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Cités à comparaître de Karim Amellal

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  • Cités à comparaître de Karim Amellal

    Cités à comparaître est la seconde publication, un roman, du jeune écrivain franco-algérien, Karim Amellal. La première est un essai, Discriminez-moi, une enquête sur les inégalités, sorti chez Flammarion en 2005.

    Le roman est une sorte de testament dans lequel un jeune adolescent, un délinquant français, issu de l’immigration, raconte sa vie. «Je crève d’envie de raconter toute l’histoire mais pour l’instant y a rien qui sort et tout ce que je peux dire, c’est que j’ai un grand vide dans l’estomac. C’est pas la faim qui creuse. C’est la peur sous la peau dans le parking de mon ventre.»

    Dans un langage très osé, l’auteur revient sur les «amalgames» comme il les appellent dont sont victimes les jeunes des cités. Lui-même issu de l’immmigration, il tente d’entrer dans la peau du jeune adolescent en parlant en son nom. Il remonte loin, à son enfance, à l’école notamment où, déjà, il était victime de discrimination. Il parle également de son père dont il ignore tout et de sa mère qu’il ne connaît pas vraiment ou très peu. Il évoque également la vie dans la cité, la drogue et Nadia dont il est amoureux. Un fantasme qui restera un fantasme. Il cite, en fait, toutes les raisons qui l’ont amené à participer au cambriolage d’une bijouterie, entraîné par des voleurs. Sauf que le cambriolage a très mal tourné prenant l’allure d’un attentat. Les cambrioleurs ont «très bêtement», comme le souligne l’auteur, abusé d’explosifs…

    L’adolescent, chargé d’appuyer sur le bouton de la télécommande d’explosifs, est accusé d'être un terroriste et est condamné à la perpétuité. «J’aurais juste voulu être un homme dans ma vie. Pas un terroriste», dira-t-il à la fin.Cités à comparaître a été écrit d’un seul trait, juste après les émeutes ayant éclaté dans la banlieue française en 2005. Un roman qui ne s’inscrit pas dans l’écriture romancière classique. Utilisant le pronom personnel «je», le roman prend l’allure d’une biographie dans laquelle le personnage s’exprime dans une façon naïve, presque impulsive L’ouvrage enferme le lecteur dans un monde intérieur, lourd, stressant et angoissant, exposant des images qui se ressemblent dans la souffrance et la douleur qu’elles dégagent et dans le langage qu’elles utilisent.

    «Démonter les amalgames entretenus autour des jeunes musulmans en France»


    La Tribune : Dans votre roman, Cités à comparaître, il y a comme une implication personnelle de votre part qui se traduit par l’utilisation du «je»…

    Karim Amellal : En fait, j’ai utilisé le «je» pour me mettre dans la tête d’un jeune délinquant, parler son langage, raconter sa vie et non pour parler de moi-même. Cités à comparaître est un testament d’un morceau de vie d’un jeune de la cité qui serait arrêté et mis en prison. Certes, mon personnage n’a pas vocation de représenter tous les jeunes des cités. C’est clair, c’est une trajectoire qui est extrême, j’ai forcé le trait à dessein. Mais le «je» renvoie également au langage que j’ai utilisé dans ce roman.

    Un langage très osé…

    C’est vrai. C’est un langage qui est choquant, qui a une apparence franche, agressive, brutale, mais c’est celui des jeunes des cités. Cependant, au-delà du but littéraire, je tenais à ce langage. C’est un exercice de style très osé, une écriture corrosive. En fait, j’étais très gêné en utilisant ce langage. J’ai pensé à mes parents qui allaient lire mon roman et je me suis demandé comment ils allaient réagir. J’ai pensé à corriger, à enlever un certain nombre de choses, ne pas parler de certains tabous… mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas possible ! Si j’avais fait cela, j’aurais renoncé à tout. J’aurai écrit un autre livre qui ne serait pas aussi réaliste. Si j’avais utilisé la langue de Chateaubriand pour parler de ces jeunes-là, cela aurait été complètement absurde.

    Vous êtes vous-même un jeune issu de l’immigration. Avez-vous été inspiré par votre expérience personnelle ?

    J’ai vécu 10 ans dans une cité après avoir vécu 10 ans à Alger. Ce type de trajectoire, je l’aie côtoyé. Beaucoup de mes amis sont morts à cause du trafic de drogue, à cause d’une overdose. Ce sont des choses que je connais, que j’ai vécu. Il est clair donc que, dans ce livre, je me suis inspiré de mon expérience personnelle. Toutefois, l’histoire que je raconte n’est pas la mienne. Ce n’est pas une autobiographie. Mais, il est vrai que ce livre démarre de quelque chose de vrai. Il est évident que je n’aurais pas pu écrire ce livre si je n’avais pas vécu dans une cité, si je n’avais pas côtoyé ces jeunes, le trafic de drogue, la chique… Bref, si je n’avais pas été à l’école classé Z comme on dit en France, si j’avais vécu au centre de Paris, il est évident que je n’aurais pas pu écrire ce livre.

