenir de collectes de fonds [36]
        [36]
        Idem..
        32Clothilde F. se charge, comme bien d’autres femmes [37]
        [37]
        Les travaux portant sur les soutiens aux Algériens insistent…, de la cache des armes et du soutien logistique en assumant le prêt (maquillé en vol) d’une voiture pour l’attentat. Les femmes assurent régulièrement le transit de l’arme pour l’action armée. Emprisonnée à Saint-Joseph, Clothilde F. écrit à M. Roche, juge d’Instruction, le 24 octobre 1958, pour lui rappeler son âge, son statut de jeune maman, et lui demander une liberté provisoire afin d’obtenir un salaire. Elle ne se prononce pas sur sa culpabilité mais rappelle aussi ses aveux, aveux qui firent dire au commissaire Chaboud : « Je suis heureux qu’une métropolitaine, la dame F. soit venue témoigner à propos de cette enquête [38]
        [38]
        AJM, Dossier Abderramane LAKHLIFI*. ». Une autre femme, discrète, celle de Miloud Bougandoura, fut, aux dires de tous les témoins rencontrés, une femme extrêmement active dans l’aide au groupe de choc.

        33Les groupes de choc sont donc recrutés par des chefs atypiques dans des lieux stratégiques. Dans la plupart des cas, le recrutement s’enclenche suite à une décision de justice du FLN.

        Les hommes de main d’une justice FLN
        34Le FLN établit en effet une justice propre à un État algérien en formation et, si les travaux de Sylvie Thénault et de Gilbert Meynier décortiquent cette justice du FLN [39]
        [39]
        Sylvie Thénault, « L’Organisation judiciaire du FLN », in…, ils n’observent ces mécanismes que sur le territoire algérien.

        35Pourtant la presse lyonnaise s’en émeut et l’information fait la une : « La brigade des agressions vient de découvrir et de détruire un “tribunal” FLN qui, à l’aide d’un “juge d’instruction”, d’un “président”, d’“inspecteurs” et, naturellement d’“exécuteurs des hautes œuvres” distribuait la justice rebelle parmi les Nord-Africains de Paris [40]
        [40]
        Dernière Heure Lyonnaise, 2 novembre 1957, p. 1. ». Surtout, « Le “juge” précisa que le groupe de choc du 20e arrondissement était chargé de l’exécution ». Cette scène parisienne, inaugurale, n’est en fait guère originale puisque, le 23 mars 1958, Dernière Heure Lyonnaise titre un article : « Dans une cave de café, à Lyon, les policiers surprennent un tribunal FLN en pleine séance. Les tueurs du groupe de choc dressaient la liste des individus à exécuter [41]
        [41]
        Ibidem, 23 mars 1958, p. 3. ». Groupes de choc et tribunaux FLN fonctionnent donc de façon concertée. Et, pour paraphraser l’historien américain Matthew Connelly dont les travaux portent sur l’action du FLN menée dans les salons feutrés de la diplomatie, on peut dire qu’à l’échelon le plus local les militants ont aussi compris « l’importance de cultiver une mystique [42]
        [42]
        Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a… », à savoir l’existence symbolique d’un État algérien constitué.

        36Cette « mystique » marche si bien que les journalistes prennent la peine d’expliquer régulièrement à leurs lecteurs comment fonctionnent ces tribunaux, et les RG en décrivent minutieusement l’organigramme. En effet, un mémoire émanant du ministère de l’Intérieur – Direction Générale de la Sûreté Nationale, estampillé Très secret et intitulé Le séparatisme algérien – Les activités du FLN en métropole, en date d’octobre 1960, détaille les commissions spécialisées composées de deux branches [43]
        [43]
        Archives départementales du Rhône (ADR), 248W 139* – Activités….

        37En premier lieu, les comités de justice doivent « soustraire les français-musulmans de métropole à la juridiction de la justice française ». Ce faisant, « le FLN entend démontrer qu’il compte en son sein suffisamment d’animateurs intègres et qualifiés dans les questions de droit civil comme instruits dans la justice coranique, pour constituer des tribunaux et faire régner l’ordre dans la communauté ». Synthétisant cela, Gilbert Meynier confirme que « la justice du FLN prit son essor sur le refus de (la justice coloniale) et son remplacement par une justice qui fût du cru, disant s’inspirer de l’islam et utilisant la langue arabe [44]
        [44]
        Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, op. cit. (n.6),… ». Les commissions de justice ont à juger les cas relevant du droit commun (divorces, mauvais traitements par exemple) mais également les cas de trahison lorsqu’il s’agit d’éléments algériens n’appartenant pas à l’organisation.

        38En second lieu, des comités de l’OPA siégeant en « conseil de discipline » jugent les infractions à la discipline et au règlement intérieur de l’organisation (refus d’obéissance, négligence dans le travail, absences et retards aux réunions).

        39Toutes les mesures encadrant cette justice appliquée par le FLN ont été consignées dans les Directives sur les commissions de justice diffusées en 1959. Ce « règlement intérieur des commissions de justice » organisé en articles donne ainsi des consignes strictes concernant l’organisation des tribunaux (art.1) [45]
        [45]
        Théoriquement, et toujours d’après le mémoire des RG, les…, les responsabilités des membres des commissions (art.11), les cas à juger (art.3), les peines à appliquer (art.5). Ainsi, des directives et des éléments du droit, de même qu’un certain contrôle, assurent le fonctionnement d’une justice FLN. Sont alors jugés prioritairement les « éléments suspects », c’est-à-dire les « traîtres », les « francisés », les « collaborateurs » qui n’appartiennent pas à l’organisation et « doivent être punis pour leur action néfaste ». Il est précisé que des preuves formelles sont obligatoires ou, à défaut, l’audition de quatre témoins. Ces précautions sont particulièrement recommandées parce qu’il s’agit de cas graves pouvant entraîner « la condamnation extrême », selon la formule de l’article 5 des « Directives ».

        40C’est là qu’interviennent les groupes de choc : ils ont pour mission de châtier les « traîtres » condamnés par les commissions de justice et de punir ceux qui ont désobéi au « règlement intérieur » sur la discipline. Leurs interventions vont de la bastonnade à la mise à mort, en passant par la « sévère correction » qui conduit le plus souvent à l’hôpital.

        41Dès lors, les groupes de choc se trouvent au terme de l’action judiciaire et imposent des réunions pour préparer l’exécution du jugement. Abdallah Kabouche fait le récit de l’une d’entre elles :

        42

        Il y a eu une réunion du groupe de choc dans le quartier de la Part-Dieu, il y avait trois autres coreligionnaires. C’est B. qui était le chef du groupe de choc. Au cours de la réunion il nous a été dit par B. de nous tenir prêts à agir. Jusque-là le groupe n’avait rien fait. Un mois après cette réunion j’ai reçu l’ordre d’abattre Driz [46]
        [46]
        AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*..
        43Pour des faits de discipline, il arrive qu’un avertissement soit adressé [47]
        [47]
        Mohamed Z. fait ainsi le récit à la police d’une visite du….

        44Mais, in fine, les membres de groupes de choc ont bien conscience de la nature de leur fonction, comme en témoigne le récit d’Amar Boukrouche qui agit sous la houlette de Moussa Lachtar : « L’exécution des victimes a été décidée par un tribunal algérien. Nous nous sommes réunis au sujet de l’exécution des ordres reçus. J’ai servi dans l’armée française et on m’a appris que les ordres ne se discutaient pas (…) [48]
        [48]
        Dernière Heure Lyonnaise, 24 mai 1960, p. 5. ».

        45Ainsi, les groupes de choc assurent la mise en œuvre d’une justice algérienne, une justice révolutionnaire et expéditive.

        re.
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          Chocs
          46Car si la guerre d’Algérie eut lieu sur le sol métropolitain, c’est avant tout du fait de l’action des groupes de choc. Leurs cibles se répartissent en trois catégories inégales : 49 % des actions visent les réfractaires au FLN, 43 % les membres du MNA, et 8 % les forces de l’ordre. Autrement dit, les groupes de choc agissent essentiellement contre des Algériens et, pour près de la moitié d’entre eux, contre des Algériens qui ne souhaitent pas adhérer au FLN. Deux types de sources permettent une reconstitution précise des faits, avec d’une part l’interrogatoire mené lors de l’enquête préliminaire et d’autre part le rapport final du commissaire principal [49]
          [49]
          Tous les membres des groupes de choc arrêtés livrent une….

          47Le refus de payer sa cotisation, la « collaboration » avec les autorités officielles (dénonciation) motivent les ordres d’exécution des Algériens immigrés perçus comme rebelles au FLN et suscitent d’abord des visites à domicile. C’est le cas lorsque Habib B., chef du groupe de choc de Roanne, donne ainsi l’ordre à Mohamed Benzouzou de tuer Saïd Ben Mohamed O., 25 ans. Ce dernier a le temps de faire le récit de l’attaque avant de décéder le 29 juillet 1958 :

          48

          Vendredi soir, 6 juin 1958, vers 22 heures, je venais de me déshabiller pour me coucher. On a frappé à la porte. Et un « type » m’a fait signe et m’a appelé « Saïd, viens avec moi ». Comme il pleuvait je lui ai demandé d’entrer dans la baraque, mais il a dit « non ». (…) Ce type je le connais. Je sais qu’il habite au Foyer. Il doit être ici depuis 2 mois et demi ou trois mois. Il est grand. Il a deux dents en métal… Lorsque je suis sorti, il y avait dehors un autre type avec lui qui avait le visage masqué. Il était d’une taille plus petite, pas très large. (…)
          Lorsque je suis sorti j’ai tout de suite vu que les deux hommes avaient chacun un revolver. J’ai compris qu’ils allaient me tirer dessus et je me suis baissé. Ils m’ont tiré dessus tous les deux, en même temps. Je suis tombé dans l’eau car il pleuvait beaucoup. J’ai vu les deux hommes partir en courant entre les deux baraques [50]
          [50]
          AJM, Dossier Mohamed BENZOUZOU*. (…).
          49Parfois, la scène est un véritable guet-apens urbain [51]
          [51]
          AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Un ami de la victime, Sid L.,…, comme lors de l’exécution de Daoudi M., dit « l’Indochine », décidée par le groupe de choc piloté par Omar Haraigue et Brahim Menaï.
          50Selon le même type de scénario, certains Algériens sont exécutés pour « traîtrise ». Abdallah Kabouche a reçu « l’ordre d’abattre Driz, qui avait dénoncé deux camarades à la police [52]
          [52]
          AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*. ». De fait, l’enquête policière rappelle que Driz L., demeurant au centre nord-africain de la Part-Dieu, avait porté plainte au commissariat contre quatre coreligionnaires qui lui avaient reproché de sortir le dimanche, transgressant ainsi une consigne du FLN à l’égard des Algériens. C’est alors en plein milieu de l’après-midi qu’Abdallah Kabouche tire sur Driz L. à proximité du Parc de la Tête d’Or. Il est arrêté peu après dans un café. Le FLN tisse sa toile de terreur dans la wilaya 3 et tout rebelle risque une sanction allant jusqu’à la mort.

