« La décision »
Vendredi dernier, vers 10h du matin, entre deux cafés et après mûre réflexion, ma décision était prise : Je suspends ma participation au Hirak cette semaine (et pour autant de temps que nécessaire). Quand l’épidémie du Covid-19 sera derrière nous, je ressortirai, seul, s’il le faut, me disais-je comme une promesse. Si la dynamique est cassée d’ici là, nous la relancerons ! Les idéaux et les aspirations qui motivent le Hirak, en tant que démarche, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Les causes non plus, hélas.
Ainsi, je préférais « décider » du moment et du lieu de mon retrait afin d’être maître de mon retour. Je préfère que les acteurs du Hirak le déclarent solennellement et que ce soit une décision souveraine et responsable plutôt que de voir le Hirak disparaître doucement dans le trou noir de la psychose ou pire : de l’indifférence. Je préfère que le Hirak soit le sujet de la « décision » au lieu de la subir en tant qu’objet.
« C’est quoi la finalité du Hirak ? »
Ne sommes-nous pas sortis le 22 février pour effacer une humiliation, réparer une injustice et œuvrer pour un Etat de droits et une démocratie qui nous permettront d’établir une justice sociale et une certaine idée de la liberté ? Pour quelle finalité ? Vivre et être heureux. Le but du Hirak, comme la vie, est en fait, le bonheur.
A quoi sert donc un Hirak s’il participe à engendrer des pertes humaines alors que nous pourrons les éviter ou les limiter ? Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une fatalité où l’on n’a rien à perdre…Mourir pour des idées ? D’accord mais de mort lente. le plus tard possible. Et puis de quoi a-t-on peur, au juste, si le Hirak se mettait en pause ? De nos egos blessés ? De la satisfaction vicieuse de ses ennemis ? Ou que la dynamique soit cassée et qu’il ne reprenne jamais ? Si l’on ne croit pas en la capacité du Hirak et du peuple à remettre la machine en route, c’est que l’on n’a jamais cru en le Hirak.
« Amalgame »
On ne suspend pas le Hirak mais on suspend les MANIFESTATIONS. Le Hirak, lui, continue ! Il est au-delà du temps ou de l’espace. Sinon, on tomberait dans le piège discursif que nous tendent ses ennemis qui voudraient le résumer en un rituel hebdomadaire. Les manifestations du vendredi sont autorisées et même désormais valorisées. Le Hirak ne devrait pas se résumer en ces marches du vendredi. On manifeste une fois par semaine (deux pour certains) mais on doit être tout le temps « en Hirak ».
Le Hirak n’est pas une manifestation : c’est une rupture avec les anciens paradigmes ; c’est un rapport nouveau et renouvelé avec le politique, l’espace public et la critique ; c’est une nouvelle façon de voir les choses.
« Pragmatisme »
Je m’interdis de le dire en cours ou en formation (par prudence et de peur que je sois mal compris), mais en conseil, je me lâche un peu : « La communication est un art cynique » et encore plus vrai en communication politique. Il est vrai que les principes, les idéaux, le débat de fond sont importants mais ils ne servent pas à grand-chose (sinon à satisfaire son égo) s’ils ne sont pas accompagnés d’intelligence et de pragmatisme.
On ne milite jamais en direction de soi-même ou de ceux qui sont d’accord avec nos idées mais en direction d’un « public » qu’on essaye de « séduire », de sensibiliser et de ramener à sa cause. On milite pour fédérer autour d’une cause. Pour qu’on soit, chaque jour, plus nombreux, plus forts et qu’on pèse davantage dans la pression ou dans la négociation.
Une bataille d’image
Le militantisme politique, comme tout exercice politique, est une bataille d’image et d’opinion publique où la forme est aussi importante (voire plus importante) que le fond. Et, c’est justement, sur ce plan-là que le Hirak risque de perdre gros avec cette crise du Covid-19
Le gouvernement n’interdit pas les marches du vendredi. Il ne les diabolise même pas (pourtant il en a les moyens). Il appelle juste à « la prudence et la responsabilité ». La courbe du Coronavirus va exploser dans quelques jours. C’est inévitable. C’est la science qui le dit. Devinez qui sera désigné comme responsable dans les plateaux télés et par les appareils de propagande ?
Ce ne sera ni les prières du vendredi. Ni la politique de contrôle aux frontières. Ni les stades qui accueillaient encore du public. Ce sera le Hirak qui a manqué de « prudence et de responsabilité ». Une partie de l’opinion publique en est même préparée et sera utilisée pour en convaincre le reste. Les appareils de propagande ont « la logistique propagandiste » et ils ne leur manquent que l’essence. L’opinion publique est très fragile dans ce genre de situation.
Maintenant, si la suspension des manifestations émane du Hirak lui-même et si un débat, responsable et dépassionné, s’engage sur les alternatives, non seulement ses adversaires n’auront plus de prétexte pour le salir, le diaboliser et l’utiliser comme bouc émissaire, mais il en sortira grandi, plus fort, plus responsable et plus « séduisant » auprès de l’opinion publique. Dans une gestion de crise d’image, nos faiblesses potentielles peuvent devenir une force si l’on est intelligents et pragmatiques.
