Sergio Altuna Galán. ARI 54/2020 (versión en francés) - 23/4/2020
Mostaganem (Algérie) pendant l'hiver à midi. Photo: Pabel Rock (CC BY-NC-ND 2.0)
Mostaganem (Algérie) pendant l'hiver à midi. Photo: Pabel Rock (CC BY-NC-ND 2.0)
Version originale en espagnol: AQMI frente al hirak: modulación del discurso a la espera de una ventana de oportunidad en Argelia
Thème
Quelles sont les similitudes et les différences entre le discours utilisé par AQMI dans sa propagande officielle lors des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et ceux du hirak en 2019 ?
Résumé
Ce document présente une approximation de l'évolution du discours d'al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en analysant les similitudes et les différences observées au niveau de la langue, du ton et du style utilisés dans la propagande officielle de cette organisation au cours des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et celles du mouvement populaire de protestation communément nommé hirak. Notre analyse montre qu’en s'appuyant sur les enseignements tirés de la période 2011-2012, la stratégie discursive d’AQMI a évolué, essayant de se positionner de la meilleure façon possible pour rentabiliser le résultat du hirak quel que soit son résultat.
Analyse
Ce document examine les similitudes et les différences palpables dans le discours d'al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en comparant la langue, le ton et le style de sa propagande lors des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et lors du mouvement de protestation populaire – connu sous le nom de hirak – articulé autour des manifestations massives et pacifiques qui sans interruption ont lieu plusieurs jours par semaine depuis le 16 février 2019.
Ayant suffisamment de recul, il est possible de décrire les manifestations de 2011 comme une tentative de surfer sur la vague révolutionnaire qui avait commencé à secouer la région. Cependant, décrire la vague actuelle de protestations dans le pays de manière succincte aurait comme conséquence de passer à côté d’un bon nombre de nuances dont la prise en compte est nécessaire pour avoir, dans la mesure du possible, une image fidèle à la réalité. De plus, présenter ces événements comme faisant partie du soi-disant « Printemps Arabe » nous priverait d'une explication profonde et notamment ne nous permettrait pas de relier ce qui se passe actuellement aux problèmes non résolus de la Guerre d'Indépendance, des événements d'octobre 1988, de la décennie noire, etc. De même, ne pas limiter dans le temps les manifestations populaires qui ont des objectifs parfois différents nous empêcherait également d’approfondir la réflexion et de couvrir plusieurs niveaux d’analyses.
Aussi, et pour les besoins de notre analyse, tous les documents originaux produits par AQMI et relatifs aux manifestations de 2011 et celles de 2019 ont été compilés. Les critères sur lesquels se fonde le choix des documents analysés sont les suivants : Premièrement, que le document puisse être considéré comme officiel, c'est-à-dire qu'il provienne d'une des agences médiatiques d'AQMI (al-Andalus Media ou Ifrīqiyā al-Muslima) et qu'il ait été publié à travers ses canaux habituels. De même, le document doit avoir été initialement publié en arabe, démarquant ainsi le public ciblé par le message. Deuxièmement, que le sujet principal du document soit bien les manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011, le mouvement populaire de protestation communément appelé hirak, ou, à défaut, autour des événements directement liés à celui-ci, tels que l'organisation des élections, l'annonce de réformes, etc.
Compte tenu de ces paramètres, l'échantillon analysé est composé de huit (8) documents distincts se rapportant aux manifestations de 2011 (six documents format audio et deux documents format vidéo) et neuf (9) documents au sujet du hirak (sept documents format audio et deux documents manuscrits). Les titres originaux, les dates de publication et les formats sont détaillés ci-dessous dans les figures 1 et 2.
Figure 1. Documents publiés par AQMI sur les manifestations de 2011
Titre original Date de publication Format
نداء إلى أهلنا الثائرين في الجزائر 9/I/2011 Audio
رسالة إلى أهل العلم والدعوة 29/I/2011 Audio
لقاء مؤسسة الأندلس مع الشيخ أبي عبيدة يوسف العنابي 20/VI/2011 Audio
11 دخلوا عليهم الباب 15/VII/2011 Vidéo
2 ادخلوا عليهم الباب 15/VII/2011 Vidéo
ه1432 خطبة عيد الأضحى لعام 11/XI/2011 Vidéo
خطاب لأهلنا في الجزائر وحرض المؤمنين 15/I/2012 Audio
قاطعوا مهزلة الانتخابات 18/IV/2012 Audio
Note : deux des documents analysés, bien qu'ils soient directement liés et répondent strictement aux critères qui définissent l'échantillon analysé, ont été publiés début 2012.
