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Enlèvement du poste d’El Horane il y a 62 ans, le 4 février 1958

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  • Enlèvement du poste d’El Horane il y a 62 ans, le 4 février 1958

    ABDELMADJID AZZI 09 FÉVRIER 2020

    L’histoire contemporaine de notre pays, notamment celle non encore écrite de la lutte de Libération nationale, est jalonnée d’exploits héroïques voués malheureusement à l’oubli, car inconnus par manque de médiatisation et surtout de vulgarisation. Toutes ces prouesses aussi fantastiques les unes que les autres, intervenues partout à travers le territoire national, ont permis à l’ALN, non seulement d’infliger des pertes considérables à l’ennemi, mais aussi de s’approvisionner en armes et en munitions chez l’ennemi même.

    C’est pourquoi nous devons, pour ceux dont la mémoire reste encore intacte, les immortaliser en léguant aux générations futures ce glorieux et inestimable héritage, acquis grâce à l’abnégation et aux sacrifices consentis par nos vaillants combattants, aidés et soutenus en cela par une population totalement acquise, pour accomplir l’idéal de justice, de liberté et d’indépendance.

    Parmi ces grands faits d’armes, une opération, dont les gens ont vaguement entendu parler, visant l’enlèvement d’un poste militaire qui a eu lieu le 4 février 1958. Il s’agit du Poste de commandement (PC) du 2e Escadron, 8e Régiment des spahis, qui a installé ses bases à El Horane, dans les anciens locaux de la maison forestière. Situé près de la station thermale de Hammam Dalaâ, à 30 kilomètres au nord de M’sila, c’est le lieu d’approvisionnement des autres postes de la région.

    A cet égard, il renferme un grand entrepôt d’armes et d’équipements militaires. Doté de 6 véhicules blindés, chacun d’eux armé d’un canon, d’une mitrailleuse 12 /7 et d’une 30 américaine, il est défendu par 33 hommes, dont 2 gardes forestiers, sous le commandement du lieutenant Olivier Dubos, celui-là même qui, en s’en souvient, avait participé au massacre des habitants de Melouza, le 28 mai 1957.

    Il faut savoir que la préparation repose sur les contacts avec l’élément principal, en l’occurrence le sergent-chef Spahis Mohamed Zernouh(1) du 2e Escadron, originaire de Zaafrane, une localité proche de Djelfa qui fait partie du personnel du poste d’El Horane et qui a fait preuve d’un courage exceptionnel en faisant parvenir munitions et renseignements à l’ALN, avant de permettre à nos unités d’envahir et d’enlever le poste. Ces contacts sont menés, quelques mois auparavant, par le sergent-chef de renseignement, Smaïl Zemmouri, qui, le premier, a établi le contact avec lui, avant de tomber au champ d’honneur.

    Il est remplacé par le sergent-chef Abdelhafid Adouane qui a pris le relais. L’opération sera évidemment appuyée et soutenue par le sous-lieutenant Rabah Beldjerb, appelé communément «Rabah Theïri», chef de la région I, et ses adjoints, Naïmi Benaouf, et Boubekeur Messaoudi.

    A cet égard, un plan est établi dans le secret absolu par le chef de région Rabah Beldjerb, et son adjoint des renseignements et liaisons, l’aspirant Aïssa Hebid dit «Aïssa Blindé», avant de le soumettre à l’approbation du colonel Amirouche, lequel chargea le lieutenant Mustapha Nouri, adjoint politique de la zone II, de coordonner l’attaque et de définir l’itinéraire de repli à travers les régions II et III, et ce, jusqu’au PC de la wilaya, dans la forêt de l’Akfadou.

    La réalisation de ce plan d’attaque est entièrement confiée à la compagnie de région I, sous le commandement de l’aspirant Naïmi Benaouf, ce qui est parfaitement logique dès lors que l’action se déroule sur son territoire, renforcée en cela par les troupes d’élite de la troisième compagnie du Bataillon de Choc de la Wilaya, sous le commandement de l’aspirant Moh’Arezki Ouakouak, qui ira la rejoindre, avant la tombée de la nuit, aux abords du poste d’El Horane. Quant à la compagnie de la région II, elle restera en couverture à la limite de son secteur, à Béni Ouagag, lieu choisi pour le repli des attaquants, qu’ils doivent nécessairement rallier après cinq heures de marche forcée.

