Michel Raimbaud, ancien diplomate français, conférencier en relations internationales, au «Le Quotidien d'Oran»: Le hirak, l'ANP, la Libye et le reste
Quotidien Oran - 08/06/2020 - par Interview Réalisée Par Ghania Oukazi
« La normalisation est une longue patience, c'est un travail de diplomates », affirme Michel Raimbaud au sujet des relations algéro-françaises. «On ne peut qualifier de « révolutions » des mouvements dont le seul programme consiste à « faire tomber le régime », dit-il lorsqu'il évoque « les printemps arabes ». Partant, il dissèque les crises en Libye, au Mali, en Syrie, « la transaction du siècle », en les inscrivant dans «le remodelage du Grand Moyen-Orient » et en prévoyant « la fin de l'ONU ».
Le Quotidien d'Oran: La diffusion d'un documentaire sur le «Hirak» par des télévisions publiques françaises a provoqué une crise diplomatique entre Alger et Paris. Les relations algéro-françaises sont-elles à ce point fragiles pour qu'un simple travail de journaliste risque de provoquer leur rupture ?
Michel Raimbaud: Près de soixante ans après l'indépendance, les relations entre l'Algérie et la France restent particulièrement intenses. Passionnelles pour ne pas dire volcaniques, elles n'ont jamais pu être stabilisées. Envisager la normalisation impliquerait que l'on veuille bien de part et d'autre tourner la page sur une histoire commune tourmentée. Beaucoup n'y semblent encore pas prêts, préférant ressasser leurs griefs ou leurs obsessions plutôt que d'aborder l'avenir avec modestie, mais dans un esprit constructif. Créer un climat de confiance implique de renoncer de part et d'autre aux conditions préalables et aux surenchères. S'agissant du caractère passionnel des relations entre les deux pays, il est le résultat d'une histoire commune de 130 ans, entre une colonisation et une guerre de libération qui s'est soldée par un nombre élevé de victimes, laissant derrière elle une rancœur et un désir de revanche peu propices à une véritable réconciliation.
Quoi qu'il en soit, la relation bilatérale de maintenant n'est pas seulement de nature politique, diplomatique et économique, elle intègre une dimension culturelle importante, en quelque sorte la « trace » de la France sur l'Algérie, et son caractère passionnel est exacerbé par l'importance des communautés issues d'une façon ou d'une autre de la colonisation ou de la décolonisation. Si la présence des Français en Algérie a fondu à l'indépendance, ce n'est pas sans laisser un impact profond qui se fait sentir jusqu'à présent. En effet, en France, une partie de la population est sensible pour des raisons diverses à la qualité et à la nature du rapport global entre les deux pays. 5 à 6 millions de personnes sont concernées : 1 million de Français rapatriés, Juifs d'Algérie, ex-coopérants, harkis et leurs familles, 1,5 million de soldats français ayant combattu en Algérie, 1 million d'immigrés algériens et leurs familles, mariages mixtes et descendance, binationaux...
Si les relations entre la France et l'Algérie sont comme vous le dites « fragiles au point qu'un simple travail de journaliste risque de provoquer leur rupture », c'est que cet impact évoqué dans les lignes qui précèdent inspire toujours les médias des deux rives et qu'il est en pratique ignoré par ceux - politiques et diplomates – qui ont pour métier d'élaborer les politiques étrangères et de gérer en conséquence les relations entre les Etats. Or, la normalisation des relations entre deux Etats n'est pas une affaire à traiter par les médias, impatients par nature puisqu'ils doivent informer d'abord de l'actualité. La normalisation est une longue patience, c'est un travail de diplomates.
Si la matière qui inspire les uns et les autres est en quelque sorte commune, la façon de l'aborder est très différente et les objectifs ne sauraient être les mêmes.
La discrétion, la confidentialité voire le secret d'un côté, la publicité faite aux évènements, le scoop de l'autre : le temps court des journalistes poussés par la vitesse de la communication et de l'information moderne, face à la patience supposée et au temps long des diplomates de l'autre.
Q.O.: «Avec Alger, Paris entretient traditionnellement une relation difficile, refusant la repentance qui ouvrirait la voie à un traité d'amitié(...). La France se cherche des prétextes pour revenir dans le pré carré aux portes de l'Algérie, laquelle a l'impression de se retrouver ainsi, une fois encore, sous la menace de l'ingérence occidentale» écrivez-vous dans votre livre «Tempête sur le Grand Moyen-Orient». Les deux pays s'affrontent-ils actuellement dans cette logique ?
