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ITALIE : Comment la mafia tire profit de la crise sanitaire

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  • ITALIE : Comment la mafia tire profit de la crise sanitaire

    Les organisations criminelles italiennes profitent du coronavirus pour s’approprier des activités commerciales au bord de la faillite et pour tirer avantage du malaise social provoqué par la quarantaine parmi les plus pauvres.

    Dans un village calabrais dans la pointe de la botte, un homme chargé de sacs de nourriture est contrôlé par les forces de l’ordre. Au milieu du mois de mars, l’Italie est confinée. Tout déplacement doit être justifié. «J’apporte les courses chez un ami», explique l’individu à des policiers peu convaincus. La maison de ce proche est censée être inhabitée. Et la région devrait abriter un boss en cavale. Plus tard, la lumière d’une cigarette aspirée près de la fenêtre conforte la police, qui intervient. Cesare Antonio Cordi est arrêté. Le criminel de 42 ans, à la tête d’un clan de la ’Ndrangheta, était recherché depuis sept mois.

    Un scénario connu

    Le coronavirus aura eu raison de lui. Mais la crise épidémique frappant la Péninsule depuis bientôt six semaines concède en réalité aux organisations criminelles des occasions inédites. Cette ’Ndrangheta calabraise comme la Cosa Nostra sicilienne ou encore la Camorra napolitaine utilisent leurs milliards d’euros gagnés illégalement pour se transformer en banques usurières, relever des activités en difficulté afin d’y recycler leur argent sale, et profitent de la fragilité économique des travailleurs au noir inoccupés afin d’alimenter leur bassin de main-d’œuvre. Enfin, elles s’approprient même des aides publiques destinées à répondre à la crise économique.

    Lire aussi: Le sud de l’Italie hanté par le virus

    Le scénario est déjà connu des enquêteurs. Le même se présente lors des crises économiques ou suite aux catastrophes naturelles, comme les séismes ayant dévasté ces dernières décennies diverses régions, où les mafias se sont ensuite infiltrées dans le but de tirer profit de reconstructions infinies. Mais cette fois, leur terrain d’action s’étend à travers tout le pays. Ainsi, procureurs, anciens magistrats ou spécialistes n’ont pas attendu les publications des dernières enquêtes anti-mafia pour dénoncer les dangers criminels liés à la crise épidémique. «Les organisations criminelles sont comme la bourse, elles anticipent toujours les directions», prévenait le 22 mars dernier dans les colonnes de La Repubblica l’écrivain Roberto Saviano.

    Le journaliste, auteur de nombreuses enquêtes sur les mafias, notamment Gomorra: Dans l’empire de la camorra (Gallimard, 2007), est l’un des premiers à s’inquiéter publiquement des méfaits des criminels. La pandémie est «le lieu idéal» pour les organisations mafieuses, prévient le spécialiste. Celles-ci se trouvent loin du centre de l’attention médiatique et la «machine judiciaire tourne au ralenti». Tout est donc «simple», résume Roberto Saviano: «Si tu as faim, que tu cherches du pain, peu t’importe de quel four il provient et qui est en train de le distribuer; si tu as besoin d’un médicament, tu paies, tu ne te demandes pas qui le vend, tu le veux, c’est tout.»

    Ce «tu» désigne d’abord l’entrepreneur. De nombreuses activités souffrent toujours plus de la quarantaine. D’autant plus celles appelées à rouvrir en dernier, comme les restaurants ou les cinémas. «Il est possible que celles-ci s’adressent à un usurier mafieux proposant des prêts à des taux moins élevés que les banques et demandant moins de garanties, a prévenu la semaine dernière à la télévision Nicola Gratteri, procureur de Catanzaro, en Calabre. L’objectif de la ’Ndrangheta par exemple n’est pas celui de s’enrichir mais de relever une activité commerciale pour ensuite l’utiliser afin de laver son argent provenant notamment du trafic de cocaïne.»

    Restauration et hôtellerie visées

    Selon les premières analyses de Transcrime, un centre d’études des universités de Milan, de Bologne et de Pérouse, sur l’impact du coronavirus sur les infiltrations de la criminalité organisée, les secteurs visés sont ceux de la restauration, de l’hôtellerie et du tourisme. «Environ 10% des entreprises risquent la faillite si la crise induite par l’épidémie ne faiblit pas», prévient-il. Les secteurs médicaux et pharmaceutiques sont aussi à risque. Autant d’activités à la merci des mafias. Pour répondre à ces entrepreneurs, la seule mafia calabraise dispose de 30 milliards de revenus annuels.

    Dans les moments de difficulté, les mafias «opèrent là où l’Etat est absent, ajoutait dimanche à la télévision publique le procureur national anti-mafia Federico Cafiero de Raho. Ce dernier doit défendre l’économie légale et mettre en œuvre les mécanismes de contrôle nécessaires.» A Rome lundi, le Conseil des ministres débattait d’un deuxième décret pour répondre à la crise économique liée au coronavirus. Le gouvernement de Giuseppe Conte vise à mettre en œuvre des «mesures urgentes d’accès au crédit pour les entreprises» pour une valeur de quelque 200 milliards d’euros, selon la presse transalpine.

    Des aides aux travailleurs au noir sont aussi en discussion, pensées notamment pour les régions du sud, les plus concernées par le phénomène. Ainsi, l’autre «tu» de Roberto Saviano est justement le simple citoyen. Quand elles ne sont pas usurières, les mafias viennent aussi en aide sous forme d’aumônes ou de matériel aux plus pauvres et à ceux restés sans travail et sans la possibilité d’accéder aux aides sociales. Les sacs de nourriture ne sont donc plus offerts à un boss en cavale mais bien par un mafieux à la recherche de consentement social pour s’enraciner et contrôler toujours plus un territoire.

    Antonino Galofaro, Rome
    mardi 7 avril 2020 à 14:04
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