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Vacances au Maghreb : les familles dans l'expectative

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  • Vacances au Maghreb : les familles dans l'expectative

    REPORTAGE. C'est un moment difficile de déchirement à tous points de vue que vivent les familles habituées à passer leurs vacances au Maghreb. Illustration.
    Par Hassina Mechaï
    Modifié le 18/05/2020 à 11:22 - Publié le 18/05/2020 à 10:02 | Le Point.fr

    C'est une tradition qui s'est transmise à la troisième, voire à la quatrième génération. Un passage de témoin qui trouve dans ces vacances un lien symbolique maintenu avec le pays des origines, un lien générationnel conservé au-delà du temps et de la distance, ou tout simplement des liens patrimoniaux, entre terres familiales à gérer et maisons bâties avec patience à rouvrir, aérer, habiter. Des vacances aussi bien pour le triptyque classique soleil-mer-repos que comme catalyseur d'un double enracinement.




    Mais rien n'est assuré pour cet été. Confinement quasi mondial, fermetures puis ouverture partielle ou lente des frontières et espaces aériens internationaux, mise en place de mesures prophylactiques, tout cela n'augure en rien un retour à une normalité effective. Certes, une reprise partielle des vols à l'aéroport d'Orly, où les vols pour le Maghreb représentent une part majeure d'activité, a été annoncée par le groupe ADP d'ici au week-end des grands départs du 26 juin. Certes également, dès le 11 mai, Air France a proposé un vol quotidien entre Roissy et Alger, mais toutes les places auraient déjà été réservées jusqu'en juin. De son côté, Air Algérie ne prévoit toujours pas officiellement de reprise des vols avant « juillet ou août ». Du côté du Maroc et de la Tunisie, l'espace aérien des deux pays a été fermé dès le 15 mars pour le premier et le 20 mars pour le second. Aucune annonce officielle de réouverture aux vols réguliers n'a encore été faite, tout restant conditionné à la situation épidémiologique des pays et à la prolongation ou non du confinement.




    Les familles entre incertitudes…
    Cette année, Nora* ignore si elle pourra passer ses vacances en Tunisie. Cette trentenaire, qui vit en région parisienne, est dans l'attente. En suspension, comme l'espace aérien et les vols internationaux. Tous surveillent l'évolution de la pandémie du Covid-19. « Je pensais rejoindre mes parents en Tunisie ces vacances d'été. Ils y vivent six mois de l'année, par intervalles de trois mois. Ils devaient revenir en avril, mais ils ont dû rester dans la maison familiale située dans un petit village à côté de Monastir. » Pourtant, cette année, Nora, prévoyante, avait pris son billet très tôt sur un site spécialisé. « J'ai réservé début mars, car les prix restaient encore raisonnables. Je savais que, passé cette période, les prix flamberaient d'autant que l'Aïd [l'Aïd-El-Kébir ou Al-Adha, Grande Fête ou Fête du sacrifice qui commémore le sacrifice d'Abraham, NDLR] tombe cette année en plein été [fin juillet, début août]. Le billet que j'ai acheté était quand même à plus de 400 euros », précise-t-elle.

    Mais avec la crise sanitaire qui a confiné près de 3 milliards d'êtres humains, les projets de vacances ont été autant plombés que les avions devant les concrétiser. Nora a tenté d'annuler son billet, mais cela s'est avéré impossible. « On m'a seulement proposé un avoir ou des bons. L'assurance de ma carte bleue qui a servi à régler le billet n'a pas fonctionné, car elle exclut le Covid. Nous sommes laissés dans le flou. Nous ne savons pas comment récupérer cet avoir, combien de temps il sera valable. Il est dit sur leur site que le bon sera valable un an après émission du billet. J'ignore si je vais partir au final. Je suis dentiste en statut libéral. Je dois compenser les huit semaines d'inactivité. Mais j'ignore tout autant si cela va servir de rester à Paris si les gens partent en vacances. Et puis, je m'inquiète aussi pour mes parents, car j'ignore quand ils pourront revenir. »