M. R.: Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai écrit dans «Tempête sur le Grand Moyen-Orient» sur la relation difficile entre Paris et Alger: ce qui était vrai en 2015 l'est toujours en 2020 et le sera sans doute encore dans quelques années. Et c'est un fait bien connu que la « repentance » qui ouvrirait la voie à un traité d'amitié du côté d'Alger est un concept qui pose problème dans divers milieux politiques ou secteurs de l'opinion en France, notamment dans ceux où s'est développée et se cultive une sensibilité exacerbée quant aux relations entre France et Algérie. Ceci a été explicité précédemment... En fait, le mot de « repentance » soulève un tollé dans bien des milieux. Il faudra du temps...
De même, je ne récuse pas ce qui est écrit dans l'ouvrage en référence « quant aux prétextes que se cherche la France pour revenir dans le pré carré ». Le propos n'était pas d'y voir une intention de la France concernant l'Algérie.
Il se trouve seulement que le Mali et le pré carré se trouvent bel et bien « aux portes de l'Algérie », et que celle-ci peut légitimement avoir « l'impression de se retrouver ainsi, une fois encore, sous la menace de l'ingérence occidentale ». Il serait néanmoins abusif d'en déduire que les deux pays « s'affrontent dans cette logique » : c'est une donnée du contexte géopolitique.
Dans l'esprit de la Françafrique et de ses avatars contemporains, le Mali et les autres pays de la bande sahélienne (de la Mauritanie au Tchad) qui ont fait partie de l'Empire colonial français, puis de la mouvance française, font partie du « pré carré ». Ce n'est évidemment pas un concept juridique ou politico-diplomatique reconnu, encore moins conforme au droit international ou à la Charte des Nations Unies...
Mais c'est une notion à laquelle les « médias » ont recours pour évoquer les intentions ou les ressorts de la politique française en ce XXIème siècle.
La Libye, c'est autre chose. Elle n'a jamais fait partie de la « mouvance » française. Néanmoins, politiquement, diplomatiquement et militairement, la France a joué un rôle très actif dans l'intervention de l'OTAN qui, sous couvert d'une résolution des Nations Unies et de la « responsabilité de protéger », a éliminé Kadhafi, détruit l'Etat libyen et son économie, instauré le chaos que l'on sait, déstabilisant tout le voisinage. Le chaos a gagné toute la région du Sahel, mais la situation en Libye est plus instable que jamais, avec l'arrivée de nouveaux intervenants et le retour annoncé de l'OTAN, soi-disant pour stabiliser la situation (sic).
Q.O.: Dans le même ouvrage, vous mettez «les révolutions arabes» entre guillemets. L'appellation ne cadre-t-elle pas avec ce qui s'est passé dans certains pays de la région ? Sinon, de quoi s'est-il agi sans trop risquer de se tromper ?
M.R.: Oui, je ne suis pas le seul à mettre les « révolutions arabes» ou les «printemps arabes » entre guillemets. En effet, on ne peut qualifier de «révolutions» des mouvementsdont le seul programme consiste à «faire tomber le régime », dont les meneurs sont manifestement inspirés et téléguidés par l'étranger, formés en Occident (par des « ONG » américaines spécialisées dans la promotion de la démocratie et les droits de l'homme), qui bénéficient du soutien occidental politique, diplomatique, militaire, par le biais des services secrets, des conseillers spéciaux, des forces armées, etc., qui sont pris en charge par les forces extrémistes de l'islam politique, parrainées et soutenues par l'OTAN, la Turquie et les régimes du Golfe, dont le label démocratique est plus que douteux, et l'inspiration révolutionnaire très problématique, qu'appuient toutes les forces réactionnaires. Regardons les résultats, pays après pays, et écoutons les aveux de tous ceux, islamistes ou occidentaux ou autres, qui ont participé à ces opérations de changement de régime...
Q.O.: A propos des «révolutions arabes », vous écrivez que «Paris a joué au poker menteur(...). Se tromper de siècle est toujours plein de risques. (...), la France est tombée du mauvais côté de l'Histoire». Pourriez-vous nous indiquer ce côté?
