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Y a t-il un embargo sur les aliments comme l'affirment les propagandistes de Maduro pour expliquer les pénuries ?

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  • Y a t-il un embargo sur les aliments comme l'affirment les propagandistes de Maduro pour expliquer les pénuries ?

    Effectivement, on peut lire dans les médias vénézuéliens et cubains notamment, à l'unisson de la ligne de défense du régime de Nicolas Maduro, que les entreprises privées et les puissances étrangères tentent d'organiser un blocus des biens de première nécessité (nourriture et médicaments, notamment) pour étouffer le Venezuela.

    En septembre, le président Maduro accusait le «Plan Trum-Borges [du nom d'un homme d'affaire vénézuélien, opposant à Nicolas Maduro]» d'avoir permis de «bloquer les ressources en dollars nécessaires pour payer les médicaments, les aliments et les services liés au sport», que Caracas aurait à sa disposition.

    Dans cette optique, l'ambassadeur du Venezuela en France annonçait en août sur France Inter que son gouvernement avait «fait des erreurs économique», mais qu'il était victime d'un «blocus international financier».

    Une étude réalisée par une universitaire vénézuélienne attribue les files d'attente dans les magasins et les pharmacies à «des stratégies de secteurs opposés au gouvernement national pour générer une destabilisation politique et sociale, qui n'ont pas eu recours à la grève […] mais au boycott de l'approvisionnement en biens». Selon les statistiques du gouvernement vénézuélien utilisées, et contrairement à ce que laissent penser les images de rayons de supermarrché vides diffusées à l'étranger, la consommation de biens de première nécessité n'a cessé d'augmenter au Venezuela depuis 2002.

    La production de ces bien n'aurait pas non plus diminué selon le rapport. D'ailleurs, ces biens ne manquent pas, mais «pour employer des termes exacts, ils ne sont pas disponibles de manière régulière dans les rayonnages, ce qui génère une impression d'insuffisance d'approvisionnement qui produit de larges files d'attente». La faute à des situations de monopoles et d'oligopoles (et pas à l'encadrement des prix par l'Etat, contrairement à ce que disent les opposant), dans lesquels les producteurs nationaux refusent d'approvisionner les magasins vénézuéliens pour destabiliser le pays.

    Avions, sanctions financières et grenades lacrymogènes

    Mis de côté les chiffres du gouvernement vénézuélien, trois exemples peuvent de prime abord alimenter l'idée d'un embargo contre le pays caribéen. D'abord, la question des compagnies aériennes : «En 2013 on comptait 57000 sièges disponibles, au départ et à l'arrivée [du Venezuela] Désormais il n'y en a plus que 19000, à des prix toujours plus élevés» écrivait La Croix en août, citant les informations de l'Association internationale du transport aérien.

    Mais il n'est pas question d'embargo, selon l'IATA, qui avance d'autres explications : le fait que l'Etat, doit près de quatre milliards de dollars aux compagnies aériennes, les problèmes d'équipements des aéroports, et l'insécurité du pays à cause de laquelle les équipages refusent d'y passer la nuit. La BBC a relevé que de nombreuses liaisons avaient été abandonnées par les transporteurs aériens.

    Autre cas souvent avancé par les partisans de Nicolas Maduro: les sanctions financières des Etats-Unis (entre autres) contre des ressortissants vénézuéliens. Dans l'absolu, il s'agit plus exactement du gel de certains avoirs financiers détenus par des dignitaires du pays (et a priori, pas ceux qui souffrent le plus des pénuries).

    S'y ajoute aussi l'interdiction récente faite aux entreprises américaines d'acheter des obligations de l'Etat vénézuélien et de la compagnie pétrolière publique, PDVSA, via laquelle Caracas s'approvisionne sur les marchés financiers. Si les observateurs internationaux, cités par Le Monde notamment, considèrent que la mesure risque d'accroître l'agonie de l'économie vénézuélienne, cela n'empêche pas les Etats-Unis de continuer de se fournir en pétrole caribéen. Washington achetant 20% du pétrole exporté par le Venezuela (ce qui représente 4% de la consommation pétrolière américaine), il est d'ailleurs compliqué de parler d'un embargo.