          51Le second motif d’exécution est bien évidemment l’appartenance au parti rival, le Mouvement national algérien. Parfois le groupe ad hoc veut se donner l’allure d’un groupe spontané. C’est ainsi que « le 15 février 1958, vers 14 heures, les nommés Cherchari Ahmed (Si Ahmed), chef de section FLN, R. Amor et Z. Boubaker, chefs de groupe, se trouvaient dans la salle du débit de boissons, sis 47 rue d’Anvers à Lyon, et exploité par Abderrahmane A., s’entretenant de l’activité nationaliste à laquelle ils appartenaient, lorsque le nommé Aït-Rabah Ahcène entrait dans l’établissement et disait à Cherchari qu’il était prêt à tuer un membre du MNA, le sieur Slimane N., qui se trouvait dans la salle [53]
          [53]
          AJM, Dossier Ahcène AÏT-RABAH*. ». La situation débouche sur le meurtre à bout portant de ce Slimane N. par Ahcène Aït-Rabah. Parfois « l’exécution » est préparée méticuleusement : le groupe de Miloud Bougandoura compte à son actif sept missions armées qui se soldent par neuf cadavres. La technique est des plus rudimentaires et le groupe de choc observe un protocole de « justice » : le chef lit la sentence, les membres du groupe l’exécutent par étranglement pendant que d’autres font le guet. Une camionnette vient chercher les victimes jetées ensuite dans le canal. Rares sont les groupes de choc responsables d’autant de missions [54]
          [54]
          Le même protocole de justice est observé quand un groupe de…. Quant au MNA, redevenu puissant dans la région lyonnaise à la fin de la guerre d’Algérie, il a toujours attaqué ou riposté de manière efficace : dans le département du Rhône, entre 1958 et 1962, le MNA tue cent trois frontistes et en blesse cent trente-six quand le FLN tue quarante-sept messalistes et en blesse trente-trois [55]
          [55]
          Sur l’évolution singulière du MNA dans la région lyonnaise, on….

          52Dans ces deux premières catégories de faits divers politiques émerge une physionomie des actions armées : premièrement, on relève une proximité géographique entre l’habitat des membres des groupes de choc et celui des victimes. Parfois même ils se connaissent et reconnaissent. Deuxièmement, les groupes de choc ne sont armés qu’au dernier moment, l’arme étant confiée le jour du choc et remise immédiatement à un intermédiaire après usage [56]
          [56]
          Pour ce qui est de la provenance des armes, des trafiquants…. Une même arme est ainsi utilisée par différents groupes de choc [57]
          [57]
          La police scientifique identifie les groupes de choc et…. Troisièmement, il ne s’agit pas d’actions défensives mais bien de l’application de sanctions.

          53Le troisième type d’objectif, les attentats contre les agents des forces de l’ordre [58]
          [58]
          Le groupe de choc de Mohamed Achouri lance deux attaques sur…, commande une stratégie très différente, plus proche de la guérilla. Il n’est sans doute pas excessif de parler d’opérations menées dans un esprit de sacrifice puisque lors de ces attaques, tous les protagonistes sont arrêtés en quelques heures. D’ailleurs, le manque de préparation est manifeste et les armes sont forgées artisanalement comme les engins incendiaires avec une gandoura (vêtement traditionnel maghrébin). Ensuite, la pression se maintient durant toute l’opération. Le chef du groupe de choc supervise l’action et surveille sur le terrain son bon déroulement. Selon Lakhdar S., « Achouri avait ajouté qu’il les suivrait à distance et les tuerait avec sa mitraillette s’ils n’obéissaient pas ». Ces opérations contre les forces de police, outre leur petit nombre, ont pour particularité d’être concentrées en septembre 1958, lors de l’ouverture du second front en Métropole [59]
          [59]
          Une autre attaque spectaculaire est celle menée par….
          54À travers ces études de cas, c’est bien d’une guerre d’Algérie menée dans la wilaya 3 dont il est question. Des hommes ordinaires supervisés par des chefs plus atypiques exécutent des ordres lors de missions armées dont la finalité est l’exécution de tièdes, de traîtres, de frères ennemis ou d’ennemis. Ce sont ces actions qui mènent ces hommes à la deuxième étape de leur itinéraire : la justice française et la prison.

          Luttes pour la reconnaissance
          55Les tribunaux français connaissent une activité sans trêve pour réprimer l’activité nationaliste. L’historiographie a fait une part belle à la justice durant la guerre d’Algérie. Concernant le territoire algérien, les travaux de Sylvie Thénault révèlent une justice française armée au service du pouvoir politique [60]
          [60]
          Sylvie Thénault, Une drôle de justice, op. cit. (n.8). quand, pour le territoire métropolitain, un seul article pose la question d’une éventuelle modification de la justice de droit commun en étudiant l’activité de la cour d’Assises du Nord entre 1954 et 1962 [61]
          [61]
          Annie Deperchin et Arnaud Lecompte, « Les Crimes commis par les…. Or, les groupes de choc exercent leur action sur le sol métropolitain et relèvent alors du TPFA qui se saisit des dossiers.

          56Dès le jugement rendu, les groupes de choc arrêtés disparaissent, leurs membres étant ventilés dans les différentes prisons de la région. À Lyon même, Montluc regroupe les condamnés à mort quand Saint-Paul doit accueillir tous les autres condamnés.

          57Toutefois, tant dans l’enceinte du tribunal que dans celle de la prison, une lutte pour la qualification du crime et donc pour l’image des membres des groupes de choc se met en place. S’ils sont des combattants, les membres des groupes de choc sont susceptibles d’éveiller des sympathies, s’ils sont des criminels, ils n’ont rien à attendre de la population métropolitaine. Cette lutte pour l’image et la reconstruction d’une mobilisation a pris la forme d’un impensé chez les historiens.
          Tribunaux français
          58Face aux actions des groupes de choc, les Assises connaissent six cas d’Atteinte à l’intégrité du territoire national (AITN) entre le 4 et le 25 avril 1958 avant de céder ensuite toutes les affaires d’assassinats, d’attentats, de détention d’explosifs au TPFA.

          59Il est alors parfaitement légitime de s’intéresser aux groupes de choc FLN condamnés par la justice française : d’abord, les membres de groupes de choc sont exclusivement jugés par le TPFA, ensuite, ils font toujours groupe dans l’enceinte du tribunal et enfin, ils connaissent les plus lourdes peines. Sur les cent douze peines de mort prononcées par le TPFA de Lyon entre mai 1958 et mars 1962, quatre-vingt-dix-sept concernent des membres de groupes de choc, soit 86 % des cas se répartissant comme suit : 7 % MNA et 93 % FLN. La guerre d’Algérie se déroule donc sans surprise sur le terrain judiciaire avec néanmoins une mise en perspective chronologique étonnante :

          Figure 1
          Figure 1
          60L’année 1959 marque l’acmé judiciaire du conflit en métropole, tout du moins dans la 8e Région militaire. Bien que le général de Gaulle entame cette même année une grâce collective des Algériens condamnés à mort en Algérie [62]
          [62]
          Sylvie Thénault, Une drôle de justice, op. cit. (n.8), p. 173., le TPFA de Lyon, indépendant, ne bouleverse pas sa mécanique répressive : avec 45 % des peines de mort prononcées en 1959 et 31 % en 1960, l’esprit n’est pas à l’apaisement. Le réquisitoire du commissaire du gouvernement Clair, exclut les groupes de choc de la « paix des braves » :

          61

          L’OS veut porter la guerre sur le territoire métropolitain. Son seul but est de perpétrer des crimes contre les personnes et les propriétés. En vertu du code pénal, les membres de l’OS présentés à votre tribunal sont, à mes yeux, des malfaiteurs. Je leur dénie la qualité de combattants qu’ils veulent se donner. Ce n’est pas à eux que la paix des braves a été proposée. Il n’y a pas eu de victimes mais les attentats ont été perpétrés contre le personnel de la sûreté, responsable de l’ordre et garant de la liberté individuelle des citoyens. Comme c’est de règle en certains pays, on ne peut accorder de circonstances atténuantes à leurs auteurs (…) [63]
          [63]
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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          • #6
            Dernière Heure Lyonnaise, 22 octobre 1959, p. 4. Réquisitoire….
            62Certes, un certain flou sémantique existe puisqu’on parle aussi bien durant ce procès de « l’organisation spéciale » que de « groupe de choc » ou de « cellules de choc ». Néanmoins, le commissaire du gouvernement livre une première explication de l’augmentation subite des peines de mort prononcées. L’année 1959 est marquée par les procès des attentats ayant eu pour cibles les infrastructures économiques ou les forces de l’ordre en août-septembre 1958. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit celle des peines les plus lourdes. La tonalité du réquisitoire peut en outre s’expliquer par la récente loi d’octobre 1958 donnant priorité aux TPFA pour les cas d’AITN et d’assassinats politiques.

            63Toutefois, le choix de la peine de mort incite à regarder les juges d’un peu plus près. Dans 55 % des cas, la peine de mort requise est appliquée et dans un quart des cas, elle est transformée en travaux forcés. À l’inverse, il est aussi des cas où la peine de mort prononcée n’était pas requise. Considérons tout d’abord trois commissaires du gouvernement : le magistrat militaire M. Maurel arrive en tête des procès puisqu’il est présent pour 26 % des cas jugés. Pour 19 % d’entre eux, il demande la peine de mort soit bien moins de fois que son collègue M. Viboud, magistrat militaire de 1re classe qui la réclame pour 40 % de ses dossiers. Le magistrat militaire Clair s’en tient à 25 %. Même si Maurel n’intervient que sept fois en 1959, année la plus lourde, il n’en reste pas moins que les commissaires n’engagent pas tous la même « fermeté ». Le même constat peut être dressé au niveau des présidents du TPFA. Ainsi Martin, conseiller à la Cour d’appel de Lyon, suit le réquisitoire dans 62 % des cas et prononce même des peines de mort qui n’étaient pas requises. Aussi frappant dans l’autre sens, le Président Moreau prononce 21 % des peines de mort sollicitées. Il en est même un, Croize, conseiller à la cour d’appel de Grenoble, qui refuse systématiquement de suivre le commissaire du gouvernement. La justice est donc bien affaire d’hommes. Plusieurs conclusions s’imposent alors. Tout d’abord, la justice militaire à Lyon est, en dehors de la chronologie, extrêmement dure : 11 % des Algériens passés par le TPFA de Lyon ont été condamnés à mort. Ensuite, selon les présidents du tribunal, il était possible pour un Algérien sur quatre d’être condamné à mort. Malgré tout, le TPFA de Lyon tempère les commissaires du gouvernement qui exigent deux fois plus de peines de mort que celles finalement appliquées.

