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Temps forts, conflits et avancées d'une année de hirak par Abed Charef

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  • Temps forts, conflits et avancées d'une année de hirak par Abed Charef

    Une année de contestation populaire a profondément transformé l'Algérie, mais le processus de changement n'est pas encore achevé. Il se poursuit.

    C'est une construction perma nente, qui connait des coups d'accélérateur à certains moments, des moments de doutes à d'autres, mais le pays a évolué dans la bonne direction.

    Retour sur ce qui s'est passé, à travers les principales séquences, pour mieux apprécier la situation, lever des malentendus s'il y en a, et revenir sur des moments de divergences concernant le hirak, sa nature, ses ambitions et son contenu.

    1. Il faut d'abord revenir sur l'avant 22 février, rappeler où on en était : un pouvoir arrogant, corrompu (on mesure mieux le degré de corruption aujourd'hui), voulait imposer un humiliant cinquième mandat du président Bouteflika, après un quatrième mandat absurde. Une bonne partie de la classe politique et des responsables institutionnels était partie prenante du projet, y compris l'armée, représentée par son chef d'état-major, le général Gaïd Salah.

    2. Le 22 février a constitué un sursaut contre le pouvoir, mais aussi contre le système politique et l'opposition traditionnelle, incapable de faire face à la situation. Il faut rappeler que partis et associations avaient appelé le peuple à manifester, mais que le peuple ne les a pas suivis. Il est sorti pour lui-même.

    3. Le hirak a libéré les Algériens, la société, il a aussi libéré l'armée. Le peuple d'abord. Les Algériens ont rétabli leur dignité, ils ont exprimé leur aspiration à la liberté, en disant que le système en place devait disparaitre. Ils ont découvert qu'ils pouvaient faire de la politique, de manière pacifique, organisée, en respectant les différences d'opinion. Le peuple a redécouvert sa propre force.

    4. L'armée ensuite. Celle-ci était jusque-là au cœur de la décision, et sa responsabilité était pleinement engagée dans la dérive alors en cours.

    Le hirak a permis à l'armée de reprendre sa lucidité, et de mesurer l'ampleur de la dérive. L'armée a fait son mea-culpa, elle a pris le pouvoir de fait, et s'est engagée à rétablir la situation à travers un nouveau deal qu'elle proposait au peuple.

    Ce deal était basé sur quatre idées fortes :

    a. La crise sera résolue sans le président Bouteflika. Fin du 4ème mandat (article 102), et abandon de fait de l'idée du 5ème mandat ;

    b. La solution sera recherchée à travers les articles 7 et 8 de la constitution. Le premier énonce que la souveraineté appartient au peuple, le second que le peuple exerce cette souveraineté dans le cadre des institutions. Ce choix sera décisif pour la suite des évènements.

    c. Pour appuyer ses engagements, l'armée s'engage à accompagner la contestation populaire, à ce que pas une goutte de sang ne soit versée.

    d. Elle promet de favoriser une grande opération de lutte contre la corruption.

    5. Les choses s'accélèrent ensuite. Tout semble possible. Après un mois de mars euphorique, le hirak remporte ses premières grandes victoires, avec la démission du président Bouteflika fêtées par les grandes mobilisations des mois d'avril et mai.

    6. L'armée commence à remplir ce qu'elle estime sa part du contrat. Elle se débarrasse de ses branches pourries, avec la mise à l'écart d'une dizaine de généraux, mis à l'écart ou traduits en justice. Elle élimine les principaux acteurs politiques de l'ère Bouteflika, et neutralise leurs réseaux financiers.

    7. Le hirak répond de manière ambigüe. La rue salue l'élimination ou la mise en détention des barons de l'ère Bouteflika, mais les animateurs du hirak interprètent cela comme le résultat d'une simple lutte de clans, estimant que la justice est utilisée pour assurer la victoire d'un clan sur un autre.

    8. C'est là qu'apparaissent les premières grandes divergences. L'élimination d'un clan est réelle, mais de mon point de vue, ce n'est pas un autre clan, celui de Gaïd Salah, qui a gagné, mais l'Algérie. L'armée n'a pas agi pour appuyer un clan ; elle s'est libérée des anciennes contraintes, elle a fait un constat lucide de la situation, et elle a tenté de trouver des voies de sortie positives pour le pays, en préservant l'Etat.

    9. Les voix les plus entendues au sein du hirak ont répondu : justice du téléphone, transition, constituante. Ces voix remettaient en cause l'action d'une justice qui a tout de même éliminé de gigantesques réseaux de prédation, et voulaient imposer au nouveau pouvoir une négociation hors constitution.

    10. Les anciens réseaux de pouvoir, sonnés par le coup d'Etat de fait qui venait d'avoir lieu, n'ont pas eu le temps d'empêcher le fait accompli. Mais au bout de quelques mois, ils ont tenté de riposter. Leur action s'est fixée sur deux idées centrales : discréditer le général Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée, et discréditer la « justice du téléphone », à travers celui qui allait en devenir le symbole, le ministre de la justice Belkacem Zeghmati.