    L’aspirant Hamid Mezaï, en sa qualité de responsable sanitaire de la zone II, sera intégré au noyau de commandement. Il me confie l’installation d’un cordon sanitaire dans la forêt de Béni Ouagag, tandis qu’il sera sur les lieux de combat, de manière à donner les premiers soins aux blessés éventuels. La date de l’opération est finalement fixée au mardi 4 février 1958. Les djounoud, mis au courant juste avant de quitter Béni Ouagag, ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme en se déclarant prêts à en découdre avec les soldats du poste militaire.

    Le jour venu, le dispositif est mis en place comme suit : trois sections embusquées sur chacune les trois routes menant respectivement vers M’sila, Melouza et au Douar Dréat, avec pour mission d’intercepter les renforts éventuels. Le lieutenant Mustapha Nouri, le sous-lieutenant Rabah Beldjerb et l’aspirant Aïssa Hebid commandent chacune d’elles. Les autres sections sont scindées en quatre groupes avec mission d’attaquer et d’occuper les objectifs fixés à l’avance, en l’occurrence : le réfectoire et le dortoir, le parc où sont stationnés les six voitures blindées et l’arsenal. A cet égard, Naïmi Benaouf, Boubekeur Messaoudi, Moh’Arezki Ouakouak et Saïd Saoud dit «l’Autchkiss» sont chargés de les diriger.

    Pendant ce temps, afin de créer la diversion, le lieutenant Mohand Ourabah Chaïbi, chef du bataillon de choc, qui se trouve au village d’Ivehlal, au douar Aït M’likheche (Tazmalt) à la tête des deux autres compagnies du bataillon, s’apprête à dresser une embuscade aux goumiers du village de Taghalat, avant de l’annuler, très vite, en apprenant que le douar Aït M’likheche, niché sur le flanc sud du Djurdjura, sera la destination stratégique (deuxième étape) pour les attaquants du poste d’El Horane.

    L’assaut est donné dès la tombée de la nuit. Comme prévu, après avoir neutralisé les sentinelles, Mohamed Zernouh ouvre le portail métallique permettant ainsi aux djounoud de l’ALN d’entrer à l’intérieur du poste sans bruit, l’un derrière l’autre. Il donne ensuite des renseignements sur la position de tous les soldats français qui s’y trouvent : une partie des soldats est dans le dortoir et l’autre au réfectoire. C’est l’heure du dîner. Les quatre groupes de djounoud de l’ALN se déploient pour rejoindre les objectifs assignés à chacun d’eux.

    Le premier se dirige vers le dortoir pour neutraliser ses occupants, tandis que le second, ayant pris la direction de réfectoire, essuie des tirs, blessant mortellement Belkacem N’Charfa, après que Saïd Saoud, également blessé au bras, eut ouvert la porte d’un coup de pied en criant : «Haut les mains !», comme dans un film de westerns américain. Assiégés, les soldats se barricadent à l’intérieur du réfectoire.

    Pour éviter de perdre du temps, et en attendant la reddition des assiégés, les deux autres groupes prennent possession des différents points du site, à savoir l’arsenal et le parc où se trouvent les véhicules blindées. Ils s’emparent alors de 2 mortiers l’un de calibre 80 et l’autre de 60, 6 mitrailleurs calibre 12/7 et six mitrailleuses calibre 30, installées sur les voitures blindées, 3 fusils mitrailleurs et un poste émetteur.

    Le fabuleux butin comptait aussi des fusils américains «garant», des mitraillettes Mat 49, des pistolets Mac 50, des obus de mortier et des dizaines de caisses de munitions, de grenades et de mines antipersonnel. Dehors, une cinquantaine de mulets attendent, prêts pour le chargement du butin. Chaque mulet est accompagné par son propriétaire (des civils de la région mobilisés pour la circonstance). A tour de rôle, ils chargent une quantité d’armes et de munitions. Au bout d’une heure, ils sont tous chargés et prêts à partir.

    L’ordre de départ est donné en direction de la base de repli, dans la forêt de Béni Ouagag, qu’ils vont atteindre à l’aube. Les autres djounoud restent sur place pour négocier la reddition des soldats du réfectoire. A l’issue de laborieux pourparlers, menés adroitement en brandissant la menace de les brûler vifs en aspergeant de mazout le réfectoire, les assiégés finirent enfin par se rendre et sortir, l’un derrière l’autre, les mains sur la tête. Le bilan est de : 31 spahis mis hors de combat, dont 17 prisonniers, parmi eux le chef de poste, le lieutenant Olivier Dubos. Un garde forestier algérien vient s’ajouter aux prisonniers.

