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En Algérie, un projet de Constitution loin du rêve du Hirak

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  • En Algérie, un projet de Constitution loin du rêve du Hirak

    Par Madjid Zerrouky Publié hier à 13h30, mis à jour à 06h22

    Le président Tebboune avait promis une révision de la loi fondamentale pour fonder une « nouvelle Algérie ». Mais les travaux ont lieu sans véritable débat démocratique.

    Le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, l’avait promis au lendemain de son élection, en décembre 2019. « La nouvelle Algérie » devait s’appuyer sur une remise à plat de sa Constitution, pierre angulaire d’un nouveau régime.

    Las, le projet d’amendements constitutionnels a été remis, à partir du 7 mai, aux partis politiques et aux « acteurs de la société » agréés par l’Etat. En pleine épidémie du Covid-19, dans un pays où les réunions sont interdites et la vie politique est à l’arrêt, le processus avait peu à voir avec le débat « inclusif » annoncé et vanté par le président. L’avant-projet de réforme a beau mentionner le Hirak dans son préambule, il recueille surtout l’hostilité du mouvement de contestation.

    Pourquoi tant de précipitation ? Certains y verront une erreur de timing, d’autres la volonté du pouvoir de dérouler sa feuille de route indépendamment de la situation politique et sanitaire du pays. Ou plus encore de tourner ainsi la page d’une crise qui l’a vu vaciller.

    Un an durant, les Algériens sont sortis dans la rue pour exiger un changement radical, celui du système, ce patriarcat politico-institutionnel incarné par la figure du chef incontestable et de sa cohorte de serviteurs. Cette marque de fabrique a caractérisé l’« hyperprésidentialisation » du règne d’Abdelaziz Bouteflika, chassé du pouvoir en avril 2019 par le Hirak.

    « Ebauche »

    On en est encore loin avec cette première mouture du projet de révision, même si la présidence jure qu’il n’est « qu’une ébauche de révision, une plateforme de débat et une méthodologie de travail ».
    Cette ébauche a été conçue à huis clos, par un comité d’« experts » n’incluant aucun membre de l’opposition ni de la société civile. Son mandat ? réfléchir à une révision constitutionnelle autour d’« axes de propositions et recommandations fixés par le président de la République ».

    Abdelmadjid Tebboune a cadré le périmètre de réflexion du comité, présidé par le juriste Ahmed Laraba : « Je vous invite à mener votre réflexion et à me faire vos propositions et recommandations autour des axes suivants… », lui a-t-il écrit. Soit le « renforcement des droits et libertés », « la moralisation de la vie publique », « l’équilibre des pouvoirs », ou encore l’« indépendance de la justice »…. Cette commission devra présenter, à une date encore non précisée, son avant-projet au Parlement – pourtant lui-même issu de la fraude électorale des années Bouteflika – avant approbation par référendum.

    Sur le fond, la nature des institutions ne changera pas. La concentration des pouvoirs restera aux mains de l’exécutif, qui maintiendra son ascendant sur le Parlement et son pouvoir de nomination sur tous les organes de contrôle et autorités de régulation de l’Etat. Le régime restera hyperprésidentiel, ce que les auteurs reconnaissent eux-mêmes en préambule : « La commission a conclu, après débat, que l’adoption de ces restrictions [aux pouvoirs du président] conduirait au changement de la nature du régime politique. »
    Sur la forme, le projet d’Abdelmadjid Tebboune s’inscrit aussi dans une continuité historique. Les procédures qui vont amener à son adoption diffèrent peu des révisions constitutionnelles qu’a connues le pays depuis 1962, à chaque fois marquées par une absence de débats contradictoires publics dans un pays où 90 % de la population est née après l’indépendance.

    Depuis l’assemblée du « cinéma Majestic » d’Alger, quand des membres du Front de libération nationale (FLN) acquis au premier président Ahmed Ben Bella ont adopté la première Constitution du pays en 1963, toutes les Constitutions et révisions de la loi fondamentale ont été élaborées par un cercle fermé d’« experts » nommés par l’exécutif.

    Dès l’année de l’indépendance, le pouvoir législatif fut dépossédé : « La Constitution fut discutée et adoptée en dehors de l’Assemblée que je présidais et des députés élus pour le faire. La discussion et l’adoption eurent pour cadre une salle de cinéma de la ville », écrira, vingt ans plus tard, Ferhat Abbas, le président de l’Assemblée constituante de 1963 et président du gouvernement provisoire de la République algérienne pendant la guerre de libération. Un scénario appelé à perdurer.

