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Benjamin Stora: « L’Algérie est une société du refus »

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  • Benjamin Stora: « L’Algérie est une société du refus »

    Entretien Le Hirak, le mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis onze mois, a profondément changé la société algérienne estime l’historien Benjamin Stora qui publie « Retours d’histoire, l’Algérie après Bouteflika » (1).

    Recueilli par Marie Verdier, le 30/01/2020


    La Croix : le Hirak, le mouvement de contestation en Algérie, peut-il être qualifié de révolution ?


    Benjamin Stora : Le Hirak constitue un moment de rupture. Pour la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie, un président en exercice est contraint de quitter le pouvoir par un mouvement populaire. Des personnages clés du système, deux anciens premiers ministres, des oligarques et surtout les chefs des services de sécurité, le général Médiène dit Toufik et Athmane Tartag son successeur, ont été arrêtés et incarcérés.


    Il était inimaginable, au vu de leur prestige et de la peur qu’ils inspiraient, que de tels puissants personnages finissent un jour derrière les barreaux. Toufik était si craint qu’on ne prononçait même pas son nom. Et pourtant tout ce système s’est effondré très vite à la grande surprise des manifestants.

    Comment l’expliquer ?

    B. S. : La France pose un regard d’immobilisme absolu sur l’Algérie. De sorte que lorsque la révolution éclate le 22 février on n’y croit pas. Combien l’ont jugée impossible, y ont vu un complot ou une manœuvre de l’appareil d’État ?

    Or le mouvement était d’une extraordinaire profondeur, nourri par un mouvement social, chronique, depuis des années. Pour paraphraser la situation française, il y a eu convergence des luttes. Des millions de personnes sont sorties dans la rue, et continuent à le faire, et le président a été chassé. Si cela ne s’appelle pas une révolution, alors comment l’appeler même si le centre du pouvoir, l’armée, peut paraître identique ?

    Vous soulignez la tradition révolutionnaire de l’Algérie…

    B. S. : La révolution française, la révolution kémaliste, la révolution nassérienne constituent la matrice idéologique de l’Algérie. Les leaders politiques ont baigné dans un imaginaire révolutionnaire. Depuis l’indépendance, et même avant, l’histoire du pays est une succession de soulèvements, de répressions sauvages, de manifestations, de radicalités. La conquête coloniale française a été une guerre de trente ans de 1832 à 1871 avec des résistances ininterrompues ! En 1916 encore, la révolte des Aurès a été réprimée dans le sang. Non le pays n’était pas pacifié comme le croient tant de Français. L’Algérie est une société du refus.

    Les Algériens n’ont pas connu l’état de droit, ni à l’époque coloniale, ni après l’indépendance. Cette conquête de l’état de droit, ancienne, ne peut exister que par des démarches de rupture. D’où cette radicalité de la société que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Mais la médaille a un revers : comment, dans cette culture révolutionnaire, installer une stabilité politique démocratique, comment accepter la pluralité ? Dès que quelqu’un manifeste un désaccord, il est qualifié de traitre, il est mis à l’index.

    Onze mois après son déclenchement, le Hirak est-il un échec ou une réussite ?

    B. S. : En l’espace d’un an de combat politique, ce mouvement n’a pas pu désigner de représentants ni se structurer pour apparaître comme un contre-pouvoir crédible. Pourtant c’est une réussite si l’on mesure combien il a bouleversé la société. Face à l’extrême opacité du pouvoir, le Hirak est une demande de transparence, une volonté de déchirer le rideau pour mettre à nu les réels acteurs du théâtre politique cachés derrière. La peur a disparu. La liberté de parole existe. L’armée n’a pas tiré sur la foule. Après des années d’humiliation, affublés d’un président invisible représenté par un portrait auquel on offrait des cadeaux, les Algériens ont renoué avec la fierté d’être algérien. Un seuil a été franchi sur lequel il sera très difficile de revenir en arrière.

    Vous évoquez néanmoins une unanimité de façade pour le « dégagisme » qui cache de profondes fractures au sein de la société algérienne…

    B. S. : Parmi les nombreuses fractures, deux me semblent déterminantes. Tout d’abord la hantise de la « congolisation », cette peur très forte de la partition de cet immense pays. Ce n’est pas un hasard si les Algériens arborent le drapeau national dans leurs manifestations, comme le ciment qui leur permet de se sentir ensemble, pour braver la peur de la dislocation du pays. Les tentations de séparatisme, de régionalisme perdurent car, il n’y a jamais eu de volonté de définir, sur la base d’une nation centralisée, le respect des minorités. Cette demande de pluralité toujours refusée s’exprime dans la révolution. Pourquoi celui qui brandit l’emblème amazigh irait-il en prison s’il revendique son « algérianité » ?



    Ensuite l’énorme fracture sociale, le chômage endémique. Les jeunes si nombreux - plus de la moitié de la population a moins de 30 ans - se sentent mis à l’écart de la société. Alors qu’une classe sociale supérieure s’est fortement enrichie avec les hydrocarbures et la corruption sans se soucier de développer l’économie.

    Les trois nouveaux dirigeants, le président Tebboune, le premier ministre Djerad et le chef d’état-major Chengriha ne sont-ils pas des hommes du système peu prometteurs de changement ?