M.R.: La France n'est pas le seul pays à avoir joué, à jouer encore au « poker menteur » et à se tromper de siècle : le temps de la colonisation est révolu, malgré les retours de printemps ou les nostalgies de certains dirigeants. Ce sont des entreprises perdues d'avance, même si les prétextes invoqués sont hypocrites et mensongers, prenant l'apparence de motifs tout autres que la volonté coloniale : la « responsabilité de protéger» par exemple afin d'avoir le champ libre pour des aventures militaires et l'objectif de changer les régimes en place hostiles ou rétifs à l'emprise US ou atlantique. Or les temps ont changé et le monde, dont l'équilibre est en train de basculer, ne se prête plus à de tels projets : c'est ce que j'appelle tomber du mauvais côté de l'histoire : combattre pour des causes injustes, inacceptables, en violant le droit international et, en outre, sans aucune chance de réussir.
Q.O.: Le «Hirak» algérien est-il, selon vous, ce «printemps» qui est arrivé en retard par rapport à ceux de certains pays arabes ? S'inscrit-il dans la même logique des «révolutions arabes» et « des pokers menteurs de la France»?
M. R.: L'Algérie avait connu en janvier 2011 une tentative de « révolution » à la mode des « printemps arabes », mais le mouvement avait été de très courte durée, les autorités ayant été particulièrement vigilantes.
Je m'abstiendrai de porter un jugement sur le « Hirak » algérien de maintenant. Je noterai seulement qu'il n'arrive pas seul et s'inscrit dans une nouvelle vague ayant affecté notamment le Soudan et le Liban. Le retour de « printemps » présente le double visage déjà noté dans les évènements de 2010/2011 : des revendications populaires qui ne sont sans doute pas dépourvues de fondement, mais également et prenant assez rapidement le pas sur les premières, des tentatives de manipulation de l'étranger pas très différentes de celles d'il y a dix ans. On doit toujours, me semble-t-il, se méfier des exigences trop simplistes et trop radicales visant à « renverser le régime » et tous ses symboles afin de « donner le pouvoir au peuple », sans se soucier de la permanence de l'Etat. C'est peut-être la logique des « révolutions arabes » de 2011, cette vague qui a échoué face à la résilience de la Syrie et au « front de la résistance ».
Quotidien Oran - 08/06/2020 - par Interview Réalisée Par Ghania Oukazi
« La normalisation est une longue patience, c'est un travail de diplomates », affirme Michel Raimbaud au sujet des relations algéro-françaises. «On ne peut qualifier de « révolutions » des mouvements dont le seul programme consiste à « faire tomber le régime », dit-il lorsqu'il évoque « les printemps arabes ». Partant, il dissèque les crises en Libye, au Mali, en Syrie, « la transaction du siècle », en les inscrivant dans «le remodelage du Grand Moyen-Orient » et en prévoyant « la fin de l'ONU ».
Le Quotidien d'Oran: La diffusion d'un documentaire sur le «Hirak» par des télévisions publiques françaises a provoqué une crise diplomatique entre Alger et Paris. Les relations algéro-françaises sont-elles à ce point fragiles pour qu'un simple travail de journaliste risque de provoquer leur rupture ?
Michel Raimbaud: Près de soixante ans après l'indépendance, les relations entre l'Algérie et la France restent particulièrement intenses. Passionnelles pour ne pas dire volcaniques, elles n'ont jamais pu être stabilisées. Envisager la normalisation impliquerait que l'on veuille bien de part et d'autre tourner la page sur une histoire commune tourmentée. Beaucoup n'y semblent encore pas prêts, préférant ressasser leurs griefs ou leurs obsessions plutôt que d'aborder l'avenir avec modestie, mais dans un esprit constructif. Créer un climat de confiance implique de renoncer de part et d'autre aux conditions préalables et aux surenchères. S'agissant du caractère passionnel des relations entre les deux pays, il est le résultat d'une histoire commune de 130 ans, entre une colonisation et une guerre de libération qui s'est soldée par un nombre élevé de victimes, laissant derrière elle une rancœur et un désir de revanche peu propices à une véritable réconciliation.
