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Baghdad, ce 9 avril 2003

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  • Baghdad, ce 9 avril 2003

    C’était le 9 avril 2003 à Baghdad. Ce jour-là, vers midi, le dernier raid meurtrier des F-16 sur les casernes de la Garde républicaine dans le quartier de Dora était suivi par un silence inhabituel. A l’hôtel Palestine, déserté la veille par les fonctionnaires du ministère irakien de l’Information, nous étions plusieurs dizaines de journalistes à attendre l’arrivée des forces américaines. En vérité, un de leurs détachements contrôlait depuis le 7 avril le palais de Saddam de l’autre côté du Tigre, face à notre hôtel, tandis que le gros des troupes était dans les faubourgs de la ville.

    Saddam City, aujourd’hui Sadr City, était déjà sous contrôle US. Dans ce quartier chiite, les pillages, les incendies des locaux du Baath et des habitations de ses cadres avaient précédé la mise à sac à grande échelle qu’allait connaître Baghdad durant plusieurs jours. Ce n’est que vers le milieu de l’après-midi du 9 avril que les premiers chars US sont arrivés sur la place Ferdaous où trônait l’immense statue de Saddam, précédant une armada de plusieurs centaines de véhicules blindés.

    Pénétrant dans l’hôtel sur lequel un de leurs chars avait tiré la veille tuant trois journalistes, les premiers Marines réquisitionnaient le rez-de-chaussée pour installer le siège du commandement américain. Toujours en cet après-midi, une centaine de jeunes venant de l’avenue Karrada scandant “A mort Saddam !” déboulait sur la place cernée par les blindés US, jetant toutes sortes de projectiles, y compris des chaussures, sur la statue de Saddam.

    Puis, à l’aide d’une corde, ils ont tenté de la déboulonner. Peine perdue, mesurant près de trois mètres — si mes souvenirs sont bons — cette statue de bronze était solidement implantée. C’est alors qu’un officier de Marines a ordonné à ses hommes d’aider les manifestants. Et à l’aide d’un filin tracté par un blindé, la statue de Saddam s’est effondrée sous les acclamations de la centaine de manifestants et sous l’œil des caméras et des photographes de presse. Cette image a fait le tour du monde.

    Pendant ce temps-là, Marwan, un des guides mis par le ministère de l’Information au service des journalistes, éclatait en sanglots, maudissant l’ancien dictateur d’avoir causé la ruine du pays et jurant que les Américains partiront par la force. Sur le coup, je ne l’ai pas trop cru du fait de la facilité avec laquelle le régime s’est effondré. Mais je n’ai jamais oublié les larmes versées par ce solide gaillard. Le régime baathiste n’était pas sa tasse de thé mais l’occupation de son pays lui était insupportable.

    Je n’ai plus revu Marwan. Ce jour-là, j’ai compris que le plus dur attendait les forces américaines. Je n’ai plus revu également Cheikh Abbas, rencontré le lendemain de la chute du régime près de Falloudja. Entouré de ses enfants et petits-enfants, cet homme fier, alors armé d’un vieux fusil, affirmait, sous le regard condescendant de quelques journalistes occidentaux, que cette terre d’Irak sera le tombeau des Américains. A l’époque, j’avais écrit que le vieux Abbas tentait de se consoler comme il pouvait de l’amère réalité de la défaite irakienne. Aujourd’hui, force est de constater qu’il avait quelque part raison : les USA se sont bel et bien enlisés dans le bourbier irakien.

    Quatre ans après, ce 9 avril 2007, je repense à ces deux hommes qui avaient en commun d’être de farouches nationalistes. Pas islamistes. Que sont-ils devenus ? En mars 2004, quand je suis retourné à Baghdad, j’ai appris par un de ses amis que Marwan était dans la résistance irakienne. Quelque part dans le triangle sunnite. Depuis, il est peut-être mort. Mais je sais une chose, si Marwan a pris les armes, le vieux Abbas a dû s’engager à sa manière dans la résistance nationale, et non au sein de la Qaïda, groupe qui s’est installé en Irak grâce à l’occupation US. Et dont les actions, plus que médiatisées, servent cette stratégie américaine qui, à défaut d’avoir apporté la démocratie, a créé les conditions d’une implosion du pays.

    Par Hassane Zerrouky, Le soir
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