            64La question de savoir si les inculpés relèvent du droit commun ou du domaine militaire et politique a peu de conséquences. Les groupes de chocs sont jugés relativement au code pénal, dont sont souvent invoqués l’article 296 (« Tout meurtre commis avec préméditation ou de guet-apens est qualifié assassinat »), l’article 302-1° (« Tout coupable d’assassinat (…) sera puni de mort »), l’article 59 (« Les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement ») ou encore l’article 80 définissant l’Atteinte à l’intégrité du territoire national. Seul ce dernier article confère aux délits et crimes une tonalité politique qui exclut la possibilité d’une condamnation à mort. Mais les réquisitoires penchent en général du côté d’assassinats relevant du droit commun :

            65

            Le commissaire du gouvernement, dans un réquisitoire très juridique, insista sur la qualification, à ses yeux parfaitement fondée, de « tentative d’assassinat ». Il s’efforça de prouver qu’il y avait bien eu guet-apens et commencement d’exécution, bien que les inculpés aient dû renoncer, pour des « circonstances indépendantes de leur volonté » [64]
            [64]
            Ibidem, 20 juin 1959, p. 6. Le procès a lieu la veille..
            66La justice opère donc en fonction d’une appréciation des faits au regard d’un droit de référence qui est le code pénal mais leur refuse le plus souvent toute qualification politique :

            67

            M. le commissaire du Gouvernement « dépolitise » l’affaire. Constatant que janvier 1960 a vu 17 attentats Nord-Africains, il s’adresse en ces termes au tribunal : – Quels que soient les mobiles de ces attentats, ils troublent l’ordre public. Or, celui-ci doit être sauvegardé. (…) Il faut mettre fin à ces « mœurs de gangsters ». (…) Sans aucun doute agresseur et victime ont menti. Mais il y a bien eu la tentative d’assassinat avec préméditation (…) [65]
            [65]
            Ibidem, 4 février 1960, p. 4..
            68Ce refus d’accorder toute valeur politique aux actions des groupes de choc est porté à son paroxysme le 24 mai 1960 à propos du groupe de Moussa Lachtar, quand le commissaire affirme que « ces individus se sont mis au ban de l’humanité. Montrer de la clémence dans de telles conditions est inadmissible. Les circonstances atténuantes sont toujours considérées comme une faiblesse. Je demande au tribunal de se montrer impitoyable [66]
            [66]
            Ibidem, 24 mai 1960, p. 5. ». Les commissaires du gouvernement ne disent d’ailleurs pas, comme en d’autres cas, qu’ils « s’en remettent à la sagesse du tribunal ».

            69De cette façon, ces réquisitoires entraînent l’application de la peine de mort. Sur treize exécutés à Lyon entre 1956 et 1962, douze sont Algériens et tous membres de groupes de choc. Il convient de leur ajouter le cas de Mokrane Saïdani, condamné à mort par le TPFA de Lyon et exécuté à Dijon le 6 juillet 1959 pour un crime « crapuleux » [67]
            [67]
            Ibidem, 7 juillet 1959, p. 5.. Mais alors que tous les condamnés à mort séjournent à Montluc dans le couloir de la mort, pourquoi ces douze-là ont-ils été exécutés ? Rien ne les distingue dans les crimes commis. Rien ne les distingue dans les responsabilités au sein des groupes de choc. Ce n’est ni l’âge ni les conséquences familiales qui sont prises en compte. Certes, ces exécutions, qui ont toutes lieu durant une courte fenêtre (23 février 1960 – 5 août 1960) avec deux exceptions, celle de Mohamed Benzouzou exécuté le 26 septembre 1959, et celle de Salah Dehil le 31 janvier 1961, sont des mesures souveraines, décidées par de Gaulle, qui s’expliquent en partie par le contexte diplomatique [68]
            [68]
            C’est en septembre 1959 qu’a lieu l’exécution de Mohamed…. L’exécution n’est donc pas le fait de la justice a priori. Elle est seulement rendue possible par la justice. Toutefois, quatre-vingt-dix-sept membres de groupes de choc (dont trente sept « Lyonnais ») sont condamnés à mort par le TPFA, douze sont exécutés, dont neuf Lyonnais (agglomération). Dès lors, il est possible de soulever une hypothèse, celle d’une éventuelle intervention du Préfet de Lyon. Aucun document ne peut l’attester pour le cas des exécutions mais le Préfet intervient lors de procès en correctionnelle, faisant pression sur le Procureur [69]
            [69]
            Le Préfet Pierre Massenet a en effet écrit plusieurs lettres….
            Avec ou sans avocat
            70Quand, le 22 octobre 1959, le Doyen Perrot prend la parole au procès de Lamri Boukhalfa, il pose la question générale de la défense d’accusés qui en refusent le service :

            71

            Je n’ai pas de défense à présenter. Si je prends la parole au nom de mes confrères et de leurs clients, c’est pour expliquer leur silence. Nos clients ont décidé de ne pas être défendus.
            Je n’ai pas à juger leur attitude. Nous les connaissons tous. Nous savons qui ils sont. Nous leur disons que la France, contre laquelle ils se dressaient, est le pays qui a fait le plus pour eux. Elle a donné son sang et ses fils pour leur liberté.
            Ils ont un idéal auquel ils se dévouent. Dans notre monde de matérialisme, ils donnent l’exemple d’une certaine abnégation. Leur idéal, ils croient le servir bien, mais j’ai le devoir de leur dire tout bas : ils le servent mal. Ils ne relèvent donc pas du droit commun. Ou ils ont tort, ou ils ont raison. Ils prennent leurs responsabilités jusqu’au bout. Nous n’avons pas le droit de leur enlever une partie de leur crânerie pour plaider les circonstances atténuantes.
            Nous ne prenons pas la parole pour éclairer votre tribunal. La justice est la seule vraie propagande. Ce qu’ils ont fait, c’est au nom de la liberté. C’est toujours au nom d’un idéal qu’on se bat. Ils ont tout sacrifié parce qu’ils croyaient avoir un idéal sans avoir saisi toute l’ampleur du problème. Il faut faire la part de la propagande. Je ne veux pas juger ce qu’ils ont fait avec maladresse.
            Vous êtes des juges de la justice. Vous écrivez pour l’histoire. Écartez-vous des circonstances et élevez-vous vers la justice sereine. Vous donnerez à ces hommes le vrai visage de la France [70]
            [70]
            Dernière Heure Lyonnaise, 22 octobre 1959, p. 4..
            72De fait, les Algériens des groupes de choc s’insurgent contre la justice française :

            73

            L’interrogatoire d’identité débute de façon inattendue et spectaculaire. Aux questions du président du tribunal Boukhlafa répond avec violence : « Je suis Algérien pour le bien et le mal. Vive l’armée de libération nationale. Nous refusons la compétence d’un tribunal étranger. Mort à la France ! (…) ». Ses camarades se dressent, lèvent le poing et crient : « Vive l’armée de libération nationale » [71]
            [71]
            Ibidem, 20 octobre 1959, p. 3..
            74C’est donc à un véritable cas de conscience que sont confrontés les avocats. Me Ravet évoque un dilemme [72]
            [72]
            Ibidem, 12 janvier 1960, p. 4. À propos du procès du groupe de… partagé par tous les avocats commis d’office dans cette affaire. « Dilemme » et « cas de conscience » : voilà qui traduit au plus près le conflit sur le terrain judiciaire, mieux en tout cas que ne le fait Jacques Vergès opposant justice de rupture et justice classique, ce que Sylvie Thénault nuançait déjà dans sa thèse [73]
            [73]
            Sylvie Thénault, « La Justice dans la guerre d’Algérie », Thèse….
            The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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            • #7
              75Ce dilemme touche tout autant les accusés. Le FLN a donné comme consigne de ne pas reconnaître la justice française. Mais ce positionnement – qui ne concerne que des membres de groupes de choc ou de l’OS – ne joue que dans 7 % des procès (vingt sur deux cent soixante-trois) passés au TPFA de Lyon, moins même si l’on soustrait les cas doubles d’inculpés jugés à deux reprises et qui répètent le même scénario. Alors, comment comprendre que sur quarante-six membres de groupes de chocs étudiés, seuls six aient un avocat commis d’office ? Comment lire aussi les dizaines de lettres envoyées aux avocats par les inculpés qui se trouvent conservées dans les dossiers d’instruction déposés aux Archives de la justice militaire ? Celle, par exemple, de Seddik B., inculpé en même temps que le groupe de choc d’Abderrahmane Lakhlifi, datée du 5 décembre 1958 :

              76

              Cher Monsieur Musseli,
              J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance de bien vouloir venir me voire dès que vous recevrez ma lettre. C’est pour vous prendre comme défenseur s’il y a possibilité. Si vous voulez, vous parlez avec maître Alain de la Servette pour qu’il vous passe les dossiers parce que c’est lui qui a pris ma défense la première fois. Comme il n’a pas été présent à l’instruction, je le veux pas. Veuillez agrée Maître Musseli mes remerciements les plus affectueux.
              J’ai envoyé une lettre à maître Alain de la Servette pour l’avertir que je le refuse.
              Je soussigné B. Seddik. 33 cours Suchet.
              Recevez aussi le grand bonjour de la part de votre client K. Malhlouf [74]
              [74]
              AJM, Dossier Abderrahmane LAKHLIFI*. Orthographe respectée..
              77L’inculpé choisit son avocat qui semble avoir une réputation parmi les Algériens. Un modèle de lettre circulait en prison que les inculpés essayaient toujours de personnaliser légèrement. Ainsi les inculpés, bien que ne reconnaissant pas la justice française, envoient malgré tout des courriers parfois motivés par leur traitement en prison : Miloud Bougandoura, après s’être adressé à l’avocat Pierre Gueugnaud, écrit directement au juge d’instruction :

