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Coronavirus : les difficultés économiques de l’Afrique du Sud aggravées par les agences de notation

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  • Coronavirus : les difficultés économiques de l’Afrique du Sud aggravées par les agences de notation

    Moody’s a dégradé la note de la dette publique du pays le 27 mars, renvoyant les bonds émis par les autorités au statut « d’obligations pourries ».

    Par Mathilde Boussion Publié hier à 18h00




    « Dire que nous tremblons dans nos bottes en pensant à ce qui pourrait arriver dans les semaines et les mois à venir est un euphémisme. » Les mots sont ceux du ministre des finances sud-africain. Tito Mboweni réagissait alors à la décision de l’agence de notation Moody’s de dégrader la note de la dette publique de l’Afrique du Sud, le 27 mars, renvoyant les bonds émis par le pays au statut « d’obligations pourries », que lui attribuaient déjà les deux autres grandes agences de notation mondiales depuis 2017. Depuis, l’agence Fitch a encore abaissé son évaluation de la solvabilité du pays d’un cran.


    Ces deux revers successifs assombrissent un peu plus l’horizon financier déjà plombé de l’Afrique du Sud au pire moment. Premier foyer de l’épidémie de Covid-19 du continent avec 1 934 cas et 18 décès au 10 avril, le pays est tout entier tourné vers la gestion de cette crise sanitaire.



    Pour y faire face, il doit à la fois importer du matériel médical en masse et éponger l’impact économique mondial de la pandémie ainsi que celui du confinement strict qui paralyse de larges pans de l’économie sud-africaine depuis le 26 mars. Déjà endetté à plus de 60 % de son PIB, le pays n’a d’autres choix que d’emprunter encore pour relever les défis en cours.

    Une facture qui s’annonce très salée
    A travers ces notations, les agences internationales évaluent la capacité des pays à rembourser leur dette sur le long terme. Scrutées par les investisseurs, elles ont des conséquences directes sur les conditions dans lesquelles les nations peuvent lever des capitaux sur le marché obligataire.

    Concrètement, puisqu’il est plus risqué de miser sur la dette sud-africaine, cela signifie que les emprunts contractés par le pays vont coûter plus cher. Quelques jours après l’annonce de la décision de Moody’s, le président Cyril Ramaphosa a fait savoir que « ce développement ne diminuera en aucune manière notre réponse à la pandémie », signalant par là qu’il ne reculerait devant aucun sacrifice pour sauver des vies. Mais la facture s’annonce très salée pour le gouvernement.


    D’autant plus salée que les annonces successives de Moody’s et Fitch n’ont pas tardé à provoquer une saignée dans les capitaux étrangers qui détenaient jusque-là 37 % de la dette sud-africaine. De nombreux investisseurs sont en effet dans l’obligation de placer l’argent dont ils ont la charge en dessous d’un certain niveau de risque, qui exclut les « obligations pourries ».

    L’ampleur exacte de la fuite des liquidités reste à déterminer. La monnaie sud-africaine a déjà perdu plus de 30 % de sa valeur depuis le 1er janvier. Mécaniquement, le phénomène renchérit d’autant les importations de matériel médical notamment, dont le pays a un besoin crucial.

    Une dette publique à 80 % du PIB en 2021
    Les agences de notations justifient leur choix en évoquant les conséquences de la pandémie, mais aussi les faiblesses structurelles de l’économie sud-africaine qui limitent sa capacité à juguler l’impact de la crise. Moody’s cite ainsi la faiblesse des recettes fiscales, la croissance molle qui hante le pays depuis des années, le manque de fiabilité de la production électrique alors que le géant Eskom doit régulièrement plonger dans le noir une partie du pays pour faire face à la demande, le chômage de masse ou encore « l’érosion de la puissance institutionnelle induite par la corruption généralisée de l’administration Zuma ».


    L’agence Fitch évoque quant à elle « l’absence d’orientation claire vers la stabilisation de la dette publique », qui pourrait grimper à 80 % du PIB en 2021 selon ses calculs, faute de réformes structurelles.



    En résumé, le ministre des finances sud-africain a raison de « trembler dans ses bottes ». Le Covid-19, qui agit déjà comme un révélateur des inégalités sociales, fait également tomber les masques dans le domaine économique et financier. « La décision de Moody’s était attendue depuis longtemps et le rand était déjà faible avant les dernières annonces », note ainsi Busisiwe Radebe, économiste pour la banque sud-africaine Nedbank, qui estime que la valeur réelle de la monnaie sud-africaine est autour de 18 dollars.

    Contraction du PIB de 2 % à 4 % en 2020
    Lundi 6 avril, la banque centrale sud-africaine a annoncé que le pays, déjà en récession, subirait probablement une contraction de son PIB de l’ordre de 2 % à 4 % en 2020. D’après ses premières estimations, la nation pourrait perdre au moins 370 000 emplois cette année, alors que le chômage officiel frôle déjà les 30 %. Malgré ces difficultés, « l’Afrique du Sud n’est pas l’Argentine, rassure Busisiwe Radebe. Notre système financier est solide et le pays ne se retrouvera pas en défaut de paiement. »


    S’il n’est certes pas question de faire défaut face aux défis, les tabous tombent et la première puissance industrielle d’Afrique n’exclut plus de faire appel au Fonds monétaire international (FMI) pour financer les achats de matériels médicaux. « Nous n’avons pas le temps pour les idéologies. Si ce n’est pas le FMI, alors donnez-moi l’argent. Les idéologies ne se mangent pas », expliquait le ministre des finances au journal City Press, le 29 mars, ajoutant être « préparé à faire des choix difficiles, même si les gens me clouent au pilori ».


    C’est précisément ce qui n’a pas tardé à arriver. Quelques jours après ses déclarations, l’ANC, son propre parti, envoyait une lettre au président Cyril Ramaphosa indiquant qu’il rejetait catégoriquement cette option. « Le secrétariat réaffirme la nécessité de sauvegarder la souveraineté nationale démocratique de l’Afrique du Sud, son droit fondamental à l’autodétermination ainsi que notre indépendance, qui sont non négociables, même au milieu de la crise », écrit le secrétaire général de l’ANC, Ace Magashule, appuyé par ses alliés du Parti communiste et de la très puissante fédération syndicale Cosatu.



    Le courrier révèle une fois de plus les fortes dissensions qui déchirent le parti au pouvoir, dont une partie s’oppose fermement aux réformes prônées depuis longtemps par le ministre des finances. Sur ce plan, la crise qui met l’Afrique du Sud dos au mur pourrait avoir des effets inattendus en faisant sauter les verrous qui bloquent l’avancée de ces réformes depuis des années. Le président Cyril Ramaphosa aurait ainsi confié à son ministre des finances que le moment était venu de « bouger de manière plus audacieuse sur le programme de réformes structurelles », expliquait Tito Mboweni à la presse il y a quelques jours. Sa réponse : « Hallelujah ! »
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