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Tanguy Berthemet
INTERVIEW - Augustin Augier est le directeur de l’ONG médicale Alima, active dans les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale.
LE FIGARO.- Quelle est la situation des pays africains vis-à-vis du Covid-19?
Augustin AUGIER.- Aujourd’hui, le Covid-19 est en Afrique et nous n’avons pas d’éléments scientifiques laissant penser que nous n’aurons pas la même courbe épidémique en Afrique que dans le reste du monde. On a le devoir de se préparer en fonction des connaissances scientifiques que nous avons. L’un des problèmes, que l’on voit avec beaucoup d’autres pathologies en Afrique, c’est l’invisible. Ce sont souvent des cas invisibles.
» LIRE AUSSI - Afrique: alerte sur un risque de crise alimentaire
Dans la plupart des pays d’Afrique, il n’y a qu’un laboratoire capable de tester et qui peut faire au mieux 500 tests par jour. Il est évident que dans les zones rurales, les malades ne peuvent être détectés. Les gens n’ont pas l’habitude d’aller dans les centres de santé quand ils sont malades, et de toute façon il n’y aura ni kit de prélèvement ni de chaîne logistique pour le transférer vers un laboratoire. Donc ce que l’on voit des cas en Afrique ne reflète sans doute qu’une infime proportion des cas réels. Une autre spécificité africaine est que la population est jeune. Mais on sait qu’un tiers des gens hospitalisés en France ont moins de 65 ans et ont d’autres pathologies.
» LIRE AUSSI - Coronavirus: la solidarité intéressée de l’Union européenne envers les Africains
Et cette population-là existe en Afrique. La deuxième particularité est la fragilité aiguë des systèmes de santé, notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale, avec beaucoup moins de lits d’hospitalisation et beaucoup moins de professionnels. Donc, la population des moins de 65 ans, que l’on arrive à bien soigner en Europe, on risque de ne pas y parvenir en Afrique, et donc d’avoir une mortalité beaucoup plus élevée. Nous n’avons pas de modèle épidémiologique qui nous permette de faire des projections sur cette mortalité. C’est une maladie nouvelle et inédite par son ampleur. On ne sait pas comment cela va se passer.
Pensez-vous que le confinement pratiqué dans le reste du monde est une possibilité en Afrique?
C’est la troisième grande spécificité. Dans une majorité de pays africains, notamment les plus fragiles, ce confinement des populations est rendu impossible par leur fragilité et leur vulnérabilité. On voit bien dès lors qu’on ne peut leur demander de rester à domicile pendant trois semaines. Sauf si on leur apporte des moyens de subsistances, comme on le fait en Europe ou aux États-Unis pour compenser.
Les États-Unis viennent de prendre des décisions en ce sens. Il faut donc aborder la question de la même façon avec les pays africains. C’est possible. Il y a des moyens de distribuer de l’argent, à large échelle, en ciblant les plus faibles. Cela peut se faire notamment grâce aux nouvelles technologies et aux transferts monétaires par téléphone qui sont très répandus aujourd’hui en Afrique, en particulier dans les grandes villes qui risquent d’être très affectées. L’opérationnalisation de ce filet social qui permet le confinement est possible. La difficulté est d’avoir la volonté politique des États africains et la solidarité internationale pour les fonds.
Est-ce réaliste de mobiliser si vite de tels moyens?
Le directeur de l’OMS et l’Union africaine ont prévenu que la situation en Afrique est particulièrement inquiétante et qu’il fallait s’attendre au pire. Pour autant, on constate que la stratégie de lutte contre le Covid-19 est plutôt une somme de stratégies nationales qu’une vision globale. Cette vision globale nécessiterait de comprendre que l’on ne peut pas gagner contre le Covid uniquement en se battant en Europe. Si on éradique la maladie là, mais qu’elle circule ailleurs, cela ne sert à rien.
Cette nécessité de stratégie globale va donc bien au-delà des impératifs humanitaires évidents. Il faut donc une triple solidarité: une solidarité financière, une solidarité en termes de matériel, pour que chacun n’achète pas du matériel de son côté, et enfin une solidarité en termes de ressources humaines. On l’avait vu avec Ebola, en 2014 en Afrique de l’Ouest. Des milliers de volontaires étaient venus appuyer les collègues locaux et trois milliards de dollars avaient été mobilisés pour ces seuls trois pays.
Mais ni l’Europe, ni les États-Unis n’ont de médecins disponibles aujourd’hui…
Ce n’est évidemment pas pensable de demander à des médecins français d’aller aider en ce moment en Afrique. Ils ont des urgences à traiter en France. Mais une fois que la vague sera passée, comme c’est le cas de la Chine ou en Corée du Sud aujourd’hui, alors devra s’installer cette solidarité entre les personnels médicaux. La Chine, pays producteurs de biens médicaux, doit se mobiliser immédiatement et demain les pays qui le pourront.
On n’a pas connu en Afrique de précédent d’épidémie qui se répande aussi vite.
Sans cette mobilisation, à quoi doit-on s’attendre?
C’est très difficile de faire des projections sur ce qui peut arriver. On n’a pas connu en Afrique de précédent d’épidémie qui se répande aussi vite. Ce que l’on peut imaginer, d’après ce que l’on sait de cette maladie, c’est une mortalité élevée et il faut redouter des conséquences économiques, politiques et géopolitiques. Là, on entre dans un grand inconnu. Les épidémies, quand elles ne sont pas contrôlées provoquent des changements dont on ne peut imaginer l’amplitude surtout sur un continent qui connaît déjà beaucoup de conflits.
