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    J’ouvris les yeux brutalement, probablement quelques heures avant que le réveil ne me l'ordonne, lassé d’essayer de me rendormir, je n'ai cessé de me retourner, en me défoulant sur l’oreiller, tirant la couverture avec mes pieds avant de la remonter avec mes mains, un tourbillon d'images, de sensations s'emparait de moi dès que je fermais les yeux, en suppliant le sommeil de m’emmener n’importe où ou n’importe quand et de me ramener quelques heures plus tard, comme il était censé le faire, aux premières aurores du matin.

    Je revoyais ma mère me posant sur ses confortables genoux et plongeant le regard dans ma bouche grande ouverte, essayant de constater les dégât de mes grincements de dents durant mon sommeil, je nous voyais dans le miroir, étonné par la largeur de ma bouche, quand tout fut emporté par un flot immense et surpuissant d'images, de sensations et de sons indescriptibles, le même qui m’assaillait dès que mes paupières étaient fermées, j’ai cru ressentir très brièvement une envie de pleurer, sans doute l'effet de ce lointain souvenir, subitement stoppée par une sensation de soif, je n'essayais pas de le retenir, je croyais l’avoir oublié, ou plutôt, j’ai longtemps ignoré son existence, je le laissais s’évanouir dans cet amalgame torrentiel.
    L’oubli tue une partie de nous, des tranches de vie entières disparaissent, comme si nous ne les avions jamais vécues, mais quand par un processus dont j’ignore le fonctionnement, des souvenirs morts, remontent à la surface, c’est une partie de la réalité qui reprend vie, ressuscitée.
    l'image de mon vieil ami vint subitement s'imposer à mon esprit fatigué, il était en train de faire sa pose tandis que je le visionnais au travers de l'écran d'un portable, le premier que j'ai eu, nous étions dans la cuisine de leur appartement à Bir Khadem, on se moquait des personnes qui se donnaient des aires de durs à cuire lorsqu'un objectif était pointé vers elles, l'image s’interrompit et nous étions maintenant sur une des plage de boumerdes sous le regard silencieux du vieux château d’eau jauni par le temps, oublié par ses créateurs, le soleil abandonnait une partie de lui-même en coulant dans la mer, sa dorure se répondit dans l’horizon indifférent. Il m’expliquait un peu gêné qu'il projetait de s'installer avec sa femme dans une autre ville, et que la fête de mariage était dans une semaine, je restais silencieux, fixant les vagues qui m’avaient plongé dans un état second, tandis qu'il m’annonçait qu’ils avaient établi l’acte de mariage quelques jours plutôt, et procédé à la fatiha après avoir fixé la date du 3ars, je ne m’étais plus rendu compte qu’il avait terminé son plaidoyer, puis lui demandais « comment s’appelle ta future femme ? », il laissa échapper, au bout d’un long moment de silence gêné « laila, je l’ai rencontré il y a un an, je ne t’en ai jamais parlé parce qu’elle m’avait demandé de garder nos projets secrets ».
    A cet instant, la plage, le ciel, et le menteur furent engloutis par le torrent d'images, je crus déceler de lointains craquements et une douleur grandissante au gout salé, j’essayais de me reconnecter à ce souvenir, mais une partie en moi s’y opposât violemment.
    je me demandais quelle heure il était, mais je n'osais ouvrir les yeux, subissant ce flot ininterrompu d'images, je fus projeté encore plus loin dans le temps, le quartier de mon enfance, au milieu d’un terrain de foot, mon petit frère était au centre d'une bande de petits garçons qui criaient et sautaient joyeusement, il serait le cou d'un autre gamin qu'il tenait en tenaille, celui-ci se débattait pour se libérer de son emprise en soulevant un nuage de poussière, je hurlais le prénom de mon petit frère et lui criait de s'arrêter, il desserra les bras immédiatement et l'autre en a profité pour lui asséner un violent coup de tête qui le fit s'évanouir, je voulu voir le tourbillon emporter cette scène mais il ne le fit pas, je le sentais loin derrière les décors, au-delà du ciel gris et des immeubles ternes entourant le terrain, la douleur devenait insoutenable, je regrettais d'avoir demandé à mon frère de lâcher prise, ma naïveté le fit admettre à l’hôpital tard dans la nuit, j'avais réussi à tenir à l'écart ce souvenir douloureux pendant des années, ai voulu l’oublier, mais je n’ai jamais réussi, depuis un certain temps, il se faufilait jusqu'à ma conscience, surtout pendant ces nuits agitées où je n’étais plus maître de moi-même, il réussi à mettre le feu à l'intérieur de ma poitrine, une chaleur intense s'y répondait, me forçant à ouvrir les yeux dans l’espoir de m’en libérer. La chambre baignait dans le noir total, seul le lointain hurlement d'une ambulance s’élevait quelque part au-delà des murs de la pièce, étouffé et presque inaudible, ma bouche était sèche et même si j'anticipais une sensation désagréable, je forçais ma gorge à déglutir et ce furent des épines qui la traversèrent en griffant et arrachant son intérieur.
    je m’extirpais du lit et pris la direction de la salle de bain, en me fiant à la reconstitution de l’appartement selon mes souvenirs, les murs avaient changé d'emplacement et la porte me paraissait à ce moment là beaucoup trop éloignée, de temps en temps la réalité corrigeait avec douleur l'imaginaire. Dans la salle de bain, je pus atteindre l’interrupteur qui jeta sur mon visage et une vague de lumière aveuglante et douloureuse, le miroir me montrait au départ un étranger, petit à petit, l’image dans le carré réfléchissant devenait nette, les traits de l’étranger se précisaient jusqu’à correspondre à la dernière image que j’avais de mon propre visage, je soulageai ma gorge des épines qui la torturaient, au bout de la 3ème gorgée je relevais la tête, le feu que la lumière du néon avait jeté dans mes yeux s’était apaisé, dans le miroir l’étranger était revenu, il me fixait du regard, mal rasé et mal coiffé, l'air exténué, ce furent ses yeux qui provoquèrent en moi un de profond malaise:

