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L'Artère du Cœur de Sidi Belahcène Al-Ghomari cadenassée

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  • L'Artère du Cœur de Sidi Belahcène Al-Ghomari cadenassée

    La rue des Sept Arcades, ou rue de Sidi Belahcène Al-Ghomari, prolonge la sortie de la Porte des Femmes de la Grande Mosquée de Tlemcen vers le sud; elle est en fait la rue la plus représentative du legs urbain de Tlemcen.

    La mémoire collective récente feint d'oublier l'oeuvre de Sidi-Ahmed Belahcène Al-Ghomari et de son compagnon Sidi Al-Faroui.

    Elle ignore aussi tous les efforts réalisés par plusieurs générations de citoyens organisant l'action sociale permanente, notamment aux jours les plus sombres de la cité dévorée par des épidémies, où le lieu, occupé actuellement par une administration, abritait jusqu'à cent personnes attendant leur heure ultime et recevant les derniers soins nécessaires au dernier voyage vers Sidi Es-Senouci de Tlemcen.

    Quant aux jours fastes de la cité, tous les commerçants de la ville trouvaient où envoyer la part de Sidi Belahcène : le marchand de fruits et légumes envoyait tous les dixièmes de ses cageots; le tenant du four banal retenait tous les dixièmes des galettes pour Sidi Belahcène; le 'ouchour des uns et des autres aboutissait à Sidi Belahcène. Quiconque était de passage à Tlemcen trouvait ce « restaurant du coeur » à sa disposition, sa petite famille, elle, trouvait dans la rue aux Sept Arcades l'abri nécessaire pendant que le père vaquait à ses achats.

    Toutes les mamans à Tlemcen se souviennent avoir emmené dans l'enceinte de la rue des Sept Arcades leur enfant en retard d'élocution ou de marche pour espérer qu'en cet espace un déclic puisse se produire !

    Toutes les grands-mères de la région de Tlemcen se souviennent de ces moments de quiétude qu'elles passaient dans cette rue et de cette gorgée d'eau qui les désaltérait lorsque la pression sociale devenait grande dans le village ou simplement dans la Grande Maison. Ce site a ainsi, pendant un demi-millénaire, dispensé ses bienfaits multiples sur la population autour de la Grande Mosquée de Tlemcen.

    Ni l'administration décadente des Bani-Zayân du XVIème siècle, ni la hargne ottomane sur la cité au XVIIème siècle, ni l'administration coloniale française durant son séjour à Tlemcen, n'osèrent perturber l'action sociale et de solidarité populaire de la Douweira de Sidi Belahcène Al-Ghomari. L'histoire retiendra l'acte perpétré par une génération de la fin du XXème siècle qui, en lieu et place d'une institution qui aurait pu être la doyenne des «Restaurants du Coeur» dans le monde, a affecté ces lieux en bureaux administratifs dans un provisoire qui dure depuis une trentaine d'années !

    Sidi-Ahmed Belahcène Al-Ghomari et son compagnon Sidi Mhammed Al-Faroui ont connu durant cette période le poids des boîtes à archives et de la documentation administrative et ont dû surtout supporter l'écoute des communications téléphoniques branchées près de leur tombe; eux qui pendant plusieurs siècles étaient attentifs aux lecteurs de Coran qui se pressaient dans leur salle pour perpétuer la lecture de leur texte favori. Lorsqu'en 1972 un asile pour vieillards prit les pensionnaires de Sidi Belahcène, une commission d'Imams notables de la ville avait sollicité des dons auprès de la population pour la réfection du lieu pour abriter des pensionnaires de lecture du Coran, mais grande fut la surprise de voir s'installer dans ces lieux des services administratifs qui, quelque temps après, se sont emparés de l'aile Sud que gérait le Croissant-Rouge Algérien et bientôt les grandes portes Ouest de la Grande Mosquée furent continuellement condamnées et même le passage aux 7 Arcades cadenassé à ses deux extrémités, surtout en dehors des heures administratives. Pendant ce temps, la population concernée qui y trouvait refuge continue à errer devant la façade Sud de la Mosquée : mendiants, mères en détresse, adultes en difficultés d'être, enfants seuls, ivrognes et de multiples cas sociaux. Attendent-ils que les fonctionnaires de la Douweira leur rendent leur espace ?

    L'institution d'une «Qout Al-Qouloub» reprendra-t-elle sa mission interrompue à l'instar des institutions similaires dans le monde ? Avec le concours des nouveaux centres de solidarité créés par des bienfaiteurs de la cité, Sidi-Ahmed Belahcène Al-Ghomari pourra-t-il retrouver son rayonnement social, culturel et spirituel, et ce à la veille de la célébration des neuf centièmes Taraouih à la Grande Mosquée de Tlemcen en l'an 1430 de l'Hégire ?