              78

              J’ai l’honneur de vous faire savoir que je suis à la messe (illisible) depuis 15 jours pour me soigner car je suis malade (…). Je suis accuser de politique. Je dis avoir des droits comme tous mes frères au parloir. Voilà aujour d’huit j’ai était aux parloire (…). Je suis rentré est commé parler avec ma femme ils sont venu vers ma femme ils lon bousculer est il mon fait sortit de mon parloire. Voilà cette cènne dure depuis longtemps j’ai était toujours male traité est même frappé par les cardiens de la prison est le ceveillants chef plusieurs fois est je n’avais rien dit car j’espère que jau… passer des tortures a Vaubant est si je suis malade ici ces que a cause… quil mon rendu malade pourtant je suis un haitre umain Je ne suis pas une bête il me regarde a travère est me bousculer sans que jai rien fait car jen avais marre de cette vie alrs pour ca que je vous écrit aujourd’hui pour me donner mes droits est le secourais car ils me prend en état des malades pour isoler est pour… Je suis isoler Je voudrais bien savoir pour qu’elle raison ou qu’esque ja vais fait pour etre isoler est sur tous dans un moment que je suis des traitements à l’infirmerie alors voilà pour quoi que je viens vous écrire aujourd’hui est pour a tirais votre attention est su vous pourrier rien faire pour moi je vaus madressais plus loin a la (illisible) Monsieur le Juge vueillez agrée de tous mes salutations les plus distinguées [75]
              [75]
              AJM, Dossier Miloud BOUGANDOURA*. Orthographe respectée..
              79Alors que les membres des groupes de choc refusent de reconnaître publiquement la justice française, les lettres écrites en prison attestent indéniablement une communication avec les avocats ou le juge d’instruction afin de préparer malgré tout une défense. Les inculpés, quoique membres d’une communauté en lutte pour l’indépendance, obéissent à un principe de réalité : comment sauver leur tête. Membres d’un groupe de choc, ils dénient toute compétence à la justice française, exécutés potentiels, ils cherchent un avocat : ce sont des hommes. S’il y a rupture, c’est dans la tête de ces hommes. Cela ne déprécie en rien leur engagement. Ils ont accompli la tâche qui leur était confiée, ils doivent maintenant faire face aux conséquences.

              80Mais leur défense reste problématique : avocats retenus, demandes de supplément d’enquête ou d’expertise psychiatrique, absence d’interprète, demande de relaxe au bénéfice du doute, brouhaha d’audience temoignent des difficultés rencontrées par les avocats autant que des stratégies qu’ils s’efforcent de mettre en œuvre [76]
              [76]
              C’est le cas lors du procès de Miloud Bougandoura. ADR, 437 W…. Comme l’affirme Sylvie Thénault, les avocats « se retrouvent donc en professionnels du droit dans la pratique de leur métier » [77]
              [77]
              Sylvie Thénault, « La Justice dans la guerre », op. cit.….

              81Entre combattants pour le FLN et délinquants pour la police et les juges, les membres des groupes de choc empruntent aux premiers leur caractère, soucieux d’accomplir une mission désintéressée mais aux seconds leur violence expéditive parfois sans rapport avec ce qui la motive. Les procès du FLN comme ceux de la justice française mettent donc en évidence un statut où la politique et les affects déterminent des hommes qu’on ne sait qu’imparfaitement qualifier. Aussi les Algériens et leurs avocats vont-ils tenter de mobiliser les cœurs à la faveur de procès qui se changent en tribunes, puis au sein des prisons.

              Un patriotisme carcéral
              82Quelques membres de groupes de choc agissent seuls, révoltés par leurs conditions d’incarcération, ce dont témoignent les dossiers d’instruction. Le directeur des prisons de Lyon écrit ainsi au ministre de la Justice le 16 décembre 1959 pour lui faire part du comportement de Touir Feghoul, lequel a décidé une première grève de la faim durant cinq jours, puis une seconde après une nouvelle brimade. Plusieurs altercations avec des gardiens semblent être à l’origine de cette grève : « Feghoul a demandé à se rendre, ce matin, à la promenade ; mais voyant qu’il était seul et que le surveillant se disposait à le menotter, il a refusé catégoriquement de se rendre sur la cour ; puis de prendre des médicaments et son repas de midi [78]
              [78]
              AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Orthographe respectée. ». Il s’agit là d’une grève de la faim toute personnelle. Or, il arrive que les membres de différents groupes de choc tentent une action concertée et franchement politique. La grève orchestrée par Mohamed Achouri relève de cette catégorie :

              83

              Monsieur,
              J’ai l’honneur de venir respectueusement sollicité de votre haute bienveillance vous faire savoir les raisons qui m’ont incitées à faire la grève de faim.
              1° Suppression de l’isolement de tous les détenus politiques
              2° Lecture de tous les journaux et littérature légales
              3° Réception par l’intermédiaire de la croix rouge internationale des colis et des vêtements et de Versailles si c’est possible
              4° L’administration pénitentiaire ne peu plus sanctionner un détenu politique sans en refferer au préalable du ministre de la Justice
              5° Amélioration de nourriture en quantité
              6° Contre le comportement inhumain du personnel pénitentiaire quand au respect des détenus politiques
              7° Contre l’incense du service Médicale pénitentiaire quand aux soins des Malades est nécessite d’hospitalisation
              8° Contre la suppression de la lumière jusqu’au 21 h 30
              9° Pour des heures de cours et du parloir
              Telle sont mes revendications dans l’espoir d’obtenir satisfaction recevez Monsieur mes salutations distinguées [79]
              [79]
              AJM, Dossier Mohamed ACHOURI*..
              84Des lettres comme celle-ci, écrite depuis la prison Saint-Paul le 3 août 1959, le Procureur de la République en a reçu plus d’une : tous les détenus engagés dans cette grève de la faim recopient le même texte et le lui font parvenir. L’objectif évident est de modifier le statut des détenus : que de prisonnier de droit commun, ils obtiennent le statut de détenu politique, plus à même de faciliter les réunions, les cours d’alphabétisation… Toutefois, les membres de groupes de choc n’obtiennent pas la reconnaissance du statut de prisonnier de guerre légitime à leurs yeux, ni au sein des prisons, ni dans l’opinion lyonnaise. D’une part, ils sont mêlés aux autres militants, à Saint-Paul notamment. D’autre part, les journaux restent discrets sur ces grèves et ne mentionnent aucunement les membres des groupes de choc [80]
              [80]
              Seules quelques lignes en rendent compte : Dernière Heure….

              85Une action plus singulière est alors tentée à la fin de la guerre d’Algérie avec la publication chez Maspero d’un petit livre intitulé La Guillotine, Journal d’un condamné à mort [81]
              [81]
              Moussa Lachtar, La Guillotine. Journal d’un condamné à mort,…. Achevé d’imprimer le 20 février 1962, il ne peut être diffusé que quelque temps avant le cessez-le-feu [82]
              [82]
              Son récit couvre une année de détention – il débute le 23 mai…. Ce Journal impressionne par la qualité de sa rédaction. Son narrateur serait Moussa Lachtar, qui laisse émerger ça et là une culture résistante bien loin de la sociologie des groupes de choc esquissée plus haut : « Je pense aux lycéens de Buffon, au temps de l’Occupation. Ils avaient son âge. Vengeance ». En fait, ce livre est une œuvre de propagande pilotée par le FLN : d’après Moussa Lachtar, alors délégué des détenus, il lui a été demandé de rédiger des rapports quotidiens qu’il transmettait ensuite à son avocat. Ce dernier, Me Bendimerad, les a fait parvenir en Allemagne où ils ont été retravaillés pour aboutir à cet opuscule. Moussa Lachtar a été le premier étonné de ce livre qu’il considère aujourd’hui comme « propagandiste » [83]
              [83]
              Entretien personnel avec Moussa Lachtar, novembre 2012….

              86Signature singulière mais expérience collective retravaillée, ce livre opère une reconstruction de l’image du groupe de choc, comme l’indique sa préface :
              The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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              • #8
                87

                Ceci n’est pas un journal ordinaire. C’est le journal qu’a tenu dans sa cellule un condamné à mort algérien, au Fort-Montluc, à Lyon : là-même où d’autres patriotes étaient assassinés par d’autres bourreaux, il y a moins de vingt ans de cela.
                Ce condamné à mort s’appelle Moussa Lachtar. Son crime, il n’avait pas besoin d’être torturé pour l’avouer : il voulait servir son pays et contribuer à sa libération définitive du joug colonial. C’est un combattant sans uniforme qui est tombé entre les mains de l’adversaire. C’est un prisonnier, mais un prisonnier de guerre qu’on torture, qu’on juge, qu’on condamne à l’échafaud.
                C’est un prisonnier auquel on refuse sa qualité de prisonnier de guerre. Pour l’assassiner, croit-on, impunément [84]
                [84]
                Moussa Lachtar, La Guillotine, op. cit. (n.82)..
                88Cette reconstruction élude purement et simplement l’action qui conduit en prison. Rien ne filtre dans ce livre sur le concret de la lutte, sur les directives données par Moussa Lachtar en vue de former un groupe de choc puis l’ordre donné d’éliminer un coreligionnaire [85]
                [85]
                Le dossier d’instruction et les coupures de presse permettent…. Le patriotisme affiché est un patriotisme carcéral, non un patriotisme de combat. Qui est donc l’adversaire ? Le réfractaire au FLN ou la France coloniale ? La généalogie résistante esquissée dans le livre est facilitée par le palimpseste des mémoires du Fort Montluc provoquant des raccourcis historiques (les « résistants » de la Guerre d’Algérie hériteraient de ceux de la Seconde Guerre mondiale). L’insistance sur les exécutions qui segmentent le livre vise à produire une émotion.
                Des hommes isolés
                89Le membre de groupe de choc incarcéré est isolé du monde extérieur. Les débats éthiques (pour ou contre la peine de mort) et politiques (pour ou contre l’Algérie indépendante) ne l’incluent pas, à une exception près. En effet, seule une exécution capitale fait l’objet d’une prise de conscience tardive et avortée, celle d’Abderrahmane Lakhlifi le 30 juillet 1960.