    Avant de quitter les lieux et disparaître dans l’obscurité, Mohamed Zernouh s’emploie à détruire le canon de calibre 75, qui trône au milieu de poste, en glissant dans son fût, cône en avant, un obus, tandis que la deuxième équipe met le feu aux locaux, aux fûts de carburant et aux véhicules blindés, transformés en un immense brasier, dont la lueur est visible depuis la ville de M’sila. Vers minuit, un avion est venu planer au-dessus du poste en flammes.

    Entre-temps, le convoi s’éloigne rapidement, les mulets devant et le reste derrière. Il arrive à Béni Ouagag avec le lever du jour. A ce moment précis, un avion de reconnaissance survole la région à la recherche de traces éventuelles. C’est un succès : nous avons compté un seul martyr et un seul blessé. Au refuge de la forêt de Béni Ouagag, les djounoud ayant mené l’opération sont mis au repos, pendant que la compagnie de la région I assure la garde et tient à l’œil les prisonniers qui, eux aussi, sont très fatigués après six heures de marche forcée. Plus tard, nous avons appris par la presse locale que le deuxième garde forestier a réussi à s’échapper en se dissimulant dans le conduit de la cheminée.

    En fin de journée, vers quatre heures de l’après-midi, nous quittons la forêt de Béni Ouagag, pendant que les avions survolent la région. Nous sommes escortés par la compagnie du bataillon de choc, tandis que les compagnies des régions I et II rejoignent leurs bases respectives. Nous marchons toute la nuit. Au petit matin, nous traversons l’immense oliveraie de la plaine de Tazmalt, avant d’arriver au douar Aït M’likeche où nous nous joignons aux deux autres compagnies du bataillon de la Wilaya.

    Nous reprenons le chemin à la faveur de la nuit, sous une bonne escorte, celle du prestigieux bataillon de choc au complet et de son chef, le lieutenant Chaïbi Mohand Ourabah, jusqu’au douar Ighram, situé non loin d’Akbou et où nous séjournons pendant deux jours. Cette halte prolongée est mise à profit pour montrer nos prisonniers à la population de plusieurs villages du douar. C’était la manière la plus efficace pour démentir la propagande de l’ennemi. Les locataires de la caserne d’Akbou, où est stationné le régiment d’infanterie de marine, sont sûrement mis au courant de notre présence par des informateurs, mais ils savent aussi fort bien que nous disposons d’armement de qualité et d’une unité d’élite.

    Au bout de ces deux jours de repos, nous avons pris la direction d’Ouzellaguen, avant de gagner la forêt d’Akfadou où nous attend le colonel Amirouche. A chacune de nos étapes, des mulets sont soulagés et leurs chargements confiés au chef du village afin de les entreposer dans des caches. Les propriétaires et leurs bêtes reprennent alors le chemin du retour, heureux et fiers d’avoir rempli leur mission. La stratégie mise en œuvre pour suivre cet itinéraire a été payante à plus d’un titre. En effet, nous avons réussi, tout au long de notre repli, à brouiller les pistes suivies par l’armée française.

    Celle-ci s’est donc trouvée dans l’incapacité de connaître la direction exacte prise par nos djounoud depuis le départ du poste d’El Horane, en ayant sans doute jugé improbable, pour un convoi aussi lourd, de parcourir une telle distance et d’arriver avant l’aube, ignorant, selon toute vraisemblance, l’utilisation des mulets. Le choix du chemin le plus long a donc été décisif. Il faut dire aussi que là où nous sommes passés, il y a une organisation qui veille au grain. Les civils font sortir leurs chèvres pour effacer les traces de pas que nous laissons derrière nous.

    Nous sommes reçus par le colonel Amirouche, visiblement heureux par ce coup terrible porté à l’ennemi. Il faut reconnaître que l’enlèvement du poste militaire d’El Horane est, sans conteste, l’une des actions les plus spectaculaires réussies par l’ALN. Aujourd’hui, nous sommes persuadés que ce haut fait d’armes, réalisé par les combattants de la zone II, de la Wilaya III, marquera les mémoires pour la postérité. Mais qui s’en souvient aujourd’hui en dehors de quelques vieux habitants de la région qui ont vu ce qui s’était passé ?

    Qui le commémore ? Qui parle de cet acte héroïque qui a marqué nos esprits ? Aucune stèle n’est érigée pour l’immortaliser, aucun hommage officiel n’a été rendu aux acteurs, notamment le fils de Zaafrane, Zernouh Mohamed, qui fut l’auteur principal. Le lieutenant Mohamed Zernouh est tombé héroïquement au champ d’honneur à l’âge de 46 ans, en avril 1960, au milieu de ses djounoud, lors d’une bataille près d’El Kseur, après son retour des Aurès, où le bataillons de choc de la Wilaya III qu’il dirigeait a combattu pendant une année.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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