    … frustrations d'ordre familial…
    Pour Narimène, jeune chanteuse soprano de son métier, ce sont ses vacances en Algérie qui sont dans un flou total qui n'a rien d'artistique. « J'avais pensé partir pendant les vacances d'avril, tout était réservé sur Air Algérie, billets entre Montpellier-Oran. Mais le confinement est arrivé. » Là aussi, la compagnie a proposé un avoir, mais pas de remboursement. Narimène déplore surtout l'ignorance dans laquelle elle a été laissée par le service commercial de la compagnie. Aucune réponse à ses e-mails et appels. « J'ai dû passer par les réseaux sociaux pour obtenir un semblant de réponse hors les mails standards que j'ai reçus. » Mais Narimène ne renonce pourtant pas à ses vacances d'été. Elle souhaite présenter son jeune fils de deux ans à son grand-père âgé de 90 ans. Un geste générationnel qui la rattache à un pays où elle n'a cessé de se rendre enfant. « J'espère pouvoir partir. J'ai bien respecté le confinement et j'espère qu'ainsi je passerai les contrôles mis en place pour éviter une seconde vague de contamination en Algérie. »




    Narimène, comme beaucoup de jeunes Français nés de parents immigrés, a une histoire intimement bercée par des vacances régulières dans le pays de sa famille. « Mes parents, même modestes, mettaient un point d'honneur à nous emmener chaque été en Algérie. Eux-mêmes désirent s'y rendre cet été avec mon fils, ma sœur et moi. Ils n'ont qu'une hâte, prendre l'avion dès que les vols seront autorisés. Mais ma mère suit un traitement lourd. Il nous faut donc composer avec la question de ne pas être coincés là-bas si les frontières se ferment d'un coup. »



    … et interrogations de toutes sortes
    Pour Mustapha*, ingénieur à Paris, la situation est doublement incertaine. Son père et sa mère, retraités, font partie des Français que la quarantaine a surpris alors qu'ils se trouvaient au Maroc. « Mais, précise le trentenaire parisien, je ne suis pas inquiet. Même s'ils n'ont pas pu revenir pour passer le ramadan avec mes frères et ma sœur, ils sont dans la maison qu'ils ont fait construire à Tanger. Mon père s'occupe en la retapant. Ce qui m'interroge, c'est de savoir si nous pourrons les rejoindre cet été. D'autant que j'avais pour projet de développer avec mon frère une petite société, tout est en stand-by. »

    Khalid, médecin installé dans l'est de la France, est plus inquiet. Il pensait partir pour passer le ramadan avec ses parents qui vivent à équidistance de Casablanca et de Marrakech. « Même si les frontières ouvrent pour cet été, je n'irai pas. J'ai peur que, du jour au lendemain, un reconfinement et une fermeture des frontières soient décidés. Je serais alors dans l'impossibilité de revenir en France. Même si je suis binational, aucun rapatriement ne sera possible. » Mais Khalid avoue « une angoisse permanente » pour ses parents âgés : « S'il arrive quoi que ce soit, je ne pourrai pas y aller. Je suis médecin et je sais qu'ils sont dans la catégorie à risque. Eux-mêmes, s'il arrive quoi que ce soit à leurs enfants tous installés à l'étranger, ne pourront pas venir. » Khalid espère s'y rendre en automne, selon les informations qu'il aura sur l'épidémie. Pour le moment, il scrute les informations concernant la situation sanitaire du Maroc et communique avec ses parents aussi régulièrement que possible.



    Les agences de voyages constatent les dégâts et le blues sur les familles
    Du côté des agences de voyages qui se sont spécialisées sur les pays du Maghreb, elles sont comme sœur Anne : elles ne voient rien venir, ou pas grand-chose, dans un ciel aérien immobile. Celles contactées par Le Point Afrique naviguent entre renvoi aux compagnies aériennes ou aux autorités publiques.

    L'agence El Djazaïr, une des plus anciennes agences de voyages de la capitale, est encore à l'arrêt, malgré le déconfinement. « Un arrêt clair, net et précis des réservations », nous précise Karim Boudjellal. « Désormais, nous assurons seulement une permanence téléphonique puisque tout est à l'arrêt. Nous essayons de rassurer les gens comme nous le pouvons. Nous sommes déconfinés, certes, mais pour vendre quoi puisque les frontières sont fermées ? À cette époque de l'année, notre agence est normalement pleine et travaille en flux continu. C'est la période limite pour obtenir des billets à prix raisonnable encore. À partir de mai, les prix doublent habituellement. »