    11. Les partis traditionnels et la « société civile » se sont eux aussi réveillés. Pour eux, le constat était simple : leur existence était menacée. Ils constituaient le produit de l'échec, et le peuple a décidé d'agir sans eux. Dans un premier temps, ces partis ont tenté d'enfourcher le hirak, mais ça n'a pas marché. Ils ont fait le dos rond, avant de tenter de reprendre progressivement la main, en infiltrant le hirak, en lui imposant leurs mots d'ordre, leurs slogans et leurs feuilles de route. Et c'est ainsi que le hirak s'est retrouvé doté d'un programme prévoyant une transition, avec un processus constituant, et des partenaires autoproclamés chargés de négocier avec le pouvoir.

    12. A partir de ce moment, une alliance de fait a été établie sur le terrain entre les anciens réseaux de pouvoir, qui tentaient de sauver ce qui pouvait l'être, et les anciens appareils politiques menacés de disparition. Ils ont mené un tir groupé d'une rare intensité contre le général Gaïd Salah, jusqu'à sa mort.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    13. Or, de mon point de vue, la priorité, à ce moment-là, était de démanteler les anciens réseaux de pouvoir et de s'assurer que leur chute était irréversible. Au printemps-été 2019, ce n'était pas encore acquis. Le point de non-retour n'avait pas encore été atteint. Un retournement de situation était encore possible. Rêver d'une démocratie clés en main sans tenir compte du poids des réalités du pays relevait de l'illusion, voire de la complicité. Vu sous cet angle, l'appui de l'armée au hirak était le bienvenu. Le général Gaïd Salah était le chef de cette armée. Malgré sa participation importante au pouvoir durant l'ère Bouteflika, il constituait un mal nécessaire sur lequel pouvait s'appuyer le hirak pour pouvoir éliminer les barons de l'ère Bouteflika et de leurs réseaux.

    14. Aujourd'hui, le point de non-retour a été franchi. Le pays peut tourner la page. L'ordre des priorités, la manière d'envisager les choses peuvent changer. La menace n'est plus le retour de l'ancien pouvoir, la menace, c'est désormais l'incapacité du nouveau pouvoir à apporter les solutions adéquates aux problèmes du pays.

    15. Ce qui s'est passé durant le second semestre 2019 est, à un degré ou un autre,le résultat de ces divergences de mai-juin portant sur un choix entre l'article 8, ou une période de transition. Le nombre de manifestants a fortement diminué, pour de multiples raisons, ce qui a facilité la mainmise de multiples réseaux sur les slogans, les mots d'ordre, du hirak et même de lui imposer des projets politiques.

    Le nouveau pouvoir considérait qu'une partie des activistes travaillait en fait pour les réseaux qu'il combattait. Arrestations, incidents, dénonciation se sont succédés, jusqu'à ce que la libération des détenus devienne à un moment le premier objectif du hirak, occultant celui de changement du système.

    16. Dans ce décor, l'armée ne voulait visiblement pas achever l'année sans organiser une élection présidentielle, de peur d'être accusée de vouloir garder le pouvoir. Le choix ainsi annoncé d'une présidentielle le 12 décembre a davantage cristallisé les crispations. D'un côté, un pouvoir qui voulait à tout prix aller à la présidentielle, et qui en a bâclé les préparatifs. Il a fait ce qu'il sait faire : verrouiller les médias, restreindre l'activité politique, etc. De l'autre, un hirak qui s'est lourdement trompé, en surestimant ses propres capacités et en pensant qu'il était en mesure d'empêcher la présidentielle.

    17. Dans le forcing tenté pour empêcher la présidentielle, les réseaux de l'ancien pouvoir ont joué un rôle essentiel pour manipuler une partie du hirak, la plus visible. Pour les barons de l'ancien pouvoir, la présidentielle constituerait une condamnation définitive. Si l'élection se déroulait dans des conditions acceptables, leur sort était scellé. A l'inverse, des incidents importants pouvaient, de leur point de vue, faire annuler la présidentielle et provoquer un départ de Gaïd Salah, ou un revirement de l'état-major, ce qui pouvait leur offrir une porte de sortie.

    18. Le résultat de la présidentielle a été mitigé. La présidentielle a eu lieu sans incident majeur. Mais le vainqueur est un ancien ministre de Bouteflika, jouissant d'une légitimité entachée, après une participation faible, presque nulle en Kabylie.Quatre des cinq concurrents avaient été ministre de Bouteflika.

    19. La mort du général Gaïd Salah a provoqué un nouveau basculement psychologique. L'image du vieux militaire qui a mené à bien une dernière mission, la sauvegarde de l'Etat, avant de succomber, s'est ancrée chez une partie de l'opinion. Pour la première fois depuis des mois, les partisans de Gaïd Salah pouvaient se manifester publiquement et défendre un choix politique, alors que ses opposants étaient acculés à la défensive. Mais le pays entamait la nouvelle année dans une nouvelle configuration politique.

