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Jean Daniel - Extrait du journal Le Monde

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  • Jean Daniel - Extrait du journal Le Monde

    Jean Daniel " Quand ma mère est morte, l’Algérie s’est arrachée de moi ».

    Le rapport intime du journaliste et écrivain Jean Daniel avec l'Algérie , avec Blida , avec l'indépendance .

    extrait du portrait paru au journal le Monde le 20 février 2020
    "
    Jean Daniel est mort mercredi 19 février, à l’âge de 99 ans, a annoncé L’Obs. Il était né le 21 juillet 1920, à Blida, « la petite fleur du Sahel », à une cinquantaine de kilomètres d’Alger. « Je ne suis pas né comme Camus sur les rivages de la Méditerranée mais au pied d’une montagne, écrira-t-il plus tard. La mer était une promesse à quinze kilomètres. Il me reste l’odeur du chèvrefeuille, le braiment de l’âne attelé à une carriole devant notre porte. »
    « L’Algérie s’est arrachée de moi »

    Blida, c’est aussi « la grande maison » dans laquelle, longtemps, il dormit dans la chambre de ses parents. « Onzième enfant, on ne m’attendait pas », disait-il. Plus tard, son père ( Messaoud Bensaïd ) lui raconterait comment il avait enlevé sa mère, alors âgée de 15 ans. Pour la séduire, il lui avait dit que « l’eau de nos sources était plus limpide, les raisins plus doux, les figues plus pleines ». « Rien, écrit-il dans Le Temps qui reste (Stock, 1973), pas même le désir que j’avais de garder pour moi seul une mère que ce patriarche lointain ne songeait pas à me voler, ne nourrissait une révolte contre notre père. » Il ajoutait : « L’Algérie de mon père, c’est évidemment la mienne, la seule. »

    Ce père qu’il respectait et admirait tant présidait le Consistoire israélite de Blida. « Il a admis que six de ses huit garçons épousent des non-juives. Les enfants de ces couples ont été pour les uns juifs, pour les autres catholiques. » Quand il est mort, « il a en même temps emmené Dieu avec lui. J’ai été ensuite condamné à l’incroyance. Quand ma mère est morte, l’Algérie s’est arrachée de moi ».

    Jean Daniel s’est souvent exprimé sur sa judéité :

    « Je veux qu’on me laisse vivre mon judaïsme comme je l’entends. Je suis d’abord méditerranéen, ensuite français, ensuite juif. Ma composante juive passe après mon désir d’universalité. »

    En classe de 3e, au collège colonial de Blida, le jeune Jean fait un exposé sur Jean-Christophe, de Romain Rolland (prix Nobel de littérature en 1915). « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des marchands de canons. » Dans cette petite ville de garnison où les fils d’officiers étaient nombreux, c’est un tollé. Première bagarre politique au jardin Bizot. « La France aux Français ! », crient ses « ennemis ».
    Découverte de Gide

    A la même époque, il découvre Gide. Pages de Journal. « J’avais besoin d’une foi. Gide me la donnait. Le maître remplaçait Dieu (…). Le pays dont il écrivait “Je te salue de tout mon cœur, pays du premier matin du monde” ne pouvait être que ma terre promise, celle de Romain Rolland et d’Henri Barbusse – l’Union soviétique. »

    A 15 ans, il lit le premier numéro de Vendredi avec toutes ses signatures prestigieuses : Aragon, Breton, Gide, Malraux, Nizan, Guilloux… L’avant-garde intellectuelle du Front populaire mais aussi, à la faveur du Retour de l’URSS de Gide, la prise de conscience que la Russie stalinienne n’était pas cette patrie d’élection à laquelle le jeune Jean avait rêvé. Nouveau choc.

    Il est inscrit en licence de philosophie à Alger lorsque le décret Crémieux, qui, en 1870, donnait la citoyenneté française aux « israélites indigènes » d’Algérie, est aboli. C’est à cette époque que celui qui deviendra un grand résistant et un grand chirurgien, José Aboulker, lui dit ceci qui, toujours, comptera : « Je n’aime pas laisser à l’adversaire le soin de déterminer mon combat ou ma mort. Ils veulent que nous mourions simplement parce que nous sommes juifs. Je mourrai parce que je suis antinazi et comme je l’aurai voulu. »
    « Camus devenait mon héros »

    Incorporé dans l’armée de Giraud, Jean Daniel déserte pour rejoindre la deuxième division blindée de Leclerc en Tripolitaine, près de Sabratha. Baptême du feu en Normandie. Démobilisé à Paris, il s’inscrit en Sorbonne pour finir sa licence. Lecture de Combat et découverte de Camus, seul dans la presse française à protester contre la bombe d’Hiroshima. « Camus devenait mon héros, Combat ma Bible… Vendredi, c’était les intellectuels au pouvoir. Combat, les philosophes jugeant l’histoire. »

    1946 : à 25 ans, Jean Daniel devient la plume du président du conseil, Félix Gouin. « La grande comédie commençait. » Il rencontre Léon Blum – « un génie ». Refuse un poste de sous-préfet que lui propose Louis Joxe. Découvre le spectacle des phénomènes de cour, la servilité et la corruption de ceux qu’il côtoie.

    1947 : avec des amis, il fonde la revue Caliban, dont la formule consistait à publier, à la fin de chaque numéro, le texte intégral d’une œuvre méconnue ou injustement oubliée. Y collaboreront des écrivains comme André Chamson, Etiemble, Jules Roy ou Emmanuel Roblès, sans oublier certains proches parmi lesquels sa compagne d’alors, Marie Susini, et son cousin, Norbert Bensaïd.
    Coup de foudre

    Après le sixième numéro, Jean Daniel reçoit un coup de téléphone. Albert Camus se permet de lui faire une suggestion : pourquoi ne pas publier La Maison du peuple, de Louis Guilloux ? Jean Daniel accepte, mais à condition que Camus en écrive la préface. Rendez-vous est pris à la NRF. « Il me parut, ce jour-là, particulièrement beau : Humphrey Bogart jeune, avec un masque un peu plus japonais, et un goût de vivre plus expansif. » Coup de foudre.

