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Soleil de février (Poème de Amin Khan)

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  • Soleil de février (Poème de Amin Khan)

    soleil de février, poème
    Tableau : William Turner, Sunset
    Je ne demande rien
    je ne demande pas
    j’exige

    et d’abord le soleil

    ce fruit mûr
    cette pêche excédée
    rouge d’El-Affroun
    noire qui donne l’ivresse
    à celui qui la travaille
    à celui qui l’aime
    dans chaque parcelle d’ombre aride
    sous les oliviers
    dans les poignées de terre prises
    enserrées dans l’amour
    saisies dans le geste incandescent
    fantaisie brutale des amants
    au bord sans cesse de la rupture
    de leurs corps ensoleillés
    de cette fièvre de la conscience extrême
    du désir insatiable
    de la vie
    tremblante et chaude
    pelage humide et sombre
    jument de chair mythologique
    rouge et noire
    femme rouge et noire
    soleil femelle
    avide de ma lumière
    avide de mon sang

    oui
    j’exige
    le soleil dans ses ramures
    dans son brame
    dans les ramifications
    de nos racines de terrible métal
    qui vont de mon cœur au cœur du tien
    de ton cœur au cœur du mien
    les mains du soleil
    qui patientent sur ta peau
    qui consument ton regard
    dans ce rouge et ce noir
    qui n’a plus besoin de paroles ou de mots
    qui seul est sens
    sens
    nu
    absolu
    enflammé
    soleil dans ses borborygmes
    dans son râle infini
    dans sa perpétuelle agonie
    dans sa patience pour la science de toi
    dans son jeu archaïque acéré
    intelligent
    pour assouvir
    quoi
    la loi obscure
    de la mise à mort
    le principe de la soif

    oui
    d’abord toi
    soleil de feu et d’ombre
    soleil de soif et d’eau
    soleil de désir et de réminiscence
    ombre écartelée
    eau subtile mais vraie
    eau du fruit sublime
    eau de l’ivresse du destin

    soleil retors
    comme les mains du cordonnier
    du passage souterrain des facultés
    soleil fluide
    comme le fleuve de tes pensées
    eaux vertes lentes
    de tranquillité

    soleil de la pierre aride
    des étapes du chemin
    soleil des fontaines illusoires
    qu’actionnent les aliénés
    aux genoux malheureux
    leurs coudes sont usés
    leurs regards élimés

    soleil des décrets
    qui ouvrent sur le vide
    soleil des murs froids et humides
    où meurent les prisonniers
    soleil impuissant à combattre le mal
    durant les heures infinies des années
    soleil résigné
    soleil malmené une fois par siècle peut-être
    plusieurs fois dans la même longue journée
    soleil de ceux qui n’ont rien d’autre que toi
    de ceux qui peuvent aussi bien
    exister
    ou ne pas exister
    c’est ton désir qui décide
    le droit de vie et de mort
    est d’origine mystérieuse
    il est de tréfonds incandescents
    il est de bâtarde majesté

    je t’ai vu
    dans les miroirs fracassés
    de ton palais de pacotille
    dans ta baignoire de miasmes
    dans le marbre de ta mangeoire
    dans la courbure du contrat honteux

    je t’ai vu revêtir
    les parures de la soumission
    je t’ai vu investir dans le stupre
    je t’ai vu revendre le livre des mansuétudes
    je t’ai vu te nourrir de la putréfaction
    de la faible croyance
    je t’ai vu espérer sans vergogne
    les larmes des idoles
    je t’ai vu
    prendre le bien d’autrui
    je t’ai vu goûter la chair et le sang
    du bien d’autrui
    je t’ai vu mentir
    dans le jour exsangue
    ton haleine fétide
    envahissait l’espace tout entier

    soleil de la faiblesse et de la trahison
    tu as cela en toi
    le royaume la richesse la ressource
    infinie du rêve et de l’illusion
    tu as au cœur de ton cœur brûlant
    la source de la pierre fertile
    et la source du vide
    tu as la source de l’ouvrage éternel
    et la source de la malédiction
    tu as la source de la lumière irréductible
    dans le regard de la bête sauvage
    pour son enfant

    soleil quotidien
    soleil des pertes et des profits
    soleil des écœurements
    tu tiens entre tes mains
    vil et fier
    l’amour et la trahison
    et si rien ne t’est épargné
    tu ne nous épargnes rien
    tu unis et sépares
    en tranchant dans le vif de la chair
    alors que tu peux laisser
    la gangrène fleurir
    pour contempler en secret ton jardin

    tu t’amuses des prouesses
    de tes créatures enchantées
    tu t’amuses des ruses
    de celles qui vont à la lisière
    et s’arrêtent à la lisière
    des paroles abandonnées
    dans la fuite des gardiens du temple
    dans la débâcle du temps

    ta respiration soleil
    n’est pas celle que nous connaissons
    nous autres atomes
    nuages
    électrons
    on emprunte des bribes de ton souffle
    on arpente une parcelle de ton domaine
    on laboure l’écho de ta parole
    mille ou deux mille ans
    on aime on tue on se repent
    on tue on aime on se déprend
    on suffoque de désespoir
    on ignore
    on ignore
    encore
    et encore
    et pourtant