                90Un document exceptionnel permet de saisir une mobilisation en marche, une chaîne de transmission des informations et, au final, la constitution d’un réseau de soutien en vue d’obtenir la grâce d’un condamné à mort : il s’agit de la retranscription des écoutes téléphoniques établies par les Renseignements généraux la veille de l’exécution d’Abderrahmane Lakhlifi, le 29 juillet 1960. La capitale impulse la mobilisation lyonnaise, puisque le premier coup de téléphone part de Paris. C’est en effet Léo Figuères, du comité central du PCF, qui joint d’abord Jean Capievic de la Fédération du Rhône du PCF. Il informe son correspondant qu’André Stil, « avec un certain nombre d’autres écrivains », va signer un message adressé à plusieurs chefs d’État, dont il lui fait la lecture :

                91

                Lakhlifi, algérien condamné à mort sans défenseur, doit être exécuté samedi 30 juillet, à l’aube, au Fort Montluc, à Lyon. L’avocat algérien qui était chargé de sa défense, n’a pas été autorisé à présenter son recours en grâce au Président de la République. Sans préjuger du fond de l’affaire, vous supplions intervenir à temps pour empêcher cette exécution. Respectueusement [86]
                [86]
                ADR – TR 405 36 b* : Arrestations et condamnations de militants….
                92Il informe ensuite Jean Capievic des destinataires de ce message (l’ONU, des Présidents du Conseil des Pays de l’Ouest et de l’Est, des intellectuels) avant de lui demander de mobiliser les troupes : « Comme il s’agit de la ville de Lyon, il faut voir, dès cet après-midi, ce que vous pouvez faire, avec les hommes de cœur qui pensent que ceci n’est ni humain, ni conforme à l’intérêt de notre pays et à l’intérêt de la négociation ». Devant la molle réponse de son interlocuteur – « D’accord. (…) À qui doit-on adresser les signatures ? » – Léo Figuères reprend plus fermement : « Il ne s’agit pas, pour vous, de signatures, mais bien d’organiser l’action, c’est-à-dire d’entrer en contact avec des personnes qui auront été averties, sans doute, par d’autres voies. Il n’y a pas que nous. C’est extrêmement large. Ce sont tous les hommes de cœur qui agissent, qui réagissent. C’est auprès du Président de la République qu’il faut intervenir ». Paris attend que Lyon serve de caisse de résonance à la mobilisation. Jean Capievic téléphone alors à Georges Churlet, secrétaire de l’UD CGT, qui contacte ensuite Georges Leprince, correspondant de L’Humanité. Ce dernier sort son répertoire et ne raccroche le téléphone que pour refaire un nouveau numéro. Il téléphone ainsi à Jacques Vergès, qu’il salue d’un « bonjour, camarade », à Me Bermann, avocat de Lyon, à Madeleine Riffaud, de L’Humanité Paris, et enfin à Morin-Marty du journal local Le Progrès. À aucun moment il n’est question du groupe de choc. Le débat se veut éthique, comme l’indique la phrase soulignée. Petit à petit la liste des personnes mobilisées se constitue pour déboucher, après l’exécution, sur une pétition intitulée « Vie sauve pour les condamnés à mort algériens ! » et dont le préambule précise :

                93

                Bouleversés par la récente exécution capitale du Fort Montluc et soucieux de rester fidèles aux traditions généreuses et humaines de notre pays, nous nous joignons aux 60 personnalités lyonnaises qui, à l’initiative du Secours Populaire Français, demandent au Président de la République de surseoir à toute nouvelle exécution.
                Conscients de la nécessité de ne pas éloigner les perspectives de Paix négociée et de ne pas creuser plus profondément le fossé entre les deux peuples, nous adjurons le Président de la République d’user de toute urgence de son droit de grâce.
                94S’ensuit la liste des personnalités qui invitent à signer la pétition. Le diagramme social des signataires est sans surprise [87]
                [87]
                Sur quarante-six noms, on relève douze avocats (26?%), onze… et, fait notable, la campagne laisse une grande place aux associations d’anciens combattants et résistants [88]
                [88]
                Par exemple le Comité de liaison de la Résistance lyonnaise, le…. Ainsi, sans jamais évoquer l’appartenance des condamnés à mort à des groupes de choc, cet investissement des anciens combattants en dit long sur le rôle attribué à Abderrahmane Lakhlifi. C’est le seul moment où les membres des groupes de choc prennent l’allure de combattants dans l’opinion lyonnaise. Dès lors, cette exécution capitale s’intègre, du fait de son inscription dans les débats éthiques et politiques du temps, dans « la lutte pour l’opinion mondiale » décrite par Matthew Connelly [89]
                [89]
                Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN, op. cit. (n.42),…. Le contexte est en effet favorable puisqu’à partir de juin 1960 Khrouchtchev abandonne de Gaulle pour appuyer davantage le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) [90]
                [90]
                De nombreuses personnalités françaises, parmi lesquelles on…. Mais, il faut y insister, c’est le gommage de l’action d’Abderrahmane Lakhlifi qui facilite le glissement des débats sur le terrain éthique :

                95

                Sans entrer dans les motifs qui ont guidé le tribunal dans sa décision, écrivait M. Khrouchtchev, et exclusivement guidé par des sentiments humanitaires, j’en appelle à vous, monsieur le président, pour que vous usiez de votre autorité et ne permettiez pas l’exécution de la sentence.
                Je suis certain qu’un tel acte humanitaire de votre part serait apprécié à son juste mérite dans le monde entier. Je vous connais personnellement ainsi que vos vues sur la situation internationale contemporaine, et je vous demande, au nom de tout le peuple soviétique, de faire ce noble geste qui est digne des meilleurs traditions du grand peuple français.
                96Seule l’exécution d’Abderrahmane Lakhlifi a suscité une telle campagne. La dernière exécution, celle de Salah Dehil, voit pourtant le GPRA dénoncer l’exécution de « militants algériens qui, par leurs actes de guerre, ne font qu’exécuter des ordres sous la responsabilité du GPRA », mais l’opinion lyonnaise ne se mobilise pas. Pourquoi cette démobilisation ?

                97« Démobilisation », car les manifestations contre la guerre d’Algérie ne sont pas rares à Lyon, depuis celle particulièrement réussie du 27 octobre 1960. Alors comment comprendre le silence qui entoure les exécutions capitales ? Il semble que la question relève d’un anachronisme.

                98Les Lyonnais étaient informés des exécutions capitales. D’une part, comme c’est le cas pour Feghoul Touir et Brahimi Menaï, « selon la loi, la nouvelle des deux exécutions a été annoncée par un placard apposé sur la porte de la prison [91]
                [91]
                Dernière Heure Lyonnaise, 6 avril 1960, p. 4. ». D’autre part, chaque exécution a son compte rendu dans la presse. La structure varie peu : après un court préambule et le rappel des faits, le récit de l’exécution présente les acteurs, l’heure de la guillotine, le devenir du corps du défunt. Ainsi à propos de Mohamed Benzouzou :

                99

                Depuis que les tribunaux militaires sont habilités à juger des atteintes à l’intégrité du territoire en matière nord-africaine, peu d’exécutions ont été ordonnées à la suite des condamnations à la peine de mort.
                Mais ce matin la guillotine a été dressée à l’intérieur de la cour de la prison Montluc, à Lyon, l’exécution de Mohamed Benzouzou, 32 ans, avait été ordonnée.
                (…)
                Ce matin, à 5 h 30, Benzouzou fut tiré de sa cellule. Dans la cour l’attendaient son avocat, le ministre du culte, le commissaire du gouvernement, le major de garnison et le juge d’instruction militaire.
                Un détachement militaire était également présent, l’arme au pied et au garde à vous.
                Après quelques instants entretenus avec le ministre du culte, Benzouzou fut livré à l’exécution des hautes œuvres.
                Sa tête tomba à 5 h 45 et son décès a été constaté par le médecin de la maison d’arrêt, le docteur Vallier [92]
                [92]
                Ibidem, 27 septembre 1959, p. 7..
                The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                Commentaire


                • #9
                  100Parfois, le ton se fait plus polémique, comme lors du compte rendu de l’exécution de Salah Dehil, dont il est rappelé l’appartenance à un groupe de choc. Une justification du journaliste répond à l’argumentaire du GPRA : « Jamais un rebelle algérien pris dans le maquis les armes à la main n’est condamné et exécuté. Les exécutions, qui sont d’ailleurs rares, telle que celle de Salah Dehil, n’ont lieu que quand il s’agit de criminels de droit commun, c’est-à-dire d’assassins avérés [93]
                  [93]
                  Ibidem, 1er février 1961, p. 1 et 3 février 1961, dernière page. ».

                  101Cet acharnement à dénier aux membres des groupes de choc le statut de combattant met sur la voie pour comprendre l’indifférence alors que les exécutions se succèdent. En effet, on peut parler, pour reprendre un concept emprunté à la sociologie des mobilisations, d’une absence de fenêtre d’« opportunité politique » [94]
                  [94]
                  Les sociologues mettent en relation les mouvements sociaux et… à Lyon et dans sa région à l’époque. La lecture de la presse témoigne d’une acculturation à la violence quotidienne et surtout d’une dépolitisation du conflit. L’attentat perpétré par Ahmed Kabouche est rapporté comme un « règlement de compte entre Algériens », lui-même présenté comme un « tueur », un « terroriste » [95]
                  [95]
                  Dernière Heure Lyonnaise, 2 mai 1958, p. 4. et la scène cadrée « au milieu des passants et des bambins ». Bref, il s’agit d’un assassinat. Le compte rendu des missions du groupe de choc de Miloud Bougandoura a ceci de spécial qu’il s’étend du 21 mai 1958 au 27 décembre 1958, de la découverte du premier corps jusqu’au dernier. Un titre affuble rapidement les membres du groupe de choc exposés en photo : « Les étrangleurs de la Doua [96]
                  [96]
                  Ibidem, 25 mai 1958, p. 4. ». Les récits successifs des « meurtres silencieux » favorisent une opinion inquiète. D’ailleurs, les comptes rendus d’audience du TPFA laissent la parole aux commissaires du gouvernement, aux présidents qui souvent, on l’a vu, réduisent la dimension politique du conflit. Plus significatif de l’absence d’opportunité politique, la peine de mort est en usage en France. Certes, des débats ont lieu, comme avec cette publication Sélection attachée à Dernière Heure Lyonnaise et intitulée « Pour ou contre la peine de mort [97]
                  [97]
                  Ibidem, 11 juillet 1960, p. 4. ». Mais, preuve que la peine de mort est encore acceptée, ce dessin humoristique qui orne la dernière page du journal le 1er janvier 1959 : intitulé « Le dernier verre du condamné », il montre un condamné se préparant à l’échafaud à qui l’on tend un verre accompagné du rituel « Bonne année et bonne santé [98]
                  [98]
                  Ibidem, 1er janvier 1959, Dernière page. ! ».