Source : l'auteur.
Figure 2 . Documents publiés par AQMI au sujet du hirak
Titre original Date de publication Format
الجزائر والخروج من النفق المظلم
10/III/2019 Audio
قراءة سياسية للقرارات الأخيرة لرئاسة الجزائر 20/III/2019 Manuscrit
بيان تكذيب وتحذير! 30/III/2019 Manuscrit
نعيذكم بالله أن تتراجعوا 4/IV/2019 Audio
اللقاء الصحفي للشيخ عبيدة يوسف العنالي مع الصحفي وسيم نصر 30/V/2019 Audio
يا أحرار الجزائر لا تبرحوا أماكنكم 13/VIII/2019 Audio
كلمات بين يدي الأحداث في الجزائر 20/XI/2019 Audio
وخاب كل جبار عنيد 8/XII/2019 Audio
Note : certains documents mis sous la catégorie des documents audio intègrent aussi des courtes vidéos contextuelles en guise d'introduction au message principal.
Source : l'auteur.
Historiquement, l'une des forces du réseau al-Qaïda – et par la suite des organisations sous son égide – réside dans sa capacité à interpréter les événements et à articuler un discours qui rejoint directement la perception et l'opinion de son public cible tout en privilégiant sa propre stratégie et ses finalités. Illustration de ces stratégies déjà utilisées par le passé et dans d’autres contextes, la présentation de la guerre de Bosnie comme un génocide de la population musulmane, la caractérisation de l'invasion de l'Irak en 2003 comme une réédition des croisades promues par l'église catholique au Moyen Âge ou représenter allégoriquement – à partir de 2011 – Bachar al-Assad comme s'il s'agissait d'une extension de la figure coranique du pharaon.
Il est évident qu'AQMI, en tant qu'organisation terroriste qui cherche à exercer une pression à travers la violence sur le système politique algérien dans le but de le renverser, a un intérêt particulier à générer des périodes d'instabilité pour pouvoir en tirer profit. En tant que tel, un mouvement de protestation contre le régime établi comme c’est le cas de l'Algérie actuellement, représente une fenêtre d'opportunité extrêmement intéressante pour cette organisation. Or, les difficultés inhérentes à développer une analyse solide, cohérente et raisonnée concernant un processus en constante évolution ne sont pas étrangères à la construction de la stratégie discursive de toute organisation de ce type. Et les défis sont pour autant nombreux : combiner les dynamiques mondiales et locales, continuer à nourrir son propre mythe, répondre aux attentes du militantisme sans affecter le recrutement et ne pas faire preuve d’incohérences, etc.
Similitudes entre 2011 et 2019 : ce qui se passe et qui sont les coupables
Comme dans toute stratégie de communication qui se respecte, et bien que pratiquement une décennie se soit écoulée entre les deux processus, il y a des parties fondamentales du discours d'AQMI qui demeurent inchangées. De toute évidence, il est nécessaire d'avoir un corpus narratif qui peut être lu et interprété également par l'émetteur et le récepteur, une base commune à partir de laquelle il est possible d’incorporer de nouveaux éléments au contenu.
Dans ce sens, le premier point qui se répète comme un mantra, c'est la représentation des événements comme la continuation d'un processus d'indépendance inachevé décrit comme « fallacieux ».2 En effet, Abdelmalek Droukdel, émir suprême d’AQMI, explique dans son premier discours concernant les manifestations de 2011 que celles-ci sont le fait « à la fois de la nature insurgée du peuple algérien et de son intégrité morale ».3 Il considère que ces mouvements refont régulièrement surface sous la forme de soulèvements populaires ou de révolutions comme cela s'est déjà produit – toujours selon AQMI – en 1988 et 1992. De même, et arborant la voie de la victimisation assez caractéristique de l'argumentaire djihadiste, AQMI justifie l'échec des différents processus en blâmant l'Occident en général et la France en particulier pour le soutien apporté au régime apostat et collaborationniste.