    Le 13 avril de chaque année est l'occasion d'un souvenir de la mort de Sidi-Ahmed Belahcène Al-Ghomari en 1470, lors de sa dernière prière du Fadjr sous le dôme de la Grande Mosquée et dont on ne le releva que pour le faire reposer dans son espace waqf tout près de cette même Grande Mosquée. Ce moment du souvenir nous fait songer au texte laissé par feu Djelloul Benkalfate lorsqu'il traversait cette artère :

    «Derb Sidi-Ahmed Belahcène TLEMCEN

    Qui ne connaît la rue Sidi-Ahmed Belahcène ? C'est une vieille rue qui subsiste du Tlemcen du Moyen Age et qui fait partie du quadrilatère sacré de la grande mosquée de Youcef Bentachfine. Ce coeur de Tlemcen historique et intouchable, délimité par la rue de l'Indépendance, la place Emir Abdelkader, le marché couvert et la rue de la Paix. Des échoppes minuscules de babouchiers, l'asile de vieillards, le mausolée du saint, les deux portes d'entrée Est de la mosquée, la mahakma du Cadi, commencement et quelquefois hélas fin prématurée des familles de chez nous. Des arcades blanchies à la chaux enjambent la ruelle, joignant les deux murs limitrophes et donnent à cette artère un caractère d'intimité, de familiarité qui en fait un havre de calme, de détente.

    Par une porte basse, on entre dans le sanctuaire, le catafalque sous lequel dort le saint homme se trouve à gauche, recouvert d'étoffes de soie aux teintes multicolores et passées. Le vieux moqadem est assis par terre sur un tapis et égrène son chapelet d'ivoire. Il reçoit les visiteurs et leur modeste offrande, formule à voix basse une prière, un remerciement et reprend le cycle éternel du chapelet. Une odeur d'encens, de fleurs, de vieilles choses, flotte dans la minuscule pièce et vous fait penser à la vanité de ce monde, à tout ce qui n'est plus, à tout ce qui ne sera plus.

    La vieille vigne au tronc vénérable sort de terre, tout près du mur, fait une révérence, se dresse et grimpe sur le treillis où les pampres s'étalent, ouvrent leur éventail d'ombre et de fraîcheur. Dans leur cage, les tourterelles roucoulent inlassablement. Dans cette oasis de paix et de sérénité, leur berceuse sans fin aide à remonter le cours des siècles, évoque ce Tlemcen du Moyen Age où d'autres tourterelles, à la même place, chantaient sans arrêt les louanges du Créateur. Une charmante croyance donne un pouvoir miraculeux à l'eau qui sert à abreuver les tourterelles. Quand un bébé est en retard pour parler, on lui mouille les lèvres avec l'eau de la cage. Certaines vieilles femmes de chez nous donnent la recette comme infaillible. Une oasis ne se conçoit pas sans l'eau vivifiante et nourricière.

    L'onde bienfaisante était là dans deux jarres jumelles plantées dans un tablier de maçonnerie. Deux écuelles de bois attachées par des chaînes - la distraction vous fait commettre souvent des impairs - servaient à étancher la soif des passants.

    Les jarres ont été bouchées au ciment, les écuelles ont disparu. Mesure d'hygiène, modernisme ? Dommage qu'on n'ait pas gardé ce témoignage charmant du passé, corrigé par un remplissage et vidage automatique des cuves. Deux bancs de maçonnerie courent tout au long du mur et servent de halte, de lieu de repos à tout un menu peuple : femmes du bled au visage découvert et qui ont fait un sérieux effort de toilette pour venir en ville, les yeux immenses passés au kohol, petits enfants rieurs et turbulents, vieillards impotents qui font ici une halte avant de continuer leur lente pérégrination, vieilles femmes jacassantes en mal de confidences, citadines voilées venues là pour se détendre les nerfs après l'altercation avec la belle-mère ou la voisine ou le mari et pour demander l'appui moral de Sidi-Ahmed Belahcène contre tous les tyrans.

    Délicieuse rue de Sidi-Ahmed Belahcène, souvenir du glorieux Tlemcen zyanide qui vit défiler nos ancêtres et qui accueillit à travers les âges nos vieilles grands-mères venues honorer le saint qui repose dans ton mausolée. Combien tu nous rappelles le temps de jadis ! Que de fois tu as tenté la palette du peintre conquis, subjugué !

    Un peuple est fier de ses origines lointaines, de ses titres, de sa noblesse, des épisodes de l'histoire qu'il a vécus. La vieille artère de Sidi-Ahmed Belahcène est là pour témoigner, pour nous rappeler ce que nous fûmes. Quand vous avez un moment à vous, quand vous vous sentez quelque lassitude, passez par là, avancez lentement, respirez profondément et concentrez-vous. Vous vous sentirez envahi par un sentiment diffus de fierté, de piété, de reconnaissance, d'amour filial pour tous ceux qui ont travaillé et lutté, tous ceux qui nous ont légué notre pays bien-aimé, l'Algérie si chère à nos cœurs ».

    Depuis plusieurs années, une occupation provisoire de ces lieux par les services d'une administration a fait estomper tous les détails d'un passé civilisationnel de la Cité en ces lieux. Ces services se sont progressivement incrustés dans le site mystique de Sidi-Ahmed Belahcène Al-Ghomari et de son compagnon Sidi Al-Faroui face à toute l'aile Est de la Grande Mosquée dont les portes ne pivotent plus pour s'ouvrir grandement sur la rue des Sept Arcades. La rue des Sept Arcades doit-elle rester fermée des deux côtés, comme c'est actuellement le cas, en dehors des heures de service, empêchant ainsi toute circulation aux paisibles citoyens et visiteurs ? Ce lieu restera longtemps après nous, une source d'inspiration du legs de notre patrimoine universel lorsque cette inspiration retrouvera en ce lieu sa liberté actuellement confisquée.


    Par le Quotidien d'Oran
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