                  102Mais alors, que s’est-il passé pour Abderrahmane Lakhlifi ? Il semble qu’un problème juridique soit à l’origine de la mobilisation, comme le rappelle un article du journal Le Monde [99]
                  [99]
                  ADR – TR 405 36 b* : Arrestations et condamnations de militants…. Le nœud du problème réside dans l’absence de l’avocat pour défendre Lakhlifi à la fois le jour du procès et lors de « l’ultime plaidoirie », celle du recours en grâce. Deux thèses s’affrontent. D’une part, Me Benabdallah, choisi par Lakhlifi, n’aurait pu répondre à ses obligations. Lors du procès, il était assigné à résidence et lors du recours en grâce il se trouvait inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État. Ainsi, Me Denuelle ne fut pas autorisé par Lakhlifi à prendre la parole à l’audience puis, convoqué par le Président de la République, il lui fit part de ses observations. D’autre part, les sources officielles précisent que Me Denuelle avait été choisi par Lakhlifi et que c’est lui qui rédigea le mémoire joint au recours en grâce. Dans la presse locale, Me Denuelle précise :

                  103

                  Lorsque j’ai été convoqué par M. Le Président de la République, j’ai fait connaître que c’était à Me Ben Abdallah qu’il appartenait de présenter au chef de l’État les raisons qui militaient en faveur de la grâce de Lakhlifi.
                  C’est devant le refus de M. le Président de la République de recevoir mon confrère que j’ai estimé devoir, en conscience, déférer à la convocation qui m’avait été officiellement adressée, cela parce que je n’ai pas cru devoir laisser passer la moindre occasion d’éviter à Lakhlifi l’échafaud et parce que je pensais obtenir du Général de Gaulle, comme je lui ai demandé, qu’il reçoive ultérieurement Me Ben Abdallah.
                  104Ainsi, l’unique mobilisation de taille contre l’exécution d’un Algérien à Lyon semble avoir pour point de départ une rumeur, celle de l’absence d’avocat pour accompagner Abderrahmane Lakhlifi. L’absence de mobilisation pour les trois exécutions postérieures à celle-ci valide cette thèse. Les membres de groupes de choc exécutés n’ont donc guère suscité un mouvement de soutien comme il y en eut pour des exécutions en Algérie, ou comme ce fut le cas pour des affaires de tortures [100]
                  [100]
                  On pense ici à l’Affaire du Prado en septembre-octobre 1958..

                  105Les groupes de choc ont jusqu’à présent été occultés du fait d’une triple gêne. Tout d’abord, le FLN – aujourd’hui comme hier – ne souhaite manifestement pas parler de ces groupes, d’où de simples mentions imprécises dans les biographies ou autobiographies de la période. Ensuite, les militants français de l’indépendance n’ont jamais œuvré pour la défense des membres des groupes de choc ou alors de manière détournée, contre la peine de mort. Enfin, les sources, longtemps inaccessibles (notamment celles de la justice militaire), sont très dispersées et surtout, ces groupes étant complexes dans leurs structures, il est difficile de les reconstituer. Dès lors, les historiens ont jusqu’à présent opté pour une définition trop synthétique. Ainsi celle de Benjamin Stora : « C’est parmi les militants actifs que se recrutent les membres des “commandos de choc” chargés d’exécutions physiques. Dans ces commandos, il est fait appel à des volontaires, invités habituellement à prêter serment sur le Coran. Ces derniers doivent s’abstenir de toute activité politique ouverte, échappent même à la cotisation et aux collectes pour se consacrer uniquement aux tâches qui leur sont confiées, attentats, exécutions ou sabotages. (…) La moitié d’un commando doit être constitué par des militants venus d’autres régions. Les mutations sont continuelles. Les exécutants doivent être inconnus aussi bien de leurs camarades que de leurs victimes, et ne peuvent ainsi que difficilement être dénoncés [101]
                  [101]
                  Benjamin Stora, Les Immigrés algériens en France. Une histoire… ». L’historien ajoute que « le manquement, fréquent, aux règles établies provoquera l’arrestation de nombreux membres des “groupes de choc” des deux camps rivaux ».

                  106Force est, au terme de cet article concernant les groupes de choc de la wilaya 3, de proposer une définition plus conforme à la réalité. Les groupes de chocs dans cette wilaya sont les bras armés du FLN, chargés en premier lieu d’éliminer les réfractaires à l’organisation, en second lieu les membres du MNA, et en dernier lieu, très épisodiquement, d’effectuer des attentats contre les forces de l’ordre. Le recrutement se fait dans des garnis essentiellement, de manière contrainte ou volontaire, et les actions se déroulent dans la région, parfois même juste à côté du domicile. Les membres du groupe de choc agissent tout en conservant en parallèle une activité salariée. Si deux tiers d’entre eux vivent seuls en Métropole, un tiers vit maritalement et certains ont une famille. Enfin, la religion n’a que peu de place dans leur engagement [102]
                  [102]
                  Dans le livre de Moussa Lachtar, seules trois mentions à la….

                  107Ces hommes n’ont pas toujours choisi leur appartenance aux groupes de choc, et quand ils l’ont choisie, ils n’ont pas toujours mesuré vers quoi cela allait les entraîner. L’appellation « groupe de choc » donne une image de combattants : c’est une manière de les utiliser a posteriori. Mais la vie de ces hommes met surtout en évidence des forces qui les dépassent et qu’on appelle souvent l’Histoire, dans lesquelles ils sont parfois grands, parfois petits, et toujours effacés.