    B. S. : On ne peut pas se lancer dans le jeu des pronostics. À l’intérieur du sérail, de l’armée, il y a aussi des tensions. Bien malin celui qui pourrait dire ce sont toujours les mêmes hommes, rien n’a changé. Il y a un an, on était persuadé que tout continuerait à l’identique. Mais il est vrai que, si aucun contre-pouvoir s’organise, le risque de déboucher sur un système à l’égyptienne, avec une armée pleinement aux commandes, arguant de la menace aux frontières avec la Libye, le Mali et le Niger, ne peut être exclu.

  • #2
    Stora

    Rien a dire, ce type et d'une lucidité impeccable et il schématise très bien et très justement la situation algérienne. Il m'étonne toujours par sa pertinence et sa compréhension de la complexité algérienne.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    • #3
      ....Un seuil a été franchi sur lequel il sera très difficile de revenir en arrière.
      en avant toute , pas de marche arrière
      "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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      • #4
        Rien a dire, ce type et d'une lucidité impeccable et il schématise très bien et très justement la situation algérienne. Il m'étonne toujours par sa pertinence et sa compréhension de la complexité algérienne.
        En effet !
        Un des rarissimes Français qui vise juste en parlant d'Algérie !...

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        • #5
          @Bachi

          Peut-être est-ce du au fait qu'il soit aussi algérien dans une certaine mesure. Mais il est très objectif et très intelligent aussi.
          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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          • #6
            il a quitté l'Algérie depuis plus d'un demi siècle.
            oui, c'est la grande objectivité de l'historien qu'il est qui fait son intelligence.

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            • #7
              @Bachi

              En fait, par "algérien" je n'entendais pas une quelconque dimension sentimentale ou d'attachement, mais ca permet probablement une meilleure compréhension de certains aspects psychologiques ou symboliques qui ne sont pas forcément captés par des européens. C'est un plus si tu veux, mais l'essentiel reste effectivement sont approche très objective du sujet et son intelligence indéniable.
              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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              • #8
                Une grande partie de sa carrière professionnelle c'est sur le thème Algérie France. Il a écrit un tas de livres à ce sujet. C'est un grand connaisseur, historien, analyste, très bien placé pour commenter.
                Très difficile, sujet trop sensible, il a toujours su trouver le bon équilibre avec son lectorat français et algérien. Il essaie d'être très neutre et le pouvoir algérien ne peut rien lui reprocher, tout comme les pieds noirs.
                Il suffit de voir la grande hésitation peur de ne pas obtenir de visa qu'ont de nombreux journalistes ou médias lourds français.


                Je connaissais pas l'expression "la hantise de la congolisation".

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                • #9
                  IL se trompe en déclarant que le système s'est effondré. IL veut nous persuader qu'il y a un changement . IL ne fait pas allusion à la répression du régime qui s'abat sur les militants , le rôle de l'armée dans l'organisation forcée des élections... On voit bien qu'il ne veut pas s'attirer les foudres du pouvoir algérien

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                  • #10
                    Stora poursuit un objectif précis.
                    Coécrire l'histoire du mouvement national
                    Je trouve certains messages un brin naïfs

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                    • #11
                      @Tiregwa

                      C'est bien son job. Il est historien. L'utile serait de discuter les faits et les dires de la personne, non les supposées intentions et de taxer au passage le reste de la plèbe de naïveté, fut-ce par brins.
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                      • #12
                        Bsr Bachi

                        il a quitté l'Algérie depuis plus d'un demi siècle.
                        Ses séjours en Algérie, et à Constantine, où il compte de nombreux amis dans le milieux universitaire sont innombrables. J'ai assisté l'année dernière à la présentation de son dernier livre qui retrace son parcours personnel. Par ses réponses durant le débat, on aurait dit qu'il n'avait jamais quitté ce pays, tant il en parle avec beaucoup d'objectivité et de perspicacité.

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                        • #13
                          @Jawzia

                          Affirmatif. C'est un auteur qui décrit les choses algériennes avec une connaissance de loin supérieure a ce que j'ai pu lire de beaucoup d'autres auteurs qui ne lui sont pas forcément inférieurs dans l'absolu. On sent une connaissance plus "intime" du sujet, sans que ca soit passionnel.
                          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                          • #14
                            Harrachi78

                            Je suis moins spécialiste que toi. Je sais que Gilbert Meynier était apprécié en Algérie officielle car il était franchement anti colonialiste. On peut reprocher à Stora une apparente neutralité, une proximité idéologique avec le PS ce qui fait que son discours sur les pieds noirs est légèrement orienté qt aux juifs de constantine, il fait preuve d'une bienveillance particulière.

                            Bref, il est très ferhat abbas ce qui donne déjà pas mal d'indications.

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                            • #15
                              @Titegwa

                              En fait, je suis pas plus "specialiste" que quiconque ici, mais je n'arrête certainement pas mon appréciation sur les penchants politiques -réels ou supposés- de tel ou untel. J'ai beaucoup lu de B. Stora et je l'ai entendu tenir conférence une ou deux fois et j'ai toujours trouvé son propos objectif, assez bien argumenté et presque toujours perspicace et plutôt juste, y compris sur les points ou je ne suis pas totalement convaincu.

                              Qu'il soit "très Ferhat Abbas" comme tu dis (formule qui reste a expliquer d'ailleurs) ne me parait pas spécialement détestable. L'homme est une grande figure du mouvement national algérien et il avait des postures très intéressantes au deumeurant. Sinon, l'histoire reste une discipline de sciences humaines et tout historien, quel qu'il soit, reste un être humain aussi.
                              "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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