Fayçal Sahbi
Maître de conférences en communication
16 mars, 2020
Blog Radio M
Vendredi dernier, vers 10h du matin, entre deux cafés et après mûre réflexion, ma décision était prise : Je suspends ma participation au Hirak cette semaine (et pour autant de temps que nécessaire). Quand l’épidémie du Covid-19 sera derrière nous, je ressortirai, seul, s’il le faut, me disais-je comme une promesse. Si la dynamique est cassée d’ici là, nous la relancerons ! Les idéaux et les aspirations qui motivent le Hirak, en tant que démarche, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Les causes non plus, hélas.
Ainsi, je préférais « décider » du moment et du lieu de mon retrait afin d’être maître de mon retour. Je préfère que les acteurs du Hirak le déclarent solennellement et que ce soit une décision souveraine et responsable plutôt que de voir le Hirak disparaître doucement dans le trou noir de la psychose ou pire : de l’indifférence. Je préfère que le Hirak soit le sujet de la « décision » au lieu de la subir en tant qu’objet.
« C’est quoi la finalité du Hirak ? »
Ne sommes-nous pas sortis le 22 février pour effacer une humiliation, réparer une injustice et œuvrer pour un Etat de droits et une démocratie qui nous permettront d’établir une justice sociale et une certaine idée de la liberté ? Pour quelle finalité ? Vivre et être heureux. Le but du Hirak, comme la vie, est en fait, le bonheur.
A quoi sert donc un Hirak s’il participe à engendrer des pertes humaines alors que nous pourrons les éviter ou les limiter ? Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une fatalité où l’on n’a rien à perdre…Mourir pour des idées ? D’accord mais de mort lente. le plus tard possible. Et puis de quoi a-t-on peur, au juste, si le Hirak se mettait en pause ? De nos egos blessés ? De la satisfaction vicieuse de ses ennemis ? Ou que la dynamique soit cassée et qu’il ne reprenne jamais ? Si l’on ne croit pas en la capacité du Hirak et du peuple à remettre la machine en route, c’est que l’on n’a jamais cru en le Hirak.
« Amalgame »
On ne suspend pas le Hirak mais on suspend les MANIFESTATIONS. Le Hirak, lui, continue ! Il est au-delà du temps ou de l’espace. Sinon, on tomberait dans le piège discursif que nous tendent ses ennemis qui voudraient le résumer en un rituel hebdomadaire. Les manifestations du vendredi sont autorisées et même désormais valorisées. Le Hirak ne devrait pas se résumer en ces marches du vendredi. On manifeste une fois par semaine (deux pour certains) mais on doit être tout le temps « en Hirak ».
Le Hirak n’est pas une manifestation : c’est une rupture avec les anciens paradigmes ; c’est un rapport nouveau et renouvelé avec le politique, l’espace public et la critique ; c’est une nouvelle façon de voir les choses.
« Pragmatisme »
Je m’interdis de le dire en cours ou en formation (par prudence et de peur que je sois mal compris), mais en conseil, je me lâche un peu : « La communication est un art cynique » et encore plus vrai en communication politique. Il est vrai que les principes, les idéaux, le débat de fond sont importants mais ils ne servent pas à grand-chose (sinon à satisfaire son égo) s’ils ne sont pas accompagnés d’intelligence et de pragmatisme.
On ne milite jamais en direction de soi-même ou de ceux qui sont d’accord avec nos idées mais en direction d’un « public » qu’on essaye de « séduire », de sensibiliser et de ramener à sa cause. On milite pour fédérer autour d’une cause. Pour qu’on soit, chaque jour, plus nombreux, plus forts et qu’on pèse davantage dans la pression ou dans la négociation.
Une bataille d’image
Le militantisme politique, comme tout exercice politique, est une bataille d’image et d’opinion publique où la forme est aussi importante (voire plus importante) que le fond. Et, c’est justement, sur ce plan-là que le Hirak risque de perdre gros avec cette crise du Covid-19
Le gouvernement n’interdit pas les marches du vendredi. Il ne les diabolise même pas (pourtant il en a les moyens). Il appelle juste à « la prudence et la responsabilité ». La courbe du Coronavirus va exploser dans quelques jours. C’est inévitable. C’est la science qui le dit. Devinez qui sera désigné comme responsable dans les plateaux télés et par les appareils de propagande ?
Ce ne sera ni les prières du vendredi. Ni la politique de contrôle aux frontières. Ni les stades qui accueillaient encore du public. Ce sera le Hirak qui a manqué de « prudence et de responsabilité ». Une partie de l’opinion publique en est même préparée et sera utilisée pour en convaincre le reste. Les appareils de propagande ont « la logistique propagandiste » et ils ne leur manquent que l’essence. L’opinion publique est très fragile dans ce genre de situation.
Maintenant, si la suspension des manifestations émane du Hirak lui-même et si un débat, responsable et dépassionné, s’engage sur les alternatives, non seulement ses adversaires n’auront plus de prétexte pour le salir, le diaboliser et l’utiliser comme bouc émissaire, mais il en sortira grandi, plus fort, plus responsable et plus « séduisant » auprès de l’opinion publique. Dans une gestion de crise d’image, nos faiblesses potentielles peuvent devenir une force si l’on est intelligents et pragmatiques.
Fayçal Sahbi
Maître de conférences en communication
16 mars, 2020
Blog Radio M
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