Quoi qu'il en soit, la relation bilatérale de maintenant n'est pas seulement de nature politique, diplomatique et économique, elle intègre une dimension culturelle importante, en quelque sorte la « trace » de la France sur l'Algérie, et son caractère passionnel est exacerbé par l'importance des communautés issues d'une façon ou d'une autre de la colonisation ou de la décolonisation. Si la présence des Français en Algérie a fondu à l'indépendance, ce n'est pas sans laisser un impact profond qui se fait sentir jusqu'à présent. En effet, en France, une partie de la population est sensible pour des raisons diverses à la qualité et à la nature du rapport global entre les deux pays. 5 à 6 millions de personnes sont concernées : 1 million de Français rapatriés, Juifs d'Algérie, ex-coopérants, harkis et leurs familles, 1,5 million de soldats français ayant combattu en Algérie, 1 million d'immigrés algériens et leurs familles, mariages mixtes et descendance, binationaux...
Si les relations entre la France et l'Algérie sont comme vous le dites « fragiles au point qu'un simple travail de journaliste risque de provoquer leur rupture », c'est que cet impact évoqué dans les lignes qui précèdent inspire toujours les médias des deux rives et qu'il est en pratique ignoré par ceux - politiques et diplomates – qui ont pour métier d'élaborer les politiques étrangères et de gérer en conséquence les relations entre les Etats. Or, la normalisation des relations entre deux Etats n'est pas une affaire à traiter par les médias, impatients par nature puisqu'ils doivent informer d'abord de l'actualité. La normalisation est une longue patience, c'est un travail de diplomates.
Si la matière qui inspire les uns et les autres est en quelque sorte commune, la façon de l'aborder est très différente et les objectifs ne sauraient être les mêmes.
La discrétion, la confidentialité voire le secret d'un côté, la publicité faite aux évènements, le scoop de l'autre : le temps court des journalistes poussés par la vitesse de la communication et de l'information moderne, face à la patience supposée et au temps long des diplomates de l'autre.
Q.O.: «Avec Alger, Paris entretient traditionnellement une relation difficile, refusant la repentance qui ouvrirait la voie à un traité d'amitié(...). La France se cherche des prétextes pour revenir dans le pré carré aux portes de l'Algérie, laquelle a l'impression de se retrouver ainsi, une fois encore, sous la menace de l'ingérence occidentale» écrivez-vous dans votre livre «Tempête sur le Grand Moyen-Orient». Les deux pays s'affrontent-ils actuellement dans cette logique ?
M. R.: Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai écrit dans «Tempête sur le Grand Moyen-Orient» sur la relation difficile entre Paris et Alger: ce qui était vrai en 2015 l'est toujours en 2020 et le sera sans doute encore dans quelques années. Et c'est un fait bien connu que la « repentance » qui ouvrirait la voie à un traité d'amitié du côté d'Alger est un concept qui pose problème dans divers milieux politiques ou secteurs de l'opinion en France, notamment dans ceux où s'est développée et se cultive une sensibilité exacerbée quant aux relations entre France et Algérie. Ceci a été explicité précédemment... En fait, le mot de « repentance » soulève un tollé dans bien des milieux. Il faudra du temps...
De même, je ne récuse pas ce qui est écrit dans l'ouvrage en référence « quant aux prétextes que se cherche la France pour revenir dans le pré carré ». Le propos n'était pas d'y voir une intention de la France concernant l'Algérie.
Il se trouve seulement que le Mali et le pré carré se trouvent bel et bien « aux portes de l'Algérie », et que celle-ci peut légitimement avoir « l'impression de se retrouver ainsi, une fois encore, sous la menace de l'ingérence occidentale ». Il serait néanmoins abusif d'en déduire que les deux pays « s'affrontent dans cette logique » : c'est une donnée du contexte géopolitique.
Dans l'esprit de la Françafrique et de ses avatars contemporains, le Mali et les autres pays de la bande sahélienne (de la Mauritanie au Tchad) qui ont fait partie de l'Empire colonial français, puis de la mouvance française, font partie du « pré carré ». Ce n'est évidemment pas un concept juridique ou politico-diplomatique reconnu, encore moins conforme au droit international ou à la Charte des Nations Unies...
Mais c'est une notion à laquelle les « médias » ont recours pour évoquer les intentions ou les ressorts de la politique française en ce XXIème siècle.