De la même façon, un autre raisonnement qui se répète de manière transversale et avec lequel AQMI essaie de se dégager de toute responsabilité pour les échecs passés est, selon les propres mots d'Abdelmalek Droukdel, « tant que nous ne considérons pas le retard de l'indépendance comme faisant partie de l'échec de la guerre de libération nous ne pourrons pas considérer le retard de l'implantation d'un État islamique comme l'échec du djihad ».4
Un autre aspect fondamental de la communication d'AQMI concernant ces deux processus est celui de signaler l'institution militaire comme l'ennemi principal. En effet, AQMI estime que cela est le cas, pas uniquement après la destitution d'Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, suite à laquelle le rôle réel de l'élite militaire algérienne a été mis en évidence encore une fois, mais aussi depuis le début des manifestations en début 2011. Ceci, bien entendu, sans manquer d’inclureégalement parmi ses objectifs prioritaires « tous ces hauts fonctionnaires et institutions politiques dont le rôle découle de leur impiété ».5 Les appels à la repentance de l'ennemi ne sont pas uniquement une constante dans les deux périodes analysées, mais ils se produisent d’une manière plus fréquente en comparaison avec d'autres documents de propagande en dehors des périodes couvertes par cette étude.
Enfin, il convient de souligner l'importance qu’AQMI confère au rôle joué par les oulémas et les imams pendant les périodes des manifestations populaires. En effet, dans sa stratégie de communication, et à plusieurs reprises, AQMI met l'accent sur deux aspects différents : d'une part, l'organisation dénonce le rôle des prédicateurs et autres membres du clergé qui sont au service du régime, avertissant les manifestants des effets négatifs que les conseils de ces derniers pourraient avoir sur la mobilisation populaire. D’autre part, et peut-être plus important encore, tant en 2011 qu'en 2019, et dans une tentative claire de tirer profit de la situation pour légitimer ses positionnements, AQMI lance un appel pressant aux « prédicateurs et imams à rejoindre la jeunesse musulmane et à mener la bataille [...] dans le but de renverser le système apostat et laïque et d'établir un régime islamique »,6 exhortant à plusieurs reprises ces derniers à déclarer le djihad.
Mostaganem (Algérie) pendant l'hiver à midi. Photo: Pabel Rock (CC BY-NC-ND 2.0)
Mostaganem (Algérie) pendant l'hiver à midi. Photo: Pabel Rock (CC BY-NC-ND 2.0)
Version originale en espagnol: AQMI frente al hirak: modulación del discurso a la espera de una ventana de oportunidad en Argelia
Thème
Quelles sont les similitudes et les différences entre le discours utilisé par AQMI dans sa propagande officielle lors des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et ceux du hirak en 2019 ?
Résumé
Ce document présente une approximation de l'évolution du discours d'al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en analysant les similitudes et les différences observées au niveau de la langue, du ton et du style utilisés dans la propagande officielle de cette organisation au cours des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et celles du mouvement populaire de protestation communément nommé hirak. Notre analyse montre qu’en s'appuyant sur les enseignements tirés de la période 2011-2012, la stratégie discursive d’AQMI a évolué, essayant de se positionner de la meilleure façon possible pour rentabiliser le résultat du hirak quel que soit son résultat.
Analyse
Ce document examine les similitudes et les différences palpables dans le discours d'al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en comparant la langue, le ton et le style de sa propagande lors des manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011 et lors du mouvement de protestation populaire – connu sous le nom de hirak – articulé autour des manifestations massives et pacifiques qui sans interruption ont lieu plusieurs jours par semaine depuis le 16 février 2019.
Ayant suffisamment de recul, il est possible de décrire les manifestations de 2011 comme une tentative de surfer sur la vague révolutionnaire qui avait commencé à secouer la région. Cependant, décrire la vague actuelle de protestations dans le pays de manière succincte aurait comme conséquence de passer à côté d’un bon nombre de nuances dont la prise en compte est nécessaire pour avoir, dans la mesure du possible, une image fidèle à la réalité. De plus, présenter ces événements comme faisant partie du soi-disant « Printemps Arabe » nous priverait d'une explication profonde et notamment ne nous permettrait pas de relier ce qui se passe actuellement aux problèmes non résolus de la Guerre d'Indépendance, des événements d'octobre 1988, de la décennie noire, etc. De même, ne pas limiter dans le temps les manifestations populaires qui ont des objectifs parfois différents nous empêcherait également d’approfondir la réflexion et de couvrir plusieurs niveaux d’analyses.