    La préface de Camus déclenche une polémique à cause d’une phrase qui, dit Daniel, « impatienta tous les intellectuels de gauche » : « Nous sommes quelques-uns à tolérer avec gêne qu’on puisse parler de la misère autrement qu’en connaissance de cause. »
    « Romancier du réel »

    En 1951, après avoir atteint un tirage de 150 000 exemplaires, Caliban disparaît. Sans ressources, Jean Daniel trouve un emploi de professeur à Oran, au cours Descartes, que dirigeait un ami de Camus, André Bénichou. Deux ans plus tard, toujours grâce à Camus, il entre à la Société générale de presse où il couvre les affaires coloniales. Rencontre Pierre Viansson-Ponté et K.S. Karol. Fait la connaissance, à Paris, de Bourguiba. Houleux : « Vous voulez donc que ce soit un pays exsangue et décapité de ses élites qui obtienne l’indépendance ? Vous voulez donc toujours vous mêler de nos affaires, la droite pour nous exploiter, la gauche pour nous donner des leçons ? Qu’est-ce vous connaissez de nous ? (…) Vous savez ce qu’ils sont, ces hommes de gauche, eh bien, moi, Bourguiba, je vais vous le dire, ce sont des impérialistes idéologiques ! » Ce mot, Jean Daniel s’en souviendra toute sa vie.

    1er novembre 1954 : c’est le début de la guerre d’Algérie et le premier article signé Jean Daniel dans L’Express. Le journal de Jean-Jacques Servan-Schreiber et, surtout, de Mendès France, cet autre héros de Jean Daniel (avec Camus et Malraux), dont il dira plus tard : « Il a anobli la politique, non pas par la grandeur, mais par la vertu. » L’Express, c’était aussi Françoise Giroud et « l’équipe des amis » – Léone Nora, Pierre Viansson-Ponté et K.S. Karol. Premiers reportages en Algérie, « l’occasion pour moi d’assouvir enfin et spontanément toutes ces velléités de “romancier du réel” que j’avais réprimées en renonçant à la littérature ».

    Le 6 février 1956, Robert Lacoste est nommé gouverneur général de l’Algérie par Guy Mollet, les ultras d’Alger triomphent. Lucide et accablé, pressentant le désastre à venir, Camus décide de ne plus écrire sur l’Algérie, ni à L’Express ni ailleurs.

    Devant Jean Daniel, à des étudiants algériens, il explique : « La réparation que l’on vous doit est immense, considérable, peut-être surhumaine. Mais la solution passe aussi par les Français d’Algérie. Il y a une patrie algérienne et deux peuples qui y sont enracinés avec désormais la même intensité. Une Algérie exclusivement arabe sacrifierait l’un des deux peuples. Ce serait répondre à une injustice par une injustice. Il y a des hommes qui s’y résignent au nom de l’histoire. Je ne crois pas à la nécessaire coïncidence entre l’histoire et la justice. Eux non plus d’ailleurs. Mais, en ne le disant pas, ils abandonnent leur qualité d’intellectuels. » Jean Daniel n’est pas d’accord. Pour lui, il faut traiter avec le FLN. « Ce fut ma ligne. Et ce fut avec Camus une terrible rupture. »

    Dans une lettre à Camus, Jean Daniel écrit : « Vous êtes la seule personne qui, ayant tort à mes yeux, me conduit à m’interroger sur la justification de ce que je pense. » Camus répondra : « L’important, c’est que vous soyez, comme moi, déchiré. » « S’il a tort, au fond de moi, je n’ai pas raison d’avoir raison. Il me met dans le malaise de me sentir en déséquilibre avec moi-même », écrira plus tard Jean Daniel.
    « Maghreb Circus »

    Le FLN s’étant installé à Tunis, Jean Daniel s’y rend constamment. Haï à Alger, menacé de mort par l’OAS, il est à l’origine de presque toutes les saisies dont est victime L’Express. Dans Le Temps qui reste, il fait le portrait de tous ces confrères qui, avec lui, formaient ce qu’il appelle le « Maghreb Circus ». Il y a là, outre son grand ami Tom Brady, du New York Times, Boris Kidel (The Observer), Edward Behr (Time), Marcel Niedergang (France Soir), Philippe Herreman (Le Monde), Albert-Paul Lentin (France Observateur), Jean-François Chauvel (Le Figaro). Sans oublier le truculent correspondant du Monde à Tunis : Guy Sitbon. Avec Brady, Jean Daniel découvre l’un des hauts lieux de la volupté, où plus tard il achètera une maison : Sidi Bou Saïd.

    20 juillet 1961, journée de forte tension en Tunisie. Avec Charles Guetta, son compagnon d’armes de la division Leclerc, et Bechir Ben Yahmed, qui à l’époque dirigeait l’hebdomadaire Afrique Action, Jean Daniel traverse Bizerte quand un petit avion les repère. Tirs nourris. Il est gravement touché. Sauvé par ses deux amis, Daniel est opéré à l’hôpital de Bizerte avant d’être évacué vers Tunis puis une clinique de Neuilly-sur-Seine.

    C’est là qu’il apprend la mort de sa mère, et que l’Algérie lui « [devient] soudain étrangère ». ( Le Monde ) .
    La véritable éducation consiste à pousser les gens à penser par eux même - Noam Chomsky
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