                  108Les groupes de choc ont donc mené la guerre d’Algérie sur le terrain métropolitain entre 1957 et 1962 et eurent à connaître la justice française, une justice implacable puisque 11 % des Algériens provenant de toute la wilaya 3 jugés par le TPFA de Lyon furent condamnés à mort. Douze furent exécutés pour peser dans les négociations avec le GPRA et furent enterrés au cimetière de la Guillotière, au carré des suppliciés [103]
                  [103]
                  Les articles de presse le précisent parfois : Dernière Heure…. Tous étaient des membres de groupes de choc. Qui consulterait uniquement les archives du cimetière conclurait à leur présence en terre lyonnaise puisque le registre n’indique aucune exhumation. Mais en ouvrant, aux Archives municipales, la correspondance officielle entre l’Algérie et la France à propos des rapatriements d’Algériens inhumés à Lyon entre 1954 et 1960, on découvre que les corps ont tous été exhumés puis rapatriés en Algérie : d’abord deux en 1969, les autres en 1970. L’accord franco-algérien stipulait la plus grande discrétion pour ces opérations [104]
                  [104]
                  AML – 1025 WP 46 – Sépulture des ressortissants algériens :….
                  The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                  • #10
                    Notes
                    [1]
                    Dernière Heure Lyonnaise, 8 février 1961, p. 4.
                    [2]
                    Ils opèrent à l’échelon « zone » et « région ».
                    [3]
                    Il s’agit du nombre le plus élevé d’Algériens exécutés en métropole. Ailleurs : cinq exécutions capitales à Paris, quatre à Dijon.
                    [4]
                    Quatre cent soixante-dix-huit membres de groupes de choc – quatre cent vingt-trois pour le FLN et cinquante-cinq pour le MNA – sont jugés au Tribunal Permanent des Forces Armées de Lyon entre 1958 et 1962, soit près de la moitié des jugements rendus par ce même tribunal qui entre véritablement en action en mai 1958. La loi du 8 octobre 1958 lui permet ensuite de se saisir des affaires d’Atteinte à l’intégrité du territoire national.
                    [5]
                    Chaque guerre clandestine sécrète ce type de groupes. Plus proche de notre sujet, pensons au travail de Sylvie Thénault, « L’OAS à Alger en 1962. Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », Annales HSS, n° 5, septembre-octobre 2008, pp. 977-1001.
                    [6]
                    Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954-1962, Paris, Fayard, 2002.
                    [7]
                    Ce sont d’une part les études de terrorisme : Martha Crenshaw, Revolutionary Terrorism : The FLN in Algeria, 1954-1962, Stanford, Hoover institution press, 1978 ; Ead., « The Effectiveness of Terrorism in the Algerian War », in Martha Crenshaw (dir.), Terrorism in context (1995), The Pennsylvania State University Press, 2007, pp. 473-513. Ce sont d’autre part les études historiques et notamment : Jean-Charles Jauffret, Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Éditions Complexe, 2001.
                    [8]
                    Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001.
                    [9]
                    En témoigne l’ouvrage dirigé par Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, La France en guerre, 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Éditions Autrement, 2008.
                    [10]
                    Daho Djerbal, L’Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN. Histoire de la lutte armée du FLN en France (1956-1962), Alger, Chihab Éditions, 2012.
                    [11]
                    En dernier lieu : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens (1944-1962), Paris, Nouveau Monde éditions, 2011.
                    [12]
                    Le terme wilaya, toujours en usage en Algérie (c’est l’équivalent de la préfecture), est l’échelon régional du découpage administratif défini par le FLN tant en Algérie qu’en France. La métropole constitue la 7e wilaya, mais a pour particularité d’être elle-même subdivisée en plusieurs wilayas. La wilaya 3 métropolitaine (à ne pas confondre donc avec la wilaya 3 algérienne qui correspond à la Kabylie) s’étend sur le centre et le centre-est de la France et regroupe les départements de la région Rhône-Alpes et de l’Auvergne.
                    [13]
                    Les huit groupes de chocs étudiés ont pour particularité d’avoir un ou plusieurs de leurs membres arrêtés, condamnés à mort, puis exécutés. Tous les noms cités, mentionnés dans des récits antérieurs, sont réels. Sinon, ils figurent sous la forme d’une initiale.
                    [14]
                    Ali Haroun, La 7e wilaya. La guerre du FLN en France. 1954-1962, Paris, Éditions du Seuil, 1986.
                    [15]
                    Responsable de la Fédération de France, il ne consacre que six lignes aux groupes de choc dans son autobiographie et ne voit en eux que des groupes de défense : « L’organisation disposait de “groupes de choc”, chargés principalement de sa protection et de la riposte aux exactions policières et aux attaques armées des messalistes ». Omar Boudaoud, Du PPA au FLN. Mémoires d’un combattant, Alger, Casbah Éditions, 2007, p. 110.
                    [16]
                    Il est classique de poser la question de la fiabilité des sources judiciaires. Pour un examen de ces débats, nous nous permettons de renvoyer à Maria Eugenia Albornoz Vasquez, Matteo Giuli et Naoko Seriu (dir.), « Les archives judiciaires en question », Revue électronique du CRH, n° 5, 2009.
                    [17]
                    Par ailleurs, le travail des enquêteurs ne s’est pas arrêté au témoignage des inculpés mais a suscité des recherches jusque dans les tribunaux correctionnels d’Algérie.
                    [18]
                    Pour paraphraser Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Éditions de Minuit, 1964.
                    [19]
                    Archives de la justice militaire (AJM), Dossier Touir FEGHOUL*. Les notes suivies d’un * ont été consultées sous dérogation.
                    [20]
                    Idem.
                    [21]
                    Les membres de groupes de chocs sont jugés à plusieurs reprises pour des actions différentes.
                    [22]
                    Ils correspondent au portrait sociologique que fait d’eux, entre autres, Abdelmalek Sayad, dans La Double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Éditions du Seuil, 1999.
                    [23]
                    AJM, Dossier Mohamed BENZOUZOU*.
                    [24]
                    AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Toutes les citations qui suivent sont extraites de cette même note des RG.
                    [25]
                    Dès 1956 son activité nationaliste semble prendre le pas sur son activité professionnelle. Les RG notent qu’entre le 18 décembre 1955 et le 1er avril 1957, soit une période de 360 jours ouvrables, il a été absent du travail pendant 196 jours (blessures, maladie, grève).
                    [26]
                    Ali Haroun le désigne comme chef de l’OS (Organisation spéciale) de la région centre (Lyon et Saint-Étienne) dans La 7e wilaya, op. cit. (n.14), p. 89. De la même manière, son biographe, qui n’est autre que son fils, ne parle que de cette position à la tête de l’OS : Rachid Haraigue, Le Combat d’un lieutenant FLN en France pendant la guerre d’Algérie, Paris, Éditions des Écrivains, 2001. Soit il est chef de l’OS dès 1956-1957 et alors les militants qu’il recrute n’ont rien à voir avec le portrait officiel des membres de l’OS (voir notre conclusion), soit il le devient une fois qu’il est « grillé » à Saint-Étienne, essentiellement pour les attentats de plus grandes ampleur comme à Mourepiane. C’est notre thèse.
                    [27]
                    AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Né en 1926, cet ouvrier métallurgiste s’installe à Firminy dès 1947. Son ancienneté lui permet d’avoir une certaine notabilité puisque, comme le rappelle son avocat, on le dit « intelligent, ponctuel et discipliné », « qualités [qui] lui ont valu d’être nommé chef de cantonnement ». Nous soulignons.
                    [28]
                    Miloud Bougandoura, âgé de 39 ans lors de son procès, est installé à Villeurbanne depuis 1950 dont il devient par la suite chef du secteur. Vivant en concubinage avec une métropolitaine il semble parfaitement intégré. Enfin, Lakhdar Sahli dit « Le Grand » a 36 ans, est marié mais, condamné par contumace, peu d’autres informations peuvent être recueillies.
                    [29]
                    AJM, Dossier Mahmoud MOKRANI*.
                    [30]
                    Idem. Il a comme supérieur Atmane Guettalah, 24 ans. Autres cas : Mohamed Achouri, sous l’autorité de Lakhdar Sahli mais aussi chef d’un groupe de choc lyonnais, a 23 ans et reconnaît lors de l’enquête « diriger une équipe de 4 membres » (AJM, Dossier Mohamed ACHOURI*). Abderrahmane Lakhlifi alias Khelifa, un peu plus âgé – il a 28 ans le jour de son procès –, dirige quant à lui un groupe de choc composé de trois équipes de trois membres chacune.
                    [31]
                    Cette double origine s’explique par la taille de ce groupe de choc qui compte quatorze personnes quand en moyenne un groupe en compte six.
                    [32]
                    AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*.
                    [33]
                    Une enquête orale menée en Algérie (novembre 2012), auprès de dix anciens chefs ou membres de groupes de choc, atteste l’existence d’une pression exercée sur les individus recrutés.
                    [34]
                    AJM, Dossier Abderramane LAKHLIFI*.
                    [35]
                    Idem. Il précise : « J’ai dit “volontaires de la mort” – ce terme n’est pas nouveau, je ne l’ai pas inventé. C’est qu’en effet depuis quelques mois, le FLN dans ses actions dangereuses, dans ses attentats, “recrute” exclusivement des “volontaires”. Ces mêmes volontaires, devant la police et a fortiori devant la justice, se présentent tous comme liés avec le parti dont ils dépendent, “obligés” aiment-ils à redire à satiété ».
                    [36]
                    Idem.
                    [37]
                    Les travaux portant sur les soutiens aux Algériens insistent sur le rôle des femmes comme agents de liaison, assurant le transport des collectes ou des armes. Mais rarement il est question d’une aide au moment de l’action armée. Lire entre autres, Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Porteurs de valise, Paris, Éditions du Seuil, 1979.
                    [38]
                    AJM, Dossier Abderramane LAKHLIFI*.
                    [39]
                    Sylvie Thénault, « L’Organisation judiciaire du FLN », in Charles-Robert Ageron (dir.), La Guerre d’Algérie et les Algériens. 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, pp. 137-149. Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, op. cit. (n.6), pp. 489-495.
                    [40]
                    Dernière Heure Lyonnaise, 2 novembre 1957, p. 1.
                    [41]
                    Ibidem, 23 mars 1958, p. 3.
                    [42]
                    Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie (2002), Paris, Éditions Payot, 2011, p. 243.
                    [43]
                    Archives départementales du Rhône (ADR), 248W 139* – Activités séparatistes algériennes – 1960-1961. Toutes les citations de cette partie sont extraites de cette source.
                    [44]
                    Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, op. cit. (n.6), p. 489.
                    [45]
                    Théoriquement, et toujours d’après le mémoire des RG, les comités ou commissions de justice comptent treize à quinze membres par région. Un tribunal, se réunissant pour siéger, compte quatre membres, un responsable ayant qualité de président, un adjoint remplaçant éventuellement le président, deux membres formant le jury. L’échelon de rattachement est la zone. La saisine se fait par écrit et par l’intermédiaire de l’organisation politico-administrative, mais une fois l’affaire engagée devant le tribunal, « les chefs de l’OPA n’interviennent plus, afin que le tribunal puisse juger en toute impartialité ». Cependant, les jugements des commissions de justice ne deviennent exécutoires qu’après ratification des chefs de l’OPA.
                    [46]
                    AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*.
                    [47]
                    Mohamed Z. fait ainsi le récit à la police d’une visite du groupe de choc d’Abderrahmane Lakhlifi : « Début 1958, (…) quatre Nord-Africains dont un armé d’un pistolet, mais tous masqués, ont fait irruption dans ma chambre. Ils m’ont reproché mon inconduite, à peine de mort (sic). Je leur ai promis de m’amender (ce qui ne m’a pas empêché de continuer à boire mais en cachette) » ; AJM, Dossier Abderrahmane LAKHLIFI*. Plusieurs témoignages recueillis, dont l’un du frère d’un des membres du groupe de choc de Miloud Bougandoura, évoquent les décisions prises en concertation au marché aux puces de Lyon. Un autre témoignage évoque les lettres qui étaient parfois portées à des Algériens, leur signifiant le jugement.
                    [48]
                    Dernière Heure Lyonnaise, 24 mai 1960, p. 5.
                    [49]
                    Tous les membres des groupes de choc arrêtés livrent une version des faits précise lors du premier interrogatoire. Puis, devant le magistrat instructeur, affirment que ce sont des aveux extorqués sous la torture. Les auditions ultérieures présentent donc des incohérences d’où leur mise de côté dans cette analyse. Le dossier sur les tortures dépasse le cadre de cet article.