    Dernier exemple, moins souvent mobilisé par les chavistes, mais qui constitue peut-être une forme d'embargo: le blocage de matériel anti-émeute et de gaz lacrymogènes, achetés à l'étranger par Caracas. Ainsi l'Islande avait interdit le transit par son territoire de ces marchandises, en provenance de Chine et à destination du Venezuela, comme le relève le média vénézuélien Efecto Cocuyo. Dans la même ligne, le gouvernement brésilien a interdit à une entreprise nationale d'exporter des produits de ce type vers le voisin du nord.

    Baisse drastique des importations

    Plusieurs études internationales montrent que les pénuries de médicaments ou de biens de consomation ne sont pas liées à un quelconque embargo, mais à la politique économique et financière menée par Caracas sur le long-terme. Dans un article à ce sujet publié fin 2016 dans la Revue d'économie financière (numéro 124), Marie Albert de la Coface (Compagnie d'assurance française pour le commerce extérieur) et Cristina Jude de la Banque de France résument ainsi la situation:

    L'administration Chavez [le prédécesseur du président Nicolas Maduro] a nationalisé une partie importante de l'économie, a mis en place des contrôles des prix et des changes et a subventionné les importations […] Dans le contexte plus récent de baisse du prix du pétrole, la dépendance du pays aux recette pétrolières a entraîné une pénurie de devises et des restrictions d'importations, en conduisant à l'envolée des prix des biens de consommation et au développement du marché noir.

    Selon les auteures, 75% des biens de consommation étant importé, les problèmes de devises (qui servent notamment à commercer avec l'étranger) sont la principale explication de ces pénuries. A cet égard, elles écrivent:

    La stratége d'ajustement des comptes extérieurs a été complétée par des rationnements des importations. Le gouvernement a décidé de réduire les importations à environ 21 milliards en 2016 (contre 36,9 milliards de dollars en 2015), soit une diminution de plus de 40% selon les déclarations du ministre des finances.

    Début 2017, le président Nicolas Maduro annonçait qu'en 2016, les importations du pays avaient chuté de plus de 50% pour atteindre les 18 milliards de dollars, au motif que Caracas privilégiait le remboursement de sa dette à l'achat de produits de première nécessité.

    Le Real Instituto Elcano, un groupe de réflexion espagnol, écrivait déjà en juillet 2016 du record d'importation, atteint par le pays en 2012 (59 milliards), que «ce niveau d'importations, même avec des prix pétroliers encore élevés, n'était pas soutenable dans le temps. A partir de 2013, le manque de devises a privé l'industrie nationale de matières premières et de machines nécessaires pour continuer à produire.»

    Le contrôle par l'Etat des changes et des devises est d'ailleurs le cœur du problème, selon les études précitées et la Banque mondiale.

    Le Venezuela n'est pas Cuba

    S'il peut être difficile de se faire une idée claire de la situation dans cette guerre de chiffres et d'exemples, on peut toutefois résumer la situation comme Eduardo Rios, docteur en sciences politiques au Centre d'études des relations internationales (Ceri) de Sciences-Po:

    Si votre perspective est qu'à la base, le régime économique international est une machine de domination insupportable, le Venezuela est victime de ses dysfonctionnements. L'embargo est une mesure politique (ce qui est arrivé à l'Iran, à Cuba, à la Corée du Nord). Dans le cas vénézuélien, il s'agit plus d'une aliénation systématique des acteurs qui jouent dans les marchés internationaux.

    En d'autres termes, le Venezuela s'est tellement endetté, et la mainmise du gouvernement sur le secteur privé est telle, que les investisseurs et les partenaires commerciaux ont décidé, pour la plupart, de jeter l'éponge. Sans pour autant que l'on puisse parler d'embargo.

    Dans une perspective historique, Eduardo Rios estime que la question de l'embargo est soulevée parce que les partisans de Maduro «comparent le Venezuela au Chili d'Allende et à Cuba», contre qui les Etats-Unis avaient bien décrété un embargo. Pour l'universitaire, «ces personnes préfèrent répéter ce qu'elles ont appris à l'école plutôt que de réfléchir à la situation actuelle. Mais aujourd'hui la guere froide est finie.» Le problème, ici, est différent. Le Venezuela a trop emprunté sur les marchés financiers – ou on lui a trop prêté, question de point de vue – et le pays se retrouve dans une situation inexctricable. D'ailleurs Nicolas Maduro a récemment convoqué les créanciers, le 13 novembre, probablement pour négocier une restructuration de la dette, puisque l'ombre de la cessation de paiement plane sur le pays.

    Fabien Leboucq
    Libération
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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