    - tu peux m’appeler Ksir, me lança-il en débarrassant son menton des quelques gouttes d’eau qui s’y étaient suspendues. Il enchaina :
    - tu peux faire ce que tu veux, tu peux fumer, tu peux ne plus prier, ne plus être gentil, tu peux insulter ceux qui t’énervent, ou même ceux qui ne le font pas, tu peux tout casser, tout brûler, crier leurs conneries aux cons, refuser de sourire, te moquer des débiles, ne pas honorer tes promesses, tout tout TOUT faire, il marqua une pause puis me demanda « à quoi tu penses? »
    Je restais silencieux en me demandant ce qui l’a poussé à me servir son réquisitoire plus ou moins sensé, je fus surpris de constater que la scène ne surprenais pas, étonné que ma seule réaction était de m’interroger sur le sens et le but d'une telle conversation. Il reprit :
    - Ca nE sErT àaaa rRRien d'essSSSSSaier de comprendre, en Plusss, Comp’rendre rend compréhensif, et être compréhensif c’est être con, on finit par tout pardonner, le pardon n'est rien d'autre qu'une invitation aux autres à recommencer, tu le sais ... les autres … te testent, au début, tu es un inconnu, une personne de potentiellement dangereuse, l'Inconnu fait peur, et la peur suscite le respect, c’est pour cela que les gens sont courtois et respectueux les premiers temps avant de devenir petit à petit, insolents, grossiers et insupportables, tant que tu es dans l’ombre, tant que tu te tiens à l’écart, tu les maintient dans cette peur qui au final, te protège, la solitude est une protection… demeurer cet inconnu est l’unique solution, l’unique réponse à la douleur et la souffrance, regarde à quel point les plus grandes inconnues effraient les gens, l'avenir, la mort, l'invisible, les ténèbres ..., fais ce qui te plait, te dis-je, et j’ai une idée précise de ce qui te ferai vraiment plaisir
    je me contentais de l’écouter, sa voix était entrecoupée, des syllabes étaient plus audibles que d’autres, de temps à autres, son image dans le miroir vacillait, se figeait ou carrément disparaissais, sans doute un élan désespéré d'une partie de moi même pour le faire disparaître, je l'en dissuadai, j’éprouvais un délicieux plaisir à l’écouter, j’entendis à nouveau ce petit craquement particulier mais je n’y prêta pas attention, je me forçais de souhaiter voir cette scène se faire engloutir à son tour par l’entité inconsistante et puissante de bribes d’images, de sons entrecoupés, de morceaux fragmentés des souvenirs de ma vie, mais c’était me mentir à moi-même, à ce moment-là, il exhiba un large sourire et me lança :
    - Tu vois, j’ai une idée trop précise de tes envies les plus secrètes, à quoi bon être gentil ? en s’abstenant de punir, de se venger, de riposter tu retiens en toi une boule de feu, une braise qui te brule de l’intérieur, pourquoi ne pas la jeter sur ceux qui sont à l’origine de son apparition, pourquoi les épargner en t’infligeant une douleur qui te poursuit des années après et qui ne te lâchera probablement jamais !
    Je le laissais parler en tentant de me répéter que dieu, miséricordieux et clément a toujours prôné le pardon, que se lâcher sur les autres sous prétexte de leur rendre la pareille n’est que source d’une autre douleur, encore plus terrible, le regret, les remords, soudain, j’eus honte d’avoir pensé cela, un rire moqueur aigue éclata dans ma tête, il interrompit ma réverie en explosant de colère :
    Foutaises ! Mieux vaut que ce soit eux plutôt que toi pauv’ con, la sensation d’une vengeance est indescriptible, une satisfaction salvatrice qui te soulage immédiatement de cette douleur enflammée dans ta poitrine, tu as déjà oublié la fois où tu as dénoncé Shayma qui t’avait refusé ta promotion et qui s’est retrouvée à se défendre de l’accusation de fraude ? un coup sacrément bien joué pas vrai ? et merci qui ? et l’autre connard qui t’avais trahis pour un poste, qui a déposé son dossier en ayant « perdu » un document important du tiens, ce qui t’a valu le rejet de ta candidature, tu vas me dire que tu n’a pas apprécié comment il a été humilié, en pleine réunion de direction, après avoir un « problème » dans la présentation Power Point que Tu as bien voulu rédiger pour l’aider ? Ha ha, sacré Toi ! tu…