    De ses années à l'agence, Karim Boudjellal observe que « les gens partent en Algérie moins pour des vacances que pour retrouver une résidence secondaire familiale. Ils ne se posent même pas la question de savoir où partir durant cet été tant cela est ancré dans une tradition installée ». Mais pour le responsable de l'agence, les clients restent inquiets, malgré le déconfinement : « En temps normal, en période pleine, dès qu'il manque un avion ou deux sur les départs réguliers, cela crée des tensions. Mais là, c'est pire. Tout est stoppé net. Les gens sont inquiets, car ils entendent dire que le remboursement se fait à 18 mois, ou simplement remplacé par un avoir. Cela représente un budget pour plusieurs familles que de voir bloquer l'argent mis dans les billets. Parfois, ils s'endettent pour payer leur billet. Ils ne peuvent se permettre d'attendre pour être remboursés. Comment les gens peuvent engager des sommes d'argent s'ils n'ont pas l'assurance de partir ou d'être remboursés ? Ils voudraient pouvoir réserver, mais sans acheter leur billet. Mais toutes les compagnies ont adopté la même politique commerciale. Elles suivent la ligne d'Air France qui pratique cette politique commerciale. »



    Une politique suivie par la plupart des compagnies aériennes. UFC Que choisir a ainsi constaté que 80 % des principales compagnies aériennes refusent tout remboursement et offrent à leurs clients un bon comme compensation. L'association de défense des consommateurs rappelle pourtant que la Commission européenne pose que, « si les compagnies proposent un bon, cette offre ne peut pas affecter le droit du passager d'opter plutôt pour un remboursement » : les compagnies ne peuvent donc pas forcer les consommateurs à accepter un bon. Ce sont pas moins de 57 compagnies, dont Air Algérie, Tunisair et Royal Air Maroc, qui ont été mises en demeure par l'association de respecter le droit de leurs clients.






    Dans une autre agence de voyages de Paris qui travaille spécifiquement sur le Maghreb, les mêmes interrogations pressantes sont perçues dans les appels d'une clientèle parfois en désarroi. « Les clients ne partent pas en vacances seulement, détaille l'un des employés. Notre clientèle est modeste et familiale. Les gens vont veiller sur leur famille restée au pays, parents âgés le plus souvent. Ils vont aussi traiter des affaires d'héritage ou de biens fonciers et immobiliers. C'est toute une vie en parallèle qu'ils vivent dans leur pays d'origine. Pour les plus jeunes, il s'agit aussi de retrouver leurs parents qui, après une vie de travail en France, passent la moitié de leur temps dans le pays natal. »

    Le professionnel ajoute que l'inquiétude de ses clients tient aussi au fait que beaucoup de gens se sont retrouvés coincés dans un pays du Maghreb alors que le confinement mondial se généralisait. Beaucoup étaient partis en pensant prendre leur billet de retour, une fois sur place.

  • #2
    Des précautions pour éviter une seconde vague par les avions
    La crainte d'un ressac et d'une nouvelle vague virale est aussi perceptible parmi la clientèle. Les mesures préventives sont peu à peu annoncées par les compagnies aériennes : port du masque obligatoire pour le personnel comme pour les passagers, voire possibilité de recourir à l'utilisation d'un test de diagnostic rapide. Car il ne s'agit pas de réitérer les erreurs de la première vague d'épidémie et de faire de chaque vol international des foyers potentiels de contamination. La reprise de la flotte aérienne d'Air Algérie sera, par exemple, progressive a annoncé la compagnie, afin d'éviter une seconde vague épidémique du pays.

    Air Algérie avait précédemment annoncé un retour de ses vols « au cours du mois de juillet ou août 2020 au plus tard », suivant évidemment l'évolution de la situation sanitaire mondiale. De son côté, Air France a annoncé la reprise de ses liaisons aériennes vers les pays du Maghreb à compter du 1er juin 2020. Mais là aussi sous condition suspensive de la réouverture des frontières aériennes des pays concernés et de la levée des restrictions sanitaires sur les vols internationaux. Pour la Tunisie, la reprise ne devrait se faire qu'à compter du 1er juillet. Mais aucune compagnie, comme aucun pays, ne peut décider seule et unilatéralement d'une reprise en raison même de l'imbrication géographique des vols. Et de l'ampleur d'une pandémie par définition peu soucieuse du formalisme des frontières.

    Un constat : le secteur aérien est totalement sinistré
    En attendant, c'est aussi toute une économie qui vit en apnée. Selon une nouvelle estimation de l'Association internationale du transport aérien (IATA), la pandémie du Covid-19 aura provoqué jusqu'à 314 milliards de dollars de pertes au secteur aérien, soit environ 280 milliards d'euros. L'analyste britannique de données aériennes OAG table sur une augmentation des billets de 52 % au moins. Pour expliquer cette augmentation, les nouvelles mesures sanitaires imposées en avion pour la protection des passagers, mais surtout la distanciation sociale qui oblige à laisser un siège vide sur deux.

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