    pourquoi donc
    lorsque je pense à toi
    soleil
    je vois j’entends je sens
    à mon côté telle une ombre
    agrippée à mon flanc
    une arme de rêve
    une lourde épée
    de fer et d’argent
    celle d’Hannibal de Jugurtha ou d’Achille
    ou le cliquetis incertain d’un mat 49 pris à l’ennemi
    ou la caresse de codes antiques dans un parchemin
    ou le fourreau épuisé de mes provisions
    de fantassin heureux
    de marcher heureux depuis si longtemps
    cette galette rompue de tes mains
    je la goûte je la rêve pétrie de tes mains
    je goûte je sens la paume huilée de tes mains
    je sens la chaleur du printemps précoce
    qui monte dans nos corps de rêveurs du pays en révolution
    je sens ton regard en moi
    comme un septième sens
    je sens ta voix parler en moi
    je sens la langue de ton chant
    s’emparer de mon corps et de mon âme
    je sens l’ombre de notre demeure
    venir sur tes paupières d’ombre
    je sens le murmure de ta promesse
    dans le murmure de mon sang
    ce qui m’éprouve n’est plus
    le désir le rêve ou même la rocaille du chemin
    ce qui m’éprouve c’est moi-même
    c’est mon incarnation de toi
    c’est cette vérité que je dois extirper des tréfonds
    de la glaise chaude d’une seule et même question

    tu ne me diras rien soleil
    que je ne sache déjà
    soleil d’aveugle éternité
    soleil de commisération
    dans tes guenilles de circonstances
    avec tes airs doctes et tes soupirs réprimés
    avec ton amertume et ta surdité
    lorsque tu voudras enfin parler
    j’aurais cessé de t’entendre
    soleil englué dans la confusion des certitudes
    soleil maître des lieux
    désormais désertés

    je ne demande rien
    je ne demande pas
    j’exige

    le soleil en jachère
    le pays abandonné
    la terre endormie
    le ciel silencieux
    les feux humides du crépuscule
    sur l’horizon calciné
    tout cela bien sûr
    mais aussi tout ce qui se trouve au-delà

    je veux les plaines et l’odeur des troupeaux
    la neige fragile des premières montagnes
    les rêves plusieurs fois ensablés
    dans la trahison des ancêtres

    je veux ce qui a été pensé
    ce qui a été dit
    ce qui a été écrit
    avec l’encre des savants
    avec le sang des martyrs
    je veux me repaître de toi
    du meilleur de ce monde
    de ton suc de ton âcre parfum
    je veux renaître
    sur l’autre versant de la parole sombre
    dans l’éclair de l’orage
    dans la lumière de la vérité
    je veux respirer l’air du large
    je veux retrouver la vigueur corsaire
    d’Alger et de ses îles ardentes
    de victoires métamorphosées
    les défaites
    je veux les archiver
    en bonne et due forme et les relier
    dans du vieux cuir du Hodna

    je veux savoir je veux comprendre
    je veux connaître le nom du mal
    je veux connaître le nom des responsables
    je veux connaître l’identité des victimes
    l’identité des criminels
    le rôle des uns et des autres
    et les explications des intermédiaires
    je veux saisir cette chance ambigüe
    cette lumière amère
    qui passe à travers les paupières
    du soleil endormi sur sa couche
    puant l’opium l’urine et la vanité

    tu m’as offert tant de choses
    des cordes d’arrimage et de pendaison
    des calendriers pour saisons disparues
    des squelettes blanchis de felouques carthaginoises
    pour autant de voyages que de naufrages
    inaccomplis

    tu m’as offert des livres pour la fièvre
    et le fruit de réflexions anciennes
    tu m’as offert le chemin du désir
    et celui de l’abandon

    tant de choses
    posées en vrac sur ma poitrine
    encore vivante
    dans mes yeux
    encore ouverts
    dans mon cœur
    encore brûlant de mille feux

    tu m’as enseigné le sacrifice
    le couteau et la prison

    tu as pris mes mains
    dans tes mains

    j’ai mis mes pas
    dans les tiens

    j’ai ainsi marché
    pas à pas
    jusqu’à la frontière électrifiée
    j’avais accordé ma vie à la tienne

    j’ai pris la veste du défunt
    trop grande pour moi
    parfaite pour une idéale saison
    j’ai trouvé dans une poche
    un carnet jaune sali et ses pages jaunies
    par le soleil des intempéries

    j’y ai lu
    avec beaucoup de peine
    les signes qu’y faisaient
    les oiseaux migrateurs
    dans ton cœur de damné

    la trace de tes doigts
    menaient à un lieu indistinct
    entre ciel et terre
    disjoints
    entre soupir et assentiment
    de la même gorge blessée

    ce lieu qui est
    vie et mort
    mais aucune des deux

    ce lieu
    qui est désir et mort
    mort et désir
    épreuve et adieu
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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