Aussi, et pour les besoins de notre analyse, tous les documents originaux produits par AQMI et relatifs aux manifestations de 2011 et celles de 2019 ont été compilés. Les critères sur lesquels se fonde le choix des documents analysés sont les suivants : Premièrement, que le document puisse être considéré comme officiel, c'est-à-dire qu'il provienne d'une des agences médiatiques d'AQMI (al-Andalus Media ou Ifrīqiyā al-Muslima) et qu'il ait été publié à travers ses canaux habituels. De même, le document doit avoir été initialement publié en arabe, démarquant ainsi le public ciblé par le message. Deuxièmement, que le sujet principal du document soit bien les manifestations qui ont eu lieu en Algérie en 2011, le mouvement populaire de protestation communément appelé hirak, ou, à défaut, autour des événements directement liés à celui-ci, tels que l'organisation des élections, l'annonce de réformes, etc.
Compte tenu de ces paramètres, l'échantillon analysé est composé de huit (8) documents distincts se rapportant aux manifestations de 2011 (six documents format audio et deux documents format vidéo) et neuf (9) documents au sujet du hirak (sept documents format audio et deux documents manuscrits). Les titres originaux, les dates de publication et les formats sont détaillés ci-dessous dans les figures 1 et 2.
Figure 1. Documents publiés par AQMI sur les manifestations de 2011
Titre original Date de publication Format
نداء إلى أهلنا الثائرين في الجزائر 9/I/2011 Audio
رسالة إلى أهل العلم والدعوة 29/I/2011 Audio
لقاء مؤسسة الأندلس مع الشيخ أبي عبيدة يوسف العنابي 20/VI/2011 Audio
11 دخلوا عليهم الباب 15/VII/2011 Vidéo
2 ادخلوا عليهم الباب 15/VII/2011 Vidéo
ه1432 خطبة عيد الأضحى لعام 11/XI/2011 Vidéo
خطاب لأهلنا في الجزائر وحرض المؤمنين 15/I/2012 Audio
قاطعوا مهزلة الانتخابات 18/IV/2012 Audio
Note : deux des documents analysés, bien qu'ils soient directement liés et répondent strictement aux critères qui définissent l'échantillon analysé, ont été publiés début 2012.
Source : l'auteur.
Figure 2 . Documents publiés par AQMI au sujet du hirak
Titre original Date de publication Format
الجزائر والخروج من النفق المظلم
10/III/2019 Audio
قراءة سياسية للقرارات الأخيرة لرئاسة الجزائر 20/III/2019 Manuscrit
بيان تكذيب وتحذير! 30/III/2019 Manuscrit
نعيذكم بالله أن تتراجعوا 4/IV/2019 Audio
اللقاء الصحفي للشيخ عبيدة يوسف العنالي مع الصحفي وسيم نصر 30/V/2019 Audio
يا أحرار الجزائر لا تبرحوا أماكنكم 13/VIII/2019 Audio
كلمات بين يدي الأحداث في الجزائر 20/XI/2019 Audio
وخاب كل جبار عنيد 8/XII/2019 Audio
Note : certains documents mis sous la catégorie des documents audio intègrent aussi des courtes vidéos contextuelles en guise d'introduction au message principal.
Source : l'auteur.
Historiquement, l'une des forces du réseau al-Qaïda – et par la suite des organisations sous son égide – réside dans sa capacité à interpréter les événements et à articuler un discours qui rejoint directement la perception et l'opinion de son public cible tout en privilégiant sa propre stratégie et ses finalités. Illustration de ces stratégies déjà utilisées par le passé et dans d’autres contextes, la présentation de la guerre de Bosnie comme un génocide de la population musulmane, la caractérisation de l'invasion de l'Irak en 2003 comme une réédition des croisades promues par l'église catholique au Moyen Âge ou représenter allégoriquement – à partir de 2011 – Bachar al-Assad comme s'il s'agissait d'une extension de la figure coranique du pharaon.