    20. Le nouveau président hérite d'un pays en lambeaux. Pendant des années, les institutions n'ont pas fonctionné. Le pays était géré hors des règles du droit. Des réseaux occultes se sont accaparés pouvoir et argent. Au fil des révélations, on a pu mesurer l'ampleur des dégâts économiques et financiers. L'administration centrale et intermédiaire a été minée par la corruption, les passe-droits, les détournements. Il est difficile d'entrer dans un ministère et de savoir qui était partie prenante des anciens réseaux, qui s'est juste laissé tenter, qui a résisté. Tout est à reconstruire, dans un environnement difficile.

    21. Le nouveau pouvoir a tracé un cap. Ce qui est dit sur le terrain des libertés est séduisant. Il reste à le traduire en lois, en décisions, en comportements et en actes de gestion.

    Sur le terrain de la lutte contre la corruption, l'action engagée est forte, probablement la plus convaincante. Elle doit cependant être complétée par des dispositifs et des mécanismes pour éviter que ça ne se répète. Le pays a vécu l'affaire Khalifa, celle de l'autoroute est-ouest, l'affaire Chakib Khelil et Sonatrach 1 et 2, mais n'en a pas tiré les leçons. Mettre en place des mécanismes qui réduisent la corruption et interdisent l'impunité pour les auteurs d'actes de corruption est aussi important que de juger des corrompus.

    22. Sur le plan économique, c'est plus compliqué. Le discours tenu par le président Tebboune relève d'une gestion à l'ancienne, différent de celui du porte-parole du gouvernement, plus moderne, alors que le ministre des finances est sans épaisseur, et le ministre de l'industrie ambigu. Le président Tebboune doit mieux définir le cap, préciser les séquences, fixer les priorités, et inclure progressivement davantage d'acteurs. Il doit surtout abandonner cette idée qu'en contrôlant tout, il fera avancer les choses. Il est préférable de créer les instruments nécessaires pour une bonne gouvernance, et de leur déléguer des pouvoirs de plus en plus en étendus, tout en créant des contre-pouvoirs institutionnels crédibles et efficaces.

    23. Le gouvernement a raison de ne pas tomber dans la séduction, et d'éviter le recours à la communication juste pour séduire. Se donner une matrice politique est primordial. A partir de là, définir les grandes lignes de l'action politique et économique, et inclure les partenaires crédibles pour débattre et concrétiser le projet.

    24. Sur un autre terrain, le pays a atteint un point de non-retour. Un retour au pouvoir des anciens réseaux Bouteflika semble aujourd'hui exclu, comme on l'a dit plus haut. Cela permet d'envisager l'avenir avec moins de tension, plus de sérénité. C'est valable aussi bien pour le hirak que pour le pouvoir.

    25. Le hirak doit se définir dans la nouvelle configuration politique. Il peut refuser de reconnaitre le pouvoir en place, nier sa légitimité, le considérer comme illégal, refuser de de composer avec lui et donc de négocier avec lui. C'est une attitude partagée par certains courants « purs et durs », qui se revendiquent d'un radicalisme absolu.

    Je ne partage pas cette démarche. J'appartiens à un courant qui considère que la préservation del'Etat national est une priorité absolue, un point de vue que partage Lakhdar Bouragaa et le ministre de la communication Ammar Belhimeur. C'était également dans l'esprit des positions adoptées par Hocine Aït-Ahmed et Abdelhamid Mehri depuis janvier 1992.

    26. Je participerai donc à la marche de vendredi prochain. Tout en me posant les questions qui s'imposent : pourquoi on continue de marcher ?

    27. Je continue de marcher parce qu'une partie des revendications du peuple a été obtenue, mais pas toutes les revendications. Je mesure que ce qui reste à faire relève d'une construction longue, patiente, qu'une justice indépendante ne se décide pas du jour au lendemain, que la lutte contre la corruption requiert de mécanismes juridiques, institutionnels, des institutions de veilles, des organes répressifs, de la formation, et bien d'autres facteurs. Le pays a besoin de réflexion et d'action patiente, continue, non d'incantations et de fetwas.

    28. Ce qui reste à faire relève d'abord du politique. Il requiert l'actualisation d'un projet national ambitieux, les ouvertures pour y faire participer le plus d'Algériens, des décisions osées pour emporter l'adhésion des uns et des autres. Il est évident que ce projet national sera forcément démocratique, respectueux des libertés, du pluralisme, des Droits de l'Homme, de l'indépendance de la justice, avec un objectif central, la bonne gouvernance. Les divergences sur les méthodes et l'organisation des séquences ne doit pas justifier l'exclusion.

    29. Le hirak a fait que la chose soit possible. Il reste au hirak à transformer l'essai. La mission historique n'est pas de se transformer en parti, ni de prendre le pouvoir. Il a un rôle moral, pour dire ce que ressent le peuple, pour traduire les pulsions de la société. C'est plus un état d'esprit, une ambition qu'un programme politique.

    30. Enfin, le hirak a vocation à servir de vivier pour la vie politique de demain. Sur le temps long, il doit donner naissance au personnel politique et aux organisations de demain, exprimer les valeurs qui doivent imprégner la vie politique et institutionnelle.
    lequotidien
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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