    Présidence militarisée

    La démarche actuelle ne déroge pas à cette règle : loin de tout processus constituant réclamé par une partie de l’opposition et parfois par la rue.

    Un tel processus a été rejeté avec force par l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah. Mort en décembre 2019, l’ancien homme fort du régime et mentor du président actuel avait fait savoir dès le mois de juin qu’une telle option était inenvisageable. Ce même mois de juin a marqué le début de la vague de répression qui s’abat, depuis, sans discontinuer sur les sympathisants du Hirak.

    « L’objectif, c’est que l’Algérie se dote d’une Constitution consensuelle, la préservant de tomber dans l’autoritarisme et de vivre des crises à chaque fois qu’il y a dysfonctionnement à la tête du pouvoir », assurait, jeudi 14 mai, le porte-parole de la présidence, Belaïd Mohand-Oussaïd.

    Abdelmadjid Tebboune espère sans doute tenir là l’occasion d’asseoir une légitimité fortement amoindrie par une élection massivement boycottée et dont le Hirak ne voulait pas. Un air de déjà-vu. En Algérie, un scrutin présidentiel douteux est souvent suivi ou précédé d’une initiative politique qui vise à affermir le pouvoir du nouvel arrivant. Ou à répondre formellement à un moment de crise du régime.

    Ainsi en 1976, onze ans après son coup d’Etat, Houari Boumédiène, qui aspirait à la légitimité du « suffrage universel », s’était fait élire tout en faisant adopter une nouvelle Constitution. Les tensions avec le Maroc étaient alors à leur paroxysme et le clan qui l’avait porté au pouvoir se lézardait. Le texte de 1976 reste aujourd’hui la moelle épinière de l’architecture institutionnelle algérienne, plaçant tous les pouvoirs entre les mains d’une présidence militarisée, même s’il sera régulièrement toiletté au gré des « dysfonctionnements ».

    La Constitution est ainsi amendée dès 1979 et 1980 par son successeur, Chadli Bendjedid, alors que la chasse aux anciens bras droits de Boumédiène est lancée par le nouvel arrivant, puis, en 1986, lors de son deuxième mandat et en pleine crise économique. En réponse aux émeutes d’octobre 1988, un nouveau texte introduit le multipartisme, sans pour autant renoncer au caractère présidentiel du régime. Cette Constitution de 1989 est caduque moins de trois ans plus tard après l’arrêt du processus électoral qui anticipe la victoire annoncée du Front islamique du salut. Le pays renouera avec un ordre constitutionnel en 1996 et une énième révision de la loi fondamentale menée sous l’impulsion, là encore, d’un nouvel élu : Liamine Zeroual.

    Gouffre profond

    Arrivé au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika a modifié la Constitution trois ans plus tard, en accordant au tamazight un statut de langue nationale après les émeutes sanglantes du « printemps noir » kabyle. Après avoir consolidé son pouvoir, il supprime la limitation des mandats présidentiels en 2008, pourtant introduite par les amendements de 1996… Avant de la réintroduire en 2016. Les promesses constitutionnelles n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.

    Chaque révision de la Constitution s’accompagne d’un engagement à l’« approfondissement des droits fondamentaux », selon les éléments de langage coutumiers du pouvoir. Le nouveau chapitre consacré aux libertés n’oublie personne. Mais, en Algérie, ce ne sont pas les principes édictés par la Constitution qui aujourd’hui menacent les libertés, mais plutôt les lois censées les appliquer, comme le soulignent les avocats à longueur de plaidoiries. A commencer par le Code pénal, volontairement flou dès lors que des crimes tels que l’« atteinte à la sûreté de l’Etat » ou « à l’unité nationale » sont retenus et interprétés de manière large par les procureurs lors des procès politiques.

    Après un an de contestation populaire, le gouffre qui sépare la parole et les écrits des actes n’a jamais paru aussi profond. Le projet de révision constitutionnelle proclame ainsi la liberté d’association, de réunion et celle de la presse au moment même où les prisons algériennes se remplissent d’opposants.

    LE MONDE
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