La Libye, c'est autre chose. Elle n'a jamais fait partie de la « mouvance » française. Néanmoins, politiquement, diplomatiquement et militairement, la France a joué un rôle très actif dans l'intervention de l'OTAN qui, sous couvert d'une résolution des Nations Unies et de la « responsabilité de protéger », a éliminé Kadhafi, détruit l'Etat libyen et son économie, instauré le chaos que l'on sait, déstabilisant tout le voisinage. Le chaos a gagné toute la région du Sahel, mais la situation en Libye est plus instable que jamais, avec l'arrivée de nouveaux intervenants et le retour annoncé de l'OTAN, soi-disant pour stabiliser la situation (sic).
Q.O.: Dans le même ouvrage, vous mettez «les révolutions arabes» entre guillemets. L'appellation ne cadre-t-elle pas avec ce qui s'est passé dans certains pays de la région ? Sinon, de quoi s'est-il agi sans trop risquer de se tromper ?
M.R.: Oui, je ne suis pas le seul à mettre les « révolutions arabes» ou les «printemps arabes » entre guillemets. En effet, on ne peut qualifier de «révolutions» des mouvementsdont le seul programme consiste à «faire tomber le régime », dont les meneurs sont manifestement inspirés et téléguidés par l'étranger, formés en Occident (par des « ONG » américaines spécialisées dans la promotion de la démocratie et les droits de l'homme), qui bénéficient du soutien occidental politique, diplomatique, militaire, par le biais des services secrets, des conseillers spéciaux, des forces armées, etc., qui sont pris en charge par les forces extrémistes de l'islam politique, parrainées et soutenues par l'OTAN, la Turquie et les régimes du Golfe, dont le label démocratique est plus que douteux, et l'inspiration révolutionnaire très problématique, qu'appuient toutes les forces réactionnaires. Regardons les résultats, pays après pays, et écoutons les aveux de tous ceux, islamistes ou occidentaux ou autres, qui ont participé à ces opérations de changement de régime...
Q.O.: A propos des «révolutions arabes », vous écrivez que «Paris a joué au poker menteur(...). Se tromper de siècle est toujours plein de risques. (...), la France est tombée du mauvais côté de l'Histoire». Pourriez-vous nous indiquer ce côté?
M.R.: La France n'est pas le seul pays à avoir joué, à jouer encore au « poker menteur » et à se tromper de siècle : le temps de la colonisation est révolu, malgré les retours de printemps ou les nostalgies de certains dirigeants. Ce sont des entreprises perdues d'avance, même si les prétextes invoqués sont hypocrites et mensongers, prenant l'apparence de motifs tout autres que la volonté coloniale : la « responsabilité de protéger» par exemple afin d'avoir le champ libre pour des aventures militaires et l'objectif de changer les régimes en place hostiles ou rétifs à l'emprise US ou atlantique. Or les temps ont changé et le monde, dont l'équilibre est en train de basculer, ne se prête plus à de tels projets : c'est ce que j'appelle tomber du mauvais côté de l'histoire : combattre pour des causes injustes, inacceptables, en violant le droit international et, en outre, sans aucune chance de réussir.
Q.O.: Le «Hirak» algérien est-il, selon vous, ce «printemps» qui est arrivé en retard par rapport à ceux de certains pays arabes ? S'inscrit-il dans la même logique des «révolutions arabes» et « des pokers menteurs de la France»?
M. R.: L'Algérie avait connu en janvier 2011 une tentative de « révolution » à la mode des « printemps arabes », mais le mouvement avait été de très courte durée, les autorités ayant été particulièrement vigilantes.
Je m'abstiendrai de porter un jugement sur le « Hirak » algérien de maintenant. Je noterai seulement qu'il n'arrive pas seul et s'inscrit dans une nouvelle vague ayant affecté notamment le Soudan et le Liban. Le retour de « printemps » présente le double visage déjà noté dans les évènements de 2010/2011 : des revendications populaires qui ne sont sans doute pas dépourvues de fondement, mais également et prenant assez rapidement le pas sur les premières, des tentatives de manipulation de l'étranger pas très différentes de celles d'il y a dix ans. On doit toujours, me semble-t-il, se méfier des exigences trop simplistes et trop radicales visant à « renverser le régime » et tous ses symboles afin de « donner le pouvoir au peuple », sans se soucier de la permanence de l'Etat. C'est peut-être la logique des « révolutions arabes » de 2011, cette vague qui a échoué face à la résilience de la Syrie et au « front de la résistance ».
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