INTERVIEW - Augustin Augier est le directeur de l’ONG médicale Alima, active dans les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale.
LE FIGARO.- Quelle est la situation des pays africains vis-à-vis du Covid-19?
Augustin AUGIER.- Aujourd’hui, le Covid-19 est en Afrique et nous n’avons pas d’éléments scientifiques laissant penser que nous n’aurons pas la même courbe épidémique en Afrique que dans le reste du monde. On a le devoir de se préparer en fonction des connaissances scientifiques que nous avons. L’un des problèmes, que l’on voit avec beaucoup d’autres pathologies en Afrique, c’est l’invisible. Ce sont souvent des cas invisibles.
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Dans la plupart des pays d’Afrique, il n’y a qu’un laboratoire capable de tester et qui peut faire au mieux 500 tests par jour. Il est évident que dans les zones rurales, les malades ne peuvent être détectés. Les gens n’ont pas l’habitude d’aller dans les centres de santé quand ils sont malades, et de toute façon il n’y aura ni kit de prélèvement ni de chaîne logistique pour le transférer vers un laboratoire. Donc ce que l’on voit des cas en Afrique ne reflète sans doute qu’une infime proportion des cas réels. Une autre spécificité africaine est que la population est jeune. Mais on sait qu’un tiers des gens hospitalisés en France ont moins de 65 ans et ont d’autres pathologies.
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Et cette population-là existe en Afrique. La deuxième particularité est la fragilité aiguë des systèmes de santé, notamment en Afrique de l’Ouest et Centrale, avec beaucoup moins de lits d’hospitalisation et beaucoup moins de professionnels. Donc, la population des moins de 65 ans, que l’on arrive à bien soigner en Europe, on risque de ne pas y parvenir en Afrique, et donc d’avoir une mortalité beaucoup plus élevée. Nous n’avons pas de modèle épidémiologique qui nous permette de faire des projections sur cette mortalité. C’est une maladie nouvelle et inédite par son ampleur. On ne sait pas comment cela va se passer.
Pensez-vous que le confinement pratiqué dans le reste du monde est une possibilité en Afrique?
C’est la troisième grande spécificité. Dans une majorité de pays africains, notamment les plus fragiles, ce confinement des populations est rendu impossible par leur fragilité et leur vulnérabilité. On voit bien dès lors qu’on ne peut leur demander de rester à domicile pendant trois semaines. Sauf si on leur apporte des moyens de subsistances, comme on le fait en Europe ou aux États-Unis pour compenser.
Les États-Unis viennent de prendre des décisions en ce sens. Il faut donc aborder la question de la même façon avec les pays africains. C’est possible. Il y a des moyens de distribuer de l’argent, à large échelle, en ciblant les plus faibles. Cela peut se faire notamment grâce aux nouvelles technologies et aux transferts monétaires par téléphone qui sont très répandus aujourd’hui en Afrique, en particulier dans les grandes villes qui risquent d’être très affectées. L’opérationnalisation de ce filet social qui permet le confinement est possible. La difficulté est d’avoir la volonté politique des États africains et la solidarité internationale pour les fonds.
Est-ce réaliste de mobiliser si vite de tels moyens?
Le directeur de l’OMS et l’Union africaine ont prévenu que la situation en Afrique est particulièrement inquiétante et qu’il fallait s’attendre au pire. Pour autant, on constate que la stratégie de lutte contre le Covid-19 est plutôt une somme de stratégies nationales qu’une vision globale. Cette vision globale nécessiterait de comprendre que l’on ne peut pas gagner contre le Covid uniquement en se battant en Europe. Si on éradique la maladie là, mais qu’elle circule ailleurs, cela ne sert à rien.
Cette nécessité de stratégie globale va donc bien au-delà des impératifs humanitaires évidents. Il faut donc une triple solidarité: une solidarité financière, une solidarité en termes de matériel, pour que chacun n’achète pas du matériel de son côté, et enfin une solidarité en termes de ressources humaines. On l’avait vu avec Ebola, en 2014 en Afrique de l’Ouest. Des milliers de volontaires étaient venus appuyer les collègues locaux et trois milliards de dollars avaient été mobilisés pour ces seuls trois pays.
Mais ni l’Europe, ni les États-Unis n’ont de médecins disponibles aujourd’hui…
Ce n’est évidemment pas pensable de demander à des médecins français d’aller aider en ce moment en Afrique. Ils ont des urgences à traiter en France. Mais une fois que la vague sera passée, comme c’est le cas de la Chine ou en Corée du Sud aujourd’hui, alors devra s’installer cette solidarité entre les personnels médicaux. La Chine, pays producteurs de biens médicaux, doit se mobiliser immédiatement et demain les pays qui le pourront.
On n’a pas connu en Afrique de précédent d’épidémie qui se répande aussi vite.
Sans cette mobilisation, à quoi doit-on s’attendre?
C’est très difficile de faire des projections sur ce qui peut arriver. On n’a pas connu en Afrique de précédent d’épidémie qui se répande aussi vite. Ce que l’on peut imaginer, d’après ce que l’on sait de cette maladie, c’est une mortalité élevée et il faut redouter des conséquences économiques, politiques et géopolitiques. Là, on entre dans un grand inconnu. Les épidémies, quand elles ne sont pas contrôlées provoquent des changements dont on ne peut imaginer l’amplitude surtout sur un continent qui connaît déjà beaucoup de conflits.
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