    Il s’arrêta net, du sang coulait du coin de sa bouche, de la mienne aussi, un autre craquement, suivi d’une violente secousse qui fit se désintégrer les murs, le miroir vola en éclats, je fermis les yeux pour tenter de les protéger, en les ouvrant j’étais au lit, le téléphone m’ordonnait de me réveiller, j’avais un gout salé dans la bouche, et une douleur intense à la mâchoire, encore cette étrange habitude de faire grincer mes dents, de me mordre l’intérieur de la joue, habitude dont je croyais m’être débarrassé depuis longtemps, c’était ma mère qui l’avait remarqué la première fois, en entendant ma bouche émettre des craquements lorsque je m’assoupissais, parfois, sur le bureau en pleine lecture, ou devant la télé.

    une autre nuit pénible qui venait de s’achever, une autre journée, à l'évidence tout aussi pénible, qui venait de commencer, en entrant dans la salle de bain, je revis brièvement l'homme étrange dans le miroir, je le revis une autre fois, furtivement dans la vitre d’une voiture en sortant de l’immeuble, puis sur la vitrine d’un magasin, il avait toujours ce regard inquiétant…
    Dernière modification par Risk, 11 mars 2020, 07h34.
    La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

  • #2
    Texte poignant qui laisse dubitatif.
    Un maelstrom de sentiments et de souvenirs hachés. Une mi-conscience qui laisse une grande place à la double trahison de la mémoire laquelle se complaît à ne révéler et ne cacher que ce qui réveille et attise de vieilles douleurs.
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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    • #3
      c'est captivant

      J'espere que tu trouvera un terrain d'entente entre Toi et ton Autre Toi (Ksir) qui vous permettra d'atteindre le parfait équilibre

      j'aime bien ce Kris et sa façon de voir les choses oeilfermé

      au plaisir de te lire Risk
      "N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe." Victor Hugo

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      • #4
        Belle écrit Risk

        un rêve ou bien un cauchemar qui reflète la réalité Amer de la vrai vie que l’être Humain subit.