                    [50]
                    AJM, Dossier Mohamed BENZOUZOU*.
                    [51]
                    AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Un ami de la victime, Sid L., recruté pour la cause, l’avait retrouvé au café avant de l’amener au cinéma. Touir Feghoul, chargé de l’exécution, « mis au courant, assistait au spectacle discrètement et rejoignait les deux hommes après la séance ». Peu après, « Fehoul se plaçait à deux ou trois mètres à l’arrière de Daoudi et tirait sur lui un coup de feu qui l’atteignait dans le dos. Daoudi se retournait et recevait, de face cette fois, un coup de feu qui l’atteignait à la poitrine. Feghoul s’approchait alors du blessé gisant sur le sol et l’achevait d’une balle tirée à bout portant dans la joue gauche ». Le rapport de police résume en termes précis l’exécution de « cet ancien combattant d’Indochine » qui « se montrait francophile et refusait de payer des cotisations au FLN ».
                    [52]
                    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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                    • #11
                      AJM, Dossier Abdallah KABOUCHE*.
                      [53]
                      AJM, Dossier Ahcène AÏT-RABAH*.
                      [54]
                      Le même protocole de justice est observé quand un groupe de choc se rend au domicile d’un responsable MNA. Ainsi, celui de Mahmoud Mokrani lance une attaque contre Mohamed E., âgé de 55 ans, marabout de la religion musulmane à Givors et « membre particulièrement actif du MNA ». Durant cette scène du 13 janvier 1958, la sentence est sans appel : « Pendant que Ben tenait Amar F. et Ayache B. en respect avec son arme, Tafer reprochait à Mohamed E. son appartenance au MNA, il lui annonçait qu’il allait l’abattre et lui ordonnait de se recoucher. Résigné, Mohamed E. obéissait, sans avoir, semble-t-il, prononcé une parole. Tafer s’approchait du lit et par trois fois faisait feu sur le malheureux ». AJM, Dossier Mahmoud MOKRANI*.
                      [55]
                      Sur l’évolution singulière du MNA dans la région lyonnaise, on se reportera à Paul-Marie Atger, « Le Mouvement national algérien à Lyon. Vie, mort et renaissance pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle, Revue d’histoire, n° 104, octobre-décembre 2009, pp. 107-122.
                      [56]
                      Pour ce qui est de la provenance des armes, des trafiquants d’armes servent à l’approvisionnement. Ces trafiquants sont parfois jugés en compagnie du groupe de choc comme le 17 mars 1961.
                      [57]
                      La police scientifique identifie les groupes de choc et l’appartenance politique de ceux-ci par l’analyse des armes.
                      [58]
                      Le groupe de choc de Mohamed Achouri lance deux attaques sur des postes de police. Le 5 septembre 1958 à 19 h 30, une première équipe prend pour cible le commissariat de police de la place Jean Macé à Lyon. Deux groupes contournent le poste quand Salah Dehil ouvre le feu avec un pistolet automatique 22 long rifle sur le sous-brigadier Armand Sudon qui traverse la chaussée pour monter dans sa voiture. Atteint à l’abdomen, il meurt sur le coup tandis qu’une chasse à l’homme débute. Une deuxième équipe attaque au même moment le poste de police de la rue Marc-Antoine Petit. La mèche de l’engin est éteinte par le policier. AJM, Dossier Mohamed ACHOURI*.
                      [59]
                      Une autre attaque spectaculaire est celle menée par Abderrahmane Lakhlifi le 20 septembre 1958 : les postes de police et le commissariat de police de permanence de nuit de la place Antonin Poncet (en plein cœur de Lyon) sont mitraillés. Sept personnes sont blessées dont un policier très gravement. AJM, Dossier Abderrahmane LAKHLIFI*. Le « second front » signifie cette ouverture d’un front guerrier en métropole avec des attentats contre les forces de l’ordre ou les structures économiques du pays.
                      [60]
                      Sylvie Thénault, Une drôle de justice, op. cit. (n.8).
                      [61]
                      Annie Deperchin et Arnaud Lecompte, « Les Crimes commis par les Algériens en métropole devant la cour d’assises du Nord. 1954-1962 », La Justice en Algérie 1830-1962, La Documentation française, Cahiers d’Histoire de la Justice, 2005, pp. 257-270.
                      [62]
                      Sylvie Thénault, Une drôle de justice, op. cit. (n.8), p. 173.
                      [63]
                      Dernière Heure Lyonnaise, 22 octobre 1959, p. 4. Réquisitoire du 19 octobre.
                      [64]
                      Ibidem, 20 juin 1959, p. 6. Le procès a lieu la veille.
                      [65]
                      Ibidem, 4 février 1960, p. 4.
                      [66]
                      Ibidem, 24 mai 1960, p. 5.
                      [67]
                      Ibidem, 7 juillet 1959, p. 5.
                      [68]
                      C’est en septembre 1959 qu’a lieu l’exécution de Mohamed Benzouzou, et c’est bien en septembre que de Gaulle lance l’idée d’organiser un référendum sur l’indépendance. Son discours du 16 septembre marque « le début de la fin de l’Algérie française ». Il en va de même pour toutes les autres exécutions que l’on peut replacer dans le cadre des négociations grâce au livre de l’historien américain Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN, op. cit. (n.42), p. 277 et suivantes.
                      [69]
                      Le Préfet Pierre Massenet a en effet écrit plusieurs lettres lors du procès des étudiants algériens en juin 1956, contestant le jugement. Le Préfet de Lyon entre 1957 et 1966 est Roger Ricard. Particulièrement actif sur le terrain, il fait intervenir les escadrons de la gendarmerie mobile, visite les « médinas » lyonnaises durant les rafles ou supervise de près ces dernières depuis le quartier général (Fort Montluc). Les médias n’hésitent pas à parler de « l’offensive menée par le Préfet M. Ricard contre le terrorisme et les menées subversives des mouvements clandestins » ou encore des « mesures spectaculaires prises par M. le Préfet Ricard pour enrayer le terrorisme » (Dernière heure Lyonnaise, 25 août 1957, p. 4 et 8 octobre 1957, p. 4).
                      [70]
                      Dernière Heure Lyonnaise, 22 octobre 1959, p. 4.
                      [71]
                      Ibidem, 20 octobre 1959, p. 3.
                      [72]
                      Ibidem, 12 janvier 1960, p. 4. À propos du procès du groupe de choc d’Abderrahmane Lakhlifi.
                      [73]
                      Sylvie Thénault, « La Justice dans la guerre d’Algérie », Thèse de doctorat de l’Université Paris X Nanterre, 1999, pp. 247-253. Lire également Sylvie Thénault, « Défendre les nationalistes algériens en lutte pour l’indépendance. La “défense de rupture” en question », Le Mouvement Social, n° 240, 2012/3, pp. 121-135.
                      [74]
                      AJM, Dossier Abderrahmane LAKHLIFI*. Orthographe respectée.
                      [75]
                      AJM, Dossier Miloud BOUGANDOURA*. Orthographe respectée.
                      [76]
                      C’est le cas lors du procès de Miloud Bougandoura. ADR, 437 W 79* – Contrôle des NA et répression des activités séparatistes algériennes, Rapports de police, Lyon, le 23 et le 24 février 1960.
                      [77]
                      Sylvie Thénault, « La Justice dans la guerre », op. cit. (n.74), p. 251.
                      [78]
                      AJM, Dossier Touir FEGHOUL*. Orthographe respectée.
                      [79]
                      AJM, Dossier Mohamed ACHOURI*.
                      [80]
                      Seules quelques lignes en rendent compte : Dernière Heure Lyonnaise, 23 novembre 1959, p. 3.
                      [81]
                      Moussa Lachtar, La Guillotine. Journal d’un condamné à mort, Paris, Éditions Maspero, 1962. C’est le « libraire-éditeur » Maspero qui décide de publier ce document politique au sein de sa collection « Libertés » dont l’objectif est de « donner la parole aux acteurs de l’histoire ». Voir Julien Hage, « Produire un écrit politique face à l’événement : l’exemple des éditions François Maspero durant la guerre d’Algérie », in Thomas Augais, Mireille Hilsum et Chantal Michel (dir.), Écrire et publier la guerre d’Algérie. De l’urgence aux résurgences, Paris, Éditions Kimé, 2011, pp. 24-27.
                      [82]
                      Son récit couvre une année de détention – il débute le 23 mai 1960 pour s’achever le 4 avril 1961 – et le plan déroule sa chronologie avec des éclairages thématiques. La première partie suit son voyage au bout de la nuit. Commencé avec le procès au TPFA, qui « siège à côté de l’échafaud », sous l’œil des journalistes et du public, il se poursuit avec l’arrivée dans la prison, puis dans le couloir de la mort et enfin dans la « cellule-tombe ». La deuxième partie alterne description méticuleuse de la vie quotidienne des détenus – organisation interne avec un délégué responsable de tous les condamnés à mort, luttes pour obtenir des droits, mise en place de cours – et récit des exécutions capitales, celles de Touir Feghoul, Tafer Boukhmis, Abderrahmane Lakhlifi, Miloud Bougandoura et Abdelkader Makhlouf.
                      [83]
                      Entretien personnel avec Moussa Lachtar, novembre 2012 (Algérie).
                      [84]
                      Moussa Lachtar, La Guillotine, op. cit. (n.82).
                      [85]
                      Le dossier d’instruction et les coupures de presse permettent d’en savoir plus sur l’action du groupe de choc. AJM – Dossier Moussa Lachtar*. Cette manière d’éluder l’action est à l’œuvre dans des récits autobiographiques plus tardifs. Par exemple : Mostepha Boudina, Rescapé de la guillotine, Rouiba, Anep, 2010.
                      [86]
                      ADR – TR 405 36 b* : Arrestations et condamnations de militants du FLN, plaintes pour tortures au cours d’interrogatoire par les policiers, instruction et contrôle de l’opinion, campagne pour la grâce d’un condamné à mort (1957-1960). Les citations qui suivent proviennent de la même boîte. Nous soulignons.
                      [87]
                      Sur quarante-six noms, on relève douze avocats (26?%), onze professeurs (24?%), huit membres d’associations (17?%), puis cinq personnalités politiques, quatre médecins, quatre artistes, un représentant d’Église, un membre de syndicat.
                      [88]
                      Par exemple le Comité de liaison de la Résistance lyonnaise, le Comité départemental de l’ANACR (ex FTP), l’Association des Combattants Prisonniers de guerre du Rhône.
                      [89]
                      Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN, op. cit. (n.42), pp. 10-11.
                      [90]
                      De nombreuses personnalités françaises, parmi lesquelles on relève les noms de Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Claude Roy, ont envoyé un télégramme à Khrouchtchev, à la Reine Elisabeth, au roi Mohamed V entre autres.
                      [91]
                      Dernière Heure Lyonnaise, 6 avril 1960, p. 4.
                      [92]
                      Ibidem, 27 septembre 1959, p. 7.
                      [93]
                      Ibidem, 1er février 1961, p. 1 et 3 février 1961, dernière page.
                      [94]
                      Les sociologues mettent en relation les mouvements sociaux et le système politique – nous dirions le contexte – dans lequel ils s’inscrivent. Lire à ce sujet : Doug McAdam, John D. McCarthy, Mayer N. Zald, Comparative perspective on social movements. Political opportunities, mobilizing structures and cultural framings, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
                      [95]
                      Dernière Heure Lyonnaise, 2 mai 1958, p. 4.
                      [96]
                      Ibidem, 25 mai 1958, p. 4.
                      [97]
                      Ibidem, 11 juillet 1960, p. 4.
                      [98]
                      Ibidem, 1er janvier 1959, Dernière page.
                      [99]
                      ADR – TR 405 36 b* : Arrestations et condamnations de militants du FLN… Les citations qui suivent proviennent de la même boîte.
                      [100]
                      On pense ici à l’Affaire du Prado en septembre-octobre 1958.
                      [101]
                      Benjamin Stora, Les Immigrés algériens en France. Une histoire politique. 1912-1962, Paris, Hachette, 1992, pp. 216-217. Il reprend cette définition plus récemment : « 1961, les fantômes du 17 octobre », Le Nouvel-Observateur, janvier 2003. http ://www.grands-reporters.com/1961-Les-fantomes-du-17-octobre.html. Site consulté en novembre 2012.
                      [102]
                      Dans le livre de Moussa Lachtar, seules trois mentions à la religion peuvent être notées, à chaque reprise lors des exécutions, les condamnés devant faire leurs ablutions et prières. Par ailleurs, de nombreux témoins interrogés affirment être devenus pratiquants en 1962 ou bien plus tard dans la vie.
                      [103]
                      Les articles de presse le précisent parfois : Dernière Heure Lyonnaise, 24 février 1960, p. 5.
                      [104]
                      AML – 1025 WP 46 – Sépulture des ressortissants algériens : rapatriement des corps en Algérie, dossier d’exhumation, listes d’Algériens inhumés à Lyon de 1954 à 1960, correspondance officielle 1960-1970. Je remercie Anne-Catherine Marin, directrice des Archives municipales de Lyon, de m’avoir révélé cette information, et Patrick Longuet, pour son attentive relectu
                      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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