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Révolution culturelle au Maroc : le sens d'une transition démographique

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  • Révolution culturelle au Maroc : le sens d'une transition démographique

    Révolution culturelle au Maroc : le sens d'une transition démographique
    par Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Institut National d'Etudes Démographiques, Paris.
    Le Maroc est à la veille de récolter les bénéfices de la transition. Cette transition de la fécondité et l'entrée dans la modernité comportent néanmoins quelques « déstabilisations ».


    Les théories du développement dominantes ne parviennent pas à mettre au centre du processus de modernisation l'action spontanée, autonome des populations concernées. C'est pourtant ce qu'il faut faire si l'on veut comprendre l'ampleur des évolutions mentales qui transforment le monde : la hausse des taux d'alphabétisation et la chute des indices de fécondité, qui sont désormais des phénomènes universels.
    Les spécialistes du développement, post-marxistes ou libéraux, ont du mal à considérer l'acquisition de la lecture et de l'écriture, puis la baisse de la fécondité, comme résultant d'une volonté propre des familles et des individus qui composent les populations. Ils ont encore plus de mal à admettre que le désir de progrès est, dans une large mesure, indépendant de l'action consciente des élites. Pourtant, on observe bien souvent une diffusion de l'alphabétisation qui se moque de la structuration politique des nations. L'un des plus beaux exemples est de ce point de vue la France, où les cartes du dix-neuvième siècle révèlent une alphabétisation en provenance de l'est du pays. La capitale, Paris n'a pas été le point d'origine du processus (1). Même chose pour la fécondité qui commence à baisser en France vers 1760, à l'insu des autorités et à la grande horreur de l'Eglise catholique. Les deux grands éléments de la modernité mentale –alphabétisation, contrôle des naissances- ont échappé en France au contrôle politique. Il s'agit là d'une loi sans doute universelle.
    Ni l'alphabétisation ni le contrôle des naissances ne découlent simplement de l'évolution économique. En Europe, l'Allemagne fut le leader incontesté pour ce qui concerne l'alphabétisation, la France pour le contrôle des naissances. Mais c'est l'Angleterre qui réalisa la première des révolutions industrielles.
    Une autre faiblesse des modèles généraux qui appréhendent le phénomène du développement est de ne percevoir que son aspect positif. La hausse du taux d'alphabétisation est certes une condition nécessaire de la baisse de la fécondité et du décollage économique. Mais la révolution mentale qui l'accompagne est déstabilisatrice dans l'ordre culturel, social et politique. Une population qui apprend à lire et écrire, cela signifie des fils qui savent lire alors que leurs pères sont analphabètes, une rupture donc des relations d'autorité dans la famille. Une population qui adopte le contrôle des naissances, cela signifie une modification radicale de la vie sexuelle, un réaménagement substantiel du rapport entre hommes et femmes. Il est donc rare que cette phase ascendante de la vie des sociétés ne soit pas également l'occasion de bouleversements dans l'ordre social.
    La crise de transition vers la modernité frappe surtout, en ce moment à l'échelle mondiale, le monde musulman ; elle est à l'origine de ce que l'on appelle communément l'islamisme. Mais il faut comprendre que cette crise n'a pas de rapport intrinsèque avec la nature de l'Islam en tant que système religieux. Il y a quelques décennies la face noire du progrès se manifestait dans un pays comme le Cambodge, où la non-violence du bouddhisme n'a pas empêché le quasi-génocide Khmer rouge, ou au Pérou, où le catholicisme n'a pas fait obstacle à la férocité du mouvement « sentier lumineux ». La marche de l'alphabétisation est universelle et l'instabilité transitoire des systèmes culturels qu'elle entraîne ne l'est pas moins. La seule distribution des indices de fécondité dans le monde arabe et musulman révèle que celui-ci constitue la partie du monde qui subit de plein fouet le choc de la modernisation. C'est pour cela qu'il est le lieu d'une majorité des phénomènes d'anxiété religieuse ou idéologique, et de violence.

    Le concept de désorientation de transition, effet de l'alphabétisation et de la diffusion du contrôle des naissances, ne permet pas de saisir dans toutes leurs dimensions les crises idéologiques. Il serait absurde de prétendre que la révolution islamique iranienne, menée au nom de la valeur d'égalité qui est au cœur de l'islam, et le génocide rwandais, dominé par une problématique raciale et inégalitaire, relèvent d'une même catégorie idéologique. Si l'on veut comprendre la forme prise par la crise de transition, il faut aller au plus profond des systèmes culturels pour trouver, dans l'anthropologie des systèmes familiaux, les valeurs qui structurent l'idéologie et la religion.

    La famille arabe et la transition

    La modernisation déstabilise des populations traditionnelles dont la structuration par les valeurs familiales suivait des modèles très divers.
    Le système français était déjà, dans son état préurbain et préindustriel, d'allure moderne, prônant la liberté d'établissement des enfants et une relative égalité des garçons et des filles devant l'héritage. La transition vers la modernité ne supposait, par conséquent, qu'un ajustement minimal. Le système russe était beaucoup plus fortement négateur de l'individu, qu'il insérait dans une famille complexe, tenu par des relations d'autorité puissantes. Cet individu intégré ne considérait d'ailleurs pas sa situation comme merveilleuse : les descriptions de la paysannerie russe évoquent une rage sourde contre le père et contre l'oppression familiale. Aussi la modernisation a-t-elle entraîné une désintégration de la famille communautaire, dont l'autoritarisme et le principe de prédominance masculine s'accommodent mal de l'émancipation des jeunes par l'alphabétisation. La diffusion du contrôle des naissances achève la mise à bas du principe de prédominance masculine. Ce basculement permet d'expliquer la forme et la violence de la révolution russe, dans la phase de prise du pouvoir comme dans celle de la collectivisation stalinienne.

    Le système arabe et iranien est encore plus englobant, on serait tenté de dire sécurisant, que le système russe, parce que, s'il est pleinement réalisé, il ajoute au maintien des fils dans leur famille d'origine celui des filles. En prônant l'union entre les enfants de deux frères, ou éventuellement d'un frère et d'une soeur ou de deux sœurs, le mariage endogame permet le repli du groupe familial sur lui-même. Il est clair que le système familial arabe et iranien, si décrié en Europe ou aux Etats-Unis pour cause de statut de la femme, est cependant vécu comme moins pénible que le système russe -et peut-être même pas pénible du tout- par les populations concernées. Le repli endogame supprime la violence explicite d'un système de type russe (ou chinois), qui traite les femmes comme des objets, échangées entre les familles comme des paquets. Il est protecteur pour les femmes, en un sens très concret, puisque le monde musulman ignore, à la différence de bien des systèmes communautaires exogames, l'infanticide des bébés de sexe féminin, répandu en Chine ou en Inde. Les monographies sur la famille arabe ne mettent pas en évidence cette rage contre leur propre système familial qui caractérisait les paysans russes. Il est vrai que le rôle du père, en principe capital dans le système arabe, est en pratique très diminué par la règle de mariage qui confie à la coutume le choix du conjoint et qui prive donc en pratique le père du droit de décider qui son fils ou sa fille va épouser. Le système communautaire endogame est dans une certaine mesure autorégulé. Il apparaît bien souvent que la relation fondamentale n'y est pas celle qui soumet le fils à l'autorité du père mais celle qui associe solidairement les frères.

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    Je fais plein de fautes d'ortoghraphes : soyez indulgeants
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