        Chacun de nous a vécu la situation de Ksir .je me sentais dans sa peau

        Bravo
        ~¥¥ Mes Anges illuminent mes Songes ¥¥~


        «~ Mon ange illumine ma Vie et mon être ~*»

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        • #5
          ......👍

          ca ne sert àaaa rrrien d'esssssssaier de comprendre, en plusss, comp’rendre rend compréhensif, et être compréhensif c’est être con, on finit par tout pardonner, le pardon n'est rien d'autre qu'une invitation aux autres à recommencer, tu le sais ... Les autres … te testent, au début, tu es un inconnu, une personne de potentiellement dangereuse, l'inconnu fait peur, et la peur suscite le respect, c’est pour cela que les gens sont courtois et respectueux les premiers temps avant de devenir petit à petit, insolents, grossiers et insupportables, tant que tu es dans l’ombre, tant que tu te tiens à l’écart, tu les maintient dans cette peur qui au final, te protège, la solitude est une protection…*

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          • #6
            Hello Risk,

            Quel talent...!! pas besoin de lire des bouquins...Tu es une encyclopédie à toi seul, y en a beaucoup d'autres ici, est ce un virus ou pas?....
            Merci....
            ❤️ ❤️ Two souls with but a single thought ❤️ Two hearts that beat as one❤️ ❤️

            Commentaire


            • #7
              @Benam: merci de t'être arrêté ici mon Ami,

              je tente, non sans grande difficulté, de décrire le processus d'une transformation, d'un basculement, avec fantaisie peut être, mais quoi de mieux qu'une description contrastée pour tenter de transporter les autres vers la destination voulue

              @Space Ennagh: Azul Cousine,

              Ksir te parle

              merci

              @Renaissance: le plus grand inconnu, pour chacun parmi nous, c'est nous même, on croit se connaitre mais on ignore presque tout de nous

              chacun connait une facette de Renaissance, chacun la voit différemment, l'image que tu as de toi même n'est pas celle que tes proches, amis et amis du virtuel ont de toi, parce que tout le monde est différent et cette différence influe sur la façon de voir, sur la perception de chacun, nous sommes tous Daltoniens quelque part.

              @Discus: sahitou DJari

              @Nadifleur: Hello

              merci à toi surtout

              ps: désolé pour les fautes, je n'arrive pas à me défaire de cette autre mauvaise habitude de spontanéité dans l'écriture, je ne relis le texte qu'une fois posté...
              La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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              • #8
                Risk
                Rarement je lis les longs posts
                C'est toi
                Alors j'ai lu

                C'est effrayant
                Surtout le passage cité par Discus
                J'aurais pu l'écrire
                Mais tu ne sais pas

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                • #9
                  Riskou… waw que dire.. tu as réussi à me mettre dans toutes ces scenes que tu as vu ou revu incluant l'angoisse et le gout amère qui va avec, texte tres profond

                  Commentaire


                  • #10
                    @Nessy: merci de me lire

                    je suis flatté, et je savais que ca parlerait à beaucoup

                    @Elyssou: merci pour le passage khtitou, toujours un plaisir de te croiser
                    La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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                    • #11
                      Risk on ce connait ,mais on peut pas connaître, la face cachée de nous.et y’a que Dieu qui connaît tout de nous
                      ~¥¥ Mes Anges illuminent mes Songes ¥¥~


                      «~ Mon ange illumine ma Vie et mon être ~*»

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                      • #12
                        Bonsoir

                        J'ai lu d'un trait... Saisissant!

                        L'episode avec ton petit frere m'a rappelé la fois où j'ai été la cause de brulures graves de mon frere...

                        Ses cicatarices sont tjs là pour le rappel...
                        “Si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas,
                        comment veux-tu que les ténèbres deviennent clarté!”

                        Nazim Hikmet

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                        • #13
                          bonsoir Hirondelle

                          j'ai jeté une méduse sur mon petit frère (le même) en croyant que c'était une algue, il porte toujours la cicatrice

                          meskine, zerregtou

                          merci d'avoir lu Hiro
                          La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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                          • #14
                            Bijor Risk,
                            Quel bonheur de te lire !
                            Merci pour le partage.

                            ...





                            .....
                            Dernière modification par Océane, 13 mars 2020, 07h28.
                            « La voix de la mer parle à l'âme. Le contact de la mer est sensuel et enlace le corps dans une douce et secrète étreinte. »

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                            • #15
                              bijôr Océane

                              c'est réciproque très chère

                              merci
                              La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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