    Votre personnage est accusé de terrorisme…

    Oui, mais ce livre ne parle pas de terrorisme. Mon but était de démonter les amalgames qui existent autour de la manière dont on parle des cités, des jeunes issus de l’immigration, des jeunes musulmans en France. A chaque fois qu’il y a un acte de délinquance, une violence urbaine, on dit que si c’est un Arabe qui l’a commis, c’est donc forcément un islamiste et donc forcément un terroriste. C’est ce que j’appelle moi des équations systématiques. Mon objectif était de montrer que c’est bien plus complexe que cela. Le personnage de mon livre ne sait pas qui il est, il n’est même pas Arabe. Il ignore tout de son identité religieuse et ethnique. C’est normal, il ne connaît pas son père ! Il ne sait pas s’il est musulman, juif, chrétien… il n’en sait rien. Son père aurait pu être n’importe qui. Il le dit d’ailleurs, toute la cité pourrait être son père. Par ailleurs, je veux montrer que c’est également une question de mauvais choix. Quand on est dans un territoire enraciné dans la haine, la misère, la discrimination, la précarité, on peut faire le mauvais choix. Ce mauvais choix peut se traduire par la délinquance, la toxicomanie… Ensuite, il y a le système qui le récupère. Le système en France, on le voit tous les jours, récupère des trajectoires comme cela, des jeunes de cette catégorie, pour justement alimenter ses propres peurs par rapport à l’islam et au terrorisme.

    Les deux derniers chapitres de mon livre sont la démonstration de ces amalgames. Mon personnage le dit d’ailleurs : je suis le produit, le fruit de milliers d’amalgames en série. Quand des jeunes de la cité commettent une délinquance, cambrioler une bijouterie par exemple, les médias se ruent immédiatement sur eux, pour en faire une lecture propre à eux.

    Lors des émeutes de 2005, les médias et intellectuels ont tout de suite relevé que les émeutiers étaient de jeunes musulmans. Selon eux, c’est à cause de la polygamie, de l’islam, qu’on en est arrivé à cette situation. D’ailleurs, c’est dans le sillage des émeutes d’octobre 2005 que j’ai écrit ce roman, pour dire qu’il ne fallait pas faire d’amalgames. Mais avant cela, j’ai publié un essai que j’ai écrit dans un style très académique et philosophique sur cette thématique ; notamment, la loi sur le foulard qui m’a beaucoup choqué.

    Votre personnage est très naïf pour quelqu’un qui a vécu dans la violence des cités...


    C’est un adolescent de 17, 18 ans, qui s’exprime avec des mots propres à lui pour parler de ses frustrations, ses humiliations. Il parle de la haine qu’il a en lui parce qu’il n’a pas de parents, parce qu’il est pauvre, qu’il se drogue,… Il a quitté l’école, n’a aucun avenir, aucun espoir. Il raconte très naïvement comment il en est arrivé à faire des mauvais choix.

    Il dit : «J’étais bête parce que je me droguais alors que ce n’était pas bien.
    J’étais bête d’être récupéré par des gens que je ne connaissais pas, bête parce que j’ai appuyé sur un bouton pour faire exploser une bijouterie… On m’avait demandé de faire cela et je l’ai fait parce que j’avais besoin d’argent, parce que j’étais seul, pas d’amis pour me conseiller, pas de professeur…, la République ? Je ne savais pas ce que c’était, donc j’ai fait ce que des gens m’ont demandé de faire très naïvement et peut-être bêtement.» La machine institutionnelle, les médias s’empareront ensuite de cette affaire, et le procès commence. Ce jeune a beau dire qu’il n’a rien à voir avec l’islamisme et le terrorisme, la machine institutionnelle l’accuse du contraire.

    Le titre de votre roman, Cités à comparaître, porte un double sens…

    En effet. Il porte un double sens par rapport justement à cette machine juridique où le personnage est cité à comparaître. C’est donc une formule juridique. Mais le titre fait référence également aux cités qui sont également accusées, qui sont «citées» à comparaître.

    Mon ouvrage est destiné au Français qui a peur de ces gens-là pour lui expliquer comment et pourquoi les jeunes de cités brûlent une voiture…
    Je tiens à préciser que je ne suis pas le seul qui écrit sur cette thématique. Je fais parti d’un nouveau courant qui s’intéresse à ce qui se passe dans la banlieue, à l’inégalité, à la discrimination, aux bavures policières… Choses dont la littérature en France, égoïste, ne parle pas. Nous allons donc sortir au mois de septembre un recueil de nouvelles autour de la banlieue tout en tentant de ne pas trop nous y enfermer. C’est une littérature engagée et politique dans laquelle nous nous sommes lancés.

    Par La Tribune
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