Il est évident qu'AQMI, en tant qu'organisation terroriste qui cherche à exercer une pression à travers la violence sur le système politique algérien dans le but de le renverser, a un intérêt particulier à générer des périodes d'instabilité pour pouvoir en tirer profit. En tant que tel, un mouvement de protestation contre le régime établi comme c’est le cas de l'Algérie actuellement, représente une fenêtre d'opportunité extrêmement intéressante pour cette organisation. Or, les difficultés inhérentes à développer une analyse solide, cohérente et raisonnée concernant un processus en constante évolution ne sont pas étrangères à la construction de la stratégie discursive de toute organisation de ce type. Et les défis sont pour autant nombreux : combiner les dynamiques mondiales et locales, continuer à nourrir son propre mythe, répondre aux attentes du militantisme sans affecter le recrutement et ne pas faire preuve d’incohérences, etc.
Similitudes entre 2011 et 2019 : ce qui se passe et qui sont les coupables
Comme dans toute stratégie de communication qui se respecte, et bien que pratiquement une décennie se soit écoulée entre les deux processus, il y a des parties fondamentales du discours d'AQMI qui demeurent inchangées. De toute évidence, il est nécessaire d'avoir un corpus narratif qui peut être lu et interprété également par l'émetteur et le récepteur, une base commune à partir de laquelle il est possible d’incorporer de nouveaux éléments au contenu.
Dans ce sens, le premier point qui se répète comme un mantra, c'est la représentation des événements comme la continuation d'un processus d'indépendance inachevé décrit comme « fallacieux ».2 En effet, Abdelmalek Droukdel, émir suprême d’AQMI, explique dans son premier discours concernant les manifestations de 2011 que celles-ci sont le fait « à la fois de la nature insurgée du peuple algérien et de son intégrité morale ».3 Il considère que ces mouvements refont régulièrement surface sous la forme de soulèvements populaires ou de révolutions comme cela s'est déjà produit – toujours selon AQMI – en 1988 et 1992. De même, et arborant la voie de la victimisation assez caractéristique de l'argumentaire djihadiste, AQMI justifie l'échec des différents processus en blâmant l'Occident en général et la France en particulier pour le soutien apporté au régime apostat et collaborationniste.
De la même façon, un autre raisonnement qui se répète de manière transversale et avec lequel AQMI essaie de se dégager de toute responsabilité pour les échecs passés est, selon les propres mots d'Abdelmalek Droukdel, « tant que nous ne considérons pas le retard de l'indépendance comme faisant partie de l'échec de la guerre de libération nous ne pourrons pas considérer le retard de l'implantation d'un État islamique comme l'échec du djihad ».4
Un autre aspect fondamental de la communication d'AQMI concernant ces deux processus est celui de signaler l'institution militaire comme l'ennemi principal. En effet, AQMI estime que cela est le cas, pas uniquement après la destitution d'Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, suite à laquelle le rôle réel de l'élite militaire algérienne a été mis en évidence encore une fois, mais aussi depuis le début des manifestations en début 2011. Ceci, bien entendu, sans manquer d’inclureégalement parmi ses objectifs prioritaires « tous ces hauts fonctionnaires et institutions politiques dont le rôle découle de leur impiété ».5 Les appels à la repentance de l'ennemi ne sont pas uniquement une constante dans les deux périodes analysées, mais ils se produisent d’une manière plus fréquente en comparaison avec d'autres documents de propagande en dehors des périodes couvertes par cette étude.
Enfin, il convient de souligner l'importance qu’AQMI confère au rôle joué par les oulémas et les imams pendant les périodes des manifestations populaires. En effet, dans sa stratégie de communication, et à plusieurs reprises, AQMI met l'accent sur deux aspects différents : d'une part, l'organisation dénonce le rôle des prédicateurs et autres membres du clergé qui sont au service du régime, avertissant les manifestants des effets négatifs que les conseils de ces derniers pourraient avoir sur la mobilisation populaire. D’autre part, et peut-être plus important encore, tant en 2011 qu'en 2019, et dans une tentative claire de tirer profit de la situation pour légitimer ses positionnements, AQMI lance un appel pressant aux « prédicateurs et imams à rejoindre la jeunesse musulmane et à mener la bataille [...] dans le but de renverser le système apostat et laïque et d'établir un régime islamique »,6 exhortant à plusieurs reprises ces derniers à déclarer le djihad.
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