Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Trafic de carburant en Libye: le gasoil «se déversait directement dans les cuves de Kolmar»

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Trafic de carburant en Libye: le gasoil «se déversait directement dans les cuves de Kolmar»

    RFI
    Publié le : 09/03/2020 - 06:48
    Modifié le : 09/03/2020 - 11:06

    Une raffinerie de pétrole dans la ville de Ras Lanuf, au nord de la Libye, le 11 janvier 2017.
    Une raffinerie de pétrole dans la ville de Ras Lanuf, au nord de la Libye, le 11 janvier 2017. AFP/Abdullah Doma
    Par :
    Alexis Guilleux
    Suivre
    C’est le nerf de la guerre en Libye : le trafic de carburant alimente les groupes armés depuis le début du conflit. Une contrebande qui a des ramifications jusqu’en Suisse. C’est ce que révèlent les ONG Public Eye et Trial International. Dans un rapport, elles mettent en lumière le rôle joué par le groupe suisse Kolmar. Entre 2014 et 2015, ce groupe s’est lié à des trafiquants libyens et maltais aujourd’hui devant la justice italienne. Mais l’entreprise suisse, elle, n’a jamais été inquiétée. Pour parler de cette enquête, Agathe Duparc, enquêtrice au sein de l’ONG Public Eye, répond aux questions d’Alexis Guilleux.

    PUBLICITÉ

    RFI : Vous avez participé à cette enquête pour l’ONG Public Eye. Le groupe Kolmar, une société suisse basée dans le canton de Zoug, était donc en lien avec un réseau de contrebande à cheval entre la Libye et Malte. Comment se fonctionnait ce réseau ?

    Agathe Duparc : Nous, on est partis d’un fait simple : l’arrestation en 2017 d’un réseau de contrebandiers par les Italiens. C’est un réseau qui prenait sa source à Zaouïa, c’est à 45 kilomètres à l’ouest de Tripoli, sur la côte, qui était directement contrôlée par un groupe armé. Et ce groupe qui était censé protéger cette installation de Zaouïa, en réalité revendait du gasoil subventionné, qui était en principe destiné à la population locale, à une autre personne qui s’appelait Ben Khalifa et qui opérait, lui, à partir d’un terminal pétrolier de fortune. Le gasoil de contrebande était acheminé par camion et prenait la mer sur des petites embarcations de pêcheurs pour ensuite se déverser dans d’autres pétroliers qui étaient plus gros et qui se dirigeaient ensuite vers Malte.

    Et quel rôle jouait Kolmar dans ce réseau ?

    Kolmar louait à Malte deux entrepôts souterrains de stockage de gasoil. Le gasoil était acheminé par des tankers et se déversait directement dans les cuves de Kolmar. Ce qui est important, c’est qu’on a vraiment pu prouver tout ça. On a fait marcher le système de l’AIS [Automatic identification system], qui est une sorte de radar pour les navires où on peut repérer leur position. Donc, on a pu démontrer de manière extrêmement concrète que tel bateau appartenant à tel contrebandier s’était déversé tel jour dans les cuves de Kolmar. Mais aussi, on a pu avoir copie d’un document bancaire qui montre que l’une des sociétés appartenant aux contrebandiers a reçu exactement au même moment 11 millions d’euros. On est sûrs que Kolmar de toute manière était en lien avec ces contrebandiers. Et en plus, l’enquête italienne, il faut y revenir, eux avaient repéré les activités de Kolmar. Mais simplement comme Kolmar n’avait rien vendu sur le territoire italien à leur connaissance, ils n’avaient pas pu démontrer ça et Kolmar n’a pas été englobé dans l’investigation en quelque sorte.

    Est-ce que l’on a pu retracer le parcours de ces carburants une fois sortis des entrepôts de Kolmar à Malte ?

    Ça, c’était un peu plus compliqué. On a pu voir que certains navires à cette période se sont arrêtés, des barges plus exactement qui allaient chercher du gasoil pour ensuite le ramener au large de Malte et faire le plein avec d’autres bateaux. Ça, on a pu le montrer. Mais par contre, on n’a pas vraiment pu savoir où avait terminé ce pétrole. Mais il est évident qu’une partie a été vendue en Europe puisque c’était exactement le cas dans l’enquête italienne « Dirty Oil ». Les Italiens avaient pu prouver que ce carburant de contrebande avait été vendu à la pompe. On est sur des quantités assez énormes, puisque d’un côté « Dirty Oil » c’était 82 000 tonnes et là, Kolmar c’est 50 000 tonnes.

    Est-il possible qu’à l’époque en 2014-2015, le groupe suisse Kolmar ignorait commercer avec des trafiquants, des contrebandiers ?

    Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y avait déjà énormément de signaux d’alerte. Dans les milieux du trading de pétrole, beaucoup de gens nous ont confié le fait qu’il ne touchait pas au gasoil, que c’était beaucoup trop dangereux. Et en plus, il y avait déjà des alertes. Le Premier ministre de l’époque [Abdullah] al-Thinni, qui était venu à Malte en 2014, qui avait mis en garde les autorités maltaises contre cette contrebande de gasoil. C’est exactement le moment où Kolmar a eu des livraisons. Le fait est qu’à l’époque où Kolmar opérait, ni l’ONU ni la justice italienne n’avait encore officiellement dans leur viseur la contrebande de gasoil. Mais il travaillait déjà dessus. On peut dire qu’effectivement, c’était une zone grise. C’est cela qu’on reproche beaucoup aux traders de pétrole, c’est de naviguer dans ces zones grises.

    Est-ce qu’aujourd’hui, Malte est toujours une plaque tournante du trafic de carburant libyen ?

    En fait, quand Kolmar opérait à Malte, effectivement le trafic se faisait onshore, à savoir que le produit était livré directement à Malte. Ensuite, quand il y a eu les premières alertes, les trafiquants se sont déplacés finalement offshore, c’est-à-dire au large de Malte, pas dans les eaux territoriales et il y avait des transferts de bateau à bateau. Du coup, Kolmar a quitté Malte en 2016 et c’est une société italienne en Sicile qui a repris ces activités, qui s’appelait Maxcom Bunker.

    Donc, le trafic s’est déplacé de Malte à la Sicile ?

    Oui. Exactement. Mais les transferts se sont faits offshore, c’est-à-dire dans des eaux maritimes qui ne sont absolument pas contrôlées, ou il y a tout de sorte de trafics qui peuvent se dérouler. Et là, les États peuvent toujours dire : « nous, on y est pour rien ; ce n’est pas dans nos eaux territoriales. » C’est ça qui est intéressant en fait.

    Et c’est à ce moment-là que l’enquête « Dirty Oil » a été lancée et que les principaux acteurs de ce réseau ont été pris par la justice italienne ?

    Absolument. C’est là qu’en faisant des filatures maritimes et en mettant sous écoute certaines personnes de ce réseau, ils ont pu montrer le modus operandi de ce réseau de contrebandiers.
Chargement...
X